Votre question sur les risques émergents invite tout d'abord à s'interroger sur ce qu'est l'émergence. Ce peut être, par exemple, l'arrivée sur le marché de nouveaux facteurs de risque, qu'il s'agisse de substances ou de technologies. On pense ici, typiquement, aux nanomatériaux manufacturés, qui sont de nouvelles substances manipulées dans le secteur industriel, soit en production, soit en utilisation. Notre réponse épidémiologique a consisté en l'espèce à mettre en oeuvre la cohorte prospective EpiNano, avec le concours d'entreprises dont les salariés sont amenés à manipuler ce type de matériaux, en recrutant, sur la base du volontariat, des travailleurs exposés, que nous allons suivre afin de détecter le plus tôt possible, compte tenu des capacités de nos systèmes d'observations épidémiologiques, une anomalie dans leur état de santé qui serait attribuable à ces produits.
L'émergence peut également être la reprise de conscience, par la société, d'un problème déjà connu. Les vagues de chaleur de ces dernières années ont remis en lumière le fait que ceci pouvait avoir des conséquences néfastes sur la santé des travailleurs. Il s'agit en l'occurrence d'un risque assez facilement évitable. L'action de Santé publique France consiste ici à surveiller l'impact de ces vagues de chaleur sur les salariés et à sensibiliser nos partenaires – direction générale du travail (DGT), INRS, MSA, Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) – afin de redynamiser la prévention d'un risque connu de longue date, évitable et connaissant un regain d'intérêt dans le contexte de changement climatique. On a constaté l'an dernier dix décès de travailleurs dus à la chaleur : ce sont évidemment dix décès de trop, qui auraient certainement pu être évités assez facilement, par des aménagements d'horaires, des reports de gros travaux en extérieur, de l'apport d'eau en quantité suffisante sur les chantiers, etc.
Le traitement de l'émergence dépend ainsi dans une large mesure du type d'émergence considéré et des moyens dont nous disposons pour mettre en place des dispositifs d'observation des effets potentiellement néfastes de ces risques sur la santé des travailleurs.
J'en profite pour ajouter que, grâce notamment à la réglementation européenne REACH – acronyme de Registration, evaluation and authorisation and restriction of chemicals –, nous avons progressé dans le domaine chimique, puisqu'il appartient désormais aux entreprises productrices de nouvelles substances chimiques de démontrer l'innocuité de leurs produits. Il est toujours possible de gloser sur la transparence du dispositif ou la complétude des études réalisées dans ce cadre. Ceci constitue néanmoins un progrès à nos yeux, dans la mesure où nous pouvons dorénavant, avant même la mise sur le marché d'une nouvelle substance, avoir une idée de sa toxicité chez l'animal et prédire, par extrapolation, une possible toxicité ou innocuité chez l'espèce humaine.
En revanche, les nouvelles technologies – nanotechnologies, téléphonie mobile, etc. – échappent totalement à la réglementation REACH. Il se dessine là une zone de danger et de risque pour la santé publique, puisque ceci concerne des diffusions très rapides et extrêmement larges, à l'échelle mondiale, de technologies dont on n'a aucune idée de leur effet sur le vivant, ou en tout cas sur l'espèce humaine. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons décidé, voici quelques années, de mettre en place une cohorte de surveillance des travailleurs exposés aux nanomatériaux. Nous n'avons en effet que peu d'idées des conséquences que ces produits peuvent avoir sur la santé et les quelques éléments dont nous disposons laissent à penser qu'il existe un risque important, comparable par certains aspects à l'impact des expositions à l'amiante.