Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ASN
  • CLI
  • PPI
  • centrale
  • exploitant
  • hague
  • nucléaire
  • rejets
  • sûreté

La réunion

Source

La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a entendu M. David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO).

L'ACRO est un laboratoire indépendant d'analyse de la radioactivité basé à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen. Elle fut créée peu après l'accident de Tchernobyl, en réaction à une carence en informations et en moyens de contrôle de la radioactivité localement adaptés à la situation, le tout dans un contexte de crise de confiance.

L'association effectue une surveillance des rejets des installations nucléaires en associant les riverains, surtout dans l'Ouest de la France : usine de La Hague, centrale nucléaire de Flamanville, mais aussi de Gravelines, etc. Elle effectue également de nombreuses expertises dans toute la France et au niveau international. Elle s'est impliquée au Japon à la suite de la catastrophe de Fukushima.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, monsieur Boilley, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. David Boilley prête serment.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vais maintenant vous donner la parole pour un exposé liminaire que je vous propose de limiter à quelques minutes.

Je donnerai ensuite la parole à Mme la rapporteure qui vous posera un certain nombre de questions, puis les autres membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

L'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest effectue une surveillance citoyenne de la radioactivité dans l'environnement depuis la catastrophe de Tchernobyl en 1986 et assure un travail de vigilance dans plusieurs structures officielles, tels que le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) ou les commissions locales d'information (CLI) de la région. Les membres de l'association siègent également dans des groupes permanents, par exemple sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), au comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle (CODIRPA). Aussi notre démarche est-elle de dialogue avec les institutions. Je siège moi-même au comité d'orientation des recherches de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Ce travail de science citoyenne s'effectue avec les populations riveraines qui forment un réseau de plusieurs centaines de préleveurs volontaires et qui participent donc régulièrement au suivi et à la vigilance citoyenne de la radioactivité dans l'environnement. À l'étranger, après la catastrophe de Fukushima, nous avons ouvert un laboratoire à Tokyo.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les membres de la commission se sont rendus à Fukushima. Nous avons été informés des retours d'expérience que les Japonais ont tirés des suites de cette catastrophe ; ils sont très intéressants, en regard notamment des travaux de notre commission d'enquête.

Vous qui menez un partenariat très actif avec le Japon, quels sont vos retours d'expérience et quelles sont les améliorations nécessaires à notre sûreté et à notre sécurité ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Après la catastrophe de Fukushima, des dogmes sur la sûreté nucléaire ont été remis en cause. On considérait que la catastrophe de Tchernobyl avait eu lieu parce que le projet était soviétique et les réacteurs d'un type différent. On considérait qu'il était quasiment impossible de connaître un accident aussi grave dans une centrale nucléaire occidentale. Le fait que la catastrophe ait eu lieu dans un pays très avancé technologiquement, un pays dont la technologie est très proche de celle utilisée en Europe, a été un choc pour de nombreuses personnes. L'ordre de grandeur des rejets est similaire à Fukushima et à Tchernobyl, 10 % à 40 % des rejets de Tchernobyl. Le Japon a eu la chance que 80 % des rejets soient retombés dans le Pacifique. En Europe, les vents dominants ne sont pas toujours orientés vers l'océan.

Une catastrophe grave due à un réacteur semblable au nôtre est possible, et aurait des conséquences transfrontalières. La catastrophe a donc remis en cause nombre de dogmes. Sur le plan européen, des évaluations complémentaires de sûreté ont été une démarche très positive, d'autant plus intéressantes qu'elles reposent sur un regard croisé. Nous déplorons toutefois la lenteur du déploiement des mesures demandées à EDF. C'est ainsi que l'installation des diesels d'ultime secours n'est pas achevée et qu'aucune des salles de contrôle bunkérisées prévues n'est en service. Le calendrier de mise en oeuvre est très lent. Nous espérons qu'aucune catastrophe n'interviendra d'ici son achèvement. C'est le principal problème qui se pose en termes de sûreté.

La cinquième barrière de protection dans la doctrine de défense en profondeur repose sur les plans d'urgence. Dans la mesure où ces plans n'ont pas fait l'objet de dialogues croisés au plan européen, des progrès considérables restent à réaliser. Relevons également l'absence de dialogue avec les populations alors qu'elles sont les premières concernées. Quant aux mesures prises en France, elles ne sont pas à la hauteur, ne serait-ce que pour la distribution de comprimés d'iode. La Suisse est passée d'un rayon de distribution de 20 à 50 kilomètres, la Belgique de 20 à 100 kilomètres, soit l'ensemble de son territoire, alors que la France passera de 10 à 20 kilomètres. C'est un exemple typique du retard de la France s'agissant des plans d'urgence.

La catastrophe de Fukushima a également mis au jour une réelle perte de confiance de la population et une forte demande de mesures indépendantes. C'est pourquoi l'ACRO a ouvert un laboratoire sur place. Une présence d'expertises indépendantes avant une catastrophe est indispensable. Il faut absolument la maintenir. Tous les plans de gestion à long terme des catastrophes nucléaires marquent la nécessité d'impliquer les populations. Selon nous, il est nécessaire de les impliquer avant.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous nous avez fourni un rapport très documenté réalisé par l'ACRO en 2016 sur les plans d'urgence nucléaires en France.

Selon vous, quelles sont les améliorations à apporter à ces plans d'urgence ? Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Nous avons réalisé cette étude pour l'Association nationale des comités et des commissions locales d'information (ANCCLI), puis une étude similaire pour Greenpeace, en Belgique et en Inde ; nous avons par ailleurs analysé le plan d'urgence de l'Ontario. Ces études dans quatre pays en l'espace de quelques années nous ont permis de croiser les expériences internationales et de relever de bonnes pratiques dans des pays, autres que la France, ou des pratiques françaises qui ne s'appliquent pas ailleurs. Nous bénéficions donc d'un regard croisé et de l'expérience de la catastrophe de Fukushima.

