Je m'appuierai sur l'expérience de quinze ans d'enquêtes continues au GISCOP 93, sur les premiers résultats des travaux menés dans le cadre du GISCOP 84 et sur les études effectuées à partir du « système d'information concret » de l'Association pour la prise en charge des maladies éliminables (APCME) du bassin de Fos, avec laquelle nous collaborons pour répondre à la question suivante : de quelle recherche avons-nous besoin pour briser l'invisibilité des cancers professionnels ?
Il s'agit sans nul doute d'une recherche scientifique indépendante, pluridisciplinaire, rétrospective et prospective pour la connaissance, la reconnaissance et la prévention des cancers d'origine professionnelle, autrement dit une recherche pour l'action ancrée dans les territoires. Une recherche qui ne peut être que publique et financée par des fonds publics, j'insiste sur ce point : les équipes ne sauraient être soumises à une logique d'appels à projets qui ne correspond évidemment pas à la nécessaire continuité des enquêtes permanentes qu'elles conduisent.
Je formulerai trois recommandations essentielles, en rapport avec les objectifs du GISCOP 93.
La première est la connaissance des activités réelles de travail, là où s'enracine le risque. Idéalement, il serait nécessaire de mettre en place dans chaque département un registre des cancers où seraient reconstitués les parcours professionnels et l'histoire résidentielle de chaque patient. Cela permettrait de mieux identifier les activités professionnelles conduisant à ces cancers et les lieux de travail à l'origine de risques environnementaux, mais aussi les inégalités face aux risques, qu'elles soient liées à la sous-traitance, au genre ou à la précarisation.
La deuxième recommandation porte sur la reconnaissance et l'indemnisation des cancers professionnels. Nos exposés vous ont montré l'énorme problème que rencontre la reconnaissance des cancers professionnels. Il faut arriver à ce que le système de réparation prenne en compte l'exposition à plusieurs cancérogènes au poste de travail, en s'appuyant notamment sur une expertise non plus exclusivement médicale mais surtout ergo-toxicologique.
Une inversion de la charge de la preuve s'impose : la preuve du caractère prépondérant du rôle du travail ne devrait pas reposer sur la victime qui, bien souvent, n'est pas à même de la fournir, mais sur les médecins qui auraient à démontrer que le cancer n'est pas d'origine professionnelle. Cela entraînerait un changement profond du fonctionnement du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelle (CRRMP).
Autre point saillant : la nécessité d'accompagner les cas déclarés. Dans le cadre actuel du dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles, il est quasiment impossible pour les victimes d'aller au terme du processus, qui bien souvent passe par le contentieux. Nous irions beaucoup plus loin dans l'établissement d'un lien éventuel entre déclaration et prévention si nous pouvions élaborer un corpus quantitatif et qualitatif à partir d'analyses systématiques des décisions favorables ou défavorables des CRRMP. Nous avons trop souvent le sentiment que, pour un même cancer, pour une même situation d'exposition et pour un même comité régional, un cas va être reconnu et l'autre non. Il s'agirait d'analyser les ressorts de ces décisions, en particulier les arguments qui ont pesé dans un sens ou dans un autre.
J'en viens à la troisième recommandation, relative à la prévention. J'insiste sur l'importance de dispositifs comme le GISCOP 93 ou les registres départementaux de cancers incluant une reconstitution des parcours professionnels. La maladie est un événement sentinelle qui doit être utilisé pour assainir les postes de travail, comme le soulignent les chercheurs de l'APCME. Ils encouragent la création de ce qu'ils appellent des « cadastres », dans la logique des recherches menées au sein du GISCOP autour de la géolocalisation du risque. Les institutions de contrôle doivent parvenir à contrôler effectivement les infractions qui sont malheureusement légion. Il ne devrait plus y avoir dans notre pays une seule situation de travail exposant à l'amiante. Or il en subsiste des centaines, voire des milliers. Le même constat vaut pour l'ensemble des cancérogènes avérés, sans parler de tous ceux qui nous sont imposés par le système de production.
Enfin, j'insiste sur le rôle du CHSCT dans la prévention des risques graves et dans le développement de l'expertise nécessaire à un travail de fond portant sur l'exposition professionnelle aux cancérogènes.