L'audition débute à treize heures dix.
Mesdames et messieurs, la commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie continue ses travaux en accueillant aujourd'hui des représentants du secteur de l'intérim.
Durant les trois dernières décennies du XXe siècle, la place de l'intérim dans les ressources humaines des entreprises n'a cessé de croître, pour devenir au début du XXIe siècle une manière très prisée d'assurer les travaux courants dans l'industrie. L'intérim n'a pas toujours eu bonne presse lorsqu'il s'agissait de santé au travail. Selon deux études réalisées par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) Rhône-Alpes, la fréquence et la gravité des accidents du travail des intérimaires sont deux fois plus élevées que celles des salariés permanents. En matière de prévention des maladies professionnelles, la qualité de l'interface entre l'entreprise utilisatrice et la société d'intérim est essentielle. Enfin, la question du suivi individuel des travailleurs revêt une importance capitale, dans un contexte où le lien entre le poste de travail et le travailleur se distend, du fait même de l'intérim.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les personnes auditionnées prêtent serment.
Je vous remercie et vous donne la parole pour vous présenter succinctement et nous donner quelques informations sur la structure que vous représentez.
Je suis secrétaire générale du groupe Adecco France et préside par ailleurs la commission juridique de Prism'emploi, syndicat patronal de la branche du travail temporaire.
Je vous remercie beaucoup de cette invitation à contribuer aux travaux de votre commission d'enquête, qui se penche sur un sujet d'importance. En tant qu'entreprise de travail temporaire, nous déléguons de nombreux intérimaires dans les secteurs industriels et la prévention des risques professionnels au sens large est évidemment un sujet très important pour nous. Nous avons ainsi mis en place au sein du groupe Adecco un certain nombre d'actions et d'initiatives, qui seront détaillées par notre directeur prévention, M. Olivier Boutinaud.
Le groupe Adecco compte 900 agences en France, réparties sur l'ensemble du territoire, et plus de 3 900 collaborateurs permanents. Nous déléguons chaque semaine 121 000 intérimaires auprès de 31 000 entreprises clientes. Nous sommes aussi présents sur le « CDI intérimaire » puisque, depuis leur création en mai 2014, plus de 15 000 de ces contrats ont été conclus par le groupe. Outre un réseau généraliste, le groupe possède un réseau dédié au recrutement des cadres ainsi qu'un ensemble de marques spécialisées dans les secteurs du consulting, de l'outsourcing, du conseil en ressources humaines et de l'insertion. Adecco est en outre un groupe mondial, présent sur cinq continents et dans plus de soixante pays, qui emploie 34 000 collaborateurs permanents et délègue chaque jour 700 000 intérimaires.
Je suis directeur prévention du groupe Adecco depuis quatre ans. Je suis rattaché à la direction dite « des solutions emplois », qui correspond dans l'industrie à la direction « métiers » ou à la direction de la production. Je contribue, aux côtés de notre président, à la définition et à la mise en oeuvre de la politique de prévention, à destination de nos différentes enseignes de travail temporaire, sur les différents secteurs d'activité : activités généralistes – qui incluent l'industrie –, activités médicales et paramédicales et intérim d'insertion. Le deuxième pan de mon activité consiste à accompagner les managers sur les sociétés et activités du groupe qui sortent du spectre de l'intérim à proprement parler, dans la mise en oeuvre de plans de prévention, dans une relation d'entreprise extérieure à entreprise utilisatrice. Notre domaine d'intervention est donc très vaste, avec différents métiers, donc différentes façons d'aborder le sujet de la sécurité.
Je suis secrétaire général du groupe Randstad France et président de la commission économique de la fédération Prism'emploi. Depuis dix-huit ans que je collabore avec Randstad, j'ai pu constater que la prévention des risques professionnels était une préoccupation constante au sein du groupe. Mme Florence Ducom, qui est chargée de ces questions, en détaillera les modalités et les dispositifs à votre convenance.
Randstad délègue en moyenne chaque semaine 75 000 intérimaires. Le groupe a procédé à 57 000 recrutements en 2017 et compte dans ses effectifs 4 500 collaborateurs en CDI intérimaires.
Je suis responsable de la gestion des risques professionnels au sein du groupe Randstad. Je m'occupe à ce titre d'une part de la prévention en matière de santé et sécurité au travail, d'autre part de la gestion a posteriori, juridique autant que financière, des accidents du travail et des maladies professionnelles. Randstad intervient dans différents secteurs d'activité, dont l'industrie, le BTP, le domaine médical, le tertiaire. Mes fonctions et les actions menées sont assez similaires à celles décrites par M. Boutinaud. Je suis par ailleurs membre de la commission nationale paritaire de la santé et sécurité au travail de Prism'emploi. Je suis également titulaire d'un mandat du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) pour le comité technique national dit « I » (CTNI), qui correspond aux activités de services, incluant notamment l'intérim.
Je suis la responsable nationale « Qualité Sécurité Environnement » (QSE) du groupe Centre de Recherches Industrielles et Techniques (CRIT). Je suis rattachée directement à la direction générale de l'entreprise. Le service QSE compte onze personnes, dont neuf responsables régionaux ayant notamment en charge la prévention des risques professionnels sur leurs périmètres respectifs. Je participe par ailleurs au groupe de travail « sécurité » de Prism'emploi, où je côtoie notamment M. Boutinaud.
Je suis responsable du département « Politiques sociales intérimaires » au sein du groupe CRIT. Notre groupe compte 40 000 à 45 000 intérimaires au planning et 400 agences réparties sur le territoire. Nos activités sont majoritairement généralistes. Le département « Politiques sociales intérimaires » regroupe différents services, dont un service juridique dédié aux accidents du travail et maladies professionnelles, qui gère essentiellement l'aspect contentieux de la matière, en termes notamment de tarification, de pénibilité, de faute inexcusable de l'employeur, et un service de développement social, qui est chargé de l'accompagnement social des accidentés du travail et des intérimaires atteints de maladies professionnelles, avec un spectre de protection sociale incluant mutuelle, prévoyance, accompagnement psychologique et tout dispositif que nous sommes en mesure de proposer à nos intérimaires sur ces aspects.
Je suis fondatrice du réseau Temporis, qui fait figure de « petit nouveau » dans le paysage de l'intérim. J'ai créé en 2000 le premier réseau d'intérim en franchise, avec l'idée, après une expérience au sein du groupe Adecco à des postes de directrice d'agence et de directrice régionale, de mettre en place un réseau d'indépendants très impliqués localement et de disposer des moyens d'un grand groupe, grâce à une structure franchiseur comptant aujourd'hui une quarantaine d'experts, dont huit juristes et un responsable QSE. Nous représentons donc des patrons de PME et pourrons à ce titre vous apporter un éclairage complémentaire de celui de nos collègues de grands groupes présents autour de cette table.
Je suis responsable juridique de Valoris Développement, qui fait partie du réseau Temporis. Je suis responsable de l'accompagnement au quotidien de toutes nos agences de travail temporaire, sur les questions juridiques et de sécurité. Nous sommes ainsi amenés à les aider sur tous les aspects relatifs à la gestion de leurs accidents du travail et maladies professionnelles. Nous avons donc, comme le soulignait Mme Pottier-Caudron, une vision assez pratique et concrète – que nous pourrons vous faire partager – des difficultés rencontrées aujourd'hui par les agences de notre réseau.
Je suis directeur des parcours professionnels, de la formation, de l'apprentissage et de la prévention sécurité des intérimaires au sein de Manpower France.
Manpower France a fêté ses soixante ans d'existence en 2017. Le groupe délègue chaque jour 90 000 à 95 000 intérimaires, ce qui représente 350 000 intérimaires détachés en 2017 auprès de 80 000 clients, et 43 000 intérimaires formés.
J'ai moi aussi un mandat au niveau de Prism'emploi et suis depuis quelques années administrateur du Fonds d'assurance formation du travail temporaire (FAFTT), l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de la branche du travail temporaire. J'ai participé notamment aux négociations de la branche sur la formation professionnelle, qui vont bientôt recommencer à l'occasion de la réforme de la formation – un sujet phare.
La direction dont j'ai la responsabilité regroupe depuis un an et demi la formation et la prévention sécurité intérimaires. Pour moi, ces deux éléments font corps. Auparavant, la prévention sécurité relevait d'une autre direction, rattachée aux affaires sociales. Or le fait de jumeler formation et prévention sécurité a un sens. Mon équipe compte cent personnes, avec des équipes formation sur l'ensemble du territoire et des préventeurs sécurité en régions, en support des agences, de nos clients et des intérimaires, notamment lors de la survenue d'accidents du travail graves ou lorsque des actions de reconversion sont à mener auprès de nos intérimaires.
Je suis responsable sécurité chez Manpower depuis sept ans. Je suis rattachée au département « Parcours intérimaires », qui compte une équipe de dix préventeurs, dont sept en région. Une cellule centrale est chargée de la mise en place et de la conduite des projets en matière de prévention sécurité. Nos missions, en tant que préventeurs, consistent à accompagner nos agences pour détacher en toute sécurité les intérimaires dans les entreprises utilisatrices et travailler en partenariat avec elles pour toutes les questions en lien avec la prévention et la sécurité.