Le premier enseignement que nous tirons réside dans le sous-dimensionnement des plans particuliers d'intervention (PPI) en cas d'accident grave. La distance d'évacuation prévue par les PPI est de cinq kilomètres. Au Japon, les évacuations ont été réalisées jusqu'à 45 kilomètres sous les vents dominants, la limite d'évacuation étant plus élevée que celle qui se serait appliquée en France en cas de catastrophe. En France, nous aurions dû évacuer au-delà de 50 kilomètres sous les vents dominants.

Autre grande leçon de la catastrophe de Fukushima, les personnes vulnérables sont les plus fragiles. L'hôpital de Futaba est situé à deux kilomètres de la centrale de Fukushima Daiichi. L'évacuation de l'hôpital et de la maison de retraite a engendré 50 décès immédiats. Certes, la catastrophe a été d'une ampleur exceptionnelle dans la mesure où elle a conjugué un séisme et une catastrophe nucléaire. L'évacuation d'autres hôpitaux s'est mieux déroulée, mais l'accueil des personnes âgées dans des structures non médicalisées, tels des gymnases, a engendré de nombreux décès. D'où la nécessité de prendre en charge les personnes vulnérables. S'il est déplorable d'être irradié, décéder des suites d'une évacuation est plus grave. Il convient donc que les plans prévoient des rayons d'action très larges.

Depuis l'accident de Fukushima, le Japon considère que la phase d'urgence ne consiste pas à évacuer les hôpitaux. Je suis d'accord sur ce point. Il conviendrait qu'ils soient bunkérisés, dotés d'une ventilation interne pour éviter à la radioactivité d'entrer, et que le personnel médical accepte de rester. À Fukushima, 30 % des infirmières et des médecins sont partis dans les premiers jours alors que sévissait une double catastrophe.

Enfin, les plans d'urgence n'ont pas été évalués scientifiquement. Aux États-Unis, par exemple, le calcul du temps d'évacuation est obligatoire. On compte près d'un million d'habitants dans un rayon de 30 kilomètres autour des centrales du Bugey ou de Fessenheim. Entreprendre des exercices avec l'ensemble de la population ne semble pas raisonnable ; en revanche, il existe des logiciels de simulation du trafic qui permettent de calculer les temps d'évacuation. C'est obligatoire aux États-Unis. Le rapport de calculs et l'ensemble des hypothèses font plusieurs pages ; il est public. Je n'ai jamais vu un tel exercice en France alors qu'il est devenu obligatoire au Japon.

La concertation avec les parties prenantes – que ce soit les pompiers, les secouristes, les populations, les professeurs des écoles qui auront à gérer les enfants – est quasiment inexistante ; or il est nécessaire de coconstruire un dialogue avec les populations touchées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre étude s'appuie sur un certain nombre de PPI. Y avez-vous eu accès facilement ? Certains sont-ils supérieurs à d'autres ? Certains nécessitent-ils, au contraire, que l'on tire la sonnette d'alarme ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Nous avons essentiellement travaillé sur le plan national, qui était récent. Il y a peu, les PPI n'étaient pas tous publics ; aujourd'hui, il est obligatoire de les rendre publics, ils doivent être en ligne.

Une fois que nous avons rendu le rapport, les médias s'en sont emparés et ont constaté que certains PPI n'étaient pas en ligne malgré l'obligation qui était faite. Ils ont appelé le préfet. J'imagine que les PPI sont aujourd'hui tous en ligne. Pour l'heure, ils sont en cours de révision. Peut-être sont-ils obsolètes et ne s'agit-il pas des dernières versions. Les PPI étaient plus ou moins semblables. Nous avons étudié très attentivement celui de Flamanville ; les lieux d'évacuation qui figuraient dans la première version n'apparaissent pas dans la nouvelle, ce qui constitue plutôt une régression. Mais nous n'avons pas fait une comparaison entre PPI.

Se pose ensuite la question des centrales nucléaires transfrontalières. Les normes et les seuils sont différents d'un côté et de l'autre de la frontière. Si un accident devait intervenir à Chooz, à Cattenom, à Fessenheim, voire à Gravelines, cela créerait des difficultés avec les pays riverains qui n'appliquent pas les mêmes seuils. Les autorités de sûreté nucléaire européennes sont conscientes de ce problème.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le périmètre d'évacuation de Bugey et de Fessenheim, dites-vous, comprend près d'un million de personnes. Sur quel périmètre vous fondez-vous ? Que pensez-vous de l'affirmation faites ici même par le ministre de l'Intérieur qui a déclaré que l'on pouvait évacuer sans problème jusqu'à 500 000 personnes, mais pas au-delà.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

J'ai retenu un rayon de 30 kilomètres qui correspond à la phase d'urgence au Japon. La centrale dont la population avoisinante est la plus forte est celle de Doel en Belgique, qui comprend la ville d'Anvers et son port, le poumon économique belge. En France, plusieurs centrales regroupent quasiment un million de personnes dans un rayon de 30 kilomètres. Je ne dis pas qu'il faudrait évacuer un million de personnes en cas d'accident grave, mais il faudrait évacuer tout autour, éventuellement jusqu'à 30 kilomètres en fonction des vents dominants.

L'expérience de l'accident nucléaire de Three Mile Island est parlante. Il avait été demandé à l'époque aux populations de se mettre à l'abri, aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge de partir. En fait, ce sont 200 000 personnes qui sont parties. Même si l'ordre n'est pas donné d'évacuer, le risque c'est que tout le monde saute dans sa voiture et parte. Aucun ministre de l'intérieur ne sait gérer une telle situation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre laboratoire est agréé par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Vous menez des travaux d'étude et de surveillance un peu partout. Avez-vous noté des problèmes de rejets de radioactivité qui mériteraient d'être soulignés devant la commission ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

En temps normal, non, mais en cas d'incidents, oui. Si l'on remonte au début de la création de l'ACRO, après la catastrophe de Tchernobyl, la radioactivité est bien arrivée jusqu'en France. Des mesures ont été prises un peu partout. On a trouvé, certes, des pollutions liées à Tchernobyl, mais également des pollutions plus anciennes. Il en a été de même au Japon où l'on a retrouvé des pollutions anciennes, parfois inconnues. En Corée, le bitume d'une rue de Séoul était radioactif. On n'a jamais su pourquoi et on a changé le bitume.

