Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 13h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • chimique
  • employeur
  • inspection
  • prévention
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La réunion

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L'audition débute à 13 heures 10.

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Madame et messieurs, je souhaite tout d'abord excuser l'absence du président de la commission, M. Borowczyk.

La commission d'enquête reprend ses auditions en recevant les représentants de certains syndicats représentatifs au sein du corps de l'inspection du travail.

Avant de débuter cette table ronde, et en accord avec le président et le rapporteur, je me dois de constater que tous les syndicats sollicités ne sont pas représentés aujourd'hui, bien que trois dates aient été successivement proposées. Nous allons prendre acte de ces absences et échanger avec ceux qui ont pu désigner des interlocuteurs.

Depuis avril 2016, les missions de l'inspection du travail dans le domaine de la santé ont été élargies. L'inspecteur du travail veille au respect des règles relatives à la santé et à la sécurité des travailleurs et constate, s'il le faut, l'insuffisance des moyens de protection. Il s'assure de la protection renforcée de certaines catégories de salariés, telles que les femmes, les jeunes travailleurs ou les travailleurs handicapés.

L'inspection du travail est dorénavant en mesure, en cas de danger grave et imminent, de prescrire un arrêt temporaire d'activité. De plus, les cas justifiant d'un tel arrêt ont été complétés, notamment par les risques liés aux travaux réalisés dans l'environnement de lignes électriques aériennes ou souterraines, ou liés à l'utilisation d'équipements de travail dépourvus de protecteurs. L'inspection a aussi la possibilité de prescrire un arrêt d'activité lorsqu'elle estime qu'au moins un salarié est exposé à un risque chimique cancérogène ou toxique. Elle peut également prononcer, sous certaines conditions, une amende à l'encontre des employeurs ayant commis une infraction en termes de sécurité et de santé au travail.

Nous recevons aujourd'hui M. Gérald Le Corre, de la Confédération générale du travail (CGT), Mme Marie Pascual, M. Michel Vergez et M. Yves Sinigaglia de SUD.

Notre commission d'enquête souhaite passer maintenant du constat de la situation aux solutions qui pourraient être mises en oeuvre pour que l'inspection du travail joue un rôle majeur dans une politique de prévention renforcée et renouvelée.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Gérald Le Corre, Mme Marie Pascual, M. Michel Vergez et M. Yves Sinigaglia prêtent serment.

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Gérald le Corre, inspecteur du travail, représentant la CGT-TEFP

Madame la présidente, je vous remercie de votre invitation.

Nous partageons, bien entendu, l'objectif de votre commission de renforcer la prévention. Les agents de l'inspection du travail sont très bien placés pour débattre de cette question, puisque à la fois ils sont agents de contrôle en entreprise – ils peuvent ainsi constater les expositions aux risques professionnels – et ils reçoivent dans leur permanence les victimes de maladies professionnelles, qu'ils sont chargés de conseiller sur les actions juridiques à suivre pour faire valoir leurs droits.

Nous transmettrons à la commission, d'ici à quelques jours, une contribution écrite complète.

Nous avons bien entendu regardé les vidéos des auditions de la commission et noté que le terme « sous-déclaration » des maladies professionnelles a souvent été prononcé. Si, s'agissant des accidents du travail, ce terme s'explique puisqu'il appartient à l'employeur de les déclarer – ce qu'il ne fait pas toujours –, les maladies professionnelles sont déclarées, elles, par le salarié lui-même ; il convient donc de parler de non-déclaration. Et nous devons essayer de comprendre les motifs de ces non-déclarations.

Selon l'enquête « Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels » (SUMER), près de 3 millions de salariés sont exposés aux cancérogènes. Et lorsque nous interrogeons les salariés de l'industrie sur leur lieu de travail, nous nous apercevons qu'ils n'ont pas conscience d'être exposés aux poussières de bois, au formaldéhyde, à l'amiante, aux gaz d'échappement, aux brouillards d'huile ou à un certain nombre de rayonnements.

En termes de constat, il en va de même. Les salariés malades nous disent que lorsqu'ils vont consulter le médecin de soins, celui-ci ne les interroge pas sur leur activité professionnelle réelle. Une question importante, liée à la formation des médecins, notamment généralistes.

Les salariés ne sont pas informés – ou très peu – par leur employeur que leur poste les expose à des risques professionnels. L'activité des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est très intéressante, mais trop souvent centrée sur les risques immédiats, visibles – accidents du travail, danger grave et imminent. Par ailleurs, le dispositif réglementaire, trois jours de formation pour les établissements de moins de 300 salariés et de cinq jours pour ceux de plus de 300 salariés, ne permet pas de former suffisamment les représentants du personnel, notamment sur la question des risques différés, la réglementation technique particulière – amiante, cancérogènes, postures de travail – et sur la méthodologie d'enquête. En outre, la documentation est très peu compréhensible par les salariés.

Nos propositions sur ce sujet sont les suivantes : formation obligatoire des médecins généralistes ; extension de la notice de poste, qui existe pour les cancérogènes, à d'autres situations de travail exposant à des risques de maladies professionnelles ; rétablissement de la traçabilité ; formation obligatoire des membres des CHSCT, ou du futur comité social et économique (CSE), si nous n'arrivons pas à obtenir l'abrogation de la disposition de la loi « Travail » sur les risques différés ; élaboration de guides de prévention grand public.

