Intervention de Louis-Georges Soler

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 9h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Louis-Georges Soler, directeur de recherche dans l'unité alimentation et sciences sociales (ALISS) :

C'est en effet la question centrale : quels outils peuvent permettre d'accompagner le processus ? Il en existe plusieurs. Le Nutri-Score participe d'une telle démarche et constitue un premier levier. Son objectif est en effet de proposer un support permettant de créer des incitations à la reformulation. Comme je vous l'ai dit, l'OQALI sera en charge du suivi du Nutri-Score. Il faudra en effet en mesurer l'impact. Combien d'industriels l'utiliseront ? Permettra-t-il de créer une dynamique d'amélioration de la qualité des produits ?

Un deuxième levier est constitué par les taxes nutritionnelles, c'est-à-dire des taxes qui sont liées à la teneur de certains aliments en sucre, par exemple, comme une taxe sur les sodas. De telles taxes pourraient affecter les arbitrages en termes de qualité des produits ; à ce stade, nous n'en sommes pas totalement sûrs : les études actuelles nous permettent de dire quel serait l'effet de telles taxes sur les quantités consommées et sur les prix, mais pas encore de comprendre comment elles modifieraient les arbitrages de l'industrie en ce qui concerne les types de produits et leurs caractéristiques. Ces travaux sont en cours.

Le troisième levier consiste dans l'action directe sur l'offre, soit par le biais de chartes, de négociations entre les pouvoirs publics et les entreprises, comme celles qui ont eu lieu au Royaume-Uni, qui se sont avérées assez efficaces en ce qui concerne la teneur en sel des aliments, ou comme celles qui sont en cours aux Pays-Bas.

Enfin, il y a la réglementation qui consiste à établir des standards. Ainsi, le Danemark a mis en place il y a quelques années un standard, à savoir une teneur maximum en acides gras saturés pour une série de produits. Cependant, comme vous l'avez remarqué, il est difficile de définir un standard étant donné la très forte hétérogénéité des catégories. On peut envisager un standard un seul nutriment qui est en jeu dans un produit et que ce nutriment n'a pas d'interaction, y compris d'un point de vue technologique, avec d'autres composants du produit. En revanche, dans des familles de produits dans lesquelles tous les nutriments sont en interaction, si on réduit le sucre et que cela augmente les coûts, ou que pour maintenir les propriétés du produit il faut augmenter la matière grasse, le gain n'est pas assuré, et par conséquent il est compliqué de mettre en place des standards. En effet, les pouvoirs publics ne sont pas très à l'aise pour définir des standards dès lors qu'existent des contraintes technologiques complexes. Ainsi, pour répondre à votre question, les standards peuvent être efficaces et pertinents quand existe une variable simple qui permet de définir le niveau de qualité du produit. En revanche, lorsque les variables sont complexes, il faudrait plutôt privilégier d'autres leviers d'action. Il est certain que les démarches qui reposent sur ce que l'on appelle des « accords volontaires », qui sont en fait des négociations instituées par les pouvoirs publics avec l'industrie, lorsqu'elles fonctionnent, sont ce qu'il y a de mieux pour tout le monde, car elles sont moins coûteuses pour chacun. Reste à savoir comment les faire marcher.

Je terminerai en affirmant qu'une certaine constance des politiques publiques est nécessaire pour améliorer l'alimentation. En effet, il est difficile de modifier les qualités nutritionnelles des produits parce car il existe des rigidités partout : dans les comportements des consommateurs, plus fortement encore dans le comportement des entreprises parce qu'elles sont liées par de multiples contrats. Les études de l'évolution des politiques nutritionnelles montrent que chaque levier d'action pris individuellement a un effet faible. Par conséquent, on ne peut progresser que si on combine les outils ; il faut donc jouer un peu sur l'offre, un peu sur la demande. Mais surtout, il faut inscrire ces outils dans la durée, d'où la nécessité d'une constance des politiques publiques. Il ne faut pas changer de direction dès lors que l'on s'aperçoit un peu trop vite que l'on ne constate pas de modifications suffisantes.

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