En France, le phénomène a conduit l'ACRO à découvrir des pollutions anciennes, notamment une forte pollution dans le ruisseau Sainte-Hélène à La Hague. À l'époque, l'association n'était pas encore agréée. L'ancêtre de la CLI, qui avait fait un essai interlaboratoires, avait confirmé la pollution.

En 2001, dans les usines de La Hague, dès que nous avons appris l'accident, notre réseau de préleveurs volontaires était sur le terrain pour procéder à des prélèvements d'herbes tout autour ; nous avons découvert que les retombées sur l'herbe étaient plus élevées que la quantité rejetée annoncée à l'époque par la COGEMA alors que le ruthénium, un radio-élément, ne se trouve pas naturellement dans l'environnement.

À l'époque, nous avions participé aux travaux du groupe radioécologie Nord-Cotentin. Après avoir réalisé les calculs de dispersion, nous avions estimé que l'exploitant avait rejeté mille fois plus que ce qu'il avait annoncé, et cela à deux reprises au cours de l'année 2001. Les deux fois, il s'est trompé. Un groupe spécial a reconnu un problème de détection du ruthénium en sortie de cheminée et la caducité du système de détection, qu'il a fallu revoir. Personne d'autre ne s'était rendu compte de cet incident, ni l'ASN ni l'IRSN. C'est la surveillance citoyenne qui a permis de le détecter.

Nous avons récemment découvert une pollution au plutonium, rue des Landes, qui est habitée, toujours autour de l'usine de La Hague. Dès que nous en avons fait l'annonce, Areva, aujourd'hui Orano, a reconnu la pollution et a annoncé qu'elle s'engageait à dépolluer la zone immédiatement et elle a présenté un plan de dépollution. Il a fallu se battre et menacer de saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) pour l'obtenir. L'ACRO l'a enfin reçu. Je sais que l'ASN a demandé à revoir certains points. C'est en cours de discussion, mais la pollution de la rue des Landes est un sujet qui nous tient à coeur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Sans prélèvements, sans regard citoyen, des pollutions passeraient donc inaperçues de l'IRSN et de l'ASN.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Tout à fait. Je précise que l'ASN ne procède pas à des mesures. La surveillance est essentiellement assurée par les exploitants, qui sont responsables de leurs installations, mais la logique de la surveillance de l'environnement est différente en fonction des acteurs. L'exploitant veut vérifier que son usine fonctionne normalement, qu'il n'y a pas de fuites ni de rejets intempestifs. L'IRSN vérifiera que l'exploitant travaille correctement.

L'usine de La Hague est celle qui rejette le plus. Une démarche de recherche est à l'oeuvre : les rejets radioactifs sont modélisés et tracés sur de longues distances. L'ACRO, quant à elle, mène une démarche citoyenne et répond aux interrogations de la population. Nous disposons des mêmes appareils de mesure, nous avons les mêmes compétences scientifiques, mais nous ne prélevons pas aux mêmes endroits. Si nous prélevions le même échantillon au même endroit, nous enregistrerions, bien sûr, les mêmes résultats, ce que nous ne faisons pas car nous ne répondons pas aux mêmes questions. Notre démarche citoyenne repose sur son caractère complémentaire ; cela ne signifie pas qu'il faille écarter les autres démarches, elles sont toutes pertinentes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

De quels moyens disposez-vous pour faire ce travail ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

L'association comprend quatre salariés et 250 adhérents. Nous vivons de ventes d'analyses, d'expertises des adhérents et de subventions du ministère en charge de l'écologie et de l'ASN. Jusqu'à il y a peu, nous travaillions pour la région Normandie, nous travaillons pour des départements et quelques mairies.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre de ce travail, quels sont vos rapports avec les exploitants ? J'entends bien que La Hague occupe une place particulière.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Nous n'avons pas de rapports directs avec les exploitants. Nous les côtoyons dans le cadre des CLI et dans les groupes où nous siégeons, mais nous n'avons pas de rapports directs en dehors de ces groupes officiels. Les rapports sont toujours assez tendus, il faut se battre pour obtenir les informations. Un réel changement est intervenu après la catastrophe de Tchernobyl, depuis la transformation du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) en Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). Cela dit, jusqu'à maintenant, il y a eu peu de changements du côté des exploitants.

Par exemple, j'ai participé au groupe de travail du HCTISN sur les problèmes de carbone, ce fut une vraie bataille. Le Haut Comité lui-même s'est plaint du manque de transparence d'EDF Orano sur le sujet. L'ACRO a même créé un site internet spécial intitulé « transparence-nucléaire » ; l'ensemble de la documentation est mis en ligne et pointe les lacunes, l'objectif étant de faire pression.

Par ailleurs, les discours et les présentations des exploitants dans les CLI relèvent de la langue de bois. Les relations avec les exploitants n'ont guère évolué. C'est un problème, et il est heureux que ces groupes institutionnels organisent un dialogue car, hormis ces rencontres, il n'y a pas de contacts.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous pose la même question sur vos rapports avec l'ASN et l'IRSN.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

La situation est différente car nous sommes invités à participer à différents groupes. Outre les CLI où nous côtoyons les représentants de l'ASN et de l'IRSN, le premier travail de fond que nous avons effectué avec le Groupe radio-écologie Nord-Cotentin a porté sur l'augmentation des leucémies à La Hague où une expertise pluraliste de grande ampleur a été réalisée pendant cinq ans, à la fin des années 1990, par une cinquantaine d'experts dont, pour la première fois, des experts associatifs. Pendant cinq ans, nous avons mené un travail de fond sur les rejets. À cette occasion, nous avons appris à nous connaître, nous avons accédé à l'ensemble des données et des modèles. Ce groupe fut une vraie révolution. Dans la pratique, nous nous sommes mutuellement apprivoisés.