Sans m'y attarder, je ferai quelques remarques sur la question de la méconnaissance des maladies, une fois que les salariés sont malades, qui a largement été abordée dans cette commission. Les systèmes de tableaux sont peu compréhensibles, une documentation pédagogique est donc nécessaire. Les agents de contrôle de l'inspection du travail et les agents des services ayant vocation à renseigner les salariés ne sont pas du tout formés aux procédures de reconnaissance d'accidents du travail et ne peuvent donc pas correctement conseiller les salariés – y compris sur la procédure hors tableau devant le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

Les organisations syndicales territoriales ne disposent que de très peu de salariés formés ; nous n'avons pas l'équivalent du défenseur syndical qui intervient devant le conseil des prud'hommes, le tribunal administratif de la sécurité sociale (TASS) ou le tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI). De sorte que, dans les territoires, les organisations syndicales renvoient les salariés vers les professionnels du droit, avec tout ce que cela implique financièrement.

S'agissant de la procédure de reconnaissance hors tableau, un certain nombre de salariés doivent passer devant trois autorités, à savoir le CRRMP, le TASS et la cour d'appel, pour obtenir une reconnaissance de leur maladie.

Par ailleurs, s'agissant des risques psychosociaux (RPS) et des poly-expositions au risque chimique, l'absence de tableau nécessite d'aller devant le CRRMP, avec la barrière que représente l'exigence d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 25 %.

Nos propositions, très concrètes, sont les suivantes : élaboration de deux grands guides à destination des salariés – l'un sur les risques des métiers, l'autre sur les procédures de reconnaissance ; une campagne d'information commune, ministères du travail et de la santé, en direction des salariés ; une offre de formations à destination des représentants du personnel et des agents du ministère du travail ; la mise en place des tableaux RPS et poly-expositions ; enfin, pour les maladies hors tableau, le renversement de la charge de la preuve. À partir du moment où n'existe plus l'obligation de traçabilité par les fiches d'exposition des employeurs, les salariés sont dans la quasi-impossibilité de se procurer les documents permettant de démontrer le lien de causalité entre leur poste de travail et leur maladie. Contrairement à l'employeur qui dispose de tous les moyens de démontrer s'il y a eu ou non exposition. Enfin, engager une procédure hors tableau est un combat de plusieurs années, ce qui pose la question des moyens attribués aux CRRMP, aux TASS et aux TCI.

Voyons maintenant les dernières mesures gouvernementales qui ont été prises. D'abord, la suppression des fiches d'exposition, qui est une vraie catastrophe. Les dispositions sur la surveillance médicale éloignent encore le salarié du médecin du travail. Ensuite, la suppression du CHSCT, lieu où les acteurs pouvaient discuter des mesures de prévention à mettre en place. Le CSE ne remplacera pas les CHSCT car, qu'il y ait ou non une commission de sécurité, les membres devront cumuler les tâches – économiques, sociales, réclamations individuelles et collectives, etc. Nous allons nous retrouver dans la situation d'avant 1982, avec les questions de santé qui seront reléguées au second plan. Alors imaginez les questions de santé liées à des effets différés !

Nos propositions sont simples, même si elles peuvent choquer : abrogation des lois Rebsamen et El Khomri et des ordonnances Macron ; rétablissement des fiches d'exposition ; maintien des CHSCT, avec un renforcement en temps, en formation et en prérogatives ; possibilité donnée aux CHSCT d'arrêter des travaux en cas de danger grave et imminent.

La réglementation est insuffisante et inappliquée. Pourquoi insuffisante ? Il existe une contradiction entre les principes généraux de prévention, qui sont au coeur de la directive européenne de 1989, retranscrite dans le code du travail, et une réglementation technique qui, dans un certain nombre de cas, déroge aux obligations de la directive.

Je vous citerai deux exemples. Le premier a trait à la réglementation du risque chimique. L'employeur doit élaborer son évaluation des risques, mais s'il considère que cette évaluation donne un résultat faible, il peut s'auto-exonérer d'un certain nombre de mesures de prévention – substitution des produits, suppression du risque, obligation d'un système clos, etc. C'est l'article R. 4412-13 du code du travail.

Imaginez cette réglementation appliquée à la sécurité routière. J'achète une Ferrari, il fait beau, l'autoroute est dégagée, j'évalue les risques et j'estime que je peux rouler à 150 kilomètres par heure… Nous comprenons que l'autoévaluation, de la part d'un conducteur ou d'un employeur, est complètement subjective et ne peut suffire.

Même chose en ce qui concerne l'amiante. La direction générale du travail (DGT) a pris des arrêtés techniques, notamment celui du 8 avril 2013 qui déroge aux principes généraux de prévention – qui prônent une suppression du risque en vue d'aboutir au meilleur niveau de protection. L'arrêté technique du 8 octobre 2013, lui, dit que l'employeur évalue les risques et met en place les équipements de protection collectifs ou individuels, lesquels ne sont pas les plus protecteurs. Or l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation et du travail (ANSES) confirme que même une très faible exposition à l'amiante peut s'avérer mortelle.

Par ailleurs, malgré les recommandations de l'ANSES, les fibres courtes d'amiante que l'on retrouve dans les prélèvements d'air ne sont toujours pas comptabilisées, ce qui donne une vision assez fausse des mesures. Cet aspect de la réglementation équivaut, de fait, à l'obtention d'un permis de tuer les travailleurs.

Examinons maintenant le piège des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP). Des valeurs limites, non pas seulement pour l'amiante, mais également pour les manutentions manuelles de charges, les vibrations, les bruits et les rayonnements ionisants. Les employeurs considèrent qu'une fois qu'on est en dessous des valeurs limites d'exposition – en tout cas, c'est ce qu'ils racontent aux salariés et aux représentants du personnel –, il n'y a pas besoin d'aller techniquement plus bas.

