Dans un débat de droit social, concernant notamment les politiques de santé publique et la santé des salariés, des contre-pouvoirs dans l'entreprise et des corps d'État dont la mission est de contrôler l'application de la réglementation sont nécessaires. Or nous assistons à un affaiblissement de l'ensemble de ces corps de contrôle et des contre-pouvoirs, notamment du fait de la disparition du CHSCT – ordonnance Macron de septembre 2017 qui vise à fusionner les instances.
Depuis ces quinze dernières années, les membres des CHSCT se sont approprié les règles et les outils de la prévention, ont approfondi leur connaissance des risques et ont développé des actions de prévention, notamment des actions en justice pour faire valoir les droits des salariés. Nous sommes convaincus que la disparition de cette instance est en lien très étroit avec cette évolution.
Il s'agit donc d'une régression sociale sans précédent depuis la Libération. Nous craignons, avec la fusion des instances, que les questions de santé au travail soient reléguées au deuxième, troisième voire quatrième plan ; le corollaire sera un accroissement important des atteintes à la santé et à la sécurité des salariés.
Si nous voulons mettre en oeuvre une réelle politique de santé publique dans le monde du travail, il est tout à fait indispensable de rétablir le CHSCT dans sa singularité et ses prérogatives antérieures, mais aussi d'accroître ses moyens de fonctionnement, notamment en heures de délégation et en formation de ses membres.
J'évoquerai maintenant les moyens de contrôle des infractions et des règles de protection de la santé des travailleurs, en matière de risques différés. Le contrôle est au coeur de la mission des inspecteurs du travail depuis la création de leur corps. Aujourd'hui, les effectifs sont insuffisants, puisque nous ne comptons plus que 1 700 agents généralistes, amenés à intervenir sur l'ensemble des risques professionnels, pour 18 millions de salariés et 1,8 million d'entreprises. Un nombre dérisoire.
Pour leur part, les ingénieurs de prévention, qui nous sont d'une aide précieuse, ne sont que 69, et les médecins inspecteurs du travail n'étaient plus, au 31 mars 2017, qu'une trentaine sur l'ensemble du territoire, outre-mer compris, alors que l'effectif théorique ciblé par la DGT et la DRH du ministère du travail est de 58. Par ailleurs, leur mission a évolué : ils passent beaucoup de temps sur les agréments des services de santé et n'ont plus le temps d'appuyer les inspecteurs et contrôleurs du travail ou pour exercer leur mission d'animation et de contrôle des médecins du travail. Les contestations d'inaptitude leur ont été retirées, mais ils y reviennent par le biais des instances engagées devant les conseils de prud'hommes.
Nous préconisons donc de doubler les effectifs des agents de contrôle généralistes de l'inspection du travail et d'augmenter fortement le nombre de médecins inspecteurs du travail et d'ingénieurs de prévention.
La justice du travail est à la peine – c'est un euphémisme. Globalement, la justice française est sinistrée, la France se classant parmi les derniers pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en termes de budget, par rapport à sa population. Dans cet appareil sinistré, la part du contentieux dans le domaine du droit du travail est très faible : c'est environ 1 % de l'ensemble du contentieux d'un TGI.
La formation des magistrats en droit du travail est très insuffisante. À l'École nationale de la magistrature, les futurs magistrats ne suivent aucun module en droit du travail. Il en résulte une prise en compte, par le juge, de la logique de prévention des risques professionnels notablement insuffisante. Une logique qui est pourtant au coeur des dispositions législatives et réglementaires du code du travail en matière de santé et de sécurité au travail.
Un juge a beaucoup de difficulté à comprendre que le fait qu'il doit sanctionner est l'exposition aux risques professionnels. Pour lui, s'il n'y a pas de réalisation du dommage, il ne sanctionne pas ; une fois encore, les risques différés ne sont pas pris en compte.
J'ai travaillé, il y a sept ou huit ans, dans le département des Hauts-de-Seine, le deuxième département de France pour le nombre d'entreprises. Une année, lors de la réunion des agents de contrôle de l'inspection du travail avec la parquetière qui nous exposait les priorités, elle a balayé d'un revers de la main les risques différés en nous disant : « Nous ne les traiterons pas ». Vous voyez le chemin qui reste à parcourir en ce domaine…
Les juges perçoivent très difficilement les enjeux liés au fonctionnement des instances représentatives, particulièrement en matière de santé au travail, ainsi que le degré de conflictualité qui existe sur ce sujet dans les entreprises. Je pense, par exemple, aux délits d'entrave commis par les employeurs, à la rétention d'informations, etc.
Nous souhaitons donc une augmentation des effectifs de la justice, notamment de ceux affectés spécifiquement au droit du travail, et des moyens alloués aux tribunaux. Il est également nécessaire de renforcer la formation théorique et pratique des juges en droit du travail, et particulièrement en matière de santé et de sécurité.