Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les rapporteures, chers collègues, le projet de loi que nous abordons est, par son titre, particulièrement ambitieux. « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » : nous ne pouvons que partager votre volonté, madame la ministre, car, pour reprendre cette belle expression de Blaise Pascal, « la chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier ». Mais faut-il encore avoir le choix ! Il y a trop d'inégalités, trop de chômage, trop de personnes éloignées de l'entreprise ou de la fonction publique, trop de jeunes qui galèrent. Il faut pouvoir améliorer tant l'accompagnement que la formation et le parcours professionnel tout au long de la vie.
Je voudrais tout d'abord m'attacher à la réforme de l'apprentissage. Pour être intervenu à plusieurs reprises, à cette tribune, sur ce sujet important pour l'avenir des jeunes, qui passe par l'acquisition des compétences nécessaires pour exercer un métier et pour acquérir la passion du travail bien fait, je veux rendre hommage à toutes les entreprises, tous les maîtres de stages qui transmettent leurs savoir-faire et leurs compétences.
Nous sommes tous favorables à une réforme de l'apprentissage mais faut-il encore qu'elle soit efficace, quand 2 millions de Français, âgés de quinze à vingt-cinq ans, ne sont actuellement ni en formation, ni en emploi ! Avec votre projet de loi, nous passons d'une logique administrative, celles où les CFA se financent en grande partie auprès des régions, à une logique dite « de marché », où le financement se fait sur le nombre de contrats signés, avec un coût établi au niveau national.
Confier l'apprentissage aux branches professionnelles soulève des interrogations, car elles sont en phase de réorganisation : moins d'une dizaine sont aujourd'hui prêtes à remplir ces nouvelles missions. Les régions sont reléguées au second plan et récupèrent une compétence de régulation et d'aménagement du territoire. Mais, à mon sens, il faudrait un véritable copilotage entre régions et branches. Il faut une véritable stratégie régionale, avec un schéma régional des formations en alternance, des conventions d'objectifs, un vrai dialogue de gestion !
Le fait de confier l'apprentissage aux branches peut conduire au sous-financement des formations dans les branches les moins organisées. La réforme entraînera également une exposition aux éléments conjoncturels : ainsi, entre 2008 et 2015, le nombre d'apprentis dans le BTP a chuté de 31 % à cause de la crise économique. Existera-t-il des solutions de protection contre cela ? Je souhaite aussi que les chambres consulaires soient renforcées dans leurs missions d'accompagnement en matière d'apprentissage, car elles sont au plus près de celles et ceux qui font vivre les entreprises.
Il y a des avancées dans votre texte, madame la ministre, comme la création des classes de troisième dites « prépa-métiers », le report à vingt-neuf ans de la limite d'âge, l'assouplissement de la réglementation pour les mineurs, l'assouplissement des conditions de rupture et la certification imposée à tous les établissements qui dispensent des formations par voie d'apprentissage. Mais attention à ce que les formations mises en place ne soient pas menacées en raison du mode de calcul du coût du contrat, car chaque formation est différente, chaque lieu a sa propre histoire et son organisation pédagogique adaptée à l'hétérogénéité des publics et des territoires. 700 CFA seraient menacés, madame la ministre, selon les Régions de France !
Je veux insister sur l'orientation : on n'en parle pas assez ou, tout du moins, elle n'est pas assez efficace en France. Il faut une revalorisation des métiers, que tous les acteurs de l'orientation puissent se fédérer. La région voit ici ses missions élargies. Régionaliser l'orientation, pourquoi pas ? Toutefois, l'émiettement des différents acteurs de l'orientation n'est pas réglé : 8 000 structures interviennent dans le champ de l'orientation, dont 524 CIO sur les territoires, 446 missions locales, qui font d'ailleurs, je le souligne devant vous, un travail admirable, mais encore des « bureaux information jeunesse », des « points information » dans les communes – bref, il y a besoin de mettre un peu d'ordre dans tout cela.
Concernant le compte personnel de formation, il est supposé devenir un outil d'accès direct et universel à des répertoires de formations simplifiés et divisés en blocs de compétences. Vous parlez de liberté totale pour les salariés – oui, mais avec un usage qui peut être loin des priorités de l'entreprise ! Vous mettez en place un compte monétisé, avec une visibilité en euros – oui, mais avec des droits à géométrie variable en fonction des coûts des formations !
Et quant au paritarisme de gestion, c'est la fin, et pas simplement une évolution, car avec la création de France compétences, c'est l'étatisation assumée de la formation professionnelle ! Agence de l'alternance, financeur de l'ensemble du système, contrôleur, certificateur : elle aura tous les pouvoirs.
Quant au troisième volet de ce texte, l'assurance chômage, elle s'étend à de nouveaux publics, démissionnaires et indépendants en fin d'activité. Tout cela aura un coût : 500 millions d'euros, il faut le dire. Financement et gouvernance conduiront à un système mixte, à la fois contributif et assurantiel et, par ailleurs, de solidarité nationale. Cela réduira les négociations de la convention d'assurance chômage à une mascarade et le paritarisme de gestion appartiendra au passé. Se pose plus que jamais la question de savoir ce que l'on veut faire de l'assurance chômage : assurer un risque par un revenu de remplacement très protecteur ou en faire un outil de solidarité qui sert des revenus forfaitaires articulés avec des minima sociaux ?
Je terminerai par le souci exprimé en faveur des personnes en situation de handicap, très éloignées de l'emploi, avec une organisation et des fonds qui ne fonctionnent pas ou mal : l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, dont le bilan n'est pas satisfaisant, et des obligations mal respectées de la part des entreprises car les procédures sont complexes et la motivation particulièrement insuffisante.
Il faut, mes chers collègues, une société inclusive pour que chacun, au-delà des différences, puisse trouver sa place et bénéficier du grand principe de l'égalité des droits et des chances posé par la loi de 2005. Je suis convaincu que chacun a des talents et qu'à tous les âges de la vie, ils doivent être reconnus, mis en valeur et soutenus.
Madame la ministre, chers collègues, telles sont mes réflexions face à un texte que je voudrais à la hauteur des ambitions que nous avons pour notre pays. Le débat sera bien sûr décisif. Si nous nous montrons exigeants, c'est parce que l'enjeu est important et que nous souhaitons que cette réforme puisse conduire dans la bonne voie toutes celles et tous ceux qui, aujourd'hui, attendent un avenir professionnel, en particulier les jeunes.