Désormais, nous sommes invités par de nombreuses structures. Par exemple, s'agissant des structures pilotées par l'ASN, nous siégeons aux réunions sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, au comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle (PNGMDR), au réseau national de mesures, également à des groupes d'experts, au groupe de réflexion tritium, par exemple. Nous siégeons au comité d'orientation des recherches de l'IRSN et participons à de nombreuses de réunions IRSN dans les CLI. Les relations sont bien plus simples et nous saluons la démarche d'ouverture.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Considérez-vous que l'ASN dispose des moyens de faire correctement son travail eu égard aux nombreuses missions qu'on lui demande et aux nouveaux enjeux : les enjeux de vieillissement des centrales ou les enjeux post-Fukushima ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

L'ASN dit elle-même qu'elle n'a pas les moyens de mener à bien sa mission et qu'il lui faudrait davantage de moyens financiers. Je ne suis pas à même de juger si les chiffres qu'elle avance sont ou non pertinents.

Qu'elle ait un pouvoir de sanction nous paraît nécessaire. Elle commence à en avoir un, mais il reste insuffisant, d'autant qu'elle est confrontée au problème des falsifications qui ont eu lieu dans différents pays et à une rupture de confiance. Or, le ciment d'une société réside dans la confiance. Même si les exploitants fournissent des documents, nous ne sommes pas sûrs qu'ils soient corrects. Cela nécessite un changement de pratiques. C'est un défi pour l'ASN et globalement un défi en termes de sûreté.

Nous pensons que l'ASN devrait s'appuyer sur une expertise plus largement pluraliste, de l'IRSN dont c'est le rôle. Pour tout ce qui relève de l'environnement, peut-être pourrait-on imaginer la participation de l'ACRO, d'autres acteurs encore, ou imaginer une montée en puissance parallèle d'une expertise plus citoyenne, qui serait à la fois plus souvent sollicitée et soutenue.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aujourd'hui, les différents exploitants recourent de plus en plus souvent à la sous-traitance. Les plans prennent-ils cette donnée en compte ?

Lors de son audition après la catastrophe de Fukushima, le directeur de la centrale nucléaire a indiqué que sous-traiter à de nombreuses entreprises posait question. Au moment de la catastrophe, il a été demandé aux sous-traitants de rester dans la centrale pour aider à la mise en place de solutions. Les sous-traitants n'étant plus dans les conditions normales du contrat, ils n'étaient plus obligés de remplir leurs obligations.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Nous ne nous sommes pas penchés sur la question de la sous-traitance, mais avant même l'accident de l'EPR, des problèmes se sont posés, comme la trop grande concentration du carbone dans l'acier de la cuve de l'EPR. En raison du recours à la sous-traitance, on a constaté des falsifications et un manque de contrôle. Dès lors que l'exploitant est obligé de déléguer une partie du travail, quel contrôle opérer sur le sous-traitant ? Les mauvaises soudures détectées sur le réacteur EPR de Flamanville soulèvent la question. On relève à la fois un problème de transmission des instructions par EDF au sous-traitant qui a réalisé les soudures et de contrôle des soudures. En temps normal, se posent d'ores et déjà des problèmes patents de contrôle de la sous-traitance et d'articulation entre le donneur d'ordre et le sous-traitant. En cas d'accident grave, la situation serait d'autant plus complexe car on s'est aperçu, à l'occasion d'une intervention des pompiers et de l'armée, que préposés et sous-traitants n'avaient pas les mêmes niveaux de doses ni les mêmes règles. Certains pouvaient se rendre à certains endroits contrairement à d'autres, complexifiant d'autant la situation. J'espère qu'EDF serait en mesure de gérer une catastrophe sans ses sous-traitants. Cela me semblerait une contrainte à lui imposer : EDF devrait pouvoir gérer un réacteur sans ses sous-traitants en cas d'accident.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En raison de votre proximité géographique et de votre connaissance du sujet, vous avez largement travaillé sur l'usine de retraitement de La Hague. Sur le plan de la sûreté, elle est souvent pointée par les personnes auditionnées comme un élément majeur de vulnérabilité. Quel est votre point de vue et que préconiseriez-vous pour pallier cette difficulté ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Que le stock de matières radioactives issues des réacteurs nucléaires soit concentré dans des piscines non bunkérisées est une source d'inquiétudes qui d'ailleurs n'est pas nouvelle. Suite aux attentats contre les Twin Towers à New-York en 2001, la question s'est posée de savoir ce qui se produirait si un avion de même gabarit tombait sur les piscines de La Hague. La réflexion a peu évolué depuis sur le stockage. En outre, se pose l'aspect lié au traitement. Il s'agit de l'étape la plus polluante de toute l'industrie nucléaire française. Les rejets dans l'environnement sont des centaines de fois ce que l'on mesure ailleurs. Certains radio-éléments, comme l'iode 129 que l'on mesure à Gravelines, ne viennent pas de la centrale mais de l'usine de retraitement de La Hague. On trouve du tritium dans la Manche et dans la mer du Nord, à hauteur d'environ 10 becquerels par litre, l'essentiel venant de l'usine de La Hague qui est extrêmement polluante. Aux rejets radioactifs s'ajoutent des rejets chimiques. Cette usine manipule des matières radioactives qu'elle dissout. C'est, de fait, une installation à risques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Croyez-vous qu'un travail pourrait être entrepris pour limiter davantage encore les rejets ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

L'ACRO est favorable pour limiter au mieux les rejets. Pour certains radio-éléments, il existe un verrou technologique. Par exemple, le krypton, qui est un gaz rare, pourrait être enfermé dans des bombonnes à La Hague, mais cela coûterait cher, sans compter que si un avion s'écrasait, le relâchement serait gigantesque. Je ne suis pas donc convaincu que ce soit la meilleure technologie. Le tritium est un isotope radioactif de l'hydrogène. Nous savons le détacher de la molécule, parce que nous vendons du tritium, mais le coût énergétique et financier d'une telle opération serait aberrant.

