Je vais essayer d'être concis, mais l'évaluation et la gestion des produits réglementés sont complexes car les réglementations diffèrent selon les types de produits.
Pour les produits phytopharmaceutiques, l'évaluation des substances actives se fait au niveau européen, sous l'égide de l'EFSA. Les industriels doivent déposer un dossier et respecter un certain nombre de requis. En matière de cancérogénèse, ils doivent fournir des études sur au moins deux espèces animales, qui seront utilisées par les agences de sécurité sanitaire, l'EFSA et l'Agence européenne des produits chimiques – European Chemicals Agency (EFSA) – pour établir une classification de ces substances actives. Les industriels doivent aussi joindre à leur dossier des études de toxicologie, de toxicocinétique, de toxicodynamie, de mécanismes d'action, de toxicité aiguë et de génotoxicité. Si le dossier n'est pas complet lorsque nous évaluons une substance active, nous demandons à l'industriel de nous fournir les données complémentaires. S'il ne le fait pas, l'autorisation de mise sur le marché n'est pas accordée. Comme dans l'évaluation européenne des produits chimiques, le principe est le suivant : no data, no market, c'est-à-dire pas de données, pas de marché.
L'EFSA – et donc la Commission européenne – demande à un État membre de faire l'évaluation du dossier de l'industriel. Ce dossier est ensuite examiné par les différentes agences des États membres au niveau européen, sous l'égide de l'EFSA. Celle-ci rend un avis sur l'évaluation de la substance active. Pour cette substance active, l'autorisation est délivrée par la commission des États membres, le fameux Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADA). C'est le processus suivi récemment par le glyphosate.
Au niveau des pays, les agences nationales sont en charge de l'évaluation des préparations, c'est-à-dire des produits qui contiennent des substances actives. Une fois qu'une substance active est approuvée au niveau européen, les industriels déposent un dossier à l'ANSES pour que nous les autorisions à mettre sur le marché français des produits contenant cette substance.
Nos évaluations et autorisations de mise sur le marché valent pour un produit, à une dose donnée, pour un mode d'emploi particulier, pour une culture et pour un type de ravageurs. Nous partons du principe que la substance n'est pas autorisée. Ensuite, petit à petit, nous levons les interdictions si notre évaluation le permet. Nous travaillons à partir du dossier mais aussi de la littérature scientifique et des données de pharmacovigilance. Quand le risque n'est pas inacceptable pour le consommateur, le travailleur, l'applicateur du pesticide et les riverains, nous délivrons cette autorisation de mise sur le marché.
L'autorisation n'est pas donnée de manière générale pour un produit ; elle vaut pour son utilisation dans des conditions précises. L'ANSES s'appuie sur son équipe de scientifiques et sur des comités d'experts qui regroupent des chercheurs de l'INRA, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et aussi des équipes académiques pour mener ces évaluations et prendre une décision concernant la demande d'usage de préparations en France.
Pour les biocides, l'évaluation est réalisée par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui est en charge de l'évaluation des produits chimiques, en général, dans le cadre de la réglementation REACH – acronyme de Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals – au niveau européen. C'est aussi cette agence qui classe les agents chimiques, quels qu'ils soient, selon le règlement CLP – classification, étiquetage et emballage des substances et mélanges. C'est ce qui permet de dire si un produit est cancérogène possible, probable ou avéré, s'il est mutagène ou reprotoxique.
Sous l'égide de l'ECHA, nous évaluons certaines substances biocides. Pour ces produits, l'essentiel des évaluations se fait au niveau européen. Nous sommes très impliqués dans les comités d'évaluation européens. Pour les biocides, il n'y a pas un processus à deux étages aussi net que pour les produits phytopharmaceutiques : substance active au niveau européen, préparation au niveau français.
Pour les médicaments vétérinaires, l'évaluation est du ressort de l'Agence européenne du médicament – European Medicines Agency (EMA). Installée en Angleterre, cette agence va migrer à Amsterdam, aux Pays-Bas, à la faveur du Brexit. Nous évaluons certains de ces médicaments vétérinaires dans un processus totalement européen. Comme pour les médicaments destinés aux humains, toute la comitologie des décisions d'autorisation se fait au niveau européen.
Ces processus différents ne sont pas forcément harmonisés, ce qui entraîne des problèmes comme celui de la définition des perturbateurs endocriniens. Une harmonisation a été faite pour les produits phytopharmaceutiques, mais ce n'est pas le cas pour les biocides dans le cadre de REACH. Pour notre part, nous proposons qu'une seule agence – qui pourrait être l'ECHA – soit responsable de l'évaluation des produits chimiques et des perturbateurs endocriniens. Sinon, le risque est d'avoir des évaluations différentes pour un produit phytopharmaceutique, utilisé comme biocide ou éventuellement comme médicament vétérinaire, en fonction des États membres évaluateurs et des différentes agences européennes. Le produit peut même avoir des valeurs toxicologiques de référence différentes dans les trois réglementations. Dans ce domaine, il y a vraiment un besoin d'harmonisation et de simplification.
La semaine dernière, nous avons rencontré le directeur de l'EFSA et son équipe et nous avons fait des propositions très concrètes. Avec Roger Genet, notre directeur, nous sommes très proactifs en matière d'harmonisation. Nous plaidons pour la création d'un fonds européen qui financerait des études toxicologiques indépendantes pour dépasser les controverses sur certaines substances comme le bisphénol A ou le glyphosate. Sur le bisphénol A, nos conclusions n'étaient pas les mêmes que celles de l'EFSA. Sur le glyphosate, il y a des divergences entre l'EFSA et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et l'histoire n'est pas finie. Financées par un fonds dédié, des études toxicologies effectuées par des équipes de recherche indépendantes permettraient de trancher, d'avoir des avis plus clairs.
Les Américains ont développé le Programme national de toxicologie – National Toxicology Program (NTP) – dans lequel ils investissent des dizaines de millions de dollars chaque année. Il serait intéressant d'avoir un programme similaire au niveau européen, financé par l'agence européenne et les grandes agences nationales : l'ANSES en France, le RIVM – Rijksinstituut voor Volksgezondheid en Milieu – aux Pays-Bas, le BFR – Bundesinstitut für Risikobewertung – en Allemagne. Cela permettrait d'avancer concrètement en cas de controverses importantes ou d'incertitudes à propos des dangers de telle ou telle substance, de tel ou tel pesticide.
Lundi prochain, nous allons rencontrer le directeur général de l'ECHA et nous lui présenterons notre proposition. Pour nous, il est extrêmement important de prendre en compte toutes les données de la science quand on évalue les risques de ces substances et produits réglementés. Nous étudions les données produites par les industriels. Je peux vous dire que nos scientifiques épluchent les dossiers de façon très détaillée et qu'ils n'hésitent pas demander les données brutes pour les réanalyser au moindre doute. Nous tenons évidemment compte des données fournies par la littérature académique scientifique, qui sont parfois contradictoires avec celles des industriels. Il est intéressant de confronter ces données. C'est pourquoi nous avons besoin d'expertises collectives, de chercheurs et d'experts à la fois dans notre agence et dans nos comités.