Voyons le système existant. Un incident se produit, ou une demande d'exclusion de rupture est faite. Il faut analyser la chose. L'ASN s'en empare et pose la question à l'IRSN qui étudie la question – cela peut durer plusieurs mois – et donne son jugement. Avant de revenir à l'ASN, l'analyse passe par le filtre des groupes d'experts. On parle peu de ces groupes d'experts, qui sont très « homogènes » avec le milieu nucléaire : beaucoup d'entre eux viennent d'EDF, du CEA, de l'ASN. Je considère, comme je l'ai écrit dans une note sur la sûreté que je vous ai transmise il y a un certain temps, que ces groupes d'experts jouent le rôle de juges entre EDF et l'IRSN. C'est en fonction du jugement de ces groupes à mon avis très conservateurs – au sens de favorables à l'exploitant – que l'ASN prend sa décision. Hormis quelques rares experts indépendants – Yves Marignac, Monique Sené, Jean-Claude Autret – les experts sont issus du milieu nucléaire. On pourrait se passer des groupes d'experts : l'ASN demanderait l'avis de l'IRSN et prendrait sa décision. La composition de ces groupes qui doivent prétendument exprimer un jugement extérieur plus indépendant n'est, à mon avis, pas assez diverse, et j'ai plusieurs exemples de jugements par groupes d'experts faits « à la louche ».
Parler de la proportion d'experts indépendants dans ces groupes, c'est poser la question générale de l'expertise indépendante sur le nucléaire en France, laquelle n'existe pratiquement pas. Elle est le fait de quelques personnes, dont quelques retraités qui ont les moyens d'intervenir, mais il n'y a pas de gens qui en feraient leur métier. Pourquoi cela ? Parce que celui qui intervient sur cette question de manière critique n'a plus de contrats avec qui que ce soit. Le Parlement doit donc s'interroger sur les moyens de susciter une expertise indépendante, laquelle doit être rémunérée. M. Yves Marignac, expert indépendant dans les groupes d'experts de l'ASN, n'est pas rémunéré, ce qui est totalement anormal puisqu'il consacre à cette tâche le quart de son temps, l'analyse de ces énormes dossiers, faite sérieusement, représentant un travail considérable. On comprend pourquoi les experts indépendants sont des retraités d'un âge canonique. Je n'ai rien contre les experts vieillissants, mais cette situation est anormale. Il faut susciter des experts indépendants, car personne à l'Université non plus qu'au CNRS ne portera un jugement critique sur tel aspect ou tel autre, parce qu'il aura des problèmes. Il y a donc un sérieux problème d'expertise indépendante.