Pour certains radio-éléments, il existe donc un verrou technologique. Pour d'autres, nous disposons de la technologie, mais le choix politique retenu est de la rejeter. Je pense à l'iode 129 qui restera très longtemps dans l'environnement. La COGEMA, aujourd'hui Orano, a construit une usine au Japon où l'entreprise a installé des filtres à iode. L'usine du Japon n'a pas démarré, puisqu'elle enregistre vingt-quatre ans de retard. Il n'en reste pas moins que nous avons vendu la technologie des filtres à iode à ce pays.

L'iode est très mobile dans l'environnement. Dans le scénario de l'enfouissement, les calculs à long terme montrent que l'iode serait le premier élément pénalisant. C'est donc un choix politique de le rejeter dans la mer plutôt que de l'enfouir. Personnellement, je ne trouve pas ce choix pertinent, il me semble préférable que les éléments dangereux soient confinés plutôt que dispersés. Relevons que les normes de l'usine de Sellafield sur les rejets de carbone 14 sont plus strictes qu'en France.

Pour certains radio-éléments, je pense que des marges de progrès sont possibles ; pour d'autres, il existe des verrous technologiques. Bien sûr, ces progrès revêtent un coût mais, d'une certaine façon, ce n'est pas ce qui arrête ma réflexion.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

De nombreuses questions ont été posées sur le retraitement. Considérez-vous que nous pourrions nous passer du retraitement, ce qui réglerait la question des rejets ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Le retraitement est propre à la France, très peu de pays sur la planète retraitent. Pour répondre à votre question, oui on peut s'en passer. Pour preuve, les États-Unis qui comptent le double de centrales ne retraitent pas ni non plus les pays scandinaves, la Chine, l'Inde ou le Canada. Quant à la Grande-Bretagne, elle a cessé de retraiter.

Quel est l'intérêt du retraitement ? Un groupe du HCTISN travaille sur la sécurité nucléaire. L'idée consiste à remettre à jour le rapport de 2010 du Haut Comité. Selon le bilan, une dizaine de tonnes de plutonium sur 1 200 tonnes de combustibles est recyclée annuellement, soit un pourcentage très faible, moins de 1 %. En termes d'impact sur la gestion des déchets, nous ne récupérons donc que 1 % que nous réutilisons dans les réacteurs. C'est très faible.

Ce plutonium est mélangé à de l'uranium appauvri plutôt qu'à de l'uranium neuf ; nous arrivons à économiser à peu près 10 % d'uranium neuf, seul point positif que je vois au retraitement ; il n'en reste pas moins que c'est peu.

Pour l'industrie nucléaire, plus de 90 % de ce qui est produit par les réacteurs ne sont pas classés « déchets » mais matières dites valorisables et qui ne sont pas valorisées. En fait, c'est « du blanchiment ». Cela permet d'affirmer que l'ensemble des déchets tient dans une piscine olympique et que tout va bien. On pense que la surgénération pourra retraiter le Mox et, bien sûr, on sait retraiter le MOx, mais cela n'excède jamais un tour de recyclage. Il en va de même de l'uranium de retraitement qui, après un passage dans la centrale de Cruas, n'est pas retraité non plus après un tour du cycle.

L'avenir repose sur le rêve de la surgénération, ces réacteurs à sodium liquide qui devraient pouvoir tout consommer. L'idée des surgénérateurs date des années 50 ; or, aucun ne fonctionne au stade industriel. Imaginez qu'ASTRID – acronyme de l'anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration – démarre et que l'on parvienne à déployer un parc industriel de surgénérateurs : il se sera passé cent ans entre l'idée le déploiement ! Je ne connais pas beaucoup d'industries qui ont besoin de cent ans de recherche et de développement avant de voir le jour. Personnellement, je ne crois pas à un retraitement à l'infini et d'énergie illimitée par le retraitement. En outre, le réacteur ASTRID est intrinsèquement dangereux. Le refroidissement est assuré par du sodium liquide qui s'enflamme spontanément à l'air et explose dans l'eau. Si un surgénérateur au sodium liquide avait été utilisé à Fukushima, on ne parlerait plus du nord-est du Japon !

Se pose également la question du coefficient de vide positif sur le modèle du réacteur de Tchernobyl. Dans l'hypothèse d'un défaut de refroidissement, la température monte, engendrant un emballement des réactions nucléaires. Les réacteurs français, au contraire, sont à un coefficient de vide négatif. Sans air de refroidissement, la température monte, mais les réactions nucléaires ne se multiplient pas. À coefficient 8 positif, ASTRID s'emballerait comme l'a fait la centrale de Tchernobyl. S'il y avait une bulle d'air et un défaut de refroidissement au sodium, les réactions nucléaires se multiplieraient et dégageraient plus de chaleur. C'est un retour en arrière. Selon moi, ASTRID pose des problèmes de sûreté qui sont insurmontables. C'est pourquoi ce réacteur a au minimum cent ans de retard. Je ne crois pas à un tel système.

En France, Superphénix a été un échec. Au Japon, en vingt-cinq ans, le surgénérateur Monju a fonctionné dix mois et consommé des milliards d'euros.

Si nous ne conservons pas ASTRID, tout s'effondrera comme un château de cartes et tout ce qui était classé matières valorisables deviendra des déchets qu'il faudra gérer. C'est la raison pour laquelle nous sommes placés dans une situation excessivement fragile qui repose sur le mythe de la surgénération. L'ensemble du système doit être repensé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aujourd'hui, il n'existe pas de surgénérateurs de type ASTRID ailleurs qu'en France.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

En Russie, un surgénérateur de ce type a démarré récemment.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question portera sur le transport des matières dangereuses. Cela date déjà d'un certain temps, mais il me semble que vous avez effectué avec quelques difficultés des mesures en novembre 2010 sur le transport de ces matières.