Je vous remercie et laisse la parole au rapporteur de notre commission, qui a très certainement de nombreuses questions à vous poser.
Merci, monsieur le président, et merci à vous, mesdames et messieurs, d'avoir répondu à notre invitation de manière si harmonieuse, puisque chacun est venu avec un représentant travaillant plus spécifiquement sur les questions qui nous occupent. Bien que vous interveniez dans différents secteurs d'activité, je vous rappelle que notre commission s'intéresse tout particulièrement à la santé au travail dans l'industrie et aux risques susceptibles de toucher les salariés dans ce secteur. Nous aimerions tout simplement savoir de quelle manière vous abordez ces questions. Il existe, vous concernant, un sujet particulier, puisque vous répondez à des demandes émanant de donneurs d'ordres. Nous souhaiterions par exemple connaître la nature de ces demandes et la manière dont vous y répondez en termes de préconisations concernant la santé des salariés détachés.
Il nous intéresse également de savoir si les protections existant pour les intérimaires sont effectivement mises en oeuvre et quels sont les dispositifs de traçabilité que vous déployez.
Nous aimerions aussi que vous nous éclairiez sur la façon dont, concrètement, vous travaillez sur les conditions de travail des intérimaires que vous déléguez auprès des entreprises utilisatrices. Comment, par ailleurs, travailliez-vous jusqu'alors avec les instances représentatives du personnel des entreprises donneuses d'ordres, notamment les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Quels dispositifs internes avez-vous développés dans les CHSCT de vos entreprises ou agences et comment peuvent-ils réellement prendre en compte la diversité des situations de travail auxquelles sont confrontés celles et ceux que vous déléguez dans les entreprises clientes ?
Je souhaiterais enfin aborder avec vous une question centrale dans notre réflexion. Nous avons parfois eu le sentiment, y compris lors des visites que nous avons effectuées sur le terrain, qu'un certain nombre de travaux risqués n'étaient pas assurés par des salariés permanents des donneurs d'ordres, mais confiés à des sous-traitants ou à des intérimaires. Il semblerait que ce phénomène ait tendance à se développer chez les donneurs d'ordres, y compris pour se dégager des responsabilités afférentes.
Comme vous le constatez, le champ de nos questionnements est très large. J'imagine que chacun d'entre vous a préparé quelques éléments de réflexion dont il aimerait nous faire part sur ces différents aspects. Je vous laisse donc la parole.
J'ajouterai la question, sous-tendue par les précédentes, de la formation à la prévention des risques et de la prise en charge de l'exposition aux risques, notamment chimiques, via la traçabilité sur toutes les missions et, dans l'idéal, sur l'ensemble de la carrière d'un salarié, tout ceci en lien avec l'impact et la responsabilité du donneur d'ordres.
Je vais laisser Olivier Boutinaud répondre aux questions techniques que vous avez soulevées. J'interviendrai ensuite sur le problème de l'externalisation du risque et d'une possible déresponsabilisation de la part des entreprises utilisatrices. Il s'agit d'un point auquel la branche du travail temporaire est extrêmement sensible. Un certain nombre de propositions ont été formulées par la branche auprès des pouvoirs publics, sur lesquelles nous pourrons revenir. Ceci constitue sans doute un levier d'amélioration de nos résultats en matière de prévention des risques professionnels.
L'activité de travail temporaire est une activité d'intermédiation consistant pour l'essentiel à mettre à disposition d'entreprises utilisatrices du personnel et des compétences. Ce contexte est particulier, puisqu'il fait intervenir deux acteurs majeurs que sont l'employeur légal – l'entreprise de travail temporaire – et un employeur subrogé à celui-ci – l'entreprise utilisatrice.
Le paradigme sur lequel repose la stratégie mise en oeuvre chez Adecco est intimement lié à l'idée selon laquelle la sécurité est une compétence professionnelle. À partir du moment où il est question de ressources humaines et de compétences, la sécurité fait pleinement partie du sujet. Il en découle que le premier acte de prévention se confond avec le recrutement. Prévenir les risques dans l'intérim, pour ce qui concerne une agence d'emploi, revient ainsi, dans un premier temps, à essayer d'évaluer les candidats sur leur niveau général d'intégration des préoccupations de sécurité, en fonction de leur expérience sur le sujet et de leur capacité à répondre à un certain nombre de sollicitations. Pour effectuer cette évaluation, les agences disposent d'applicatifs sous forme de mises en situation de travail théoriques, présentant des risques. Ceci permet de rechercher les compétences des futurs collaborateurs en termes de sécurité sur les trois axes suivants : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Au terme de ce travail d'évaluation, on peut parvenir à une cotation du niveau d'intégration de la sécurité chez le candidat et entrer ensuite dans une deuxième phase consistant à travailler avec lui sur le lien à établir entre ce niveau général et la mise en emploi. Ceci concerne, au cas particulier, sa capacité à évoluer dans le poste proposé par l'entreprise utilisatrice.
Sensibiliser et évaluer ainsi les candidats supposent que les personnels de nos agences soient parfaitement formés à ces questions. Le premier pan de notre travail de préventeurs est donc d'accompagner les recruteurs, les directeurs d'agence, dans leur montée en compétences sécurité, de façon à ce qu'ils s'habituent au vocabulaire, à la dialectique du domaine et soient capables de travailler sur ces questions avec les entreprises utilisatrices, en épousant leur langage et leurs pratiques. Ceci nécessite aussi de les former à l'analyse des postes de travail et des risques associés et de les placer en capacité de vulgariser leurs observations afin de les transmettre le plus clairement possible aux candidats en agence, lorsqu'ils leur présentent les postes concernés. Il en découle une priorisation autour de la santé du candidat, puisque la connaissance du poste permet d'avoir une première information sur le niveau de suivi médical dont doit bénéficier le salarié avant l'embauche. On parle ainsi dans les nouveaux textes de « visite d'information et de prévention » et de suivi individuel renforcé. L'analyse du poste et des risques associés est un élément essentiel de la démarche.
Il est ensuite très important d'être en capacité d'informer le futur collaborateur sur ses droits et obligations. Si tous ces éléments sont réunis, une délégation pourra avoir lieu à ce stade, conformément à l'attendu. Cette démarche présente toutefois des limites, dans la mesure où l'intérimaire sera ensuite confié à une entreprise utilisatrice, assujettie à d'autres systèmes et obligations.
J'insiste sur le fait que, de 2009 à 2012, la profession a été accompagnée sur le sujet spécifique de la montée en compétence des personnels d'agences par la direction des risques professionnels (DRP) de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), par les CARSAT, dans le cadre du plan national d'action concertée, lui-même découlant de la convention d'objectifs et de gestion liant la sécurité sociale à l'État. Il existe ainsi, depuis 2009, un cahier des charges décrivant ce que doit être la formation du collaborateur d'agence sur le sujet de la prévention. La branche s'est bien évidemment investie dans ces actions, qui irriguent encore aujourd'hui nos pratiques : lorsque nous formons nos personnels, le format, le contenu et les objectifs pédagogiques des formations dispensées répondent à ce cahier des charges.
Le dispositif que je viens de vous décrire relève d'une approche « ressources humaines » (RH), dans le cadre d'une préparation à la mission. Les limites de l'exercice tiennent au fait que ceci conduit à mettre à disposition le candidat, qui devient alors salarié intérimaire, au sein d'une entreprise utilisatrice, à laquelle il revient de le former au poste de travail et à la sécurité sur ce poste. Selon les risques associés, ceci peut conduire à la mise en oeuvre de formations dites « renforcées » à la sécurité, avec une orientation effectuée en fonction des risques mis en évidence. Nous conservons toutefois le devoir de vérifier l'effectivité des conditions de travail des intérimaires que nous mettons à disposition. Ce travail est intimement lié au niveau de maturité de l'entreprise utilisatrice et à son propre système managérial de la prévention, sachant que la pierre angulaire du dispositif de sécurité, pour le salarié intérimaire, reste son encadrement de proximité et le niveau de compétences sécurité de celui-ci. Pour accompagner les entreprises utilisatrices, nous mettons en place des engagements réciproques, des plans d'action partagés. Les recruteurs sont ainsi présents dans les entreprises utilisatrices, dans des cadres très précis faisant écho à une volonté du directeur d'agence de mettre en oeuvre un suivi spécifique sur une entreprise. Un tel accompagnement suppose que l'entreprise utilisatrice soit en phase avec l'agence. Nous avons également toujours la possibilité, à partir de la mise en lumière de certains risques, de procéder à des causeries avec les salariés, à des interviews sécurité pour savoir si un candidat est toujours sur le standard attendu. Nous avons ainsi la capacité, pour bon nombre de nos comptes, d'assurer ce suivi RH tout au long de la mission.
Pour autant, ce que je viens de vous décrire n'est pas valable partout. Si l'entreprise utilisatrice n'est pas à maturité, ce dispositif peut ne pas s'appliquer ; d'où l'importance du travail amont consistant à bien évaluer le candidat et à le sensibiliser au sujet.
