Je vais compléter ces propos, auxquels nous adhérons bien évidemment, en les adaptant à l'exemple de Manpower.
Il se dit et se lit que les intérimaires sont une population fortement accidentée. Je souhaiterais relativiser ces allégations. En 2017, Manpower a fait travailler environ 330 000 intérimaires différents, correspondant à quelque 95 000 équivalents temps plein (ETP) et 174 millions d'heures de travail, dont plus de 98,3 millions dans l'industrie, qui représente chez nous 59 % de l'ensemble de l'activité, contre 12 % dans le BTP et 29 % dans les services. L'industrie est ici entendue au sens large et inclut le transport et la logistique, qui représentent un volume important d'intérimaires détachés et constituent des secteurs fortement accidentogènes.
Les entreprises font appel à nous parce qu'elles sont confrontées à un problème croissant de ressources en personnel, si bien que le volume d'intérimaires ne cesse d'augmenter, à tel point qu'il nous est difficile de trouver aujourd'hui les ressources suffisantes dans de nombreux bassins d'emploi. La formation est un levier, mais ne résout pas tout : si la ressource est insuffisante et peu mobile, le problème demeure. Le sujet de la sécurité et de la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail est un problème global, qui ne concerne pas uniquement les entreprises de travail temporaire. Quel que soit le secteur, toutes les entreprises recherchent de la productivité, ce qui sous-entend une optimisation des temps, une accélération des cadences, et elles sont à ce titre responsables d'une partie des évolutions touchant à la santé et à la sécurité. Il est significatif que figurent aujourd'hui parmi les sujets phares des entreprises les négociations ou les discussions autour de la qualité de vie au travail (QVT). Nous n'échappons pas à la règle puisque nous avons, chez Manpower, signé un accord QVT en interne pour nos 3 500 permanents. Nous travaillons donc sur le sujet. Flexibilité et productivité génèrent effectivement des risques. Or ceci ne concerne pas exclusivement les ETT. Un intérimaire dont les compétences en sécurité ont été évaluées en amont de façon très précise, qui a été formé spécifiquement sur ce sujet et effectue plusieurs missions rapprochées est-il plus à risque qu'un salarié en CDI dans une entreprise, qui travaille sur le même poste pendant dix, quinze ou vingt ans et effectue chaque jour les mêmes gestes ou se trouve quotidiennement dans le même environnement à risque ? Le fait que les intérimaires changent régulièrement d'entreprise, de poste, d'environnement de travail est, en plus des formations, le gage d'une adaptabilité plus facile dans les entreprises et génère une attention particulière de leur part aux éléments de sécurité. Ceci constitue selon moi un facteur de limitation du risque d'accident, au moins au départ.
Mes collègues ont par ailleurs cité l'accord de branche sur la santé et la sécurité au travail dans le travail temporaire. J'ai extrait de ce texte deux phrases sur lesquelles je souhaite attirer votre attention. La première est tirée du titre 2 relatif à la prévention des risques professionnels pour les salariés intérimaires : « Pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, en particulier concernant la santé et la sécurité au travail – article L. 1251-21 du code du travail. » La seconde est la suivante : « De même, les ETT contribuent à la protection de la santé et de la sécurité intérimaires en ayant une politique active de prévention et un suivi adapté aux spécificités de cette catégorie de personnels. »
Il est important de rappeler les responsabilités des entreprises utilisatrices. C'est l'un de nos rôles. L'une de nos actions clés autour de la prévention sécurité est ainsi d'aider nos entreprises clientes à analyser les postes de travail – à supposer qu'elles ne l'aient pas fait à travers leur DUERP ou autres – et de les obliger à nous donner, avant le détachement, tous les éléments liés à la mission – environnement, poste à risque, fiche de liaison, fiche de poste, etc. – et les critères éventuels d'exposition des salariés aux risques. Depuis octobre 2017, ces six critères remplacent les dix critères de pénibilité précédents.
Je me permets d'ailleurs de souligner que figure, parmi les quatre critères supprimés, le risque lié aux environnements chimiques. J'avoue ne pas comprendre la raison de cette suppression. Prenons le cas d'une femme enceinte intérimaire qui va être détachée dans une entreprise dans laquelle elle va être amenée à côtoyer, voire à manipuler, des produits dits dangereux ou interdits aux femmes enceintes. Si cette femme a déclaré sa grossesse à son agence de travail temporaire avant la mission, alors cette dernière doit faire en sorte de ne pas l'envoyer sur un poste présentant un environnement de produits toxiques. Si en revanche l'intérimaire n'a pas fait état de sa grossesse – éventuellement parce qu'elle-même n'est pas encore au courant –, l'agence va peut-être la détacher, en toute bonne foi, dans un laboratoire comportant des produits dangereux pour les femmes enceintes, avec le risque que survienne ultérieurement, en fonction de la durée de la mission, une maladie professionnelle. Il me semble donc important de rappeler que le point clé du dispositif est la transmission, par l'entreprise utilisatrice, des éléments du poste, à charge pour l'ETT d'en vérifier l'effectivité.
