Pour toutes ces raisons, nous devons retourner en commission, rien que pour revoir votre copie en matière d'apprentissage.
Madame la ministre, vous êtes ambitieuse pour la France et c'est tant mieux. Vous voulez que notre pays rattrape son retard en matière de compétences et nous sommes d'accord. La crise économique a masqué l'évolution des compétences, et il y a un défi majeur à relever pour rester dans la compétition économique internationale et pour éviter de produire des bataillons de décrocheurs qui rejoindront des armées de personnes malheureusement éloignées de l'emploi. Ce n'est pas parce qu'on parle moins des chiffres du chômage que la situation s'améliore. Mais il n'est pas certain que pousser la logique de l'individualisation à son paroxysme soit la solution la plus efficace, et que sortir l'entreprise de l'aventure du compte personnel de formation, CPF, le choix le plus pragmatique.
Vous laissez les individus seuls avec un compte en euros et face une application numérique, et leur demandez de faire le travail de plusieurs dizaines de conseillers OPCA. Vous leur donnez la responsabilité de leur montée en compétences tout en abaissant leurs droits à 500-800 euros par an. Que va-t-il se passer ? Les organismes de formation, à l'affût, vont calibrer leur offre sur ces nouveaux droits : vous ferez la part belle aux formations d'appoint ou récréatives. Mais comment aller chercher des formations certifiantes et qualifiantes quand un bilan de compétences coûte déjà 1 500 euros ? C'est une véritable inquiétude pour nous, madame la ministre. Il faut à tout prix formaliser la co-construction des parcours, dans l'esprit de ce fameux accord national interprofessionnel, ANI, dont vous n'avez pas attendu la signature pour le dénoncer.
Vous nous dites que des accords d'abondement sont possibles. Oui, c'est le cas depuis 2014 ! Mais il faut aller plus loin pour développer la logique gagnant-gagnant qui permettra au salarié de progresser et à l'entreprise, de combler les pénuries de compétences dont souffre notre pays. Vous ne pouvez pas laisser, d'un côté, des salariés seuls avec des droits affaiblis, et de l'autre, des entreprises avec le devoir de former leurs salariés mais sans fonds mutualisés. Or c'est exactement ce que vous faites, à l'exception des entreprises de moins de cinquante salariés, qui bénéficieront de la péréquation verticale pour leur plan de développement des compétences. Dans votre monde rêvé, les entreprises investiront massivement dans la formation et les actifs sauront et auront les moyens de faire les bons choix. Est-ce la réalité ? Je crains que non.