L'autre limite à l'exercice, que nous voyons poindre avec l'évolution de l'activité et le développement de l'intérim – particulièrement sensible en 2017 –, est celle du nouveau venu dans l'environnement de travail. En effet, dans les bassins d'emploi où les taux de chômage se sont fortement réduits et où le vivier de compétences disponibles s'est de ce fait affaibli, le travail d'évaluation est d'autant plus difficile que nous sommes fréquemment confrontés à des candidats qui n'ont pas d'expérience de la vie en industrie.
Concernant plus spécifiquement votre sujet d'étude, il faut savoir que l'industrie reste aujourd'hui le donneur d'ordres principal dans l'activité d'Adecco, avec plus de 50 % du nombre d'heures travaillées. De façon assez classique, 95 % des affections professionnelles et des problématiques auxquelles nous sommes confrontés dans ce domaine concernent les troubles musculo-squelettiques (TMS). Les autres maladies sont essentiellement des questions de surdité et des pathologies correspondant au tableau 44 des maladies professionnelles, c'est-à-dire liées à l'inhalation de poussières ou de fumées contenant des particules d'oxyde ferreux dans les activités de soudure. Nous rencontrons aussi quelques dossiers relatifs à des expositions à l'amiante qui, une fois reconnus par la sécurité sociale, sont orientés en termes de réparation vers le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) et pour lesquels le rôle du préventeur est moindre, dans la mesure où les personnes souffrant de pathologies liées à l'amiante ont bien souvent cessé toute activité dans nos entreprises depuis le début des années 1990. Ces salariés sont passés dans nos entreprises à un moment donné de leur carrière ; c'est à ce titre que nous sommes sollicités. J'écarterai donc cette problématique de l'amiante de mon propos, pour des raisons non pas sociales – cette situation restant un véritable sujet dans notre pays –, mais techniques, dans la mesure où, en termes de prévention, cette question nous échappe du fait de l'antériorité des expositions.
Concernant plus spécifiquement les TMS, la technique de prévention a été travaillée depuis de nombreuses années. Elle est pluridisciplinaire et parfaitement définie par l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS). Dans le contexte de l'intérim, elle fait appel à une collaboration étroite entre l'agence d'emploi et l'entreprise utilisatrice, avec des descriptifs précis de la façon de procéder pour réduire les TMS, en trois étapes principales : mobilisation des acteurs, évaluation du risque, mesures ergonomiques associées.
La tarification est également un sujet de questionnement et de réflexion important, partagé à l'échelle de la profession. Ceci constitue très certainement un levier d'amélioration de la sinistralité, dans l'industrie comme dans d'autres secteurs. Nous y reviendrons.
Les questions de prévention et de sécurité sont des préoccupations de nos enseignes au quotidien, à tel point que ces sujets d'accidentologie et de prévention des risques professionnels sont intégrés dans nos systèmes qualité, nos processus, nos revues de filiales et de comptes clients. Nous disposons en effet de mesures très précises et de tableaux de bord nous permettant de connaître précisément, nominativement, site par site, les clients les plus accidentogènes. Ceci nous permet, avec les équipes de ma collègue Florence Ducom, d'envisager la meilleure manière de les accompagner pour travailler conjointement sur la réduction des risques et de la sinistralité.
Pour certaines équipes enfin, ceci renvoie à des éléments de rémunération variables, intégrant les aspects de prévention des risques professionnels.
Je vous prie par avance d'excuser les éventuelles redites par rapport aux propos des précédents intervenants, nos structures étant globalement comparables en termes de portefeuille clients et de processus sur ces sujets.
Lorsque nous déléguons un salarié intérimaire, cela doit s'effectuer en toute sécurité. Nous mettons l'accent, comme nos collègues, sur la formation, les tests sécurité et divers autres dispositifs comparables à ceux développés par M. Boutinaud.
Je souhaiterais insister pour ma part sur les études de postes réalisées avec les entreprises utilisatrices. Nous nous rendons au sein de l'entreprise, notamment dans l'industrie, pour étudier concrètement le poste sur lequel nous allons pouvoir déléguer l'intérimaire : cette démarche revêt un aspect RH et un volet sécurité. Identifier les risques sur le poste nous permet de mieux former les intérimaires. Certains postes requièrent par ailleurs des formations règlementaires, sans lesquelles il n'est pas possible de déléguer un intérimaire. À ce titre, les études de postes sont un élément-clé de la relation de délégation et de la relation commerciale, puisque ceci nous permet éventuellement de sensibiliser nos clients à leurs propres défauts de sécurité et offre la possibilité aux entreprises utilisatrices de nous faire remonter un certain nombre d'informations.
Outre les causeries sécurité, le partage d'expérience se concrétise aussi par un rappel systématique de leurs droits et de leurs devoirs aux salariés que nous déléguons. Nous les informons notamment sur leur droit de retrait et leur devoir d'alerte, afin de les inciter à être eux-mêmes acteurs de leur propre sécurité et de la sécurité en général : nous les encourageons à nous alerter de situations qu'ils estimeraient dangereuses, avant d'activer éventuellement leur droit de retrait.
Nous avons en outre mené des actions spécifiques auprès de salariés bénéficiant de CDI intérimaires, en formant un certain nombre d'entre eux à être sauveteurs secouristes du travail, afin de devenir « ambassadeurs de la prévention ». Ceci nous permet d'inciter les intérimaires à être fidèles aux valeurs du travail en sécurité, qui doit être intégré à la ligne managériale, depuis la direction générale jusqu'aux responsables opérationnels, en passant par les salariés eux-mêmes, permanents comme intérimaires.
La formation des personnels permanents, déjà évoquée par M. Boutinaud, est également un point important pour nous. La profession a signé en mars 2017 un accord « santé et sécurité au travail » avec l'ensemble des partenaires sociaux, le précédent accord dans ce domaine remontant à 2002. La formation des permanents en a été l'un des points clés, puisque déléguer en sécurité suppose de savoir sur quels éléments être vigilant et comment mettre en oeuvre cette démarche. Toutes nos enseignes disposent – notre présence à tous en témoigne – d'une structure intégrant la prévention, avec un réseau de préventeurs, de responsables « santé et sécurité au travail ». Mais ceci n'est pas suffisant : étant donné le nombre de salariés délégués, nous nous devons de sensibiliser et de former l'ensemble de la ligne managériale à ces questions. Chez Randstad, nous avons signé dès 2016 une convention, valable à l'échelle nationale, avec la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF). Ceci nous permet de disposer d'un référentiel pédagogique validé sur la formation des permanents à la sécurité, avec des formateurs dont les compétences sont agréées par la CRAMIF elle-même.
Randstad a inscrit ces valeurs de sécurité dans sa ligne managériale. Fin 2016 et début 2017, la holding a ainsi, au niveau international, demandé à toutes ses enseignes de respecter une charte de sécurité mondiale, dans l'objectif de réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Nous disposons également, sur certains bassins ou secteurs d'activité, d'agences certifiées « manuel d'amélioration sécurité santé » (MASE) ou, pour le nucléaire, certifiées par le Comité français de certification des entreprises pour la formation et le suivi du personnel travaillant sous rayonnements ionisants (CEFRI). Or ces certifications prennent en compte les critères de respect de la sécurité.
Des outils d'analyse spécifiques ont par ailleurs été développés dans nos enseignes, plus précis que les outils classiques fournis au niveau national par les pouvoirs publics. Les éléments statistiques dont nous disposons nous permettent ainsi de cibler des entreprises avec lesquelles nous travaillons et de signer des conventions ou de mener des actions particulières avec elles.
Vous avez évoqué la question de l'accompagnement des salariés. Il faut savoir que notre branche dispose, outre le fonds d'action de formation dont il a été fait mention précédemment, du fonds d'action sociale du travail temporaire (FASTT), spécifique au secteur, permettant d'accompagner les salariés d'un point de vue social et administratif et leur donnant notamment accès à une ligne téléphonique d'accompagnement psychologique. Le parcours pour bénéficier d'une reconnaissance au titre d'une maladie professionnelle est en effet un véritable parcours du combattant et il est important que les salariés soient aidés dans leurs démarches. Je rappelle que la déclaration est, dans ce cas, de la responsabilité du salarié lui-même ; encore faut-il que celui-ci soit informé de la procédure à suivre, qu'il connaisse vraiment ses droits et que le médecin ait identifié la pathologie comme pouvant être d'origine professionnelle. Or il faut savoir qu'un médecin est, au cours de sa carrière, généralement confronté à peu de cas de maladies professionnelles. L'identification elle-même est donc compliquée. Lorsqu'elle est effectuée, il faut que le salarié sache comment procéder à une déclaration et comment reconstituer sa carrière. Le FASTT accompagne ces salariés dans leurs démarches administratives. Nous proposons également, par la suite, un accompagnement pour le retour à l'emploi.
