Pour ce qui est des déchets, on se rend compte qu'il faut entièrement repenser le système nucléaire français, fondé sur les réacteurs graphite-gaz puis sur les réacteurs à eau et sur un cycle du combustible dont, très rapidement, d'abord pour des besoins militaires puis pour le surgénérateur, le retraitement a été la clé de voûte.
Donc, on retraite, on produit du plutonium pour le surgénérateur et cela ne fonctionne pas, et l'on fabrique du MOX, lequel ennuie tout le monde, EDF compris, car cela ne présente aucun intérêt. EDF ne le dit jamais, ou jamais ouvertement, mais il est de notoriété publique que ce combustible est très compliqué à fabriquer et à manier, qu'il est très chaud, qu'il faut des chargements différents… L'autre aberration consiste à dire que l'on va en finir avec le MOX dans les réacteurs de 900 mégawatts et le mettre dans les réacteurs de 1 300 mégawatts. C'est ahurissant : cela suppose de modifier l'usine Melox, cela pose des problèmes pratiques et industriels, il y a des risques de sûreté, la criticité est plus élevée, mais le Gouvernement continue de dire qu'il est stratégique de poursuivre la fabrication de MOX. C'est incompréhensible.
Au cours de l'une des auditions que vous avez tenues, vous avez posé la question de l'utilité de cette fabrication. Il y a d'un côté La Hague avec ses quatre piscines, ses problèmes de plutonium, ses silos, et les évaporations dont Jean-Claude Zerbib pourrait vous entretenir jusqu'à la nuit, de l'autre le mythe du surgénérateur, dont on sait très bien qu'il ne présente aucun intérêt parce qu'il sera extrêmement cher et très dangereux – M. Chevet a dit que la combinaison plutonium-sodium est ce que l'on peut trouver de plus stupide pour faire de l'électricité. La première réponse à votre question est donc qu'il faut rediscuter de ce système. Il y a probablement une querelle cachée entre une croyance du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) fondée sur l'avenir des surgénérateurs et EDF qui, ayant déjà du mal à se débrouiller avec l'EPR, n'a à mon avis aucune envie de faire ni Astrid, ni la suite.
Cela a des conséquences pour les déchets. Le retraitement devient une exception française dans le monde occidental : le Royaume-Uni va l'arrêter, au Japon il ne démarrera jamais puisque, depuis vingt-cinq ans, il est retardé d'année en année – et encore les Japonais y pensent-ils pour d'autres raisons que le plaisir du site du nucléaire civil – et ni les Américains, ni les Allemands, ni les Suédois, ni les Coréens ne le pratiquent.
L'hypothèse de la piscine de Belleville est probablement liée à cette question cruciale. Que va-t-on faire du MOX venu d'un peu partout ? Continue-t-on d'en fabriquer ou non ? La manière dont on répond à cette question entraîne des conséquences très différentes. Si l'on ne continue pas, peut-être n'est-il pas nécessaire de construire cette énorme piscine. Et à quoi sert d'envoyer le combustible ordinaire à La Hague pour en faire ce fameux MOX qui, je l'ai dit, ne présente aucun intérêt, qui n'est pas recyclé mais stocké, qui est beaucoup plus dangereux après le traitement qu'il ne l'était au départ et qui, dans l'ensemble du circuit, n'économise que 20 % de plutonium en quantité mais accroît la teneur de radioactivité ? Arrêtons cela ! Pourquoi, pour une fois, ne pas faire comme les autres ? Ce n'est pas nécessairement imbécile, surtout si l'on se penche sur l'« excellence française » tant vantée.
L'excellence française sur les réacteurs a été grandiose, mais nous avons pris la licence américaine : les réacteurs français sont des réacteurs Westhinghouse, sauf l'EPR, dont on connaît le remarquable succès technique. Pour ce qui est de l'enrichissement de l'uranium, on a choisi la technique de la diffusion gazeuse, qui a coûté très cher puisqu'il a fallu construire Tricastin pour l'alimenter en électricité puis, il y a quelques années, on est passé à la technologie des centrifugeuses hollandaises ; exit, alors, l'enrichissement français. Enfin, l'autre exception française d'excellence, c'est le retraitement, qui aboutit à l'impasse actuelle ; arrêtons cela, ce qui nous libérera de l'hypothèque MOX qui n'a d'intérêt pour personne, si ce n'est, peut-être, de faire vivre Orano quelques années de plus. Alors on stockera en piscine dans le bâtiment du réacteur, ce qui pose la question de la protection, ou non, du bâtiment réacteur ; et on passera ensuite au stockage à sec des combustibles irradiés, la solution de plus en plus pratiquée aux États-Unis, dans des conteneurs fabriqués en particulier par Areva.