Encore une fois, cette position est contraire à la directive européenne de 1989. Une directive qui parle, en effet, de niveau technique le plus bas d'exposition des salariés, mais surtout indique que l'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs ne peut pas être subordonnée à des considérations de caractère purement économique. Or les agents de l'inspection du travail constatent, dans toutes les discussions avec les employeurs, ou en CHSCT, qu'il existe des solutions techniques qui pourraient être mises en oeuvre pour abaisser le niveau de risque mais que les employeurs ont d'autres priorités d'investissement.

Concernant la partie de la réglementation existante qui n'est pas appliquée, nous nous interrogeons sur un élément central. L'article L. 461-4 du code de la sécurité sociale impose aux employeurs, depuis près de trente ans, de déclarer à la sécurité sociale et à l'inspection du travail les procédés et postes de travail susceptibles de provoquer des maladies professionnelles. Ce texte est tombé en désuétude. Il n'est pas appliqué par les employeurs et la puissance publique n'exige pas le respect de cette obligation. La sanction est une modeste contravention de 3e classe – c'est-à-dire non dissuasive. Une telle déclaration serait utile pour les services de contrôle de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), de l'inspection du travail, mais également pour l'employeur, afin d'alimenter son document unique et d'informer son CHSCT – ou CSE.

Les documents d'évaluation des risques analysent rarement les expositions réelles au poste de travail. S'agissant des RPS, on n'y retrouve pas, en général, les catégories du rapport Gollac. Certaines opérations, notamment sur les agents chimiques dangereux et les substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), sont peu ou pas indiquées, en particulier les activités de maintenance, nettoyage industriel et réparation. Encore une fois, les risques différés sont beaucoup moins analysés que les risques immédiats.

Une ancienne réglementation relative aux locaux de travail, qui existe depuis bien plus longtemps que la réglementation sur les risques chimiques, fait obligation à l'employeur de capter, au fur et à mesure, toutes les émanations, quelles que soient leurs formes – poussière, solvant, aérosol, gaz, vapeur. L'obligation de captation à la source est très peu respectée dans les entreprises, anciennes et récentes.

Je voudrais vous alerter sur la question du « techniquement possible ». Personne ne vous a parlé de la question des interventions dans les conteneurs maritimes. Le ministère du travail estime qu'il y a près de 2 millions de salariés exposés à des risques chimiques – pas seulement dans les ports, mais aussi dans les entrepôts logistiques et dans la chaîne d'approvisionnement. Il a été démontré qu'il était techniquement possible de mettre en place une ventilation mécanique forcée avant l'ouverture de ces conteneurs – cela se fait au port de Rotterdam. Depuis l'alerte lancée en 2010 par la CGT du Havre, aucune solution technique n'a été mise en place, principalement pour des raisons économiques, mais aussi parce que les salariés ont peur que ces conteneurs soient déchargés dans d'autres ports qui n'imposeraient pas cette captation à la source.

Les grands groupes font de plus en plus appel à la sous-traitance pour les métiers exposés aux agents chimiques dangereux et aux CMR – activités de maintenance et de réparation, dans l'ensemble du secteur industriel.

Par ailleurs, on voit apparaître, dans des entreprises à la chaîne – dans le secteur de l'automobile en particulier, dont les cadences vont augmenter –, un recours massif à l'intérim, au motif, non pas de la flexibilité, mais parce que les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) n'ont plus la capacité physique de tenir leur poste. Or les médecins du travail constatent que des intérimaires développent des pathologies très avancées, notamment au niveau des poignets et des épaules, au bout de dix-huit mois de travail.

S'agissant de la formation, le code du travail est assez complet. Mais par « formation au poste de sécurité au travail », il faudrait entendre : programme de formation, qualité du formateur, vérification des acquis et des compétences et attestation de formation. À savoir le minimum de ce qu'on est en droit d'attendre d'une formation, notamment une formation aux agents chimiques dangereux ou aux rayonnements ionisants.

Voici nos propositions : remplacer les valeurs limites d'exposition par des moyens techniques permettant d'atteindre le niveau le plus bas possible, comme cela est prévu par la directive européenne ; supprimer la possibilité pour l'employeur de ne pas mettre en oeuvre toute une partie de la réglementation chimique ; modifier la réglementation sur l'amiante ; remettre en place la traçabilité ; faire respecter l'obligation de déclarer les postes soumis aux maladies professionnelles ; modifier les formations ; introduire dans l'évaluation des produits chimiques une étude ergo toxicologique.

Concernant les acteurs, il ne me semble pas que le plan « Santé au travail » (PST) ait été évoqué, plan soumis à l'avis du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) au niveau national, avec les déclinaisons des plans régionaux « Santé au travail » (PRST).

Ces plans sont construits par consensus. Or vous le savez, les organisations syndicales défendent les travailleurs : elles ont donc des intérêts divergents des organisations d'employeurs qui privilégient la défense des intérêts économiques des entreprises. Le consensus ne peut, de ce fait, être obtenu sur la prévention des risques.

De même, pour les PRST, le travail des acteurs – inspection du travail, CARSAT, services de santé au travail (SST) – doit être articulé. On compte près de 500 actions en France, mais certaines sont très limitées : les actions d'affichage, par exemple. On compte peu d'activités pratiques, coordonnées par les différents services, pour une intervention qui a des impacts concrets sur les conditions de travail des salariés. Tous les acteurs s'accordent à dire qu'ils n'ont pas les moyens humains de mettre en place un certain nombre d'actions.