Vous avez également abordé la question de la responsabilité juridique des entreprises et l'externalisation, via l'intérim, des postes dits « à risques » ou « pénibles ». Ce phénomène est une réalité. Il convient toutefois de souligner que, juridiquement, le partage de responsabilité existe vraiment : concrètement, en responsabilité civile ou pénale, l'entreprise utilisatrice peut être poursuivie lorsqu'un accident du travail ou une maladie professionnelle touche un intérimaire. Cette jurisprudence est appliquée. Le problème réside toutefois dans la responsabilité financière : statistiquement, 99 % des sinistres sont en effet payés intégralement et uniquement par les entreprises de travail temporaire. Ce dispositif n'est donc pas dissuasif pour les entreprises utilisatrices et ne les incite guère à agir en faveur de la prévention des risques. Il faut préciser que la réglementation en la matière est inchangée depuis 1992. Malgré les efforts effectués par les agences de travail temporaire, qui tendent à s'améliorer et à mettre en place des actions concrètes dans ce domaine, on constate que, si le nombre d'accidents du travail a baissé de plus d'un tiers au cours des dernières années, le nombre de maladies professionnelles baisse peu et tend à se stabiliser. Descendre sous ce seuil nécessite d'une part de poursuivre les actions engagées, d'autre part certainement d'envisager des évolutions en termes de responsabilité financière des entreprises utilisatrices.
Chez CRIT, la sécurité et la prévention des risques sont intégrées dans l'ensemble des processus, tant au niveau du recrutement que du suivi des missions. Notre entreprise bénéficie depuis 2005 de la certification de sécurité OHSAS 18001. Nous disposons également des certifications MASE et CEFRI, la première ayant servi de base à la certification de sécurité qui couvre l'ensemble de nos agences.
L'un des fondements de la démarche est, comme cela a été précisé auparavant, la formation des permanents. Nos collaborateurs permanents sont formés sur la base du référentiel défini pendant le plan national d'actions coordonnées (PNAC) de l'intérim.
Le deuxième axe est la connaissance des postes de travail et les échanges avec les entreprises utilisatrices, grâce aux éléments qu'elles nous communiquent lors de la demande de personnel, mais aussi par des visites de postes effectuées par le recruteur sur des aspects RH et sécurité.
Nos salariés intérimaires sont sensibilisés à la sécurité et leurs compétences dans ce domaine sont évaluées par le biais de différents tests.
Les bilans de mission sont également des éléments clés du dispositif, car ils permettent de prolonger le dialogue avec le salarié en lui posant des questions sur le déroulement de sa mission. Il est très précieux de disposer d'un tel retour. Ceci s'inscrit dans une relation de confiance et nous permet d'avoir des informations très utiles sur les conditions réelles d'exercice du poste. Il existe en effet parfois une différence notable entre le travail prescrit, la mission telle qu'elle est définie, et les conditions réelles de son déroulement. Ces bilans constituent à nos yeux un maillon essentiel de la prévention.
Nous réalisons, en complément, des visites d'observation, en nous déplaçant chez les entreprises utilisatrices afin de rencontrer nos salariés intérimaires sur leurs postes de travail.
Il s'agit là de dispositions somme toute assez classiques, qui existent également chez celles de nos entreprises utilisatrices qui ont une démarche sécurité relativement avancée. Comme l'ont indiqué mes collègues, la maturité des entreprises utilisatrices en termes de prévention et de processus d'accueil et de formation au poste de travail est en effet un aspect essentiel pour la sécurité et pour le bien-être des salariés dans l'entreprise où ils sont amenés à travailler.
Nous effectuons bien évidemment d'autres actions, telles que des causeries sécurité ou la mise en oeuvre de plans d'actions définis conjointement avec les clients. Notre priorité est la proximité et le dialogue, avec les entreprises clientes comme avec nos salariés intérimaires.
Nous suivons aussi avec attention nos indicateurs relatifs à la sécurité, ainsi que les résultats de nos clients.
Les maladies professionnelles les plus fréquemment constatées sont les troubles musculo-squelettiques, ce qui correspond précisément aux statistiques 2016 publiées récemment par la CNAMTS.
Comme vous le constatez, les entreprises de travail temporaire (ETT) sont sensibles aux enjeux de santé et de sécurité, auxquels elles portent un grand intérêt, ainsi qu'en témoignent les nombreuses actions précédemment décrites. Cet objectif est partagé et commun à l'ensemble de la branche. Chaque enseigne a développé des processus internes en ce sens et toutes sont confrontées aux difficultés liées à cette relation tripartite entre l'agence de travail temporaire, l'entreprise utilisatrice et le salarié intérimaire délégué, qui fait que nous sommes employeur juridique de nos intérimaires, donc garant des conditions de travail dans lesquelles la mission s'exerce, mais non employeur de fait.
Toutes les enseignes partagent également la typologie des catégories de maladies professionnelles rencontrées par les salariés, la très grande majorité étant constituée de troubles musculo-squelettiques.
Ces constats et les objectifs associés sont largement partagés et il n'existe aucun enjeu concurrentiel entre nous sur un sujet comme celui-ci, que la branche de l'intérim a pris à bras le corps depuis de nombreuses années, tant au sein de Prism'emploi que des différentes commissions. Le volet social a également été développé, notamment au sein du FASTT, qui se montre très actif dans le domaine de la prévention et vise à favoriser, après un accident du travail ou une maladie professionnelle, un retour à l'emploi le plus rapide possible, dans les meilleures conditions pour le salarié.
Nous pourrons, si vous le souhaitez, aborder ultérieurement l'aspect relatif à la tarification.
Dans les grands groupes, de nombreux éléments sont mutualisés, alors que les franchisés du réseau Temporis sont chacun directement impactés : s'ils connaissent trop d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, leur rentabilité propre est atteinte. Tous sont donc mobilisés de façon importante sur cette question, au point même qu'il leur arrive parfois de décider de cesser de travailler avec certaines entreprises fortement accidentogènes. Il s'agit véritablement là d'une décision de chef d'entreprise, qui fait le choix d'envoyer ses intérimaires – que nous considérons chez Temporis comme des clients – ne travailler que dans des entreprises offrant des garanties en termes de sécurité et de les former au mieux. Nous effectuons ainsi des bilans de sécurité intérimaires, en lien avec la CARSAT, pour demander aux salariés comment se sont déroulées leurs missions et si la sécurité y était suffisamment prise en compte et assurée. Ce sont des outils très importants, couplés à la notion de proximité forte, due à l'ancrage local de nos franchisés. Ceci pousse notre réseau à évoluer, de manière globale, dans ce domaine. Nous menons ainsi des audits la première année d'existence d'un franchisé, puis tous les deux ans, avec une partie dédiée à la sécurité. S'il s'avère que ce volet n'est pas satisfaisant, nous procédons à un audit plus approfondi uniquement sur cet aspect. Il en va en effet de la pérennité des personnes et des affaires directes des franchisés.
La question de la responsabilité financière des entreprises utilisatrices, évoquée précédemment, me semble très importante. Il en va des accidents du travail comme des maladies professionnelles : à partir du moment où la répartition s'effectue selon un mode « un tiers pour l'entreprise utilisatrice, deux tiers pour l'entreprise de travail temporaire », cela pousse à faire appel à des intérimaires pour les postes les plus à risques. Si la répartition était plus équitable, les comportements seraient sans doute différents.
Nos franchisés mettent par ailleurs en place, avec les entreprises utilisatrices, des livrets d'accueil consacrés spécifiquement à la sécurité. Chez nous, les analyses de postes font partie des éléments pris en compte dans les audits et les formations de nouvelles équipes n'interviennent que dans des agences dans lesquelles nous avons la garantie que la partie consacrée à la sécurité est bien prise en compte. Concrètement, dans la mesure où nous ne pouvons pas impacter financièrement les entreprises a priori, nous les sensibilisons au maximum. Comme il existe une relation commerciale, nos franchisés sont amenés à facturer des forfaits a posteriori. Les forfaits de gestion d'un accident du travail sont ainsi de l'ordre de 300 à 800 euros. Les sanctions interviennent après la survenue d'un accident, car on considère l'existence d'une part de responsabilité, dans la mesure où la répartition initiale n'est pas forcément très cohérente. L'un des leviers pour nous aider à faire évoluer les mentalités et la sensibilité des entreprises utilisatrices passe selon nous par un changement de cette répartition de la responsabilité.
La problématique des maladies professionnelles reste assez mineure dans notre réseau : en effet, nous identifions peu de sinistres. Les cas qui nous sont signalés concernent essentiellement les TMS, en particulier les pathologies des régions périarticulaires et les problèmes de dos.
Pour autant, nous craignons que ceci ne soit pas l'exact reflet de la réalité. Nous pensons en effet que certaines maladies professionnelles ne sont pas déclarées. Ceci peut être dû notamment au fait que les salariés ne connaissent pas toujours leurs droits.
Nous faisons face également à un problème lié au fait que les salariés intérimaires travaillent de façon discontinue, changent fréquemment d'entreprise et de poste. Or il n'existe aucune traçabilité de leur parcours. L'un des sujets sur lesquels nous sommes unanimes est la nécessité de mettre en place une telle traçabilité. Vous avez eu récemment l'occasion d'auditionner les services de santé au travail, qui ont évoqué la difficulté que représentent l'absence de fichier national et l'existence simultanée de différentes façons de gérer le risque d'une région à l'autre, ce qui rend les données de santé au travail difficilement consolidables au niveau national. Lorsque nous sommes, en bout de course, le dernier employeur, nous subissons la demande du salarié, qui se retourne naturellement vers son dernier employeur pour faire reconnaître sa maladie professionnelle, y compris s'il n'a effectué chez nous que quelques jours ou quelques heures de mission. Il va de soi que, faute de traçabilité, nous éprouvons les plus grandes difficultés à reconstituer le parcours professionnel du salarié. Commence alors un véritable parcours du combattant, avec des entreprises qui ne se sentent pas réellement concernées, voire n'ont pas envie de communiquer des informations puisque la personne n'est plus leur salarié. L'accompagnement du salarié dans la reconstitution de son parcours nous conduit parfois à nous lancer dans des procédures assez fastidieuses et coûteuses pour nos agences. Nous subissons ainsi les incohérences d'un système : nous ne pouvons pas être responsables sur l'affection longue et continue, mais pouvons néanmoins, en tant que dernier employeur, voir notre responsabilité engagée.
