La séance est ouverte à dix heures.
Chers collègues, nous recevons ce matin une délégation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Cette délégation est composée de M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué, de Mme Charlotte Grastilleur, directrice adjointe à la direction de l'évaluation des risques sur le volet santé et alimentation, de M. Jean-Luc Volatier, directeur adjoint à la direction de l'évaluation des risques sur le volet méthodologie et observatoires, de Mme Alima Marie, directrice de cabinet, et de Mme Sarah Aubertie, chargé des relations institutionnelles.
L'ANSES a été créée en 2010, prenant la suite de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Cette dernière avait été mise en place dix ans auparavant, suite au scandale de la vache folle, que tout le monde a encore en mémoire. On parle souvent de l'ANSES à l'occasion de scandales sanitaires médiatisés comme les oeufs au fipronil ou l'affaire Lactalis. On ne parle pas assez de l'ANSES pour ses missions quotidiennes de veille et de vigilance et pour sa participation aux évaluations de la réglementation, au travers du grand nombre d'avis qu'elle rend en sa qualité d'agence de l'État.
Notre commission d'enquête s'intéresse plus précisément aux modes quotidiens d'alimentation et à leurs conséquences sur la santé humaine et sur l'environnement. Sur ces thèmes, il nous importe de mieux comprendre les relations que l'ANSES entretient avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments – European Food Safety Authority (EFSA) – car c'est au niveau européen que sont négociés puis énoncés les principes et les normes sanitaires qui régissent notre alimentation. Soulignons que l'indépendance de l'EFSA vis-à-vis des lobbies a été récemment mise en cause pour son appréciation de la potentielle dangerosité du glyphosate. Vous nous direz ce qu'attend l'ANSES de la réforme prochaine de l'EFSA. Plus généralement, vous pourrez librement vous exprimer sur les voies et moyens de conquête de l'indépendance d'une institution comme la vôtre vis-à-vis de l'industrie.
Mesdames et messieurs, je vais vous donner la parole pour un exposé liminaire d'une vingtaine de minutes. Nous passerons ensuite à un échange sur la base des nombreuses questions que nous avons à vous poser.
Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter serment.
M. Gérard Lasfargues, Mme Charlotte Grastilleur, M. Jean-Luc Volatier, Mme Alima Marie et Mme Sarah Aubertie prêtent successivement serment.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, dans ce propos liminaire je vais vous parler des missions de l'ANSES en matière de sécurité sanitaire des aliments et de tout ce qui concerne les problématiques « alimentation et nutrition ». Puis, je vais vous décrire certains outils déployés par notre agence dans ce domaine. Pour terminer, j'aimerais vous présenter les propositions que l'agence a émises dans le cadre des états généraux de l'alimentation.
L'ANSES évalue, de manière globale et transversale, l'ensemble des risques – biologiques, physiques, chimiques – auquel l'homme et l'environnement sont exposés, volontairement ou non, dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement, du travail, de la santé et du bien-être des animaux, et de la santé des végétaux. Ce modèle, assez unique au niveau européen et international, nous permet d'avoir une approche intégrative des risques, prenant en compte toutes les voies d'exposition de l'homme, du consommateur à travers son alimentation, du citoyen dans son environnement général, du travailleur dans son cadre professionnel.
Nous sommes également compétents pour délivrer, renouveler et suspendre les autorisations de mise sur le marché pour les médicaments vétérinaires. Cette compétence a été étendue aux produits phytopharmaceutiques – les pesticides –, aux matières fertilisantes et aux supports de culture en 2015, et aux biocides en 2016.
Nous assurons des missions d'alerte, de veille, de surveillance, de vigilance dont l'objectif est de récolter et de traiter tous les signaux d'effets indésirables, suite à l'utilisation de ces produits : les pesticides, les produits chimiques puisque nous avons une mission de toxicovigilance, les médicaments vétérinaires, les compléments alimentaires.
Tout cela doit permettre une réactivité maximale en cas de crise sanitaire. Pour nous, il est vraiment essentiel de pouvoir capter l'ensemble de ces signaux, quels qu'ils soient, quelle que soit leur provenance. C'est d'ailleurs dans cette perspective que l'ANSES va auditionner, aujourd'hui même, une équipe de chercheurs sur les risques potentiels pour la santé et l'environnement que représentent les pesticides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) utilisés comme fongicides en agriculture.