Concernant la médecine du travail, vous avez auditionné les docteurs Alain Carré et Gérard Lucas. J'ajoute simplement que la procédure d'alerte écrite est peu utilisée par les médecins, par crainte. En effet, s'ils discutent beaucoup avec les inspecteurs du travail, les médecins ont peur d'écrire un certain nombre de choses à l'employeur dans le cadre de leurs alertes.

Les maladies professionnelles ne sont pas une préoccupation du ministère du travail, notamment de la DGT. Les agents ne sont pas formés. La DGT, qui élabore toute la réglementation technique, n'a pas été invitée à s'exprimer devant vous, ou a refusé de venir – je ne sais pas, je pose simplement la question. Il nous semble qu'aujourd'hui la préoccupation de la DGT, sur un certain nombre de sujets, et en particulier sur l'amiante, est plutôt d'éviter une nouvelle condamnation de l'État.

Les actions menées par les inspecteurs et les contrôleurs du travail sur les maladies du travail ne sont pas valorisées par le ministère du travail. Or l'inspection dispose des moyens juridiques extrêmement efficaces, comme la procédure de référé devant le tribunal de grande instance (TGI), de sorte que le juge civil peut imposer à l'employeur de prendre des mesures de prévention. Moins de 50 procédures sont engagées chaque année, car il s'agit d'une procédure chronophage qui nécessiterait une prise en charge collective par plusieurs collègues et un soutien de la hiérarchie. La décision d'arrêt temporaire des travaux est très efficace en matière de chutes de hauteur dans le bâtiment. Elle a été étendue, mais reste limitée à certains facteurs de risque. Il convient donc de continuer à réfléchir à son extension.

Concernant les effectifs de l'inspection du travail, vous connaissez les chiffres de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour 2018 : un agent pour 1 000 entreprises, un agent pour 10 000 salariés. La réglementation comme les moyens humains doivent être renforcés. Les médecins inspecteurs du travail, des soutiens importants pour la question des maladies professionnelles, sont eux aussi en sous-effectif ; un grand nombre de postes sont vacants.

Je terminerai mon exposé par la partie pénale.

Les principes généraux de prévention sont très bien rédigés, mais il n'y a pratiquement pas d'incrimination pénale. La seule infraction que l'on puisse retenir est une contravention de 4e classe, pour évaluation des risques insuffisante dans le document unique.

Lorsque l'inspection du travail dresse un procès-verbal relatif à un risque de maladie professionnelle, elle est amenée à discuter avec le parquet et le ministère de la justice. La politique du parquet est de dire que, sans victimes identifiées, il ne peut y avoir de suites. Or nous constatons des risques à l'instant t, dont les effets sont différés : il n'y a donc pas de « victime » au sens où l'entend le parquet. Il s'agit là d'un vrai problème. Si je reprends la comparaison avec la sécurité routière, tous les délits sont poursuivis même ceux qui n'ont causé aucun accident ni aucune victime. Il y a donc une complaisance face à la délinquance en col blanc.

Par ailleurs, les condamnations pénales ne sont pas dissuasives. Je citerai l'exemple d'un grand groupe pétrolier, où vous vous êtes rendus récemment, qui a été condamné à deux reprises – l'une des deux condamnations a été confirmée par la Cour de cassation – pour défaut de recherche d'amiante dans les calorifuges d'une raffinerie, et dont le comportement n'a pas changé ; il est vrai qu'une simple amende de 10 000 euros n'incite pas une entreprise de cette taille à prendre des mesures.

Nos propositions sur ces derniers points sont les suivantes : adopter des sanctions répressives pour non-respect des principes généraux de prévention ; engager systématiquement des poursuites quand des procès-verbaux ont été dressés par l'inspection du travail ; étendre les moyens de contrôle ; renforcer les effectifs.

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Yves Sinigaglia, inspecteur du travail, membre du comité national de SUD-Travail

Nous partons du principe que le code du travail a pour objectif d'adapter le travail à l'homme et non pas l'homme au travail ; nous sommes bien loin de ce principe, puisque les conditions de travail, depuis une vingtaine d'années, se détériorent de façon évidente.

S'agissant des horaires flexibles, par exemple, 37 % des salariés ont des horaires normaux. Ce qui veut dire qu'il n'en va pas de même pour 63 % de la population – travail de nuit, travail de week-end, durée variable de travail, temps partiel, horaires connus d'une semaine sur l'autre, etc. Je vous renvoie à une enquête de 2012 de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) sur les horaires flexibles.

Un article de la DARES fait également état du travail de nuit qui se développe en toute illégalité, en contradiction avec les dispositions du code du travail. Un grand nombre d'employeurs se permettent de faire travailler la nuit des salariés qui ne le devraient pas. Je vous rappellerai le suicide d'un camarade de SUD-Rail qui travaillait la nuit, sept nuits sur sept, pour réparer les locomotives : un travail qui peut et doit se faire le jour. Le code du travail interdit de faire travailler les mécaniciens la nuit, car il n'y a aucun caractère d'urgence. Pourtant, aucune organisation syndicale n'attaquera un employeur pour cela, le travail de nuit étant passé dans les moeurs.

