Je suis médecin et directeur général de cette toute nouvelle agence sanitaire qu'est Santé publique France. Je suis accompagné de M. Pascal Empereur-Bissonnet, directeur adjoint de la direction santé travail, et de Mme Mounia El Yamani, qui est notamment responsable des expositions au sein de cette même direction.
L'agence nationale Santé publique France regroupe des fonctions d'épidémiologie, incluant la surveillance, la veille et l'alerte, et des fonctions de prévention et promotion de la santé.
La direction santé travail se concentre essentiellement sur la fonction épidémiologique, de nombreux autres acteurs se mobilisant dans le registre de la prévention et promotion de la santé, au premier rang desquels l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS), structure paritaire financée par l'assurance maladie et chargée de la protection des personnes, les entreprises elles-mêmes, qui doivent développer la protection et la prévention en leur sein, les caisses d'assurance maladie et les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), qui financent un certain nombre de dispositifs, et bien évidemment les médecins du travail, dont c'est l'une des missions. Nous abordons pour notre part cette fonction de prévention et promotion de la santé à travers la création de connaissances, nécessaires pour induire toute action dans ce domaine.
Notre approche en matière d'épidémiologie repose sur quatre piliers.
Le premier est une approche par pathologie. Il s'agit d'un métier classique de surveillance, à travers les déclarations obligatoires, les enquêtes que nous menons régulièrement et l'analyse des bases de l'assurance maladie, c'est-à-dire du système national des données de santé (SNDS). Nous surveillons par exemple le mésothéliome – dont vous connaissez le lien avec l'exposition à l'amiante –, de nombreux cancers, les maladies respiratoires, les maladies neurodégénératives – dont la maladie de Parkinson, pour laquelle des liens ont été trouvés avec l'exposition à certains pesticides de la viticulture. Nous produisons également régulièrement, grâce à nos enquêtes sur les maladies à caractère professionnel, des données de cadrage sur le burn-out, l'asthme ou les troubles musculo-squelettiques (TMS). En revanche, nous n'effectuons pas de surveillance des maladies professionnelles, puisque ceci relève des prérogatives de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). Pour autant, nous sommes capables, grâce aux informations fournies par nos enquêtes de maladies à caractère professionnel et aux données du SNDS, d'estimer la sous-déclaration de maladies professionnelles, qui est assez considérable. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.
Le deuxième élément est une approche populationnelle, qui s'effectue par suivi de cohortes. L'idée de base est qu'un salarié peut, au cours de sa carrière professionnelle, changer régulièrement de travail, avant de faire valoir ses droits à la retraite ; or la durée d'émergence d'un certain nombre de pathologies peut être longue après une exposition à un risque professionnel. Il est donc très important de pouvoir suivre les personnes tout au long de leur cursus professionnel, voire durant les périodes de non emploi. Nous avons ainsi mis en place un programme de cohortes pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail (COSET), comprenant une cohorte d'agriculteurs, avec la Mutualité sociale agricole (MSA), et une cohorte d'indépendants, avec le Régime social des indépendants (RSI). Nous avons par ailleurs sous-traité avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) la grande cohorte Constance.
Nous suivons également d'autres dispositifs similiaires, parfois associés à un risque spécifique, identifié : je pense par exemple à la cohorte Chlordécone, aux Antilles, qui nous permet de suivre les travailleurs de la banane, ou encore au dispositif EpiNano, au travers duquel nous surveillons l'éventuelle émergence de pathologies susceptibles d'être liées à une exposition, dans le cadre du travail, aux matériaux émergents que sont les nanoparticules. Ces enquêtes sont importantes et suivies selon un calendrier précis. Les cohortes COSET-MSA et COSET-RSI, en cours de constitution, comptent environ 30 000 personnes dans leurs bases : une fois effectué le grand questionnaire initial, les participants seront interrogés tous les deux ou trois ans sur l'émergence éventuelle de pathologies, à charge pour nous ensuite, à partir d'un certain nombre d'éléments d'exposition, d'établir un lien entre pathologie et exposition et de pouvoir ainsi contribuer à la reconnaissance de maladies professionnelles et de risques induisant la mise en place de dispositifs de prévention.
Le troisième pilier, étroitement lié au précédent, concerne les différents types d'expositions auxquels sont soumis les travailleurs. Il consiste en une approche d'expertise, par profession ou par secteur d'activité, en matière d'exposition à des produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Nous nous attachons ainsi à créer des matrices « emploi-exposition » ou « culture-exposition » afin d'étudier, chez les coiffeurs ou les producteurs de bananes par exemple, les types de produits auxquels ils ont été exposés, ainsi que la durée et l'intensité de l'exposition, afin de pouvoir ensuite relier, via les cohortes, d'éventuelles pathologies aux expositions constatées. Tout ceci vise évidemment, à terme, l'évitabilité des pathologies concernées.
Le quatrième pilier sur lequel nous travaillons est celui de l'alerte. Il repose sur un système d'alerte en santé travail, organisé dans la quasi-totalité des régions de France, qui doit nous alerter lorsqu'un cluster apparaît, sous forme de la survenue d'un certain nombre de pathologies susceptibles d'être imputées à une exposition professionnelle. L'année dernière, par exemple, les salariés d'un sous-traitant travaillant pour une grande entreprise de téléphonie ont eu des plombémies relativement importantes. Une alerte a été donnée et nous avons pu identifier que ce taux élevé de plomb dans le sang était lié au fait de tirer les câbles. Nous avons ainsi pu alerter l'opérateur téléphonique et les sous-traitants de ce risque, non identifié auparavant. Cette démarche est très importante. Si trois cancers, trois lymphomes par exemple, surviennent dans une entreprise, nous allons mener une enquête épidémiologique pour voir s'il existe un possible lien dans ce champ.
Nous sommes financés pour cette activité par le ministère du travail et travaillons en étroit partenariat avec de nombreuses agences, dont l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) – qui établit les valeurs de référence, effectue l'évaluation du risque et la vigilance toxicologique –, l'INRS, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) pour les cancérigènes, et l'assurance maladie – en particulier sa branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP).
Nous sommes enfin l'un des acteurs importants du plan santé travail élaboré par le gouvernement, en particulier dans sa partie relative à la santé humaine et à l'épidémiologie, portée par nos services.
Fin 2017, la direction santé travail de Santé publique France comptait 37 emplois à plein temps dédiés à ses missions d'épidémiologie en santé humaine.
Après ces quelques mots de présentation, mes collègues et moi nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions.