Actuellement, les registres de cancers ne comportent aucune donnée relative à la profession des patients. Il n'y a donc rien qui permette de déterminer les facteurs de risque et d'agir en conséquence. La seule analyse utile que nous pourrions en faire serait une spatialisation mettant en évidence des concentrations de cas à certains endroits. Grâce à l'expérience que nous avons acquise depuis une vingtaine d'années, nous avons acquis la conviction que les enquêtes permanentes devraient déboucher sur des systèmes d'enregistrement départementaux tenant compte des parcours professionnels et résidentiels.
Une étude menée par l'Institut syndical européen pour la Confédération européenne des syndicats a montré qu'en Europe, il y avait en moyenne entre 100 000 et 150 000 décès par an causés par des cancers liés au travail. Elle a aussi établi les coûts considérables que cela engendrait – je n'ai pas les chiffres en tête, nous vous les communiquerons. En matière de santé publique, il est très important de prendre en compte le coût des cancers professionnels non reconnus.
Le GISCOP effectue des études sur les expositions aux cancérogènes avérés. Qu'il s'agisse de l'amiante, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, de la radioactivité ou du benzène, il n'y a plus à apporter la preuve que ces substances donnent le cancer. À partir du moment où des personnes y ont été exposées, elles devraient bénéficier d'une reconnaissance de droit. Du point de vue de la prévention, il ne faut pas attendre d'observer un nombre excessif de cancers « validés » dans telle ville ou dans telle entreprise pour protéger les travailleurs et la population. Cela relève de l'urgence.
Le cas de Fos-sur-Mer a été beaucoup évoqué sur la place publique. Ce matin même, j'étais amenée à donner mon avis sur un reportage consacré à cette pollution environnementale diffusé dans le cadre du Magazine de la santé de France 5. L'accent est mis sur la population tandis que les affections dont souffrent les travailleurs constituent un angle mort. Pourtant, à la cokerie ArcelorMittal, il y a eu en dix-sept ans, de 1998 à 2015, sur un effectif de 300 personnes, 39 cancers professionnels reconnus – 22 parmi les 200 salariés permanents et 17 parmi les 100 sous-traitants –, selon les chiffres de l'assurance maladie enfin obtenus par l'APCME.
Si les cancers développés par les travailleurs étaient considérés comme des événements sentinelles de la santé au travail et de la santé environnementale, nous ferions un grand pas vers notre objectif : briser l'invisibilité des cancers professionnels et environnementaux.