Madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, rendre notre droit plus juste, c'est la mission qui nous est confiée avec notre mandat de parlementaires.
Je ne reviendrai pas sur chacune des étapes de l'élaboration de ce texte. J'ai notamment un souvenir ému d'un débat, en commission des affaires économiques, sur les alinéas 27 et suivants de l'article 1er : nous avons passé une heure et quart à discuter de l'opportunité de remplacer la locution « y compris » par la conjonction « ou » – débat que d'aucuns ont pu trouver surréaliste.
Si nous avons insisté, si nous avons mené bataille sur chaque mot, si nous avons défendu des amendements visant à améliorer ce texte, c'est que nous avons une expérience dans ce domaine, dont je veux témoigner aujourd'hui. Le Gouvernement y a du reste rendu hommage, de même que les députés siégeant sur les bancs de la majorité et jusqu'à nos collègues communistes : je pense à la loi Sapin 2.
Nous avons alors franchi des obstacles qui étaient au moins aussi importants que ceux qui sont liés à l'application de cette directive européenne, et nous l'avons fait – je tiens à le rappeler – dans une quasi-unanimité. Je pense aux dispositions sur les lanceurs d'alerte, et aux mesures que j'ai défendues pour lutter contre les fonds vautours. Je pense aussi aux dispositions – malheureusement annulées par le Conseil constitutionnel – sur la transparence des holdings, construites sur le modèle des dispositions que nous avions adoptées dans le cadre de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Sur tous ces sujets, nous avons réussi à avancer, nous avons trouvé des accords, alors même que l'Assemblée était structurée par une opposition duale entre la gauche et la droite. Avec les autres co-rapporteurs de la loi Sapin 2, nous avons pris le temps de dialoguer avec l'opposition et avec la société civile, pour rédiger des dispositions conformes à la Constitution, compatibles avec le droit européen. Ces dispositions ont hissé la France au niveau des meilleurs standards européens, et certaines innovations – je pense à la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres – font école de par le monde.
Je me félicite d'avoir employé cette méthode, à qui ont rendu hommage tous les experts, la presse, le monde juridique et les ONG. Nous avons travaillé avec une forme d'humilité : nous n'étions pas sûrs d'avoir les bonnes réponses. C'est pourquoi nous avons cherché ensemble les formulations les plus pertinentes.
Je crois peu, monsieur le rapporteur, à votre thèse selon laquelle les gens qui s'opposent à cette proposition de loi sont mal informés ou malintentionnés. Je ne donne pas non plus totalement crédit à la thèse d'une manipulation qui donnerait pouvoir au grand capital sur la Commission européenne. Certes, il y a une part de vérité là-dedans, mais je ne veux pas sombrer dans le manichéisme et les caricatures. Quoi qu'il en soit, dans ce cas précis, pour concilier la liberté d'entreprise et les libertés publiques, nous aurions pu trouver les voies d'un dialogue, afin d'aboutir à d'autres rédactions, permettant de franchir tous les obstacles.
Je dirai avec humour que la presse qui dénonce ce que vous faites aujourd'hui ne semble pas par ailleurs, au regard de notre activité législative générale, forcément hostile au quotidien à cette majorité. Nous avons même le sentiment, à gauche dans notre diversité, que c'est tout le contraire : la presse est plutôt bienveillante avec le Président de la république et avec votre majorité. Mais elle s'est dressée pour dire qu'elle n'était pas d'accord parce qu'il y avait un risque de dérive.
J'ai trouvé une comparaison, madame la ministre, dans un domaine où vous êtes experte et reconnue, celui de la clôture et de l'ouverture : on retrouve le même dilemme lorsqu'il s'agit de protéger la dignité des personnes mais aussi l'intimité d'un foyer. On ne pénètre pas dans une maison ou dans une famille sans avoir des raisons majeures de le faire parce que l'intimité est une part de la liberté et de la dignité. Néanmoins, on sait que parfois, en raison d'actes répréhensibles commis au sein du foyer – violences conjugales, crimes contre les enfants – , il faut violer cette intimité pour éviter des viols et d'autres violences. Face à cette architecture difficile qui doit harmoniser clôture et ouverture, nous pensons que la réalité de l'entreprise d'aujourd'hui, c'est qu'il s'agit de superpuissances et que les États et les nations sont, eux, comme le droit international, fragiles, et nous pensons que s'il y avait un risque, il fallait le prendre du côté de la liberté de dénoncer et d'annoncer.
Je voudrais rendre hommage non seulement à des associations comme Sherpa dans l'affaire Lafarge mais également à Dorothée Myriam Kellou qui a obtenu – ex aequo avec le consortium international des journalistes d'investigation pour les Panama Papers – , le premier prix Trace de la presse d'investigation pour l'affaire Lafarge. Cette jeune journaliste qui vient de ma région et que j'ai le bonheur de connaître a fait preuve d'un courage extraordinaire, et j'espère que ce que notre assemblée s'apprête à voter n'aurait pas minimisé pas sa capacité à dénoncer l'ignominie d'un groupe susceptible, en tant que personne morale, d'être mis en examen dans les semaines qui viennent.
En conclusion, je tiens à vous mettre en garde, chers collègues de la majorité : si vous ne dialoguez pas avec l'opposition mieux que depuis le début de cette législature, vous risquez de donner l'impression – voyez à quel point je prends des précautions oratoires – d'être doux avec les puissants et, dans la réforme PACTE – le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – , ce qui est annoncé en termes de raison d'être de l'entreprise et d'ouverture à d'autres finalités que le profit, n'apparaître que déclamatoire. Je vous invite vraiment, dans le contexte de cette nouvelle loi sur la protection du secret des affaires et la future loi PACTE, à être attentifs et à écouter l'opposition de gauche afin d'éviter cette dérive profonde de notre république et de l'État de droit que serait le fait d'être doux avec les puissants et durs avec la démocratie et l'utilisation des armes dont elle s'est dotée.