Quel regard portez-vous sur la sûreté et la sécurité du transport de ces matières ? Si vous envisagiez de refaire une campagne de mesures, de quel matériel disposeriez-vous pour réaliser des mesures sur des trains qui passent à vitesse élevée ? Nous savons la difficulté de mener une mesure la plus pertinente possible.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Nous avons entrepris deux campagnes de mesures sur les transports, la première en 2010, à laquelle Greenpeace nous avait invités. Greenpeace s'était plus ou moins entendu avec Areva pour que le train ralentisse afin que nous réalisions des mesures ; or, le train n'a pas ralenti. Ce fut un échec, mais l'année suivante, nous avons été invités par l'autorité de sûreté nucléaire dans le terminal de Valognes à intervenir en présence de l'IRSN et de l'ASN. Le train était à l'arrêt, mais une telle occasion ne s'est présentée qu'une seule fois. Il serait pertinent que de tels exercices soient renouvelés. À l'époque, nous avions mis en avant la problématique des neutrons. Je n'étais pas présent, mais la personne qui a réalisé les mesures a voulu étalonner le détecteur à neutrons sur le parking ! Elle trouvait que l'appareil grésillait plus qu'à l'habitude... En fait, le grésillement était lié à la présence du wagon au loin. Les neutrons rayonnent donc d'assez loin et sont détectés. Si le train passe en gare et que l'on est exposé à un temps très court, il n'y a pas de problème, mais s'il y a un incident, ce n'est pas possible. Par exemple, le personnel SNCF qui devait venir intervenir en cas d'incident n'avait pas de dosimètre ni n'était préparé à réparer un train transportant des déchets nucléaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous souvenez-vous des niveaux enregistrés ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Non, je ne les ai pas en mémoire, d'autant que ce n'est pas moi qui ai fait les mesures, mais vous les trouverez sur notre site internet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Deux produits seront issus du retraitement : l'uranium de retraitement, actuellement stocké, et le plutonium qui servira à faire du MOx. Que pensez-vous de la production de ce combustible ? Vous pensez que cette matière étant liée à la surgénération, elle ne sera plus valorisable et devra donc être stockée. Quel est votre sentiment sur l'uranium de retraitement, sachant qu'EDF en relancera l'enrichissement ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Le combustible MOx et plus complexe à gérer que le combustible classique dans la mesure où il est chaud beaucoup plus longtemps et impose d'être conservé en surface quatre-vingt-dix ans avant d'être enfoui, contre soixante ans pour le combustible classique. C'est pourquoi EDF prévoit de construire une piscine centralisée pour maintenir le MOx en surface pendant un siècle. Il est plus problématique en termes de gestion. Je ne crois pas à sa réutilisation future. Quand bien même une rupture technologique interviendrait-elle et permettrait de faire la surgénération, il serait plus simple d'avoir des combustibles classiques entreposés plutôt que du MOx. Retraiter aujourd'hui n'avance à rien pour le futur.

Si jamais je me trompais sur l'avenir, que nous connaissions une rupture technologique et que nous ayons gardé les combustibles classiques, nous pourrions très bien engager à ce moment-là leur retraitement.

S'agissant de l'uranium de retraitement, en 2010, à l'époque où le Haut Comité a publié son rapport, 300 tonnes d'uranium étaient envoyées chaque année en Sibérie. Il en revenait 37 tonnes ; le reste, l'uranium de retraitement appauvri, demeurait en Russie. Nous envoyions l'uranium en Russie parce que nous ne pouvions retraiter l'uranium en France. L'usine d'enrichissement a changé et aujourd'hui l'exploitant de l'usine Georges-Besse II prétend qu'il peut réenrichir l'uranium de retraitement. L'annonce est faite, mais je n'en sais pas davantage. De toute façon, il n'y aura qu'un cycle de retraitement. Si, par exemple, nous avons quatre réacteurs qui fonctionnent à l'uranium de retraitement, le combustible de Cruas ne pourra pas être retraité. Cela diminuera le retraitement à La Hague, et il n'y aura pas de retraitement ultérieur. Le principe est celui des vases communicants. Si nous gagnons un peu en économie d'uranium naturel, il y aura moins de MOx. À La Hague, le MOx est surtout utilisé par les réacteurs les plus anciens ; si on devait les arrêter, les débouchés disparaîtraient. Pour des raisons de prolifération, on ne peut accumuler le plutonium car il se dégrade au cours du temps. Si on remplaçait la centrale nucléaire de Fessenheim par l'EPR, les réacteurs qui consomment du MOx ne fonctionneraient plus, remplacés par l'EPR qui n'en consomme pas. Il faudra donc réduire le retraitement.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Oui, pour conserver l'équilibre du plutonium imposé par les contraintes internationales de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Parmi les raisons qui ont poussé à l'arrêt de l'enrichissement en Russie, figuraient des raisons économiques, mais EDF a récemment expliqué dans le cadre du Haut Comité, que les conditions environnementales n'étaient pas réunies en Russie. Si EDF elle-même le reconnaît…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons auditionné le président de l'ANCCLI, qui a fait état de la modicité des ressources financières des CLI. Ne pensez-vous pas qu'il serait de bon aloi de les augmenter pour réaliser ce qui n'est pas aujourd'hui une obligation mais qui pourrait le devenir, à savoir des mesures indépendantes à l'appui d'associations telles que la vôtre afin d'avoir un suivi dans la durée et des éléments de comparaison tangibles ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Si toutes les CLI commandaient des analyses indépendantes à l'ACRO, je serais ravi. Je ne peux qu'y être favorable ! Pour autant, mon avis n'est pas impartial sur le sujet puisque je suis à la fois juge et partie. Cela dit, c'est une bonne idée !

Dans la mesure où nous siégeons dans nombre de CLI et parce que nous avons travaillé pour des CLI, nous savons que des crédits sont disponibles, que beaucoup d'entre elles n'utilisent pas. Cela dépend donc en grande partie des CLI et des associations qui incitent à leur utilisation. Il en va du Haut Comité comme des CLI : sans la présence des associations, les réunions sont beaucoup plus courtes. Ce sont les syndicalistes, les élus locaux – les élus nationaux se déplacent rarement – et les représentants des associations qui animent les CLI. À La Hague, suite à des problèmes, il est arrivé que l'ensemble des associations se soient retirées de la CLI, qui a épuisé son ordre du jour en moins d'une heure alors que les réunions durent habituellement toute une après-midi.

