Et l'éditorialiste est M. Jean-Marc Vittori, qui n'a pas la réputation d'être un gauchiste échevelé.
Il écrit : « Le choix du président américain de remettre en cause l'ordre mondial bâti par ses prédécesseurs n'aura sans doute pas d'effets économiques majeurs à court terme. » On croise les doigts : une petite contraction de la production, une ou deux boîtes en faillite, et pouf ! La bulle éclate de nouveau. « Mais il en va tout autrement », poursuit-il, « à moyen et long terme. D'abord, il crée une incertitude profonde qui va peser sur l'investissement ». Voilà qui nous intéresse directement. « Dans pareil climat, difficile pour une entreprise de choisir le bon pays où implanter une usine ou même un centre de recherche. »
« Ensuite, le choix américain – c'est là le plus important – va pousser les grands groupes mondiaux à limiter les risques en rapprochant la production de la consommation, à l'inverse de ce qu'ils ont fait massivement ces deux dernières décennies ». Eh bien cela, à mes yeux, c'est une bonne nouvelle. Cela veut dire que nous allons relocaliser ; c'est exactement ce que nous étions ici un certain nombre à proposer.
Mais si vous relocalisez, il faut trouver des gens pour le faire ! Que ce soit dans l'agriculture ou dans l'industrie, il ne suffit pas de claquer des doigts pour que surgissent des travailleurs, des ingénieurs, des bacs professionnels – surtout si, entre-temps, on a raccourci la durée de préparation du bac professionnel. Pourquoi était-elle de quatre ans ? Parce qu'il fallait du temps, cette blague ! On l'a ramenée à trois ans, pour faire des économies ; mais combien on en casse en route, de mômes qui étaient capables d'accéder à ce niveau en quatre ans et qui ne le peuvent pas en trois ans ? Et maintenant, on veut le rendre flou : erreur totale ! Laissez le nombre des qualifications, leur spécification et les bacs pros qui vont avec ! Parce que c'est comme cela que vous équiperez le pays de tous ces travailleurs et cadres intermédiaires de la production sans lesquels il n'y a pas d'industrie moderne.
Je viens de vous livrer ce qui constitue, à nos yeux, l'essentiel. J'achève en vous disant, madame, que vous avez beaucoup évoqué la liberté de choix ; bien sûr, elle est fondamentale, mais la vérité est qu'elle n'existe pas, tant elle est socialement déterminée.
J'en ai fait l'expérience. Je venais d'avoir mon bac. Les miens étaient, disons, des cadres intermédiaires. J'ai dit : « Et maintenant, qu'est-ce que je fais ? » On m'a répondu : « C'est toi qui sais : c'est toi qui as le bac ! »
Dans beaucoup de milieux, le premier problème qui se pose, c'est la non-visibilité du monde : on ne sait pas, on ne connaît pas, et c'est la raison pour laquelle on fait comme papa ou comme maman, parce que leur métier est bon et honnête, etc. – vous connaissez tout cela. Il faut donc que la possibilité de l'orientation cesse d'être une espèce de gare d'aiguillage pour flux d'individus…