Tout d'abord, l'INRA n'évalue ni ne réglemente ; en revanche, il fournit des éléments scientifiques aux agences d'évaluation. Prenons le cas du dioxyde de titane, que je connais bien. Sur la base d'éléments scientifiques suffisamment solides, l'INRA a conduit une étude qui a mis en évidence un nouveau danger. L'INRA fournit les éléments académiques à l'ANSES et à l'European Food Safety Authority (EFSA), et sur cette nouvelle base académique, l'EFSA réévalue l'effet des additifs. Il faut bien comprendre que l'autorisation initiale des additifs fait suite à une évaluation de l'EFSA sur la base d'études technologiques mais aussi toxicologiques fournies par le demandeur. Cette évaluation comprend notamment des études de métabolisme, de géno-toxicité, et de cancérogénicité. Si ces additifs sont autorisés, c'est donc qu'ils ont rempli ce cahier des charges. Toutefois, pour de nombreux éléments, l'autorisation s'est appuyée sur des études menées dans les années 1990, 1980, ou 1970. C'est pourquoi on conduit aujourd'hui une réévaluation de ces additifs au niveau individuel. Peut-être est-ce là que le bât blesse, car on évalue ces additifs au niveau individuel et on ne mesure pas l'effet de leur combinaison.
Il faut effectivement donner des éléments d'aide à la décision publique pour accélérer cette démarche. Certains projets européens, comme le projet EuroMix, visent à proposer des modèles mathématiques afin d'évaluer plus facilement la toxicité de ces mélanges. Le Laboratoire d'étude des résidus et contaminants dans les aliments (LABERCA), à Nantes, travaille ainsi à mieux connaître l'exposition du consommateur pour ensuite, sur la base d'approches in vivo cellulaires et de modèles mathématiques, anticiper l'effet de cette exposition multiple. Toutefois, la recherche actuelle consiste à construire les outils de l'évaluation et à identifier les « cocktails » auxquels nous sommes exposés et non, pour l'instant, à établir les effets de cette exposition.
Il existe un réel décalage entre le temps législatif, le temps médiatique, le temps de l'évaluation et le temps scientifique. Permettez-moi de l'illustrer une nouvelle fois avec l'exemple du dioxyde de titane : il nous a fallu cinq ans de travail pour produire l'évaluation de l'effet d'un seul additif sur une seule pathologie chronique, c'est-à-dire pour établir le risque de cancérogénicité. Le travail que nous menons dans le cadre de ces projets européens est effectivement très long. Nous cherchons notamment à développer des nouveaux outils mathématiques pour modéliser au mieux ces « effets cocktail ».