Je parlerai de la gestion des déchets radioactifs, qui a toujours été considérée dans le domaine nucléaire comme une question triviale et donc comme le parent pauvre du cycle nucléaire, depuis la mine jusqu'au retraitement du combustible. On s'occupait d'entreposer les déchets afin de réduire les risques pour les personnes qui travaillent alentour, et donc pour empêcher les nuisances immédiates, mais personne ne se préoccupait de savoir comment récupérer ces déchets une fois stockés là où ils étaient, comment les caractériser et encore moins comme les conditionner en conditionnement ultime. De nombreux déchets sont donc restés des années en l'état – dans deux cas au moins, pendant des décennies – ce qui a permis de ne découvrir que très tard la complexité et la quasi impossibilité de s'en débarrasser.
Prenons le cas des boues de la station de traitement des effluents de La Hague, dite station n°2, la première étant à Marcoule. À chaque fois que l'on a des effluents radioactifs, La Hague peut faire des rejets en mer synchrones avec les marées. Mais pour en rejeter le moins possible, on fait des traitements chimiques par lequel on parvient à extraire à peu près 95 % de la charge de ces effluents. Cinq pour cent sont donc rejetés en mer, et ce qui a co-précipité forme des boues que l'on a jusqu'à présent entreposées dans des silos. On a ainsi rempli 9 300 mètres cubes, soit 3 300 tonnes de boues qui sont tout sauf banales. On y trouve 97 kilos de plutonium, 37 kilos de neptunium – un émetteur alpha qui a une demi-vie de 2,1 millions d'années – et d'autres produits tels que l'américium ou le curium : tout ce que l'on trouve dans les combustibles irradiés s'y trouve en cocktail réduit. Á cela s'ajoutent tous les produits chimiques qui ont été utilisés pour faire la co-précipitation, et il y en a aussi un bouquet parce que les techniques ont changé au fil des ans. Tous ces produits ont sédimenté et ont été mal caractérisés et l'on essaye aujourd'hui d'en faire quelque chose.
L'IRSN a, le premier, souligné ce problème en 2009, étudiant ce que l'on pouvait faire de ces boues. Il a été décidé de les récupérer, de les assécher, d'en faire des petits cylindres et de les placer dans les conteneurs standard de déchets pour les conditionner comme on conditionne les déchets vitrifiés et les déchets compactés. Mais il y a un ennui : on ne peut les assécher totalement car il y a beaucoup de rayonnements alpha qui cassent les molécules d'eau et libèrent de l'hydrogène – et l'hydrogène, mélangé à l'air à 4 %, explose ou brûle spontanément. Aussi, pour l'instant, il n'y a pas d'accord sur la technique. On va les conditionner quand même, de manière provisoire, mais je ne sais pas comment ils vont s'en sortir, parce que ces déchets relèvent d'un stockage géologique. L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) applique un arrêté selon lequel tout déchet dont l'activité est comprise entre 1 million et 1 milliard de becquerels par gramme doit faire l'objet d'un stockage géologique. En l'espèce, on est autour de 30 millions de becquerels par gramme ; il faudra donc stocker ces déchets en couches géologiques mais on ne va pas le faire pour l'instant. Certains des produits chimiques présents sont très agressifs, et il y a aussi du tributylphosphate (TBP), l'agent chélateur qui a permis d'extraire le plutonium. Mais comme il en est parti dans les effluents, il y en a dans les boues, et si on stocke tout cela en couche géologique profonde et que de l'eau arrive, le TBP risque de mobiliser à nouveau le plutonium et d'en faciliter la diffusion. Pour ces raisons, il est vraisemblable que l'on n'acceptera pas ce mode de stockage. C'est l'exemple de la complexité d'un déchet que l'on n'a pas voulu étudier et que l'on a sur les bras sans savoir comment régler la question.
Le deuxième problème est celui du silo situé au nord-ouest du site de La Hague. On y mettait des déchets technologiques résultant du retraitement des combustibles graphite-gaz. On coupait les deux extrémités d'une sorte de cylindre pour que l'acide nitrique attaque le combustible, et l'on jetait à la fois ces embouts métalliques et la chemise de graphite dans ce qui était un stockage à sec. Un jour, le feu pris dans ce graphite. Il est très difficile que le graphite prenne feu, mais quand il a pris, il est très difficile de l'éteindre. La seule solution possible a été de noyer la fosse avec 1 400 mètres cubes d'eau et, depuis le 6 janvier 1981, il y a toujours cette piscine dans un stockage à sec.