La question est celle de la réorganisation du travail volontaire, en dehors de la légalité, qui façonne notre société, avec toutes ses conséquences, et notamment les RPS qui ne sont pas visés par le code du travail ; il n'y a aucune réglementation sur ce sujet. Si nous voulons « attaquer » un employeur, nous devons le faire, soit pour harcèlement moral, soit pour mise en danger d'autrui, soit pour homicide involontaire, en cas de suicide. Il serait donc intéressant d'intégrer une infraction sur les RPS dans le code du travail, fondée sur les critères de la commission Gollac, je cite : « L'employeur veille à la santé physique et mentale des salariés, et particulièrement en ce qui concerne l'intensité du travail et le temps de travail, les exigences émotionnelles, le manque d'autonomie, la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail, la souffrance éthique et l'insécurité de la situation de travail. »

Passons au forfait jours, qui est une catastrophe pour la santé des salariés – d'autant que l'on peut maintenant le calculer sur trois ans, et non plus sur une année complète. Les horaires ne sont pas fixes. Les salariés peuvent travailler 13 heures par jour, six jours par semaine, 78 heures par semaine et jusqu'à 235 jours par an. Aucun contrôle n'est possible, sauf à démontrer que les congés payés n'ont pas été réglés ou que les 11 heures de repos entre deux journées de travail n'ont pas été respectées. Pourtant, ces forfaits jours sont imposés à une population de plus en plus importante.

En ce qui concerne la sous-traitance, il conviendrait de limiter les « cascades ». Bien entendu, il nous sera répondu qu'une telle mesure va à l'encontre de la liberté du commerce. Ce n'est pas notre objectif. Nous disons simplement qu'il ne devrait y avoir qu'un ou deux degrés de sous-traitance, pas plus.

Hier, je me suis rendu sur un chantier où j'ai pu constater sept ou huit degrés de sous-traitantes, juste pour de la peinture : celui qui peignait la première couche n'appartenait pas à la même entreprise de celui qui peignait la deuxième, qui n'était pas de la même entreprise de celui qui peignait la troisième !

Au-delà du contrôle qui devient de plus en plus long et complexe, ce sont en général des salariés détachés pour lesquels, je le précise, nous ne faisons jamais d'enquête sur les accidents du travail ; en vingt-trois ans, je n'en ai fait aucune. Je ne sais pas sur quel brancard ils sortent du chantier, mais je n'en ai jamais vu.

Nous rencontrons donc, notamment sur les chantiers, une extrême difficulté de contrôle.

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Michel Vergez, inspecteur du travail, représentant de SUD-Travail

J'interviendrai sur les risques professionnels classiques, les insuffisances et les arrangements de la réglementation. Je serai bref, Gérald Le Corre ayant dit l'essentiel. Nous souhaitons l'abrogation des VLEP concernant les agents chimiques dangereux, dans la mesure où, dans leur immense majorité, elles ne sont pas pertinentes. Aussi basses soient-elles, elles ne garantissent absolument pas que les produits seront inoffensifs pour les salariés. C'est, bien évidemment, le fruit d'un compromis économique et financier. Nous n'en voulons pas, car Gérald Le Corre a parlé de « permis de tuer », et si l'expression est forte, elle est exacte.

En effet, si une fibre d'amiante peut tuer, la VLEP, même descendue de 100 fibres au litre à 10 fibres au litre, n'est pas pertinente. Et elle permet d'envoyer au « casse-pipe » des milliers de salariés.

En matière de risque chimique – et particulièrement l'amiante –, les prélèvements, les mesurages, les analyses, relèvent très souvent de l'autoévaluation. Ces procédures sont donc à la main de l'employeur, difficilement contrôlables, et lui permettent de valider toute une série d'opérations. Une validation fictive, puisqu'elle ne s'appuie pas sur des données réelles et concrètes de chaque chantier.

Nous recommandons une meilleure information sur les risques. L'obligation devrait être faite aux employeurs de mettre systématiquement en place les protections collectives et à disposition les appareils respiratoires, assurant aux travailleurs le niveau de protection le plus élevé. Nous refusons que soient établis plusieurs niveaux de protections, les plus bas étant tout à fait inefficaces.

Par ailleurs, les fiches de données de sécurité sont un outil essentiel. Elles renseignent de façon tout à fait correcte, même s'il y a des lacunes, en particulier sur les combinaisons d'agents chimiques dangereux. Si elles peuvent indiquer les incompatibilités et renseignent sur les produits, elles ne précisent pas la dangerosité des combinaisons.

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Marie Pascual, médecin du travail, représentante de SUD-Travail

J'interviendrai pour ma part sur la question des expositions et de leur traçabilité, en lien avec la précarité et le suivi médical.

La traçabilité des expositions est loin d'être assurée actuellement. L'identification des postes à risque, dans les entreprises, n'est que partiellement effectuée et l'exposition des salariés aux produits chimiques et autres risques fait rarement l'objet de procédures rigoureuses. Beaucoup sont négligées, ignorées, non prises en compte ou banalisées. C'est l'une des raisons pour lesquelles les fiches d'exposition ont été abandonnées : elles posaient des problèmes très importants pour les employeurs, qui ont résisté à leur mise en place par crainte, très certainement, de la visibilité des risques.

Tout cela est particulièrement préoccupant pour les populations précaires, les plus exposées. Les intérimaires, par exemple, occupent les postes les plus dangereux et les plus pénibles. Les employeurs font souvent appel à eux quand les salariés refusent d'effectuer une mission qu'ils estiment dangereuse pour leur santé – manutention, risque chimique, etc.