Ce sont donc les associations qui posent des questions et qui font vivre la CLI. Cela dépend également de la personnalité du président : s'il est réceptif et joue le jeu du dialogue, s'il accepte l'idée de lancer des expertises indépendantes sur différents sujets, la CLI est utile et fonctionne bien. Sinon, quand bien même elle disposerait de plus de crédits, l'argent ne serait pas utilisé.

Nous travaillons depuis plusieurs années avec la CLI de Brennilis. Nous avons même signé un contrat pluriannuel avec le département. Nous accompagnons la CLI dans l'étude du dossier de démantèlement, nous avons mis en place des indicateurs et nous assistons aux réunions techniques. Le partenariat s'inscrit sur le long terme entre l'ACRO, la CLI et les populations que nous rencontrons à l'occasion de réunions publiques régulières. Nous pouvons également l'accompagner sur des dossiers techniques, pas uniquement sur la mesure.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Suite à l'élargissement du périmètre de 10 à 20 kilomètres, l'ensemble des PPI sont revus. Je constate le travail des préfectures, qui ont pris la mesure du problème. Peut-être notre façon de travailler joue-t-elle un rôle d'aiguillon ; en tout cas, un travail de concertation est à l'oeuvre avec les différents acteurs, tels que les pompiers, l'éducation nationale, etc. L'ACRO ou d'autres organismes indépendants sont-ils associés à ces travaux en raison de leur expertise ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

C'est une grande surprise, mais non, personne ne nous a invités nulle part, et ce malgré le rapport que nous avons produit pour l'ANCCLI.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les PPI sont en phase d'élaboration, ils seront ensuite présentés. Après la collation de l'ensemble des éléments, peut-être un regard croisé sera-t-il sollicité.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Je sais que l'ANCCLI veut travailler sur les PPI suite à leur révision. Elle nous a demandé si nous acceptions d'assister à des réunions de travail. Nous avons accepté mais, pour l'heure, cette invitation n'a pas été concrétisée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons partagé divers éléments avec nos amis japonais qui travaillent à ce qui est l'équivalent de la direction de la sécurité civile, notamment sur l'évacuation des populations, les étapes intermédiaires, sur des mesures de radioactivité, des outils, des véhicules, etc. avant d'autoriser les populations à voyager. Un travail considérable de prise de hauteur et de réflexion est nécessaire.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Après la publication du rapport, nous avons eu des contacts. Les CLI auraient souhaité dialoguer avec les autorités ; or, j'ai entendu des présidents de CLI dire qu'ils avaient à peine été consultés, soit encore on leur a envoyé le rapport finalisé sur lequel ils devaient émettre un avis. Le dialogue n'a pas eu lieu alors qu'il existait une réelle volonté de travailler ensemble à l'élaboration du plan. Cela n'a pas eu lieu, me semble-t-il.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le fait d'entrer dans le PPI vous impose un plan communautaire de sauvegarde (PCS), qui suppose de mettre en oeuvre une logistique pour l'élaborer et le faire vivre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons constaté que les populations qui vivent autour des centrales, dans leur grande majorité, ne se sentent pas vraiment impliquées par les plans de sécurité. Elles sont peu informées alors que des documents leur sont distribués. Les CLI pourraient-elles intervenir pour que les populations se sentent plus concernées ? Pour ce faire, les CLI ne devraient-elles pas avoir un peu plus de pouvoir ? Il nous a été rapporté que des CLI attendaient parfois longtemps, voire très longtemps, avant d'obtenir les documents demandés à l'exploitant et de pouvoir les étudier.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Tout ce qui renforce le contrôle citoyen et la participation des populations est, selon moi, positif. Je ne puis qu'être favorable à un renforcement du pouvoir des CLI et de leur rôle. Si une réflexion devait être engagée sur les PPI ou l'information, les CLI auront un rôle clé à jouer. L'ANCCLI a créé un groupe post-accident, elle réfléchit même à la création d'une CLI post-accident afin de déterminer le type de structures de concertation une fois que la pollution est là et la façon de la gérer à long terme. Peut-être le terme de CLI n'est-il pas approprié s'agissant de la situation post-accident, dans la mesure où les acteurs ne seront pas les mêmes. L'ANCCLI réfléchit aussi sur le sujet. C'est dire qu'un travail de réflexion est mené au sein de l'ANCCLI avec la volonté de mutualiser les expériences. Je pense qu'il y a tout à y gagner.

Si l'on revient aux expériences internationales, depuis l'accident à la centrale nucléaire de Three Mile Island, les États-Unis ont des PPI un peu plus élaborés que les nôtres. Ils imposent de vérifier régulièrement le niveau d'information des populations sous forme de sondages. L'équivalent de la Cour des comptes en France, le Government Accountability Office, a publié un rapport. Il estimait que le PPI américain informait plutôt bien les populations ; toutefois, dès qu'il dépassait la frontière du PPI, les personnes n'étaient plus informées.

La Belgique réalise des campagnes. Je me souviens qu'elle a lancé une campagne d'information sur les accidents et les distributions d'iode. La catastrophe de Fukushima est intervenue un mois avant la diffusion de la publicité, ce qui a donné plus de crédibilité à celle-ci. Le spot télévisé était très humoristique et le site a été largement consulté.

Au Canada, certains sites, qui ne se limitent d'ailleurs pas aux risques nucléaires, sont bien faits. On y trouve les explications pour préparer chez soi le kit à utiliser en cas de catastrophe et de petites plaquettes expliquant aux enfants ce qu'ils doivent faire s'ils sont seuls à la maison et entendent la sirène. Tous les risques, d'une manière générale, sont traités. Pour les Canadiens, cela peut être une tempête de neige…

Une approche globale des différents risques s'adossant à une information sur les différents risques possibles est retenue. Certaines personnes, par exemple, pensent que la centrale est éloignée et estiment que le risque principal réside dans l'usine « Seveso » située à proximité de leur domicile, ce qui les inquiète davantage. Les réflexes de mise à l'abri sont identiques.

