Je m'occupe au CNAM de deux chaires. La première, la chaire Hygiène et Sécurité, forme principalement des ingénieurs de prévention, à la fois dans le champ du travail et dans celui l'environnement, parce que c'est ce qui correspond aux besoins des entreprises. C'est une filière qui vient d'être réhabilitée par la commission des titres d'ingénieur et qui a été ouverte à Paris à Amiens et à Nancy, puisque le CNAM est présent sur tout le territoire.
Par ailleurs, nous formons depuis douze ans des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) – plus de 1 500 à ce jour –, au travers d'une licence professionnelle qui est habilitée dans sept régions et qui fonctionne à la fois en cours du soir et sous le régime de l'alternance.
Je dirige par ailleurs la chaire Entreprise et santé, animée en partenariat avec la mutuelle Malakoff Médéric, au sein de laquelle nous formons « le reste du monde », c'est-à-dire, pour être plus précis, les non-spécialistes de la santé au travail dans les entreprises, à commencer par les dirigeants et les personnels d'encadrement.
Le laboratoire MESuRS est commun aux deux chaires et abrite toutes nos recherches, principalement dans le domaine de l'épidémiologie, de la modélisation statistique et de la modélisation mathématique des risques. À titre d'exemple, nous développons, dans une optique méthodologique, des modèles d'analyse de l'absence au travail, à partir des données de Malakoff Médéric, qui assure 500 000 personnes en Île-de-France.
Je travaille également depuis très longtemps en collaboration avec le groupe La Poste, pour lequel nous avons réalisé une épidémiologie des troubles musculo-squelettiques et une étude visant à caractériser les problèmes de retour à l'emploi des postiers après une absence prolongée. Nous avons aussi développé le protocole d'une étude de cohorte de mille facteurs, qui seront suivis dans le temps, pour répondre à la préoccupation des médecins du travail de La Poste, qui s'inquiètent de l'impact de l'évolution des conditions de travail et du métier des facteurs sur leur santé.
Nous faisons par ailleurs de l'évaluation sur le terrain des actions de prévention et de leur efficacité sanitaire et économique. Nous avons, dans ce domaine, un très gros projet à partir de la cohorte « Constances » gérée par l'INSERM, qui regroupe 200 000 assurés du régime général, ce qui en fait une base de données sur la santé unique au monde et de très grande envergure, puisque tout ce qui fait l'objet d'un remboursement par l'assurance maladie est enregistré.
Nous travaillons enfin sur les problématiques liées au stress, comme dans cette étude récente, réalisée sur l'ensemble des services de réanimation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui nous a permis de mettre en évidence un lien entre le risque de transmission de maladies nosocomiales et le niveau de stress des soignants.
Cette énumération n'a rien d'exhaustif, mais elle vous offre un aperçu des activités de notre petit laboratoire, composé de huit permanents, quatre ou cinq doctorants, deux post-doctorants et actuellement une quinzaine de stagiaires de l'Institut Pasteur.
Pour ce qui est du contenu, je partage l'analyse qu'a développée mon collègue Alain Bergeret, à une toute petite nuance près : je ne pense pas que, si les financements étaient plus importants, nous n'aurions pas d'équipes pour les utiliser. 2 millions d'euros, pour un pays comme la France, c'est indigent – je le dis devant la représentation nationale. Trente projets par an : non. Pas dans un pays de l'importance du nôtre, qui comporte plus de vingt millions de salariés. Il y a là un vrai problème.
Pourquoi cette situation ? Il y a un lien indissoluble entre enseignement et recherche, et on ne peut pas réfléchir à l'un sans réfléchir à l'autre. Or la situation de la France est tout à fait particulière à cet égard : nous ne disposons pas d'école de santé publique. Entendez-moi bien : je ne dis pas qu'il n'y a rien ; il se fait énormément de choses dans les facultés de médecine, au CNAM, dans les facultés de sociologie, d'ergonomie, de psychologie. Nous ne sommes pas dans le désert, mais dans une dispersion des acteurs, une absence de coordination des programmes d'enseignement et des actions de recherche.
Ainsi que je l'ai déclaré à Mme Charlotte Lecocq, présidente de la mission sur la santé au travail, lorsque je parle d'école de santé publique, je ne parle pas de créer une nouvelle institution avec des murs, des professeurs et des diplômes. Il faut respecter ce qui existe déjà, mais nous avons besoin d'un lieu de coordination, qui identifie les besoins de formation et de recherche et qui aille chercher les compétences dans les universités, les facultés de médecine existantes, les laboratoires et les agences. Nous avons absolument besoin de cette école « d'assemblage ». Alain Bergeret évoquait à juste titre un problème de visibilité, rendu plus crucial par la disparition du département Santé au travail de Santé publique France. Tout dépendra de ce qu'il advient ensuite : si on mutualise les forces de l'ANSES et de Santé publique France et qu'on parvient à une masse critique plus importante, cela peut être une décision raisonnable.
Reste qu'aujourd'hui, la visibilité et la cohérence scientifique et pédagogique du champ de la santé au travail en France sont gravement déficientes. Tous les acteurs savent qu'il nous faut changer de modèle et de pratiques en santé au travail.
J'ai été directeur général de la santé et j'ai piloté nombre de processus de changement et d'évolution des modèles de pratiques en prévention ; je sais d'expérience qu'on ne peut espérer accroître l'efficacité des modèles et des pratiques et améliorer la protection des travailleurs sans une école de référence.
Je le répète, il ne s'agit pas de créer une école monopolistique, mais une école qui mette en réseau les forces existantes, insuffisantes mais néanmoins importantes. Les médecins du travail sont les premiers à être isolés en faculté de médecine, car la médecine du travail est le dernier des soucis des doyens. Il en va de même à l'INSERM, où la santé au travail est un domaine complètement marginal, mais aussi au CNRS. Il s'agit pourtant d'un enjeu essentiel pour la santé des entreprises, pour la santé de notre économie, pour la santé du pays. Cette situation est totalement anormale.