Les salariés intérimaires n'ont pas accès à la connaissance des risques auxquels ils sont exposés ; en outre, aucune traçabilité n'est réalisée. Pourtant, la logique voudrait que le recueil des expositions soit consigné dans le dossier médical du travail.

Les textes sont pourtant clairs : les missions des services de santé au travail, définies par la loi de 2011, expliquent que la surveillance de l'état de santé doit être faite en fonction des risques et de l'effet de l'exposition à certains facteurs de risque.

Dans le décret d'application de la loi El Khomri sur les nouvelles modalités du suivi médical, l'objectif de la visite d'information de prévention est clairement indiqué : informer le salarié sur les risques éventuels auxquels l'expose son poste de travail – cela implique que le médecin ou l'infirmière est au courant de la nature du poste – et le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en oeuvre. Tout cela doit donc donner lieu à l'ouverture d'un dossier médical de santé au travail. Or je puis vous informer que, pour cette population précaire, cela n'est absolument pas fait, en raison de l'organisation des services de santé au travail ; ces salariés sont vus n'importe où, dans n'importe quel service et par n'importe quel médecin du travail. Il n'y a donc aucun suivi.

Il existe une certaine hypocrisie entre les textes, qui sont louables, et la réalité de l'organisation des services de santé au travail. La réalité est que plus le travailleur est précaire, moins bien il est surveillé par les services de santé au travail.

Il est surprenant qu'aucune mesure n'ait été prise, les textes étant justes et adaptés à l'évolution du travail. Cependant, aucun lien n'est fait avec le déficit d'organisation des services de santé au travail qui ne sont pas du tout conçus pour assurer de telles missions.

De la même façon, il est proposé, dans les ordonnances, un examen médical du travail au moment du départ à la retraite. Or je défie tout médecin du travail d'être en capacité de tracer le suivi médical d'un intérimaire – et même d'un salarié qui a toujours travaillé en CDI.

Nous recommandons de rétablir les fiches d'exposition, de réintroduire les quatre facteurs de risque pénibilité qui ont été supprimés et de réorganiser les services de santé au travail afin que les dossiers médicaux du travail soient correctement tenus, contiennent les éléments légaux et soient adaptés à l'exigence d'un suivi de qualité pour les travailleurs précaires – ce qui exigerait d'ouvrir un grand chantier.

Plus concrètement, il conviendrait d'extraire les services de santé interentreprises de la logique concurrentielle dans laquelle ils fonctionnent, de les organiser territorialement, de les mettre sous la double tutelle du travail et de la santé, et de les sortir de la gestion patronale pour les rattacher à la sécurité sociale, comme cela a été proposé par le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport de 2008.

L'état des lieux des maladies professionnelles a largement été fait. J'ajoute que l'un des nombreux facteurs concourant à la non-déclaration des maladies professionnelles est, bien entendu, la précarisation des salariés. Plus un salarié est précaire, moins il sera enclin à déclarer sa maladie professionnelle, notamment par crainte des conséquences sur son emploi.

La démarche de reconnaissance d'une maladie professionnelle est un vrai parcours du combattant, qu'il s'agisse du système des tableaux ou du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Le seuil de 25 % exigé pour le taux d'incapacité permanente exclut de la déclaration toutes sortes de maladies qui ne figurent pas dans un tableau, mais qui, pour autant, peuvent être d'origine professionnelle – ce qui est reconnu sur le plan scientifique. C'est le cas de la névralgie cervico-brachiale, trouble musculo-squelettique (TMS) authentiquement lié à certaines activités professionnelles, pour laquelle un salarié n'atteindra jamais 25 % ; une maladie impossible à déclarer donc. Un autre obstacle est l'obligation prouver la réalité de l'exposition devant le CRRMP : c'est très difficile quand les salariés ne connaissent pas les risques auxquels ils sont exposés.

Autre élément sur les maladies professionnelles : les travaux de la commission du COCT chargée de faire évoluer les tableaux sont très difficiles et la création de certains nouveaux tableaux rencontre des blocages majeurs. Le tableau sur le cancer du rein, par exemple, lié à l'exposition au trichloréthylène est prêt ; un consensus social a été trouvé, mais nous attendons sa publication depuis plus d'un an. La création d'un tableau sur la maladie de Parkinson pour les salariés du régime général exposés aux pesticides a été refusée fermement, alors qu'il en existe un pour le régime agricole.

Par ailleurs, l'étude des pathologies en lien avec les expositions professionnelles sur lesquelles les connaissances scientifiques sont solidement établies, comme par exemple les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO), est constamment repoussée. En revanche, les modifications qui ont été adoptées pour le tableau 57 – très défavorables aux salariés – sont passées en force ; ce qui dénote le climat extrêmement tendu qui règne dans cette commission.

La réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) est faible et injuste. Il existe une grande inégalité entre le système d'invalidité, qui dépend de l'assurance maladie, et la rente AT-MP qui est bien moins favorable pour les salariés. Et qui, de fait, pour de graves maladies, vont conduire les médecins à hésiter à aider le salarié à faire une déclaration de maladie professionnelle. Car si la maladie professionnelle est reconnue, le salarié devra rembourser la somme qu'il a perçue au titre de son invalidité. Une situation sociale inacceptable. Le taux d'incapacité permanente (IPP) devrait être le même que celui de l'invalidité, soit 67 %.

