En ce qui concerne les comportements de consommation, il faut opérer une distinction entre ce que les personnes déclarent et ce que l'on observe réellement. La situation actuelle est en effet paradoxale : les réponses qu'apportent les consommateurs aux questionnaires ne sont pas entièrement cohérentes avec les choix alimentaires et les actes d'achat observés.
Nous constatons, sur les trente ou quarante dernières années, une distanciation croissante entre le consommateur et son alimentation. C'est le résultat d'une externalisation de la production de l'alimentation qui a désormais lieu hors du ménage et correspond à une augmentation de l'achat de produits transformés. Elle résulte également d'évolutions technologiques qui ont permis d'aller plus loin dans la dissociation entre le lieu et le temps de la production et ceux de consommation. Cette distanciation a donc plusieurs dimensions, relevant notamment de la technologie et de la perception de l'alimentation. C'est le résultat d'un processus de fractionnement-assemblage qui est au coeur des dynamiques industrielles : d'un côté, la production agricole s'est standardisée, évolution qui la rapproche de l'industrie, tandis qu'au niveau industriel, la production s'est fractionnée, puis assemblée à une étape ultérieure. La variété des caractéristiques des produits se réduit au niveau agricole, tandis qu'elle augmente au niveau industriel. Cela a entraîné un déplacement des leviers d'action sur l'offre alimentaire ainsi que de la valeur depuis l'amont vers l'aval. Tous ces éléments sont pris en compte dans le discours des consommateurs.
En revanche, les actes d'achat ne reflètent pas nettement ces évolutions. Certes, on observe bien une croissance de la consommation des produits bio, qui reflète cette préoccupation de réduire la distance avec l'alimentation, et une fraction des consommateurs tend à privilégier des circuits courts. Les produits bio ne représentent cependant que 3 % des dépenses alimentaires des ménages. On constate donc une transformation des représentations du rapport à l'alimentation, et cependant les actes d'achats demeurent tirés par les prix, la praticité et surtout par les qualités sensorielles des produits. En effet, les expérimentations montrent que le premier déterminant du choix d'un produit reste l'élément sensoriel. Il faut effet tenir compte des contraintes de la vie domestique, notamment du temps de préparation. J'espère avoir répondu à votre question.
En ce qui concerne la balance coût-bénéfice, nous nous attachons donc à intégrer à l'analyse des politiques et des changements de comportement alimentaire à la fois les gains et les coûts. Nous ne disposons pas encore d'une balance économique qui tienne compte de l'ensemble des dimensions. En revanche, nous sommes capables de calculer, dans la gamme des régimes alimentaires observés, en France ou au niveau international, ce que gagne et ce que perd un consommateur qui passerait d'un extrême à l'autre, par exemple en termes d'émissions de gaz à effet de serre, de bénéfice nutritionnel et de budget.
Nous avons intégré ces éléments dans une analyse des recommandations alimentaires, telles que celle qui invite à manger davantage de fruits et de légumes. Si on modélise, avec les données dont on dispose, les conséquences d'une croissance de la consommation de fruits et de légumes, en tenant compte des modifications que cela entraîne sur le reste du régime alimentaire, ne serait-ce qu'en raison du coût de cette consommation supplémentaire, on observe des bénéfices nutritionnels et environnementaux ainsi qu'un coût légèrement supérieur. En particulier, le coût d'adoption est assez élevé, étant donné que les fruits et légumes ne sont pas les aliments que les consommateurs préfèrent en ce moment. Cependant, si l'on prend en compte l'ensemble des dimensions, cette recommandation apparaît comme efficace, au sens où les gains excèdent les coûts. Voici donc un exemple de l'approche « coût-bénéfice » que nous développons.