Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, voilà maintenant près de deux mois, le défilé de la fête du Travail, traditionnellement festif et familial, a été entaché de nombreuses violences et dégradations qui ont beaucoup fait réagir les politiques et l'opinion publique, et cela à juste titre, car les événements qui se sont produits à Paris ce jour-là ont été d'une brutalité inouïe. Je peux d'autant mieux en parler que j'étais, comme chaque année, présent à cette manifestation.
Ces actes de violence et de provocation envers les forces de l'ordre et les manifestants, ainsi que le vandalisme et la casse du mobilier urbain survenus en marge de cette manifestation, sont totalement inacceptables et nous les avons bien évidemment dénoncés avec force.
Il est tout aussi inacceptable qu'un climat de terreur s'installe et s'empare du droit de manifester. Dans une démocratie comme la nôtre, personne ne devrait avoir peur de sortir dans les rues, personne ne devrait craindre d'affirmer son opinion et de porter haut ses convictions. Nous ne pouvons que déplorer vivement que ces incidents aient volé nos revendications, alors même que l'actualité sociale est particulièrement grave et que les réformes qui s'enchaînent mériteraient un éclairage à la hauteur de la casse sociale entamée par ce gouvernement et cette majorité.
Mes chers collègues, le défilé du 1er mai est un moment historique. En ce jour tout particulièrement, l'État doit assurer aux participants la tranquillité et le pacifisme auquel ils aspirent, et veiller au respect de l'exercice des droits constitutionnels que sont le droit à la liberté d'opinion et celui de manifester.
Or, il y a eu, en ce 1er mai, une faille, un raté, un échec des services chargés du maintien de l'ordre et, naturellement, une interrogation légitime sur le rôle de chacun. Les informations dont nous disposons depuis les événements laissent planer de nombreux doutes sur la manière dont l'État aurait géré la sécurité de cette manifestation.
Il faut d'abord restituer un contexte : la veille déjà, une note de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, dont des extraits ont été révélés par le journal Le Parisien, anticipait les débordements créés par des « membres de la mouvance contestataire radicale ». Elle établissait un scénario qui s'est révélé exact : « À cette occasion, les manifestants les plus déterminés devraient se positionner en amont du carré de tête, et pourraient s'en prendre violemment aux forces de l'ordre, dégrader du mobilier urbain et des symboles du capitalisme ». Ces individus violents promettaient de transformer ce défilé en enfer, selon les mots mêmes du préfet de police de Paris.
Ils avaient donc annoncé leur venue, relayée massivement dans les médias, de sorte qu'il n'y avait, même pour les manifestants, aucun étonnement à les voir et que bon nombre d'entre eux ne se sont pas déplacés, par crainte de voir la situation dégénérer : en un mot, tout le monde savait. La préfecture de police a même tweeté en direct une photographie des casseurs en train de se rassembler en tête de cortège – je rappelle que ce regroupement s'est constitué d'une heure de l'après-midi à trois heures et demie, ce qui laissait largement le temps d'intervenir avant que la manifestation n'arrive à l'approche de ces éléments violents, créant ainsi la plus grande des confusions et occasionnant des violences à l'encontre des manifestants. La plus grande surprise ne fut donc pas de les y voir, mais de constater l'inertie totale des forces de l'ordre pour contenir le phénomène en amont.
Ces premiers éléments ont poussé les parlementaires communistes à demander l'ouverture d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé le défilé, après avoir consulté l'ensemble des syndicats de policiers et avec leur approbation, quels que soient leur sensibilité ou les grades qu'ils représentent. N'ayant pas eu la possibilité de défendre cette demande, nous souhaitons que celle que portent aujourd'hui nos collègues du groupe Les Républicains puisse reprendre en partie le dispositif proposé par la nôtre.
Si nous saluons, en effet, l'initiative et la nécessité qu'il y a à enquêter sur les groupuscules agitant la violence, le texte, tel que rédigé, nous semble démesurément large et nous avions souhaité, en commission des lois, restreindre cette commission d'enquête aux liens entre ces groupuscules et l'organisation de manifestations.
Aujourd'hui, et nous le savons tous, ce qui s'est produit le jour de la fête du Travail n'est hélas pas isolé. Depuis plusieurs années, certaines manifestations se trouvent perturbées par des casseurs violents qui en empêchent le bon déroulement. Ce sont autant de messages politiques troublés et d'occasions manquées qui décrédibilisent, voire désinforment, autant d'entraves au droit de manifester, autant de pluralisme bafoué.
