Le retraitement est propre à la France, très peu de pays sur la planète retraitent. Pour répondre à votre question, oui on peut s'en passer. Pour preuve, les États-Unis qui comptent le double de centrales ne retraitent pas ni non plus les pays scandinaves, la Chine, l'Inde ou le Canada. Quant à la Grande-Bretagne, elle a cessé de retraiter.
Quel est l'intérêt du retraitement ? Un groupe du HCTISN travaille sur la sécurité nucléaire. L'idée consiste à remettre à jour le rapport de 2010 du Haut Comité. Selon le bilan, une dizaine de tonnes de plutonium sur 1 200 tonnes de combustibles est recyclée annuellement, soit un pourcentage très faible, moins de 1 %. En termes d'impact sur la gestion des déchets, nous ne récupérons donc que 1 % que nous réutilisons dans les réacteurs. C'est très faible.
Ce plutonium est mélangé à de l'uranium appauvri plutôt qu'à de l'uranium neuf ; nous arrivons à économiser à peu près 10 % d'uranium neuf, seul point positif que je vois au retraitement ; il n'en reste pas moins que c'est peu.
Pour l'industrie nucléaire, plus de 90 % de ce qui est produit par les réacteurs ne sont pas classés « déchets » mais matières dites valorisables et qui ne sont pas valorisées. En fait, c'est « du blanchiment ». Cela permet d'affirmer que l'ensemble des déchets tient dans une piscine olympique et que tout va bien. On pense que la surgénération pourra retraiter le Mox et, bien sûr, on sait retraiter le MOx, mais cela n'excède jamais un tour de recyclage. Il en va de même de l'uranium de retraitement qui, après un passage dans la centrale de Cruas, n'est pas retraité non plus après un tour du cycle.
L'avenir repose sur le rêve de la surgénération, ces réacteurs à sodium liquide qui devraient pouvoir tout consommer. L'idée des surgénérateurs date des années 50 ; or, aucun ne fonctionne au stade industriel. Imaginez qu'ASTRID – acronyme de l'anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration – démarre et que l'on parvienne à déployer un parc industriel de surgénérateurs : il se sera passé cent ans entre l'idée le déploiement ! Je ne connais pas beaucoup d'industries qui ont besoin de cent ans de recherche et de développement avant de voir le jour. Personnellement, je ne crois pas à un retraitement à l'infini et d'énergie illimitée par le retraitement. En outre, le réacteur ASTRID est intrinsèquement dangereux. Le refroidissement est assuré par du sodium liquide qui s'enflamme spontanément à l'air et explose dans l'eau. Si un surgénérateur au sodium liquide avait été utilisé à Fukushima, on ne parlerait plus du nord-est du Japon !
Se pose également la question du coefficient de vide positif sur le modèle du réacteur de Tchernobyl. Dans l'hypothèse d'un défaut de refroidissement, la température monte, engendrant un emballement des réactions nucléaires. Les réacteurs français, au contraire, sont à un coefficient de vide négatif. Sans air de refroidissement, la température monte, mais les réactions nucléaires ne se multiplient pas. À coefficient 8 positif, ASTRID s'emballerait comme l'a fait la centrale de Tchernobyl. S'il y avait une bulle d'air et un défaut de refroidissement au sodium, les réactions nucléaires se multiplieraient et dégageraient plus de chaleur. C'est un retour en arrière. Selon moi, ASTRID pose des problèmes de sûreté qui sont insurmontables. C'est pourquoi ce réacteur a au minimum cent ans de retard. Je ne crois pas à un tel système.
En France, Superphénix a été un échec. Au Japon, en vingt-cinq ans, le surgénérateur Monju a fonctionné dix mois et consommé des milliards d'euros.
Si nous ne conservons pas ASTRID, tout s'effondrera comme un château de cartes et tout ce qui était classé matières valorisables deviendra des déchets qu'il faudra gérer. C'est la raison pour laquelle nous sommes placés dans une situation excessivement fragile qui repose sur le mythe de la surgénération. L'ensemble du système doit être repensé.