Nous sommes, en matière de sécurité, tenus à une obligation de résultat, point sur lequel nous insistons régulièrement auprès de nos franchisés. Lorsque nous réalisons des audits, nous veillons à ce que les obligations de sécurité soient intégrées dans le fonctionnement de l'agence et que les permanents aient conscience de ces obligations lorsqu'ils effectuent des visites de postes ou accompagnent les intérimaires sur site. Ils réalisent des suivis de missions dans le courant de la première semaine et s'engagent à appeler régulièrement les salariés délégués pour savoir si la mission présentée initialement est en adéquation avec la réalité du terrain. Il nous arrive de constater qu'un salarié intérimaire non titulaire du certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES) se retrouve sur un chariot élévateur, alors que les caractéristiques de poste initiales ne le prévoyaient pas. Il est très important d'effectuer ce type de vérifications, afin de s'assurer que la réalité du poste est conforme à la description qui en avait été faite lors de la commande.
Nous identifions parfois des pratiques peu avouables de la part des entreprises utilisatrices, consistant à placer en intérim des salariés usés par le travail, afin de s'exonérer du coût du risque en faisant supporter les risques à l'entreprise de travail temporaire, dans la mesure où celle-ci devient alors l'employeur de ces salariés.
Forts de ces constats, nous serions très intéressés par la mise en place d'un dispositif permettant la traçabilité du parcours des salariés. Au demeurant, ceci éviterait que des permanents doivent poser des questions sur la vie privée du salarié lors des recrutements : par exemple, certains intérimaires déclarent des accidents du travail dans nos agences alors même qu'ils avaient été précédemment licenciés pour inaptitude. Si cette information avait été portée à notre connaissance à temps, nous aurions pu envisager une adaptation du poste ou proposer un autre poste. Aujourd'hui, lorsqu'un candidat se présente chez nous, nous ignorons tout de son parcours professionnel antérieur.
Nous identifions également un autre problème majeur, qui est la difficulté à obtenir des rendez-vous pour effectuer le suivi médical de nos salariés. Il est rare que nos agences parviennent à obtenir plus de deux ou trois rendez-vous par mois. Dans ces conditions, il devient quasiment impossible d'effectuer le suivi médical individuel renforcé, obligatoire avant l'embauche sur les postes identifiés par l'entreprise utilisatrice comme présentant des risques pour la santé. Nous sommes pointés du doigt par les syndicats comme ne réalisant pas le suivi médical de nos salariés dans les temps, mais nous ne disposons concrètement d'aucun moyen nous permettant d'en assurer l'effectivité, quelle qu'en soit notre volonté, et ce malgré la réforme récemment mise en oeuvre. Les nouvelles modalités, applicables depuis le 1er janvier 2017, ne nous permettent pas d'être complètement opérationnels sur ces questions aujourd'hui. Ce problème est régulièrement évoqué par nos agences : malgré des contacts réguliers pris avec leurs services de santé au travail, leurs demandes n'aboutissent pas et elles sont confrontées à une pénurie de rendez-vous. Je puis pourtant vous assurer de l'implication de nos franchisés et de leurs permanents et de leur volonté de promouvoir la sécurité et la santé au travail des salariés intérimaires.
Un autre levier possible de discussion est l'absence de transmission du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) par les entreprises utilisatrices. L'identification des postes à risques et des risques associés est obligatoire, mais nous peinons à obtenir ces documents. Aujourd'hui, le DUERP doit être tenu à la disposition des administrations, des représentants du personnel, du médecin du travail, de l'inspecteur du travail, mais l'entreprise de travail temporaire n'en dispose que si le client veut bien le lui transmettre. Fluidifier cette transmission nous permettrait de disposer d'une vision plus exhaustive de la prévention à mettre en place et de déléguer ainsi en toute sécurité.
Je vais compléter ces propos, auxquels nous adhérons bien évidemment, en les adaptant à l'exemple de Manpower.
Il se dit et se lit que les intérimaires sont une population fortement accidentée. Je souhaiterais relativiser ces allégations. En 2017, Manpower a fait travailler environ 330 000 intérimaires différents, correspondant à quelque 95 000 équivalents temps plein (ETP) et 174 millions d'heures de travail, dont plus de 98,3 millions dans l'industrie, qui représente chez nous 59 % de l'ensemble de l'activité, contre 12 % dans le BTP et 29 % dans les services. L'industrie est ici entendue au sens large et inclut le transport et la logistique, qui représentent un volume important d'intérimaires détachés et constituent des secteurs fortement accidentogènes.
Les entreprises font appel à nous parce qu'elles sont confrontées à un problème croissant de ressources en personnel, si bien que le volume d'intérimaires ne cesse d'augmenter, à tel point qu'il nous est difficile de trouver aujourd'hui les ressources suffisantes dans de nombreux bassins d'emploi. La formation est un levier, mais ne résout pas tout : si la ressource est insuffisante et peu mobile, le problème demeure. Le sujet de la sécurité et de la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail est un problème global, qui ne concerne pas uniquement les entreprises de travail temporaire. Quel que soit le secteur, toutes les entreprises recherchent de la productivité, ce qui sous-entend une optimisation des temps, une accélération des cadences, et elles sont à ce titre responsables d'une partie des évolutions touchant à la santé et à la sécurité. Il est significatif que figurent aujourd'hui parmi les sujets phares des entreprises les négociations ou les discussions autour de la qualité de vie au travail (QVT). Nous n'échappons pas à la règle puisque nous avons, chez Manpower, signé un accord QVT en interne pour nos 3 500 permanents. Nous travaillons donc sur le sujet. Flexibilité et productivité génèrent effectivement des risques. Or ceci ne concerne pas exclusivement les ETT. Un intérimaire dont les compétences en sécurité ont été évaluées en amont de façon très précise, qui a été formé spécifiquement sur ce sujet et effectue plusieurs missions rapprochées est-il plus à risque qu'un salarié en CDI dans une entreprise, qui travaille sur le même poste pendant dix, quinze ou vingt ans et effectue chaque jour les mêmes gestes ou se trouve quotidiennement dans le même environnement à risque ? Le fait que les intérimaires changent régulièrement d'entreprise, de poste, d'environnement de travail est, en plus des formations, le gage d'une adaptabilité plus facile dans les entreprises et génère une attention particulière de leur part aux éléments de sécurité. Ceci constitue selon moi un facteur de limitation du risque d'accident, au moins au départ.
Mes collègues ont par ailleurs cité l'accord de branche sur la santé et la sécurité au travail dans le travail temporaire. J'ai extrait de ce texte deux phrases sur lesquelles je souhaite attirer votre attention. La première est tirée du titre 2 relatif à la prévention des risques professionnels pour les salariés intérimaires : « Pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, en particulier concernant la santé et la sécurité au travail – article L. 1251-21 du code du travail. » La seconde est la suivante : « De même, les ETT contribuent à la protection de la santé et de la sécurité intérimaires en ayant une politique active de prévention et un suivi adapté aux spécificités de cette catégorie de personnels. »
Il est important de rappeler les responsabilités des entreprises utilisatrices. C'est l'un de nos rôles. L'une de nos actions clés autour de la prévention sécurité est ainsi d'aider nos entreprises clientes à analyser les postes de travail – à supposer qu'elles ne l'aient pas fait à travers leur DUERP ou autres – et de les obliger à nous donner, avant le détachement, tous les éléments liés à la mission – environnement, poste à risque, fiche de liaison, fiche de poste, etc. – et les critères éventuels d'exposition des salariés aux risques. Depuis octobre 2017, ces six critères remplacent les dix critères de pénibilité précédents.
Je me permets d'ailleurs de souligner que figure, parmi les quatre critères supprimés, le risque lié aux environnements chimiques. J'avoue ne pas comprendre la raison de cette suppression. Prenons le cas d'une femme enceinte intérimaire qui va être détachée dans une entreprise dans laquelle elle va être amenée à côtoyer, voire à manipuler, des produits dits dangereux ou interdits aux femmes enceintes. Si cette femme a déclaré sa grossesse à son agence de travail temporaire avant la mission, alors cette dernière doit faire en sorte de ne pas l'envoyer sur un poste présentant un environnement de produits toxiques. Si en revanche l'intérimaire n'a pas fait état de sa grossesse – éventuellement parce qu'elle-même n'est pas encore au courant –, l'agence va peut-être la détacher, en toute bonne foi, dans un laboratoire comportant des produits dangereux pour les femmes enceintes, avec le risque que survienne ultérieurement, en fonction de la durée de la mission, une maladie professionnelle. Il me semble donc important de rappeler que le point clé du dispositif est la transmission, par l'entreprise utilisatrice, des éléments du poste, à charge pour l'ETT d'en vérifier l'effectivité.