En 2005, l'ASN a demandé la reprise de ces déchets ; sa demande est restée sans réponse. En 2010, l'Autorité a fait un calendrier précisant les étapes exigées et leur calendrier ; constatant en avril 2013 qu'il ne s'était toujours rien passé, elle a mis Areva en demeure de mettre au moins en place les moyens de surveiller l'étanchéité de cette fosse qui n'avait pas été prévue pour un stockage humide, car elle contient du strontium 90, lequel file très vite dans la terre. L'ASN veut au moins savoir si de l'eau sort sous cette fosse ; sa demande est restée sans effet : le rapport 2017 de l'Autorité indique qu'une inspection menée en juin 2016 a montré que tout était resté en l'état. Je crois savoir que l'on a commencé à construire une cellule de reprise, mais, pendant 37 ans, sept directeurs du site successifs se sont passé cette patate chaude et elle est toujours là.
Voilà pour ces deux situations, mais il est bien d'autres cas où l'on a des déchets, que l'on met dans un coin, couvre d'eau, de béton ou de je sais quoi d'autre pour que les personnels qui travaillent sur le site ne soient pas irradiés, et que l'on oublie.
Un mot aussi sur les piscines d'entreposage de La Hague. Plus de 9 700 tonnes de combustible irradié y ont été stockées depuis sept ou huit ans. Si l'on prend pour unité de compte le coeur d'un réacteur en calculant un coeur hypothétique pondéré de 34 900 mégawatts, on obtient un tonnage. On se rend alors compte qu'il y a l'équivalent de 117 coeurs dans ces quatre piscines, soit 1,06 fois la valeur des coeurs qui sont dans les 58 réacteurs des 19 centrales nucléaires d'EDF – à la fois le coeur en place et ceux qui ont été déchargés dans les piscines –, de surcroît dans un tout petit espace comparé à celui qu'occupent les 19 centrales réparties dans la France entière.
Même si on le demandait, on ne pourrait bunkeriser ces piscines parce qu'il n'est plus possible de couler du béton au-dessus de quatre piscines contenant 9 700 tonnes de combustible irradié. Quand ces piscines ont été conçues, dans les années 1980, bien avant, donc, les attentats du 11 septembre 2001, on n'a pas posé aux ingénieurs concepteurs le problème du risque de malveillance grave. Si on le leur avait signalé, ils auraient trouvé une solution. Ils en ont trouvé une pour contrer le risque que poserait un séisme : en un tel cas, il faut éviter que des déchets de structures tombent dans la piscine, endommageant la piscine elle-même ou le combustible ; ils ont donc imaginé une structure métallique recouverte de tôles qui, si elles tombent, ne feront pas de gros dégâts. On ne peut pas leur jeter la pierre, si j'ose dire, si le problème d'un acte de malveillance commis par lancer de roquette ou de bombe ne leur a pas été posé.
Je vous parlerai enfin du plutonium. Entre 2008 et 2011, il y avait en moyenne 37,2 tonnes de plutonium « sur l'étagère », stocké sous forme de dioxyde de plutonium dans un système bunkerisé. La consigne était jusqu'à présent de limiter la production de plutonium strictement au besoin, qui est de faire du combustible MOX ; mais depuis 2011, la production de plutonium a augmenté de 19 %. J'ignore pourquoi – peut-être est-ce la nouvelle méthode pour dégager les piscines d'EDF ou celle de La Hague – mais cela pose un problème. Dans les bilans relatifs à La Hague, vous aurez beaucoup de mal à trouver les données relatives au plutonium. J'ai tenté de les rassembler dans le document que j'ai rédigé à votre intention. Vous y lirez qu'il y a notamment des combustibles MOX « rebutés ». Tout crayon de combustible fabriqué par l'usine Melox qui ne répond pas aux normes de qualité n'est pas accepté ; en ce cas, on réunit deux de ces pastilles d'oxyde mixte plutonium-uranium dans un tube, et de ces tubes on fait un « assemblage rebuté ». Ces assemblages représentent aujourd'hui quelque 270 tonnes, toutes immergées dans la première piscine de La Hague.