Intervention de François Cochet

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

François Cochet, directeur des activités santé au travail du cabinet Secafi :

La question de la complexité du travail est mal comprise dans les entreprises ; c'est en partie lié à la faiblesse de la formation des dirigeants sur les sciences sociales en général et l'action du travail en particulier. Le rapport de 2008 de M. William Dab sur la formation des managers et ingénieurs en santé au travail le souligne clairement. Cette faiblesse est flagrante. Au sein des CE et CHSCT, nous mesurons l'ampleur des malentendus. Dans une intervention récente, nous avons essayé de mettre en lumière l'extrême complexité du travail dans certains centres d'appels. Les salariés doivent mémoriser toutes les offres successives de leur entreprise, puisque chaque client peut appeler pour une offre acceptée il y a six mois, un an, deux ans, etc. La dirigeante ne comprenait pas nos propos, car elle est polytechnicienne : plus les cas sont complexes, plus elle est heureuse. Le malentendu était patent, elle ne comprenait pas que la complexité pouvait entraîner une souffrance au travail. Nous avons dû lui montrer, par des statistiques, qu'il fallait trois clics pour atteindre chaque écran utile et que tous les autres n'étaient qu'une lourdeur du logiciel. Elle a alors commencé à comprendre que demander de la complexité à ses salariés est une chose, leur donner les moyens d'y faire face en est une autre. Dès lors la maîtrise ne peut plus être individuelle, elle doit passer par un processus collectif. Nous voyons qu'il n'y a que plusieurs cerveaux qui peuvent maîtriser cette complexité. Les organisations du travail doivent prendre cela en compte.

J'en viens donc à l'évaluation. La contradiction est patente entre une évaluation, qui est strictement individuelle, et le fait qu'un travail réussi et bien vécu ne peut être que collectif. Ce point est source de très grande difficulté. Quand arrive la période des évaluations, managers comme salariés ont la boule au ventre. Les outils de mesure sont dépassés, ils mesurent des performances individuelles, quand la réussite du travail ne peut être que collective. Cette difficulté permet de lier la question de la complexité à celle de l'évaluation, qui est en grande partie obsolète.

La méconnaissance du travail est réelle. Certes, la polyvalence est plus grande. Cependant, le fonctionnement de l'homme au travail est méconnu et la complexité antérieure est déjà sous-estimée. Les tâches à accomplir, pour un salarié donné, sont présentées successivement, ce qui ne correspond pas à la réalité. Les tâches sont entremêlées et le salarié passe son temps à interrompre l'une pour passer à l'autre, d'où il naît des contradictions permanentes contraires à la sécurité des salariés et la qualité de la production. Une application numérique a été proposée aux contremaîtres d'une usine pour leur éviter des allers et retours incessants entre le terrain et les bureaux afin de saisir des données, la tablette étant censée pallier cet inconvénient. À mes yeux, voilà un modèle totalement erroné du travail. Marcher pour revenir dans son bureau, c'est aussi réfléchir, prendre du recul, se reposer un peu mentalement. Avant de dire qu'il s'agit d'une tâche inutile, d'un temps mort, demandons leur avis aux salariés ! Ce n'est peut-être pas du tout le cas. Sous prétexte de trouver un outil sympathique, les équipes sont constamment sous pression et ne peuvent prendre du recul. Nous constatons que beaucoup d'applications sont actuellement proposées pour simplifier l'organisation du travail, mais sur la base d'une méconnaissance totale de ce qu'est le fondement du travail humain. Elles peuvent à terme avoir des effets pervers considérables, et il nous faudra être vigilants.

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