Intervention de Marine Jeantet

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés :

La sous-déclaration est un sujet ancien, différent selon qu'il s'agit des accidents du travail ou des maladies professionnelles.

Divers travaux d'experts montrent que la sous-déclaration en matière d'accidents du travail est très faible, car la déclaration d'accident du travail est, légalement, à la charge de l'employeur, qui risque gros en termes de pénalités et de sanctions s'il ne l'effectue pas en temps et en heure. Déclaration ne signifie pas reconnaissance ; pour autant, l'employeur est tenu de déclarer tout fait accidentel survenu sur le lieu de travail. Il y a ainsi très peu de sous-déclaration d'accidents du travail.

Le sujet est surtout celui des maladies professionnelles, pour lesquelles la déclaration est à l'initiative de l'assuré. Lorsqu'un salarié est malade et que l'on émet l'idée que sa maladie puisse être d'origine professionnelle, il lui appartient d'effectuer une démarche auprès de sa caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Or de nombreux assurés soit ne connaissent pas leurs droits, soit sont découragés ou n'osent pas faire cette déclaration. Sans doute savez-vous qu'une commission, dont nous ne faisons pas partie, se réunit tous les trois ans sous la présidence d'un magistrat de la Cour des comptes et évalue cette sous-déclaration, qui fait l'objet d'un versement de la branche AT-MP à la branche maladie, dans la mesure où cette dernière prend en charge les salariés concernés au titre de leurs soins. Il est, par définition, très difficile d'évaluer cette sous-déclaration. La fourchette d'évaluation s'élargit ainsi de triennale en triennale ; il existe en effet une grande part d'approximation, qui fait que ce phénomène n'est plus documenté techniquement.

Pour autant, nous essayons d'agir. Nous avons ainsi mené, voici quelques années, une action sur le cancer de la vessie, qui peut être d'origine professionnelle. Dans la mesure où la CNAMTS gère à la fois la branche maladie et la branche AT-MP, nous avions constaté une augmentation du nombre de personnes en affection longue durée (ALD) atteintes de cancer de la vessie, sans observer pour autant d'augmentation du nombre de maladies professionnelles reconnues (MP). Nous avions donc décidé d'être proactifs et de mettre en oeuvre, d'abord expérimentalement dans quelques régions, puis de façon généralisée, une action consistant à aller au-devant des personnes concernées, en leur adressant, ainsi qu'à leur médecin traitant, un courrier indiquant que leur affection pouvait être d'origine professionnelle et que, si cela était avéré, elles pouvaient bénéficier de certains droits, à condition d'effectuer les démarches nécessaires. Cette expérimentation avait très bien fonctionné, puisqu'elle avait suscité une multiplication par quatre ou cinq du nombre de demandes de MP, dont 60 % environ ont abouti à une reconnaissance, comme la moyenne des demandes que nous traitons. Ainsi, nos statistiques montrent une augmentation très nette des MP relatives au cancer de la vessie : ceci n'est pas lié à une augmentation du nombre de ces cancers, mais simplement à un changement de comportement vis-à-vis de la démarche de reconnaissance.

Nous avons ensuite cherché d'autres exemples susceptibles de donner lieu à des démarches du même type. Ceci est très chronophage pour nos services et potentiellement anxiogène pour les salariés. Concernant l'amiante par exemple, il est proposé aux travailleurs concernés un suivi post-professionnel, dans la mesure où il est clairement établi que le mésothéliome est d'origine professionnelle. Or tous les mésothéliomes ne sont pas reconnus en MP, car cela n'est pas toujours bien vécu par les assurés, qui refusent de faire des demandes en ce sens, pour diverses raisons. Jusqu'où peut-on aller dans l'intrusion ? Nous considérons que nous devons, en tant que service public, permettre l'accès aux droits, informer, proposer ; mais il faut aussi savoir s'arrêter à un moment donné. Si les gens refusent, en toute connaissance de cause, d'effectuer une démarche, ce choix leur appartient. Nous ne sommes pas dans une logique d'automatisation.

Nous avions également envisagé de former les médecins traitants, qui nous semblaient particulièrement bien placés pour informer leurs patients sur leurs droits. Il faut toutefois savoir que l'on compte environ 100 000 maladies professionnelles reconnues par an, ce qui, rapporté à la clientèle d'un médecin généraliste, correspond à une ou deux MP rencontrées au cours de sa carrière. Il n'apparaît donc pas très efficient de former des médecins pour des cas auxquels ils ne seront que très rarement confrontés. Affoler la population en effectuant de l'information « tout-venant » n'est pas plus pertinent. Notre idée, inscrite dans la nouvelle COG et que nous allons tester au cours des prochaines années, est donc de travailler avec nos médecins-conseils qui, à un moment ou un autre, voient les salariés malades dans le cadre des contrôles d'arrêts de travail. Il nous a semblé intéressant de travailler en interne, avec une population de médecins que nous pouvons former afin qu'ils aient le réflexe, face à un certain nombre de pathologies, d'informer les patients. Il nous reste à élaborer le module de formation. Je crois beaucoup à cette démarche.

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