Intervention de Monique Axelos

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 9h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Monique Axelos, directrice scientifique alimentation et bioéconomie de l'INRA :

Je voudrais d'abord dresser le tableau des défis auxquels nous devons faire face dans le domaine de l'alimentation, avant de présenter les grandes orientations de nos travaux. Mes collègues présenteront ensuite certaines de ces études de manière plus détaillée, puis nous répondrons à vos questions.

Il faut commencer par rappeler les développements positifs qui expliquent la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons et les défis actuels. Au cours des cinquante dernières années, la production alimentaire mondiale a été multipliée par 3, alors que la population a augmenté d'un facteur 2,3. Ce succès quantitatif masque cependant des situations très contrastées. En effet, on compte 820 millions de personnes sous-alimentées, 2 milliards de personnes carencées et plus d'un milliard de personnes obèses.

D'un point de vue sanitaire, le tableau est néanmoins positif : on constate de moins en moins de crises sanitaires majeures et un gain d'espérance de vie lié à la sécurité sanitaire et à la sécurité de l'alimentation. Toutefois, on constate de nouveaux risques en termes de santé publique liés à la mondialisation comme l'antibiorésistance qui risque de devenir la première cause de mortalité au monde, la dissémination des pathogènes non endémiques qui représente un risque pour l'homme ainsi que pour l'animal et qui génère des pertes économiques importantes.

En outre, l'accès à l'alimentation a été facilité par la diminution des prix. Cependant, France n'échappe pas aux problèmes de santé liés à l'alimentation, comme cela a été rappelé par l'étude individuelle nationale des consommations alimentaires, INCA 3, ainsi que par les rapports de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). On constate effectivement une augmentation des maladies chroniques : 25 % des cas de mortalité précoce seraient dus aux maladies cardiovasculaires, au diabète ou à certains cancers liés à la consommation alimentaire et à la faible activité physique — c'est la conjonction de ces deux facteurs qui est importante. On constate également une augmentation du surpoids et de l'obésité, qui concernent 51 % des adultes et 17 % des enfants.

Ces problèmes de santé sont très fortement corrélés avec le niveau de revenus et d'études.

L'alimentation est un vrai marqueur des inégalités sociales en France, où 12 % des adultes sont en situation d'insécurité alimentaire pour des raisons financières. Cette situation tend à s'aggraver.

Il faut aussi signaler l'apparition de nouveaux comportements. Ainsi, on constate une augmentation de la consommation de produits transformés hors du domicile, qui accompagne l'évolution de nos modes de vie marquée par l'urbanisation, le travail des femmes et la réduction de la durée des repas. On note également une forte augmentation des compléments alimentaires qu'a révélée l'étude INCA 3, laquelle est assez surprenante et qui vient sans doute compenser ou justifier des comportements alimentaires plus ou moins déséquilibrés. De nouvelles habitudes alimentaires qui présentent potentiellement des risques émergent dans les pays développés, comme la mode de manger cru qui pose des problèmes en termes de sécurisation des procédés et de gestion sanitaire, ainsi que des régimes d'éviction partielle ou totale de certains aliments. Tous ces nouveaux comportements doivent être étudiés afin d'en apprécier les conséquences sur le long terme, lesquelles sont difficiles à évaluer.

Comme vous le savez, l'INRA est bâtie autour d'un tryptique : agriculture, environnement, alimentation et bioéconomie. Comme nous l'exposons dans notre document d'orientation, notre ambition est de contribuer à relever ce défi sans précédent qui consiste à nourrir la planète en quantité suffisante, avec une alimentation sûre et saine, dans des conditions durables, en tenant compte du changement climatique, de l'urbanisation et de l'augmentation de la population.

Nous n'examinerons pas aujourd'hui la question des effets négatifs de l'alimentation sur la planète. Si nous nous concentrons sur la question de l'alimentation elle-même, nous travaillons sur deux grands axes qui sont associés : les liens entre l'alimentation et la santé, d'une part, la durabilité de l'alimentation, d'autre part. Il existe deux leviers d'action : l'offre et la demande alimentaires.

En ce qui concerne l'offre, nous menons des études, que vous présentera M. Didier Dupont, sur la construction des qualités des produits, sur l'impact nutritionnel des aliments et des régimes alimentaires, en examinant notamment les interactions entre les aliments et le microbiote, les rapports de l'alimentation et du cerveau, les liens avec le cancer. Nous nous attachons à comprendre les mécanismes physiologiques sous-jacents, car nos travaux se fondent sur une logique de prévention et non sur une logique curative. Sur l'autre axe, nous étudions notamment l'exposition à des agents contaminants par l'intermédiaire de l'alimentation, examinant en particulier l'exposition à de faibles doses et les « cocktails ». Nous nous efforçons donc de caractériser ces risques afin d'établir comment les prévenir et les prendre en compte.

En ce qui concerne la demande alimentaire, nous nous efforçons d'établir une sociologie de l'alimentation, c'est-à-dire de comprendre ce qui détermine les consommateurs, ou plutôt les « mangeurs », en étudiant en particulier leurs comportements paradoxaux. Nous cherchons ainsi à établir quels seraient les leviers de changement et quelles sont les recommandations acceptables.

Comme je vous l'ai dit, nous cherchons à proposer des régimes alimentaires sains, sûrs et durables. Nous travaillons également sur la réduction des déchets et sur l'amélioration de l'efficacité des ressources primaires. Nous devons en effet faire en sorte qu'aucun des maillons de la chaîne de l'industrie agroalimentaire ne gaspille la ressource primaire que constitue une production agricole. Ce travail suppose des pratiques agroécologiques auxquelles vous faisiez référence et entraîne de nouvelles questions en termes de variabilité des matières premières et par conséquent de variabilité des produits.

Constatant que l'alimentation possède un ancrage territorial, nous travaillons sur l'alimentation des villes, en étudiant l'agriculture urbaine, périurbaine, la résilience et l'innovation sociale.

Je conclurai en disant que la grande pluridisciplinarité de l'INRA nous permet vraiment de développer une approche systémique. En effet, ces questions ne peuvent pas être traitées séparément. Il est nécessaire de prendre l'ensemble du système en compte pour essayer de limiter les effets négatifs à long terme. Comme vous l'avez rappelé, nous développons toutes ces approches avec des partenaires institutionnels et académiques français mais aussi européens ou internationaux, ainsi qu'avec des partenaires privés et de plus en plus avec des représentants de la société civile. Nous cherchons en effet à développer le dialogue, lequel est nécessaire à l'engagement de tous les acteurs.

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