Je souhaite également aborder la question des équipements de protection individuelle (EPI). Bien évidemment, l'agence de travail temporaire a un rôle à jouer dans ce domaine : elle doit notamment vérifier si le poste concerné par la délégation requiert l'utilisation d'EPI. Il est de tradition dans la profession que l'ETT remette gratuitement aux salariés les EPI fondamentaux que sont les chaussures de sécurité et le casque. La mise à disposition des autres EPI nécessaires – harnais, équipements pour le froid, gants, etc. – incombe en principe à l'entreprise utilisatrice. Pour information, Manpower a consacré en 2017 plus de 3 millions d'euros au financement des chaussures et casques pour ses intérimaires.
Vous avez en outre évoqué le report de responsabilité. J'ai indiqué précédemment les deux raisons pour lesquelles les entreprises font appel à nous : d'une part l'impératif de flexibilité, d'autre part l'insuffisance des ressources. À nous, ETT, de faire en sorte que cela ne conduise pas à un quelconque report de responsabilité. J'ai coutume de faire référence dans ce cas à l'accord de branche sur lequel nous nous appuyons, en rappelant les obligations incombant aux entreprises utilisatrices en matière de santé et de sécurité au travail. Une entreprise qui reçoit un intérimaire a la même responsabilité vis-à-vis de lui que lorsqu'elle accueille un alternant, un stagiaire, voire dans certains cas un visiteur. Les intérimaires ne sont pas une population spécifique, créant des droits ou des non droits pour l'entreprise, qui est responsable globalement des conditions d'accueil qu'elle propose.
Je ne reviendrai pas sur la question, déjà évoquée, des visites médicales. La loi dite « El Khomri » a modifié le système et visait à faciliter le processus. Or c'est tout l'inverse qui se produit. Je crois savoir en effet qu'il existe une vraie pénurie de médecins du travail, ce que l'on ne peut que déplorer dans la mesure où le sujet de la prévention et de la santé des salariés occupe une place croissance dans les préoccupations, en lien avec la QVT. Ne faudrait-il pas inciter davantage les étudiants en médecine à se diriger vers cette spécialité ? La visite médicale est un passage important, dont peuvent découler la mise en oeuvre de différents dispositifs et l'éventuelle détection de maladies professionnelles.
La formation revêt également une grande importance. L'entreprise utilisatrice doit former les salariés aux postes de travail. Les agences de travail temporaire ont quant à elles l'obligation d'assurer aux intérimaires les formations obligatoires nécessaires à la tenue du poste. Ceci concerne par exemple les permis : on ne peut pas détacher un chauffeur poids lourd s'il n'est pas titulaire du permis adéquat et d'une formation initiale minimum obligatoire (FIMO) ou d'un titre professionnel. De même, un cariste doit avoir un CACES. Nous disposons aujourd'hui d'une liste d'une cinquantaine de formations obligatoires et réglementaires que les agences d'emploi supportent sur leur budget formation. Nous avons ainsi, chez Manpower, formé plus de 43 000 intérimaires en 2017, dont plus de 15 000 sur des actions de formation obligatoires, liées à la réglementation de sécurité – CACES, habilitations chimiques, mécaniques, nucléaires, certifications pour des travaux en hauteur, des grutiers, etc.
La formation obligatoire incombe aux agences de travail temporaire. Nous disposons pour ce faire de dispositifs de formation spécifiques pour les intérimaires, qui n'existent dans aucune autre branche professionnelle. Citons notamment le congé individuel de formation (CIF) reconversion, qui va certainement disparaître avec la réforme de la formation, mais qui permet pour l'heure à tout intérimaire qui, au cours d'une mission, a contracté une maladie professionnelle ou subi un accident du travail et est reconnu inapte par le médecin du travail, de demander, sans condition d'ancienneté, une formation – qualifiante, certifiante ou diplômante – financée en partie par le FAFTT et l'ETT. Il s'agit d'un dispositif de branche, créé pour accompagner la reconversion des intérimaires. La formation est un sujet important, complémentaire de la politique de prévention.
Chez Manpower, la sécurité et la santé des intérimaires au travail sont l'un des piliers, l'un des socles de responsabilité fondant notre stratégie d'entreprise. Il s'agit de fondamentaux, incontournables à nos yeux, qui passent par la mise en oeuvre de dispositifs allant du dialogue avec le client en amont de la mission, à la rédaction de contrats conformes incluant visites médicales et indication des éventuels postes à risques ou critères d'exposition à la pénibilité, en passant par la formation, nécessaire également pour détacher en toute sécurité. Je précise que toutes les formations que nous proposons sont effectuées par des organismes de formation certifiés, habilités. Il me semble en outre important de rappeler que les entreprises utilisatrices ont l'obligation de former les salariés intérimaires aux postes de travail. Prenons par exemple le cas d'un cariste titulaire d'un CACES arrivant dans une entreprise : celle-ci doit l'habiliter à conduire chez elle un chariot en toute sécurité. Si elle ne le fait pas et qu'un accident survient, elle sera à 100 % responsable. Si nous ne nous sommes pas assurés qu'elle a bien rempli ses obligations, nous pouvons toutefois être tenus pour co-responsables en cas d'accident.
Bien évidemment, le suivi pendant la mission est essentiel. Or qui aujourd'hui connaît mieux le terrain que les agences d'emploi ? Il n'est d'ailleurs pas rare que les organismes institutionnels ou des instances partenaires s'adressent à nous précisément parce que nous connaissons bien les entreprises et le marché du travail. Il est vrai que, pour mettre en oeuvre des actions de prévention et de sécurité pour les intérimaires, les permanents des agences travaillent au plus près des entreprises.