L'ANSES intervient à toutes les étapes de la chaîne alimentaire pour évaluer les risques en matière d'alimentation, de la production primaire jusqu'à l'assiette du consommateur. Nous nous intéressons aux propriétés nutritionnelles des ingrédients et denrées qui entrent dans l'alimentation humaine, ainsi qu'aux risques et aux bénéfices sanitaires qui peuvent y être liés. Nous élaborons des références nutritionnelles en liaison avec les besoins nutritionnels des sous-groupes de population.
Nous apportons effectivement des éléments scientifiques utiles à l'élaboration de la réglementation nationale et communautaire, notamment sur tout ce qui concerne les problématiques d'enrichissement en vitamines, minéraux et autres substances contenues dans les compléments alimentaires. Nous relevons les données de composition nutritionnelle qui permettent de suivre l'évolution des pratiques de l'industrie agroalimentaire concernant différents apports, notamment en sel, sucre, graisses, lipides. Nous générons ainsi des données de consommation représentatives de la population française, qui sont extrêmement utiles aux travaux d'évaluation des risques et de surveillance que nous conduisons.
Nous contribuons à l'élaboration des objectifs de recommandations de santé publique en matière de nutrition : repères de consommation alimentaire ou de niveau d'activité physique. Nous lançons des travaux en étroite coopération avec d'autres acteurs comme Santé publique France ou le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) qui sont chargés de traduire toutes ces recommandations pour le grand public. Nous mettons en oeuvre le système de nutri-vigilance dont l'objectif est d'identifier rapidement les effets sanitaires éventuellement indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires ou de nouveaux aliments. Unique en Europe, ce dispositif a été mis en place dès 2009.
J'en viens aux quelques outils déployés par l'ANSES pour assurer la sécurité sanitaire des aliments. Certains dispositifs permettent d'évaluer l'exposition des populations à des substances chimiques, notamment les contaminants et les résidus – par exemple, les résidus de pesticides dans les aliments. Nous appuyons notre expertise et nos recommandations sur l'analyse de données les plus complètes possible sur les habitudes alimentaires de la population française et sur la contamination chimique des aliments.
Nos études individuelles nationales des consommations alimentaires (INCA) sont réalisées environ tous les huit ans. La première date de 1999 et la troisième et dernière – INCA 3 – a été publiée en juillet 2017. Ces études nous donnent une cartographie détaillée des habitudes de consommation alimentaire des Français : le choix, la préparation et la consommation des aliments ; l'évolution de la consommation des compléments alimentaires, qui est une vraie problématique ; la pratique de l'activité physique ; le niveau de sédentarité.
Tous ces éléments sont importants. INCA 3 indique, par exemple, que les adultes consomment environ 2,9 kg d'aliments et de boissons par jour. L'assiette des Français contient une grande part d'aliments transformés et encore un peu trop de sel : en moyenne neuf grammes pour les hommes et sept grammes pour les femmes alors que les objectifs du Programme national nutrition santé (PNNS) sont respectivement de 8 et 6,5 grammes, et que le Plan national de santé publique (PNSP), publiée fin mars dernier, a encore renforcé ces objectifs. Les apports en fibres des Français – 20 grammes en moyenne chez l'adulte – sont en deçà des recommandations de l'ANSES puisque nous conseillons trente grammes par jour. L'activité physique est insuffisante ; la sédentarité problématique, particulièrement chez les jeunes ; la consommation de compléments alimentaires s'accroît considérablement.
Toutes ces données sont évaluées et mises en perspective avec la prévalence de diverses maladies chroniques, que ce soit des maladies métaboliques ou des cancers. La part des aliments transformés a augmenté dans l'alimentation des Français. Les produits agroalimentaires industriels représentent la majorité de ces aliments consommés par les Français hors restauration : les deux tiers chez les enfants et la moitié chez les adultes.
Avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'agence met en oeuvre l'Observatoire de la qualité de l'alimentation (OQALI) qui permet de suivre la qualité nutritionnelle des aliments transformés mis sur le marché. En mai 2018, cet observatoire couvrait près de 60 000 produits, soit la quasi-totalité de l'offre alimentaire en produits transformés.
Les évolutions de la composition nutritionnelle sont en nombre limité et ne vont pas systématiquement dans le sens d'une amélioration.
Nous constatons une forte baisse des acides gras saturés dans les chips, par exemple, une très légère baisse globale du sel et une augmentation des fibres. Nous constatons aussi une augmentation des teneurs en graisse dans les aliments pour douze secteurs qui ont fait l'objet d'une étude d'évolution de la qualité nutritionnelle globale. Au vu de ces éléments, nous disons que les acteurs de l'industrie agroalimentaire doivent prendre leurs responsabilités et des dispositions pour améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits afin de réduire les impacts sanitaires qui peuvent découler de la consommation d'aliments transformés.