Je souhaite également aborder la question des équipements de protection individuelle (EPI). Bien évidemment, l'agence de travail temporaire a un rôle à jouer dans ce domaine : elle doit notamment vérifier si le poste concerné par la délégation requiert l'utilisation d'EPI. Il est de tradition dans la profession que l'ETT remette gratuitement aux salariés les EPI fondamentaux que sont les chaussures de sécurité et le casque. La mise à disposition des autres EPI nécessaires – harnais, équipements pour le froid, gants, etc. – incombe en principe à l'entreprise utilisatrice. Pour information, Manpower a consacré en 2017 plus de 3 millions d'euros au financement des chaussures et casques pour ses intérimaires.
Vous avez en outre évoqué le report de responsabilité. J'ai indiqué précédemment les deux raisons pour lesquelles les entreprises font appel à nous : d'une part l'impératif de flexibilité, d'autre part l'insuffisance des ressources. À nous, ETT, de faire en sorte que cela ne conduise pas à un quelconque report de responsabilité. J'ai coutume de faire référence dans ce cas à l'accord de branche sur lequel nous nous appuyons, en rappelant les obligations incombant aux entreprises utilisatrices en matière de santé et de sécurité au travail. Une entreprise qui reçoit un intérimaire a la même responsabilité vis-à-vis de lui que lorsqu'elle accueille un alternant, un stagiaire, voire dans certains cas un visiteur. Les intérimaires ne sont pas une population spécifique, créant des droits ou des non droits pour l'entreprise, qui est responsable globalement des conditions d'accueil qu'elle propose.
Je ne reviendrai pas sur la question, déjà évoquée, des visites médicales. La loi dite « El Khomri » a modifié le système et visait à faciliter le processus. Or c'est tout l'inverse qui se produit. Je crois savoir en effet qu'il existe une vraie pénurie de médecins du travail, ce que l'on ne peut que déplorer dans la mesure où le sujet de la prévention et de la santé des salariés occupe une place croissance dans les préoccupations, en lien avec la QVT. Ne faudrait-il pas inciter davantage les étudiants en médecine à se diriger vers cette spécialité ? La visite médicale est un passage important, dont peuvent découler la mise en oeuvre de différents dispositifs et l'éventuelle détection de maladies professionnelles.
La formation revêt également une grande importance. L'entreprise utilisatrice doit former les salariés aux postes de travail. Les agences de travail temporaire ont quant à elles l'obligation d'assurer aux intérimaires les formations obligatoires nécessaires à la tenue du poste. Ceci concerne par exemple les permis : on ne peut pas détacher un chauffeur poids lourd s'il n'est pas titulaire du permis adéquat et d'une formation initiale minimum obligatoire (FIMO) ou d'un titre professionnel. De même, un cariste doit avoir un CACES. Nous disposons aujourd'hui d'une liste d'une cinquantaine de formations obligatoires et réglementaires que les agences d'emploi supportent sur leur budget formation. Nous avons ainsi, chez Manpower, formé plus de 43 000 intérimaires en 2017, dont plus de 15 000 sur des actions de formation obligatoires, liées à la réglementation de sécurité – CACES, habilitations chimiques, mécaniques, nucléaires, certifications pour des travaux en hauteur, des grutiers, etc.
La formation obligatoire incombe aux agences de travail temporaire. Nous disposons pour ce faire de dispositifs de formation spécifiques pour les intérimaires, qui n'existent dans aucune autre branche professionnelle. Citons notamment le congé individuel de formation (CIF) reconversion, qui va certainement disparaître avec la réforme de la formation, mais qui permet pour l'heure à tout intérimaire qui, au cours d'une mission, a contracté une maladie professionnelle ou subi un accident du travail et est reconnu inapte par le médecin du travail, de demander, sans condition d'ancienneté, une formation – qualifiante, certifiante ou diplômante – financée en partie par le FAFTT et l'ETT. Il s'agit d'un dispositif de branche, créé pour accompagner la reconversion des intérimaires. La formation est un sujet important, complémentaire de la politique de prévention.
Chez Manpower, la sécurité et la santé des intérimaires au travail sont l'un des piliers, l'un des socles de responsabilité fondant notre stratégie d'entreprise. Il s'agit de fondamentaux, incontournables à nos yeux, qui passent par la mise en oeuvre de dispositifs allant du dialogue avec le client en amont de la mission, à la rédaction de contrats conformes incluant visites médicales et indication des éventuels postes à risques ou critères d'exposition à la pénibilité, en passant par la formation, nécessaire également pour détacher en toute sécurité. Je précise que toutes les formations que nous proposons sont effectuées par des organismes de formation certifiés, habilités. Il me semble en outre important de rappeler que les entreprises utilisatrices ont l'obligation de former les salariés intérimaires aux postes de travail. Prenons par exemple le cas d'un cariste titulaire d'un CACES arrivant dans une entreprise : celle-ci doit l'habiliter à conduire chez elle un chariot en toute sécurité. Si elle ne le fait pas et qu'un accident survient, elle sera à 100 % responsable. Si nous ne nous sommes pas assurés qu'elle a bien rempli ses obligations, nous pouvons toutefois être tenus pour co-responsables en cas d'accident.
Bien évidemment, le suivi pendant la mission est essentiel. Or qui aujourd'hui connaît mieux le terrain que les agences d'emploi ? Il n'est d'ailleurs pas rare que les organismes institutionnels ou des instances partenaires s'adressent à nous précisément parce que nous connaissons bien les entreprises et le marché du travail. Il est vrai que, pour mettre en oeuvre des actions de prévention et de sécurité pour les intérimaires, les permanents des agences travaillent au plus près des entreprises.
Notre objectif est vraiment de travailler en partenariat avec les entreprises utilisatrices sur la prévention sécurité. Ceci s'effectue à deux niveaux. Nous menons des actions spécifiques avec nos clients grands comptes, avec une démarche d'harmonisation de nos pratiques sur l'ensemble du processus présenté par Thierry Vaudelin. Nous procédons également, grâce à nos préventeurs, à un ciblage en région sur des clients ou des domaines d'activité plus accidentogènes. Au-delà de la sensibilisation que nous pouvons effectuer et de la caractérisation des postes de travail, l'un des enjeux est aussi de nous imprégner de la culture sécurité de nos clients et des processus internes qui s'y rattachent, afin de pouvoir transmettre ces informations à nos intérimaires en amont du détachement. Certaines entreprises utilisatrices ont en effet développé des processus bien spécifiques en matière de prévention des maladies professionnelles, avec parfois des systèmes d'alerte. Notre but est donc de nous enrichir de ces pratiques, pour en faire ensuite bénéficier nos intérimaires avant de les détacher dans les entreprises utilisatrices ou lors des causeries que nous pouvons avoir avec eux en cours de mission.
Les maladies professionnelles les plus fréquemment constatées chez Manpower sont, sans surprise, les TMS, qui représentent 80 % des cas. Notre action de prévention consiste essentiellement à faire réaliser des études de postes et d'observations au poste de travail par les personnels d'agences formés par nos préventeurs selon le référentiel de la CRAMIF. Nous avons également un rôle de conseil. Il n'en demeure pas moins que la responsabilité des conditions d'exécution du travail incombe à l'entreprise utilisatrice. Nous pouvons donc formuler des recommandations, mais n'avons pas vocation à agir sur l'organisation du travail dans l'entreprise, la mise en place d'une polyvalence, les cadences ou les outils de production. C'est une limite majeure à nos actions.
Merci beaucoup pour toutes ces contributions, sur lesquelles je souhaite vous demander quelques précisions. Il a été question à plusieurs reprises de la distorsion pouvant exister entre le travail prescrit et la mission réelle. J'aurais voulu savoir comment, à partir des entretiens que vous menez pendant ou après la mission, s'effectue l'articulation avec l'employeur. Nous avons bien compris la manière dont cela fonctionne pour les agences franchisées. Comment s'effectue le travail de supervision au niveau des agences dans les autres enseignes ? Comment vous assurez-vous que le travail et le suivi se font ?
Vous avez également beaucoup parlé d'actions développées au sein de la branche. Disposez-vous d'une interopérabilité des données entre agences d'une même enseigne, mais aussi entre « concurrents », afin de faciliter cette traçabilité des parcours que vous semblez appeler de vos voeux ? Êtes-vous capables de suivre un travailleur y compris s'il change d'entreprise de travail temporaire ?
Vous avez effectué une distinction entre les équipements et formations que vous étiez amenés à fournir et ceux relevant de la responsabilité de l'entreprise utilisatrice. Avez-vous la capacité de vérifier que les équipements et les formations attendus dans ce cadre sont effectivement fournis ? Comment ceci s'articule-t-il sur le terrain, pendant ou après la mission ?
