Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Je termine sur l'apprentissage. Celui-ci, donc, n'est pas une voie exclusive. Personne n'y est jamais arrivé. Tous les ministres, tous gouvernements confondus, socialistes comme de droite, sont venus, les uns après les autres, annoncer leurs objectifs en la matière : on a parlé de 400 000 apprentis, de 500 000, de 1 million même ! Résultat : walou ! On a ensuite inventé les primes : si vous prenez un apprenti, disait-on aux entreprises, on vous donnera tant et tant. Résultat, là encore : rien. Pourquoi ? Je me souviens d'une discussion avec un responsable de l'UIMM, l'Union des industries et métiers de la métallurgie. Dans cette branche un peu spéciale, on a besoin de main-d'oeuvre. « Voilà, me dit mon interlocuteur, nous voulons organiser la formation. Cela tombe bien, ai-je répondu, je suis d'accord. Les jeunes, nous vous les donnons : il y en a 12 millions, ou 5 millions – selon ceux que vous êtes prêts à prendre en charge. Vous n'êtes pas sérieux, me dit-il. Non, lui répondis-je, c'est vous qui ne l'êtes pas : prenez-les donc, assemblez-les par groupes de vingt et un – cela s'appelle une classe – et confiez-les à un maître d'apprentissage. Ah non, ça, on ne peut pas, conclut-il. »

Évidemment, nous blaguions : vous m'avez compris. La limite de l'apprentissage, ce sont les maîtres d'apprentissage, qu'il faut former. Un maître d'apprentissage ne travaille pas en même temps à la production ! Lorsque le carnet de commandes est tendu, pardon de vous dire qu'il n'est pas évident d'aller chercher le compagnon le plus qualifié pour lui demander de s'occuper des jeunes apprentis ! Dans certaines branches, l'apprenti est traité comme le jeune qu'il est – j'allais dire l'enfant, mais je ne veux pas exagérer. Celui-ci est alors protégé. J'en ai parlé avec mon ami Adrien Quatennens, qui, lui, a été apprenti. Dans sa branche, les apprentis étaient bien traités ; mais dans d'autres branches, le môme arrive et on lui demande de faire ceci et cela, sans s'encombrer de détails ! Sans bons maîtres d'apprentissage, point de bon apprentissage.

Or le problème se pose partout. Ne vous fiez pas aux structures ! Les CFA sont des structures horriblement coûteuses : à côté des lycées professionnels, leurs frais, c'est la nuit et le jour ! Vous n'avez qu'à regarder le bulletin de paie du directeur, cela vous donnera une idée de ce qui se passe à tous les autres échelons. Bref, cela coûte trop cher. Cependant, si vous n'avez pas, dans l'emploi, de maître d'apprentissage de bon niveau, alors ça se passe mal ! D'une part, la qualification n'est pas acquise et, d'autre part, les jeunes s'en vont ! Il faut quand même en parler : 25 % des apprentis quittent leur poste au bout de trois mois ! Ils héritent alors, pour l'éducation nationale, de la pancarte « PDV » : perdus de vue. Les mômes, dès lors, ne sont ni à l'école, ni en apprentissage, humiliés jusqu'au fond d'eux-mêmes. Puisqu'ils n'étaient pas bons à l'école on leur a dit d'aller voir du côté de l'apprentissage, du boulot, en prétendant que ce serait mieux et plus simple pour eux. Verdict : pas bons non plus. Cassés ! Alors, c'est aux parents de les rattraper par les épaules pour les mettre quelque part.

Le mieux, évidemment, est de remettre ces jeunes dans le circuit de l'enseignement professionnel. Nous avons là une élite pédagogique qui passe sa vie à prendre en charge des enfants dont l'estime de soi a été brisée dans l'enseignement général. Je ne l'en accuse pas, je dis seulement que c'est le résultat pour ces jeunes, brisés dans l'estime qu'ils ont d'eux-mêmes. Et un jeune brisé dans l'estime qu'il a de lui-même ne peut accomplir un parcours valorisant, d'abord parce qu'il a été, comme on dit, « orienté ». Il y a quelque chose d'horrible à réserver ce terme à ceux-là seuls que l'on envoie vers l'enseignement professionnel. À moi, qui ai suivi des études de littérature, nul n'a jamais dit que l'on m'y « orientait » ! On m'a seulement dit que je m'y sentirais bien. C'est toujours la même chose.

L'orientation, de toute façon, ne sera plus qu'un souvenir puisque vous entendez supprimer tous les moyens qui lui sont dédiés, y compris les conseillers d'orientation-psychologues – COPsy – , qui étaient tout de même bien précieux pour faire le point sur nombre de jeunes. Si tant de jeunes, disais-je, quittent l'apprentissage, il faut s'interroger sur son contenu et son fonctionnement. Celui qui vous parle n'est certainement pas de ceux qui n'aiment pas ou méprisent l'apprentissage : ce n'est pas le sujet. C'est même moi qui suis à l'origine de la carte d'apprenti, sur le modèle de la carte d'étudiant. La carte d'apprenti, c'est certes bien pour aller au spectacle. Cette carte, j'en ai fait voter la création au Sénat, sur l'idée d'un ministre de droite : nous en fûmes tous deux bien contents.

Bref, l'apprentissage coûte cher. Trop de gens en démissionnent, et une ségrégation y est à l'oeuvre. Si l'enseignement public professionnel doit – j'insiste sur ce verbe – accueillir tout le monde, ce n'est pas le cas des CFA, qui, eux, choisissent les jeunes qu'ils acceptent ou refusent.

Toutes sortes de processus discriminatoires, ou d'orientation à l'intérieur du CFA, entrent alors en ligne de compte. Je n'en ferai pas le tableau complet, car je ne voudrais pas désespérer ceux qui m'écoutent – les parents, qui ont des enfants en apprentissage, et les jeunes apprentis, qui font leur travail avec beaucoup d'allant et de sérieux. Au contraire, je veux, depuis cette tribune, les féliciter.

Mais, en attendant, je vous demande d'y réfléchir : plus vous dérégulez l'apprentissage, plus vous augmentez le nombre de gens qui peuvent s'en mêler, et plus vous créez les conditions de l'approximation, de l'à-peu-près, de l'échec non vu et du manque de régulation. L'apprentissage ne peut pas remplir cette fonction.

C'est long, je le sais,

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