Les études sur l'évolution globale montrent aussi l'apparition de nouveaux risques chimiques ou biologiques qui peuvent être liés au changement de comportement alimentaire des Français. Les denrées périssables sont conservées durant des délais plus longs, et les dates limites de consommation sont plus beaucoup fréquemment dépassées comme il y a quelques années. Il faut pouvoir évaluer les risques – notamment biologiques – liés à ces changements de comportement. L'évaluation du risque chimique dans les aliments doit tenir compte de cette variabilité des habitudes alimentaires de la population. Il faut protéger toute la population et non pas un consommateur moyen qui n'existe pas, compte tenu de la diversité actuelle des régimes alimentaires.
Nous faisons aussi des études d'alimentation totale (EAT). Des campagnes d'analyses sont menées à l'échelon national pour surveiller l'exposition des populations à des substances d'intérêt en termes de santé publique : les métaux lourds, les résidus de pesticides, les mycotoxines et autres. Nous nous intéressons aux aliments transformés et aux aliments tels qu'ils vont être consommés – lavés, épluchés, cuits, etc… – c'est-à-dire à ce qu'il a dans l'assiette du consommateur.
Ces études permettent d'estimer la composition et la contamination chimique des aliments et donc de calculer l'exposition des individus par le biais de leur alimentation, afin de mettre en place des politiques de santé publique. Quelque 452 contaminants chimiques ont été analysés sur les 670 recherchés dans le cadre de cette dernière enquête. Nous avons pointé une dizaine de substances telles que des métaux lourds comme le plomb, du cadmium, de l'arsenic inorganique, des polychlorobiphényles (PCB) ou des produits néo-transformés comme l'acrylamide, dont la présence dépassait les valeurs de référence. Il est nécessaire de réduire l'exposition à ces substances, en particulier des groupes de population à risque comme les femmes enceintes. Nous prévoyons de réactualiser ces données en 2019, en y incluant les produits « bio », ce qui nous permettra de faire des comparaisons intéressantes.
Il est important d'étudier les changements de comportement alimentaire et les risques qui peuvent y être associés. Le risque biologique, par exemple, est présent du fait de l'augmentation de la consommation de denrées animales crues. À partir de ce constat, nous pouvons faire des recommandations sur la préparation et la consommation de ce type de denrées.
Nous étudions aussi la composition nutritionnelle détaillée en macronutriments – glucides, lipides, protides, vitamines, minéraux – des aliments. Nous publions une table de référence française sur la composition nutritionnelle des aliments : Ciqual. En 2017, elle couvrait 2 807 aliments et 61 constituants. Accessible en ligne, cette table est devenue incontournable dans le domaine de l'alimentation. Elle est utilisée par les entreprises pour l'étiquetage nutritionnel, les professionnels de santé, les nutritionnistes, les diététiciens, les concepteurs de logiciels nutritionnels, les équipes de recherche notamment celles qui travaillent en épidémiologie nutritionnelle.
En combinant les données de consommation – INCA – à celles de composition nutritionnelle et de contamination des aliments – EAT –, l'ANSES est ainsi à même de connaître les besoins en apports nutritionnels de la population française et son exposition aux contaminants.
Nous élaborons aussi les repères de consommations alimentaires du PNNS. Ces repères, qui font l'objet d'une actualisation régulière, visent, d'une part, à couvrir les besoins nutritionnels en prévenant le risque de maladies chroniques associé à la consommation de certains groupes d'aliments et, d'autre part, à limiter l'exposition aux contaminants présents dans l'alimentation. Pour ces recommandations, nous avons pris en compte les habitudes alimentaires de la population en vue de faciliter la bonne appropriation des repères élaborés.
Nous rappelons qu'une alimentation saine et équilibrée repose sur un régime alimentaire diversifié, faisant varier les aliments consommés comme les sources d'approvisionnement. Nos recommandations ont été relayées par nos partenaires Santé publique France et le HCSP. Nous recommandons, par exemple, d'accorder une plus grande place aux légumineuses, aux produits céréaliers complets, aux légumes, aux fruits, ainsi qu'à certaines huiles végétales. En contrepoint, nous recommandons de limiter la consommation des viandes, hors volailles, et plus encore des charcuteries et des boissons sucrées.
Dans la dernière partie de mon intervention, je voudrais revenir sur les états généraux de l'alimentation auxquels l'ANSES a fortement contribué, et sur les enjeux qui ont émergé à cette occasion et qu'il est nécessaire de prendre en compte.