Ces événements revêtent donc une très grande importance et il nous paraît nécessaire d'en comprendre les origines et le fonctionnement, afin d'en empêcher l'ancrage et d'assurer l'effectivité du droit constitutionnel de manifester ses opinions. Nous espérons donc que la commission d'enquête ne manquera pas d'aborder ce point précis.
J'en reviens aux événements du 1er mai, car on y trouve un autre élément que la commission d'enquête devrait mesurer. Il faut en effet insister sur un point : il ne s'agit pas ici de blâmer les policiers, qui ne font qu'appliquer les ordres qu'ils reçoivent – du moins lorsqu'ils ne restent pas dans l'attente de ces ordres, ce qui était le cas lors des événements du 1er mai.
Or, peu après la manifestation, des témoignages des forces de l'ordre évoquaient l'absence de consignes de la part de leur hiérarchie au moment des premières dégradations. Cette absence de directives claires pour les forces de l'ordre portait en elle les risques de voir la manifestation dégénérer et les manifestants en subir les conséquences. Par ses consignes d'inaction, il est clair que le gouvernement a attisé les tensions. Une telle commission d'enquête devrait donc également s'interroger sur les processus décisionnels à l'oeuvre au plus haut sommet de l'État lors de tels événements.
Sur ce point particulier, j'ajouterai un dernier mot pour vous faire partager mon indignation : il est profondément choquant qu'un ministre de l'intérieur sous-entende, comme il l'a fait, que les manifestants seraient complices des casseurs par leur passivité. Il est tout aussi inadmissible et inconscient de dire, comme l'a fait le ministre, que c'est aux manifestants de s'opposer eux-mêmes aux casseurs. Les accusations de complicité des manifestants sont injustifiables et sont l'oeuvre d'un ministre qui, faute d'assumer ses actes et son échec, tente de trouver d'autres responsables. Je rappelle en effet que les manifestants sont, avec les commerçants, les premières victimes de ces violences, que les affrontements entre les casseurs et les manifestants ou le service d'ordre de la manifestation sont nombreux et que les services d'ordre des manifestations sont là pour protéger la manifestation, et non pas pour maintenir l'ordre public au-delà de celle-ci.
Ces mots, le ministre de l'intérieur les a pourtant prononcés, et ils ont été largement commentés. Ils n'ont pas servi le débat public. Pire, ils véhiculent l'idée que les familles, les militants, les syndicats et l'ensemble des manifestants dans leur diversité seraient des complices de la violence de groupuscules. Or ce n'est pas en agitant la peur, le doute et l'esprit de complot que nous combattrons efficacement ces groupuscules.
Je terminerai en me félicitant que le terme d'« ultragauche » ait été supprimé, ce qui permettra d'élargir le champ de la commission d'enquête à l'ensemble groupes violents. Nous saluons donc ce retrait, qui devrait permettre d'inclure dans l'étude de la commission d'enquête, si elle est mise en place, des groupuscules autres que ceux qui se disent d'ultragauche – je pense par exemple à la Ligue de défense juive. Je rappelle en effet que cette organisation a violemment fait sortir des députés présents lors la marche en l'honneur de Mireille Knoll le 28 mars dernier et qu'elle s'est déjà illustrée à de trop nombreuses reprises par ses violences perpétrées à l'encontre des manifestants pro-palestiniens. Il est grand temps d'agir contre cette milice qui salit la communauté juive en s'appropriant sa supposée défense. La commission d'enquête permettra aussi de s'attaquer aux groupuscules de l'extrême droite, dont on ne connaît que trop bien le potentiel de violence et de frustration qu'ils véhiculent et la terreur qu'ils propagent.
Au-delà de nos désaccords politiques et des revendications de chaque manifestation, membres de l'exécutif comme parlementaires, nous devons faire front pour le bon déroulement des manifestations et assurer la pérennité de ce droit fondamental qui ne peut s'exercer pleinement dans la terreur et la violence. Je souhaite que cette commission d'enquête soit un moyen d'y parvenir.
En tout état de cause, et malgré le fait que nous aurions préféré une autre formulation sur certains aspects, les députés communistes voteront pour la constitution de cette commission d'enquête, comme je l'ai déjà dit en commission des lois. Au-delà de cette commission d'enquête particulière, c'est du reste une attitude de notre groupe que de voter toujours favorablement lorsqu'il est proposé de créer de telles commissions.