Intervention de Marie Pascual

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Marie Pascual, médecin du travail, représentante de SUD-Travail :

J'interviendrai pour ma part sur la question des expositions et de leur traçabilité, en lien avec la précarité et le suivi médical.

La traçabilité des expositions est loin d'être assurée actuellement. L'identification des postes à risque, dans les entreprises, n'est que partiellement effectuée et l'exposition des salariés aux produits chimiques et autres risques fait rarement l'objet de procédures rigoureuses. Beaucoup sont négligées, ignorées, non prises en compte ou banalisées. C'est l'une des raisons pour lesquelles les fiches d'exposition ont été abandonnées : elles posaient des problèmes très importants pour les employeurs, qui ont résisté à leur mise en place par crainte, très certainement, de la visibilité des risques.

Tout cela est particulièrement préoccupant pour les populations précaires, les plus exposées. Les intérimaires, par exemple, occupent les postes les plus dangereux et les plus pénibles. Les employeurs font souvent appel à eux quand les salariés refusent d'effectuer une mission qu'ils estiment dangereuse pour leur santé – manutention, risque chimique, etc.

Les salariés intérimaires n'ont pas accès à la connaissance des risques auxquels ils sont exposés ; en outre, aucune traçabilité n'est réalisée. Pourtant, la logique voudrait que le recueil des expositions soit consigné dans le dossier médical du travail.

Les textes sont pourtant clairs : les missions des services de santé au travail, définies par la loi de 2011, expliquent que la surveillance de l'état de santé doit être faite en fonction des risques et de l'effet de l'exposition à certains facteurs de risque.

Dans le décret d'application de la loi El Khomri sur les nouvelles modalités du suivi médical, l'objectif de la visite d'information de prévention est clairement indiqué : informer le salarié sur les risques éventuels auxquels l'expose son poste de travail – cela implique que le médecin ou l'infirmière est au courant de la nature du poste – et le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en oeuvre. Tout cela doit donc donner lieu à l'ouverture d'un dossier médical de santé au travail. Or je puis vous informer que, pour cette population précaire, cela n'est absolument pas fait, en raison de l'organisation des services de santé au travail ; ces salariés sont vus n'importe où, dans n'importe quel service et par n'importe quel médecin du travail. Il n'y a donc aucun suivi.

Il existe une certaine hypocrisie entre les textes, qui sont louables, et la réalité de l'organisation des services de santé au travail. La réalité est que plus le travailleur est précaire, moins bien il est surveillé par les services de santé au travail.

Il est surprenant qu'aucune mesure n'ait été prise, les textes étant justes et adaptés à l'évolution du travail. Cependant, aucun lien n'est fait avec le déficit d'organisation des services de santé au travail qui ne sont pas du tout conçus pour assurer de telles missions.

De la même façon, il est proposé, dans les ordonnances, un examen médical du travail au moment du départ à la retraite. Or je défie tout médecin du travail d'être en capacité de tracer le suivi médical d'un intérimaire – et même d'un salarié qui a toujours travaillé en CDI.

Nous recommandons de rétablir les fiches d'exposition, de réintroduire les quatre facteurs de risque pénibilité qui ont été supprimés et de réorganiser les services de santé au travail afin que les dossiers médicaux du travail soient correctement tenus, contiennent les éléments légaux et soient adaptés à l'exigence d'un suivi de qualité pour les travailleurs précaires – ce qui exigerait d'ouvrir un grand chantier.

Plus concrètement, il conviendrait d'extraire les services de santé interentreprises de la logique concurrentielle dans laquelle ils fonctionnent, de les organiser territorialement, de les mettre sous la double tutelle du travail et de la santé, et de les sortir de la gestion patronale pour les rattacher à la sécurité sociale, comme cela a été proposé par le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport de 2008.

L'état des lieux des maladies professionnelles a largement été fait. J'ajoute que l'un des nombreux facteurs concourant à la non-déclaration des maladies professionnelles est, bien entendu, la précarisation des salariés. Plus un salarié est précaire, moins il sera enclin à déclarer sa maladie professionnelle, notamment par crainte des conséquences sur son emploi.

La démarche de reconnaissance d'une maladie professionnelle est un vrai parcours du combattant, qu'il s'agisse du système des tableaux ou du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Le seuil de 25 % exigé pour le taux d'incapacité permanente exclut de la déclaration toutes sortes de maladies qui ne figurent pas dans un tableau, mais qui, pour autant, peuvent être d'origine professionnelle – ce qui est reconnu sur le plan scientifique. C'est le cas de la névralgie cervico-brachiale, trouble musculo-squelettique (TMS) authentiquement lié à certaines activités professionnelles, pour laquelle un salarié n'atteindra jamais 25 % ; une maladie impossible à déclarer donc. Un autre obstacle est l'obligation prouver la réalité de l'exposition devant le CRRMP : c'est très difficile quand les salariés ne connaissent pas les risques auxquels ils sont exposés.

Autre élément sur les maladies professionnelles : les travaux de la commission du COCT chargée de faire évoluer les tableaux sont très difficiles et la création de certains nouveaux tableaux rencontre des blocages majeurs. Le tableau sur le cancer du rein, par exemple, lié à l'exposition au trichloréthylène est prêt ; un consensus social a été trouvé, mais nous attendons sa publication depuis plus d'un an. La création d'un tableau sur la maladie de Parkinson pour les salariés du régime général exposés aux pesticides a été refusée fermement, alors qu'il en existe un pour le régime agricole.

Par ailleurs, l'étude des pathologies en lien avec les expositions professionnelles sur lesquelles les connaissances scientifiques sont solidement établies, comme par exemple les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO), est constamment repoussée. En revanche, les modifications qui ont été adoptées pour le tableau 57 – très défavorables aux salariés – sont passées en force ; ce qui dénote le climat extrêmement tendu qui règne dans cette commission.

La réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) est faible et injuste. Il existe une grande inégalité entre le système d'invalidité, qui dépend de l'assurance maladie, et la rente AT-MP qui est bien moins favorable pour les salariés. Et qui, de fait, pour de graves maladies, vont conduire les médecins à hésiter à aider le salarié à faire une déclaration de maladie professionnelle. Car si la maladie professionnelle est reconnue, le salarié devra rembourser la somme qu'il a perçue au titre de son invalidité. Une situation sociale inacceptable. Le taux d'incapacité permanente (IPP) devrait être le même que celui de l'invalidité, soit 67 %.

Nos préconisations sont les suivantes : abaisser à 10 % le taux minimal d'IPP permettant d'accéder au CRRMP – le mieux serait de le supprimer ; régler la question de l'invalidité et de la rente AT-MP ; donner les moyens aux caisses primaires d'assurance maladie de traiter correctement et rapidement les dossiers de demandes de reconnaissance des maladies professionnelles ; créer un tableau sur les BPCO, qui existe pour les mineurs de charbon, de fer, les salariés exposés aux textiles végétaux et ceux, et les plus touchés, qui travaillent dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) – démolition, asphaltage, etc. Il s'agit là de maladies fréquentes et invalidantes, et les nombreuses études sur cette question permettent d'élaborer un tableau.

Enfin, il conviendrait de créer un tableau sur les psychopathologies professionnelles – RPS, infarctus du myocarde et autres maladies cardiovasculaires – et de financer un programme de recherche sur les poly-expositions et les effets cocktails aux CMR, pesticides, perturbateurs endocriniens, et aux risques émergents tels que les nanoparticules.

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