Nos préconisations sont les suivantes : abaisser à 10 % le taux minimal d'IPP permettant d'accéder au CRRMP – le mieux serait de le supprimer ; régler la question de l'invalidité et de la rente AT-MP ; donner les moyens aux caisses primaires d'assurance maladie de traiter correctement et rapidement les dossiers de demandes de reconnaissance des maladies professionnelles ; créer un tableau sur les BPCO, qui existe pour les mineurs de charbon, de fer, les salariés exposés aux textiles végétaux et ceux, et les plus touchés, qui travaillent dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) – démolition, asphaltage, etc. Il s'agit là de maladies fréquentes et invalidantes, et les nombreuses études sur cette question permettent d'élaborer un tableau.

Enfin, il conviendrait de créer un tableau sur les psychopathologies professionnelles – RPS, infarctus du myocarde et autres maladies cardiovasculaires – et de financer un programme de recherche sur les poly-expositions et les effets cocktails aux CMR, pesticides, perturbateurs endocriniens, et aux risques émergents tels que les nanoparticules.

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Michel Vergez, inspecteur du travail, représentant de SUD-Travail

Dans un débat de droit social, concernant notamment les politiques de santé publique et la santé des salariés, des contre-pouvoirs dans l'entreprise et des corps d'État dont la mission est de contrôler l'application de la réglementation sont nécessaires. Or nous assistons à un affaiblissement de l'ensemble de ces corps de contrôle et des contre-pouvoirs, notamment du fait de la disparition du CHSCT – ordonnance Macron de septembre 2017 qui vise à fusionner les instances.

Depuis ces quinze dernières années, les membres des CHSCT se sont approprié les règles et les outils de la prévention, ont approfondi leur connaissance des risques et ont développé des actions de prévention, notamment des actions en justice pour faire valoir les droits des salariés. Nous sommes convaincus que la disparition de cette instance est en lien très étroit avec cette évolution.

Il s'agit donc d'une régression sociale sans précédent depuis la Libération. Nous craignons, avec la fusion des instances, que les questions de santé au travail soient reléguées au deuxième, troisième voire quatrième plan ; le corollaire sera un accroissement important des atteintes à la santé et à la sécurité des salariés.

Si nous voulons mettre en oeuvre une réelle politique de santé publique dans le monde du travail, il est tout à fait indispensable de rétablir le CHSCT dans sa singularité et ses prérogatives antérieures, mais aussi d'accroître ses moyens de fonctionnement, notamment en heures de délégation et en formation de ses membres.

J'évoquerai maintenant les moyens de contrôle des infractions et des règles de protection de la santé des travailleurs, en matière de risques différés. Le contrôle est au coeur de la mission des inspecteurs du travail depuis la création de leur corps. Aujourd'hui, les effectifs sont insuffisants, puisque nous ne comptons plus que 1 700 agents généralistes, amenés à intervenir sur l'ensemble des risques professionnels, pour 18 millions de salariés et 1,8 million d'entreprises. Un nombre dérisoire.

Pour leur part, les ingénieurs de prévention, qui nous sont d'une aide précieuse, ne sont que 69, et les médecins inspecteurs du travail n'étaient plus, au 31 mars 2017, qu'une trentaine sur l'ensemble du territoire, outre-mer compris, alors que l'effectif théorique ciblé par la DGT et la DRH du ministère du travail est de 58. Par ailleurs, leur mission a évolué : ils passent beaucoup de temps sur les agréments des services de santé et n'ont plus le temps d'appuyer les inspecteurs et contrôleurs du travail ou pour exercer leur mission d'animation et de contrôle des médecins du travail. Les contestations d'inaptitude leur ont été retirées, mais ils y reviennent par le biais des instances engagées devant les conseils de prud'hommes.

Nous préconisons donc de doubler les effectifs des agents de contrôle généralistes de l'inspection du travail et d'augmenter fortement le nombre de médecins inspecteurs du travail et d'ingénieurs de prévention.

La justice du travail est à la peine – c'est un euphémisme. Globalement, la justice française est sinistrée, la France se classant parmi les derniers pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en termes de budget, par rapport à sa population. Dans cet appareil sinistré, la part du contentieux dans le domaine du droit du travail est très faible : c'est environ 1 % de l'ensemble du contentieux d'un TGI.

La formation des magistrats en droit du travail est très insuffisante. À l'École nationale de la magistrature, les futurs magistrats ne suivent aucun module en droit du travail. Il en résulte une prise en compte, par le juge, de la logique de prévention des risques professionnels notablement insuffisante. Une logique qui est pourtant au coeur des dispositions législatives et réglementaires du code du travail en matière de santé et de sécurité au travail.

Un juge a beaucoup de difficulté à comprendre que le fait qu'il doit sanctionner est l'exposition aux risques professionnels. Pour lui, s'il n'y a pas de réalisation du dommage, il ne sanctionne pas ; une fois encore, les risques différés ne sont pas pris en compte.

J'ai travaillé, il y a sept ou huit ans, dans le département des Hauts-de-Seine, le deuxième département de France pour le nombre d'entreprises. Une année, lors de la réunion des agents de contrôle de l'inspection du travail avec la parquetière qui nous exposait les priorités, elle a balayé d'un revers de la main les risques différés en nous disant : « Nous ne les traiterons pas ». Vous voyez le chemin qui reste à parcourir en ce domaine…

Les juges perçoivent très difficilement les enjeux liés au fonctionnement des instances représentatives, particulièrement en matière de santé au travail, ainsi que le degré de conflictualité qui existe sur ce sujet dans les entreprises. Je pense, par exemple, aux délits d'entrave commis par les employeurs, à la rétention d'informations, etc.