Nous avons plus de 700 agences et 70 cabinets de recrutement, qui ont tous les mêmes processus. Cela constitue déjà un élément important, puisque l'outil de prévention est décliné dans chacune des agences. Le rôle de supervision est par ailleurs assuré par nos préventeurs sécurité, qui sont des experts sur le sujet et animent des réunions dans les agences, qu'ils accompagnent aussi pour des plans d'action dans les entreprises utilisatrices, soit en anticipation par rapport à des gros volumes de détachement ou des métiers sensiblement à risques, soit suite à des accidents graves, voire mortels. Dans ces derniers cas, une enquête est faite et une intervention menée conjointement par nos préventeurs et l'agence concernée. Chez Manpower, toutes les données sont centralisées : l'ensemble des indicateurs – taux de fréquence, taux de gravité, nombre d'accidents du travail avec ou sans arrêt, maladies professionnelles – est ainsi disponible. Je signale par ailleurs que les maladies professionnelles sont suivies chez nous par une direction juridique spécifique, qui vient en support aux agences dès qu'un signalement de maladie professionnelle intervient et effectue toute l'instruction du dossier, incluant la recherche des missions, l'analyse des postes chez les clients et l'examen de l'environnement des missions.
Manpower dispose en outre de 22 CHSCT, qui représentent 900 élus et, de mémoire, plus de 270 réunions ordinaires en 2017, sans compter les réunions extraordinaires dans des circonstances particulières. Le CHSCT est un point clé et a aussi un rôle de supervision du fonctionnement des agences en matière de santé et sécurité.
En revanche, il n'existe pas, à ma connaissance, de centralisation de toutes les données à l'échelle de la branche sur ce sujet.
La vérification de la formation au poste s'effectue par la présence dans le dossier du salarié des pièces obligatoires, en complément du contrat de mission. Ceci comprend notamment, outre la visite médicale, les certificats, habilitations et attestations de formations externes ou internes du client. L'agence doit par exemple disposer d'une copie de toute autorisation de conduite d'engin délivrée par le client à l'un de nos salariés. Ceci fait partie des pièces justificatives obligatoires que les agences doivent récupérer.
Les directeurs d'agences bénéficient de délégations de pouvoir et de responsabilités : ils sont par conséquent personnellement engagés dans le respect de la législation et des procédures.
En ce qui concerne l'accidentologie de leur agence et de leur périmètre d'intervention, il faut savoir que l'équivalent de leur compte employeur est directement impacté dans leur compte de résultat. Outre tout ce qui a déjà été mentionné en matière d'accompagnement par les préventeurs ou d'audit, ceci permet de s'assurer d'un parfait respect de nos procédures internes et a fortiori des obligations légales et réglementaires.
J'ajouterai sur ce point que, hors rarissime exception, toutes les enseignes de travail temporaire sont en tarification individuelle, si bien que chaque agence paie sa propre accidentologie. Le taux unique, souvent en discussion, serait dans ce domaine plutôt déresponsabilisant, puisqu'il reviendrait à mutualiser l'ensemble des risques. Or dans les grandes enseignes de travail temporaire, si l'accident survenant dans une agence était noyé dans l'ensemble de la masse salariale, il impacterait moins directement son compte de résultat. Le taux individuel est ainsi un moyen de responsabiliser les agences.
En termes de traçabilité, je pense que nous sommes tous équipés d'outils suffisamment puissants, susceptibles de colliger les données à l'échelle d'une agence, d'une région ou au niveau national, pour disposer d'une traçabilité de la vie professionnelle de chacun de nos intérimaires. En revanche, il n'existe aucun outil de traçabilité entre enseignes, permettant de reconstituer l'ensemble du parcours d'un salarié qui aurait travaillé pour plusieurs entreprises de travail temporaire différentes. Cette situation est sous-tendue par une question légale, en lien avec les données personnelles : nous n'avons en effet pas le droit de communiquer de données précises et personnelles concernant nos salariés, qu'ils soient intérimaires ou permanents. L'un des éléments de traçabilité pourrait toutefois passer par le suivi médical, via le dossier médical actuellement en discussion.
Il n'existe effectivement aucun dispositif d'interopérabilité des données entre nos différentes enseignes, pour les raisons indiquées. Ceci étant, lorsque nous avons négocié la mise en place de la complémentaire santé obligatoire au niveau de la branche, un système de compteur d'heures a été développé – en effet, les salariés intérimaires cotisent dès la première heure. Ce dispositif permet de suivre le parcours d'un salarié en tant qu'intérimaire entre nos différentes enseignes. C'est aussi ce système qui va déclencher le droit à une complémentaire santé. Nous sommes par ailleurs en train de discuter, au niveau de la branche, de notre régime de prévoyance, qui pourrait également s'inscrire dans ce dispositif. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que ces données sont sensibles, puisqu'elles comportent, par exemple, certaines indications sur le taux horaire, qui doivent être conservées avec une grande confidentialité. Le système permet notamment d'alimenter le rapport de branche, qui fournit une vision globale du parcours des salariés dans l'intérim et peut être utilisé pour déterminer les actions mises en oeuvre par le FASTT, qui pilote d'ailleurs aujourd'hui le dispositif.
La question d'une responsabilisation financière renforcée des entreprises utilisatrices a par ailleurs été évoquée. Il s'agit d'un sujet sensible. Nous constatons qu'en dépit de toutes les actions mises en oeuvre par nos différentes enseignes, nous atteignons visiblement un certain plafond dans ce qu'il nous est possible de faire en termes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles. En matière de tarification, depuis la loi du 12 juillet 1990, 100 % des coûts en termes d'accidents du travail sont supportés par les entreprises de travail temporaire, à l'exception des accidents les plus graves, c'est-à-dire avec un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) supérieur à 10 %, pour lesquels l'entreprise utilisatrice supporte 30 % du coût. On le voit, l'entreprise utilisatrice n'est responsable que dans le cas d'accidents graves – qui ne sont fort heureusement pas les plus nombreux – et à hauteur de 30 % seulement. La branche du travail temporaire porte actuellement auprès des pouvoirs publics une proposition pour que ce partage des taux soit revu. Il nous semble en effet qu'un mécanisme de responsabilisation financière renforcée des entreprises utilisatrices pourrait être un levier permettant d'améliorer la prévention des risques professionnels.
J'ajoute que ceci se ferait à coût zéro pour le régime de sécurité sociale et conduirait même certainement à une baisse tendancielle de coût. Au niveau de Randstad France, le président Béharel s'est exprimé sur ce sujet dans deux tribunes. Ce sujet génère une certaine frustration, dans la mesure où il n'existe finalement aucune contre-indication politique à ce que le dispositif évolue dans le sens qui vient d'être indiqué. Sa mise en place serait en outre relativement simple techniquement. En réalité, il existe peu de freins au fait de revoir cette tarification. Nous avons d'ailleurs sur ce sujet des points de convergence forts avec nos organisations syndicales. Qui pourrait s'opposer à une mesure visant à limiter le nombre d'accidents ou de blessures dans le milieu professionnel ? Pourtant, force est de constater qu'en dépit de nos demandes et propositions, rien ne bouge.
Vous touchez là au coeur du sujet. Il s'agit en effet d'un transfert de charges – sans conséquence pour la sécurité sociale – entre entreprises de travail temporaire et entreprises utilisatrices. Ceci étant, ce transfert ne concerne pas que l'UIMM, mais aussi le bâtiment et les travaux publics (BTP). Sans doute est-ce l'une des raisons pour lesquelles, depuis 1990, le sujet n'a pas avancé. Je précise simplement que l'on se situe là dans le domaine réglementaire du code du travail. Il peut y avoir sur ce sujet, au sein du monde patronal, des divergences d'interprétation ; mais comme toujours dans ce genre de situation, les pouvoirs publics peuvent parfaitement décider que, pour des motifs d'intérêt général, ceci ressort de leur responsabilité.
Nous pourrions effectivement être taxés de corporatisme. Néanmoins, il faut souligner que les coûts d'une agence de travail temporaire prennent en compte l'ensemble des charges. Dans tous les cas, les prix affichés prennent cette dimension en considération. Nous n'y gagnerions donc pas forcément énormément. Nous sommes en revanche persuadés que ceci ferait baisser l'accidentologie, tant en ce qui concerne les accidents du travail que les maladies professionnelles.
Mon intervention visait à s'assurer de l'endroit où se situent les contradictions.
Permettez-moi quelques questions supplémentaires. Pourriez-vous tout d'abord décrire plus précisément la manière dont fonctionnent concrètement les CHSCT de vos entreprises ? Quels sont, s'ils existent, leurs liens éventuels avec les CHSCT des entreprises utilisatrices ?
Quelle prise concrète pouvez-vous avoir sur les conditions de travail dans les entreprises utilisatrices, à partir des retours qui vous parviennent de la part des salariés ?
Constatez-vous des pressions sur vos agences pour ne pas déclarer un certain nombre de maladies professionnelles ou d'accidents du travail ? Certains salariés nous ont fait part de pressions exercées sur eux pour ne pas effectuer de déclaration. Dans le domaine de la sous-traitance, des notations sont effectuées par les entreprises utilisatrices, qui font que si un sous-traitant déclare trop de maladies professionnelles, on considère que ceci relève de sa seule responsabilité. Ceci peut donc peser sur le niveau des déclarations. Constatez-vous de tels phénomènes dans le secteur du travail temporaire ?