Une telle démarche d'information des populations serait utile. Elle s'appuierait sur un site internet dédié, la description d'un kit et de bandes dessinées pour les enfants, que j'ai trouvées pertinentes au Canada.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Seriez-vous favorable à ce que nous donnions un pouvoir d'injonction aux CLI vis-à-vis de l'exploitant ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Oui.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous sommes souvent confrontés au problème de la transparence. S'agissant de la sûreté, on nous a livré des exemples de complexité ; sur la sécurité, n'en parlons pas !

Nous essayons de déterminer la façon de mettre en place la plus grande transparence en associant la population. Les CLI sont le lieu où l'on devrait y parvenir. Il convient d'avoir une réflexion sur le sujet. Nous avons été confrontés à l'ignorance des populations autour de Gravelines qui m'a affolée tant il est vrai que l'ignorance des populations aggrave le risque de sûreté et de sécurité. Les personnes pensent qu'elles partiront en voiture en cas d'accident nucléaire.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Elles pensent qu'elles iront chercher leurs enfants à l'école et qu'elles s'en iront. En effet, ce n'est pas le meilleur réflexe.

Pour tout ce qui a trait à l'environnement, l'ensemble des données figurent dans le code de l'environnement et sont transparentes. C'est une obligation européenne. Il suffit de les réclamer pour les obtenir, même s'il faut en faire la demande par lettre recommandée avec accusé de réception. Lorsque nous le faisons, nous mettons toujours la CLI, l'ASN et l'IRSN en copie pour montrer aux exploitants que notre démarche est officielle et pour donner plus de poids à notre demande. Mais j'imagine bien que le citoyen lambda ne connaît pas l'ensemble des arcanes. C'est un vrai problème.

Pour tout ce qui touche à la sûreté, le blocage est patent. La dernière réunion organisée par l'IRSN et l'ANCCLI à laquelle j'aie participé portait sur la piscine centralisée. Nous avons demandé les dossiers d'options de sûreté à EDF, qui nous les a refusés. Les représentants d'EDF sont venus à une réunion publique où des représentants des CLI étaient présents. Sur le transparent qu'ils nous ont montré, il était écrit « À ne pas diffuser, document confidentiel ». Nous leur avons demandé à avoir accès au dossier d'options de sûreté, ce qui nous a été refusé, EDF arguant que ce n'était pas là une obligation. Bien sûr, ensuite, EDF peut fournir une version expurgée des secrets commerciaux et éventuellement des problèmes de sécurité.

Dès lors qu'un dossier est important pour la sûreté et lorsque des choix doivent être faits, peut-être pourrait-on contraindre EDF à produire une version publique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Selon vous, faudrait-il que nous nous penchions plus particulièrement sur certaines installations ou des centrales qui poseraient plus de problèmes de sûreté et de sécurité que d'autres ? J'ai bien compris que c'était le cas de l'usine de la Hague. En voyez-vous d'autres ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Il y a effectivement l'usine de La Hague. Nous n'avons pas étudié le dossier de sûreté de chacune des centrales. Je pense toutefois que certaines sont plus vulnérables en raison de leur environnement. C'est ainsi que plusieurs installations Seveso sont situées à proximité de la centrale nucléaire de Gravelines. Un accident dans une usine chimique peut compliquer la situation à Gravelines ou réciproquement. Soit encore on trouve une forte densité de population à proximité. En cas d'accident ou d'agression, les conséquences seront plus importantes. Des centrales sont dans des situations plus vulnérables que d'autres non intrinsèquement, mais en raison de l'environnement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre de vos travaux, avez-vous évalué les risques liés aux changements climatiques, les problèmes qui se poseront suite au réchauffement climatique, aux aléas climatiques et donc à des accidents climatiques plus forts, aux risques d'inondation, de grande sécheresse et d'abaissement de l'étiage des rivières, etc. ?

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Non, nous n'avons pas travaillé sur le sujet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai l'impression que personne n'a entrepris de travaux sur ces questions.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Cela fait dix ans que je siège au comité d'orientation des recherches de l'IRSN. De mémoire, nous n'avons jamais évoqué cette question. Le thème pourrait être abordé demain à l'occasion de la réunion du comité qui doit se réunir demain.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous comptons sur vous pour nous apporter la réponse.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Un an ou deux. Tout dépend de ce que vous demandez : soit une revue de la littérature existante suffit, soit il est nécessaire de mener des recherches.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aujourd'hui, nous pensons en termes d'options de sûreté, nous pensons aux risques de séisme, d'inondations… Certains organismes comme l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'agriculture et l'environnement (IRSTEA) produisent des documents annonçant des pénuries d'eau dans certains cours d'eau. Nous savons que des centrales sont alimentées en eau par des fleuves. S'ils devaient s'assécher ou si l'eau devait se réchauffer, nous risquerions d'être confrontés à des difficultés. Je me rends compte que cette question n'est pas envisagée.

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

L'eau de la Loire sert à l'alimentation de nombreuses villes. En cas d'accident grave, le bassin de la Loire risque de ne plus avoir accès à l'eau potable. Il existe une grande vulnérabilité à cet égard.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Posez la question à l'IRSN, nous comptons sur vous !

Permalien
David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest

Lorsque l'IRSN abordera les thèmes susceptibles d'être abordés au cours des prochains comités d'orientation de la recherche, j'évoquerai les impacts liés au changement climatique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, je vous remercie de vos explications extrêmement claires. Vous avez la pédagogie qui sied et elles furent plaisantes à entendre. Votre franchise allait de pair !

Mes chers collègues, je vous rappelle le déplacement à Tricastin demain, à la Hague la semaine prochaine et donc à Flamanville. Il est important d'auditionner mais aussi de voir et de mieux comprendre grâce au croisement de ces ensembles de données collectées. Merci à vous. En tout cas, vous y contribuez.

——²——²——

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 16 h 30 :

Présents. – MM. Paul Christophe, Mme Barbara Pompili, Mme Natalia Pouzyreff, M. Jean-Marc Zulesi.

Excusés. –Mme Bérangère Abba, M. Philippe Bolo, M. Grégory Galbadon, Mme Isabelle Rauch.