Nous souhaitons donc une augmentation des effectifs de la justice, notamment de ceux affectés spécifiquement au droit du travail, et des moyens alloués aux tribunaux. Il est également nécessaire de renforcer la formation théorique et pratique des juges en droit du travail, et particulièrement en matière de santé et de sécurité.

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Marie Pascual, médecin du travail, représentante de SUD-Travail

Je terminerai sur les inaptitudes liées aux maladies professionnelles. Un grand nombre d'inaptitudes surviennent après une altération de la santé, du fait des conditions de travail – TMS ou situations de souffrance au travail.

Juridiquement, en cas de restriction d'aptitude, l'avis du médecin du travail doit porter sur l'aménagement de poste, voire le reclassement. Or plus de 90 % des décisions d'inaptitude conduisent au licenciement. Pourtant, les textes sur l'obligation de maintien dans l'emploi sont clairs.

Il existe un réel paradoxe entre les objectifs des politiques publiques sur la prévention de la désinsertion professionnelle et la réalité, marquée par un grand nombre de licenciements pour inaptitude. Il conviendrait de faire une analyse globale ces inaptitudes : ce qui les a motivés, ce qui a empêché le maintien dans l'emploi, à quelle situation du travail cette inaptitude est vraiment liée, etc. De nombreux travailleurs sont licenciés après 50 ans pour des TMS. Par ailleurs, le préjudice professionnel n'est pas réparé par le système des AT-MP.

Dans la pratique des services de santé au travail, l'inaptitude fait écran à la prévention. Si ces salariés sortent de l'entreprise, cela nuit à la visibilité des risques professionnels et à la motivation pour faire de la prévention.

Enfin, le traitement du contentieux sur les avis du médecin du travail a été basculé de l'inspection du travail au conseil des prud'hommes. Une modification très défavorable aux salariés, le délai de saisine passant de deux mois à 15 jours, la procédure étant payante, et l'expert qui peut être réquisitionné n'étant pas un spécialiste de la problématique santé au travail.

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Je souhaite revenir sur votre corps de métier d'inspecteurs du travail. Concernant les questions relatives à la santé au travail, effectuez-vous des contrôles fréquemment, ou ces questions sont-elles reléguées au second plan ? Le nombre de constats sur d'autres infractions est-il vraiment plus important ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie de vos exposés, mais nous allons être obligés d'arrêter, les personnes que nous recevons ensuite étant arrivées.

Vos présentations sont complètes et vous avez abordé un très grand nombre de sujets. Je souhaiterais néanmoins que vous développiez la présentation de vos attributions. Quelles sont-elles précisément ? Vos protections et vos droits d'intervention sont-ils suffisants ? Et quel lien avez-vous avec les différents acteurs qui interviennent sur ces sujets ?

Je vous propose, étant donné le manque de temps, de nous répondre par écrit. Vous pourrez ainsi ajouter des compléments d'information si vous le souhaitez.

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Yves Sinigaglia, inspecteur du travail, membre du comité national de SUD-Travail

Nous ne sommes plus que 1 700 agents de contrôle, contre 2 270 en 2010. Nous avons perdu 500 personnes ! Donc quelles sont nos priorités ? Nous ne savons plus. En revanche, nous contrôlons moins de chantiers, moins d'entreprises à risque.

Les RPS mériteraient que nous ouvrions des enquêtes, mais nous n'avons pas le temps, car une telle enquête ne peut se faire qu'en deux mois, deux mois et demi.

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Yves Sinigaglia, inspecteur du travail, membre du comité national de SUD-Travail

Nous ne menons pas non plus d'enquêtes sur le harcèlement, ou seulement de façon exceptionnelle.

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Gérald le Corre, inspecteur du travail, représentant la CGT-TEFP

La demande sociale et la demande réglementaire – le nombre de décisions que nous devons prendre dans un certain délai – sont telles que nous devons travailler vite et de façon efficace. De fait, nous ne pouvons nous occuper que des demandes urgentes, telles que les risques immédiats. Sur un chantier du bâtiment, il est facile de constater un risque visible – par exemple un échafaudage non conforme. Nous pouvons rédiger en dix minutes une demande d'arrêt des travaux pour risque de chute de hauteur. En revanche, nous n'avons pas le temps de traiter le cas d'un salarié qui ponce du placoplâtre dans lequel peut se trouver de l'amiante. Nous renonçons donc, de nous-mêmes, à nous lancer dans des enquêtes longues, d'autant que les résultats judiciaires comme les résultats dans l'entreprise sont extrêmement insuffisants – ce qui nous décourage, disons-le clairement.

Toutes les plaintes sur l'amiante sont regroupées à Paris, or nous attendons toujours la décision sur la plainte liée à l'affaire Amisol en 1997. Nous vous avons parlé aujourd'hui de certains cas qui auront des effets différés dramatiques ; il s'agit des mêmes situations de travail, l'amiante ayant été remplacé par les fibres céramiques réfractaires. Et nous sommes toujours confrontés à la question de la charge de la preuve.

Si nous disposions des moyens d'interrompre les travaux en cas d'exposition au risque chimique, les employeurs mettraient en place les protections nécessaires, notamment du point de vue de la prévention du risque chimique ou de la manutention manuelle sur les chantiers du bâtiment.

L'audition s'achève à 14 heures 15.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 13 heures

Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Pierre Dharréville

Excusés. – M. Julien Borowczyk, M. Bertrand Bouyx, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Régis Juanico, Mme Stéphanie Rist, Mme Hélène Vainqueur-Christophe