Je m'interroge également sur les durées de mission et les rotations, notamment dans l'industrie, en lien avec la question du cumul éventuel des expositions et les conséquences possibles sur la santé des salariés.
Ma dernière question – centrale à ce jour dans notre réflexion – concerne la traçabilité. Ceci soulève des problèmes très concrets. Prenons l'exemple d'une très grande entreprise de ma circonscription, qui fait appel à de la sous-traitance et certainement à de l'intérim sur des postes de travail très exposés : de quels moyens d'investigation dispose-t-on aujourd'hui pour déterminer la cause potentiellement professionnelle d'une maladie et agir sur le lieu réel où elle a pu être contractée ? Outre les aspects, très importants, d'indemnisation, l'enjeu majeur consiste à savoir comment éliminer ces maladies à la source. Comment procéder lorsque les déclarations ne sont pas effectuées, lorsqu'il y a sous-estimation du niveau de l'origine professionnelle des maladies et lorsqu'on est incapable de remonter à leur source réelle et d'avoir une vraie traçabilité de l'ensemble des postes de travail ? Nous sommes là face à un problème sérieux, qui est, me semble-t-il, accru dans le cas des travailleurs et travailleuses intérimaires.
Concernant la question des CHSCT et de leurs compétences, la limite de l'exercice pour le CHSCT d'une entreprise de travail temporaire réside dans le fait que, si cette instance est maîtresse chez elle, elle ne l'est absolument pas chez l'utilisateur. Procéder comme il se doit à des enquêtes, puisque cela fait partie des prérogatives d'un CHSCT, n'est pas possible, sauf à y être expressément invité par la direction de l'entreprise utilisatrice. Dans ce cas, le CHSCT se retourne donc le plus souvent vers les procédures que nous avons mises en place au sein de l'enseigne. En tant que préventeurs, nous avons en effet notamment pour mission d'analyser les conditions des accidents du travail. Nous rapportons à nos CHSCT le compte rendu de nos investigations de terrain et les mesures de prévention associées. Nous sommes donc confrontés dans ce domaine à une limite à la fois juridique et technique. Quelques lignes ont bougé ces dernières années ; pour autant les limites restent prégnantes.
Les pressions sur le déclaratif sont courantes. Je constate chaque semaine des pressions pour nous pousser à ne pas déclarer des accidents du travail. La posture à la fois la plus simple et, peut-être, la plus difficile à tenir est, de mon point de vue, de rester inflexible. Nous sommes dans un cadre réglementaire qui responsabilise fortement l'employeur en termes de déclaration. Au cas particulier, l'entreprise utilisatrice n'est pas responsable pénalement en cas d'absence de déclaration relativement à un salarié intérimaire. Il faut déclarer ; nous déclarons. Ceci ne signifie pas pour autant que le salarié n'est pas susceptible de subir des pressions – y compris dans son relationnel avec son agence – qui le poussent à ne pas informer son agence d'incidents jugés sans gravité. De tels cas de figure existent, que nous découvrons parfois beaucoup plus tard. C'est aussi la conséquence pratique d'un certain nombre de politiques et d'orientations en matière d'incitation à la sécurité.
À titre personnel, j'ai toujours estimé lamentable d'être incité d'un point de vue financier sur les résultats en matière de sécurité. Je me souviens du cas d'une entreprise de logistique située dans le bassin parisien, qui avait donné lieu à trois jours de discussion pour savoir s'il convenait ou non de déclarer et qui avait mobilisé sur le sujet un directeur d'agence, un préventeur et le directeur prévention d'Adecco. Or j'ai autre chose à faire que de savoir si je dois déclarer ou pas, et ce d'autant plus que la question de fond était liée au fait que la déclaration de l'accident allait conduire à la perte des 75 euros de prime sécurité. Doit-on inciter ainsi à la sécurité ? Ceci peut comporter des aspects positifs, par exemple lorsqu'un personnel d'encadrement a une partie de sa rémunération variable assise sur ses résultats. Je pense toutefois qu'il serait pertinent de prendre en considération les moyens plutôt que les résultats. La question devrait être de savoir si la personne a mis en oeuvre tous les dispositifs associés à la politique de prévention de l'enseigne et ne pas se baser sur des résultats hypothétiques en termes de fréquence ou de gravité d'accidents, ce qui peut conduire à des dérives et aux écarts observés.
Pour des franchisés indépendants, cela se traduit par une crainte, s'ils déclarent, de perdre la clientèle de l'entreprise utilisatrice.
Nous faisons également face à une autre problématique, celle de salariés refusant que l'on déclare leur accident. Certains ont peur de ne plus pouvoir travailler ; d'autres nous demandent de reprendre le travail alors même qu'ils sont encore en arrêt. Bien évidemment, notre politique est que 100 % des accidents du travail doivent être déclarés. Ceci fait partie de la formation préalable à l'intégration des permanents dans notre réseau. Tout accident doit être déclaré. Une difficulté réside toutefois dans le fait qu'il arrive que les entreprises utilisatrices ne nous donnent pas toutes les informations nécessaires. Il est parfois très difficile de récupérer la déclaration préalable. Nous faisons avec les déclarations et témoignages fournis par le salarié, essayons d'avoir au moins un contact téléphonique avec l'entreprise utilisatrice pour déterminer les conditions de l'accident, mais il nous est parfois difficile de connaître tous les tenants et aboutissants.
Nous subissons par ailleurs, effectivement, la pression des entreprises utilisatrices. J'ai en mémoire un accident du travail très grave dont a été victime un intérimaire de l'une de nos agences du Gard. L'entreprise utilisatrice était une grosse société, intervenant dans le secteur du bâtiment. Les caractéristiques de poste n'identifiaient pas précisément l'utilisation d'une disqueuse thermique et le contrat de mise à disposition concernait la délégation d'un manutentionnaire. Or l'intérimaire s'est trouvé en situation de devoir manipuler une disqueuse thermique qui s'est enrayée et lui a coupé une partie du bras. L'entreprise utilisatrice a alors tenté de faire pression sur l'agence pour faire modifier le contrat de mission et transformer les caractéristiques de poste afin d'y inclure le fait que le salarié devait être habilité à manipuler ce type d'outil. Bien évidemment, nous avons refusé. Aujourd'hui, ce salarié a repris le travail. Mais ce type de pression existe.
Lorsqu'un employeur ne déclare pas un accident, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) est en droit de lui appliquer une amende pour défaut de déclaration, chose que, lorsque l'on est une grande entreprise, assez visible, les CPAM ne manquent pas de faire.
L'une des façons de faire face aux pressions éventuelles des clients est, comme nous le faisons tous, de déclarer systématiquement tous les accidents. Ainsi, les entreprises utilisatrices ne sont pas incitées à changer d'enseigne pour trouver une situation qui leur serait plus favorable, dans la mesure où tous les réseaux de travail temporaire procèdent de la même manière.
La sous-déclaration éventuelle peut être due à une méconnaissance de leurs droits de la part des salariés, qui peuvent effectuer eux-mêmes une déclaration d'accident du travail si l'employeur a refusé de la faire, mais l'ignorent bien souvent. Il est donc important de veiller à ce que cette information juridique soit donnée aux salariés. Quant aux maladies professionnelles, la déclaration incombe exclusivement aux salariés concernés, comme ceci a été mentionné précédemment.
Je souhaiterais aussi pointer un problème lié à l'inexistence de registres des accidents bénins dans le cadre du travail temporaire. Ces registres existent en revanche dans l'industrie, notamment, et on y inscrit les accidents du travail ne nécessitant pas de soins extérieurs ni d'arrêt de travail. Comme ceci n'existe pas ou très peu dans le secteur du travail temporaire, les entreprises utilisatrices ne comprennent pas pourquoi elles ne déclarent pas ce genre de chose pour leurs propres permanents alors qu'elles sont dans l'obligation d'effectuer une déclaration préalable pour les intérimaires qu'elles accueillent. Je pense ainsi que neuf accidents de ce type sur dix ne donnent pas lieu à une information préalable de la part de l'entreprise utilisatrice. Il s'agit pourtant d'un formulaire CERFA obligatoire, au même titre que la déclaration d'accident du travail. En cas de défaut, une amende est prévue ; mais en réalité, jamais aucune n'est donnée. Le levier juridique permettant de faire évoluer la situation existe donc, mais n'est pas utilisé.
Il me reste à vous remercier, en vous priant d'excuser le président, qui a dû nous quitter pour intervenir en séance publique.
Puis-je me permettre de vous demander de nous faire parvenir, notamment sur les questions de responsabilité, les éventuels documents produits sur ce sujet au sein de Prism'emploi ?
Je propose que nous nous mettions en relation avec la direction juridique de Prism'emploi, afin que puissent vous être transmis les documents portés par la branche du travail temporaire sur ces sujets, qui présentent une position partagée, vous l'aurez compris, par l'ensemble des enseignes présentes.
L'audition s'achève à quinze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 14 h 00
Présents. – M. Julien Borowczyk, M. Pierre Dharréville, M. Régis Juanico
Excusée. – Mme Hélène Vainqueur-Christophe