L'interconnexion de plus en plus forte de l'alimentation avec les modes de productions et leurs impacts systémiques soulève plusieurs questions. L'une concerne la prise en compte des préoccupations sociétales de protection de l'environnement et de la biodiversité : agriculture biologique, usage des pesticides extensif, bilan carbone des transports, ressource en eau. Un autre se rapporte à des préoccupations éthiques telles que le bien-être animal dont l'ANSES a donné une définition récente qui pourra être utile aux travaux dans ce domaine. N'oublions pas les enjeux sociaux et économiques : circuits courts et consommation de proximité, traçabilité, étiquetage. Il est important de pouvoir remonter aux sources en cas de risques pour les consommateurs.
Nous voulons avoir une approche intégrative qui tienne compte de tous les types de consommation. Les gens recherchent de nouveaux modèles de consommation en lien avec leurs préoccupations de santé ou sociétales : végétariens, végans, à base de compléments alimentaires. Il nous importe de lutter contre l'exposition à des sources de danger physico-chimiques et biologiques, liée à ces modes de consommation. Nous nous interrogeons sur l'impact sur la santé publique de ces nouveaux comportements et de ces nouvelles offres alimentaires.
Les Etats généraux de l'alimentation ont aussi donné l'occasion de mettre en exergue la lutte contre l'obésité et les maladies non transmissibles d'origine métabolique – le diabète – ou environnementale. On peut faire le lien entre la santé, l'alimentation et l'environnement, notamment en ce qui concerne l'exposition aux perturbateurs endocriniens. Nous pensons qu'il est essentiel d'améliorer les connaissances, l'évaluation des risques et la réglementation au niveau européen en ce qui concerne ces perturbateurs endocriniens.
Les États généraux de l'alimentation ont permis de rappeler l'impact de la contamination environnementale sur la santé et la nécessité de le réduire. Cela passe notamment par un objectif de réduction de l'usage des pesticides, le développement de solutions alternatives en matière phytosanitaire comme le biocontrôle.
Nous avons publié récemment un gros rapport sur les alternatives aux néonicotinoïdes. Nous avons pu constater que, dans un bon nombre de cas, il y avait des solutions non chimiques passant par de nouvelles pratiques culturales pour lesquelles il est important d'accompagner les agriculteurs. Des actions visant à diminuer l'exposition des populations – notamment les plus sensibles – doivent être mises en place ou renforcées, par exemple au moyen de politiques de maîtrise des rejets environnementaux et la fixation de seuils réglementaires à des niveaux aussi bas que possible.
Totalement engagée dans ces domaines, l'ANSES a formulé des propositions dans le cadre des états généraux de l'alimentation et elle continue à les soutenir.
Nous prônons une consolidation des connaissances sur les expositions : systèmes de surveillance intégrés, veille, émergences, évaluation des effets des mélanges de substances chimiques et expositions agrégées, effet des faibles doses d'exposition, génomique, connaissance de la pathogénicité et impact sanitaire. En matière d'évaluation, nous développons de plus en plus de partenariats avec des consortiums de recherche et d'autres agences. Quant aux outils génomiques, ils comprennent la transcriptomique, l'épigénomique, etc.
Nous préconisons aussi une amélioration de la qualité de l'offre alimentaire, par le biais de leviers efficaces. Partant des données de l'OQALI, nous avions des attentes concernant les chartes d'engagement volontaire des industriels sur, par exemple, la réduction de la teneur en sel ou en sucre de certains aliments. Les résultats sont clairement en deçà des attentes. Il faut donc réfléchir à des mesures plus incitatives ou plus fortes, allant peut-être jusqu'à des réglementations, comme nous l'avons formulé dans certains avis.
Nous proposons le développement d'approches des risques et bénéfices intégratives, tenant compte des interactions entre l'environnement, la santé, la nutrition et l'agriculture durable. Nous avons commencé à le mettre en oeuvre dans l'élaboration de nos repères nutritionnels. Il faut privilégier une vision systémique pour élaborer des recommandations et engager des actions de politiques publiques. Il y va de l'efficacité des mesures.
Enfin, nous pensons qu'il faut réorienter les modèles d'agriculture et d'élevage, en tenant compte de l'exposition aux dangers, en lien avec les plans « Écophyto » et « Écoantibio ». Nous appuyons toutes les mesures qui peuvent contribuer à réduire l'usage des pesticides et nous pouvons donner des pistes en matière de promotion de pratiques alternatives. La réorientation des modèles peut s'appuyer sur une stratégie de définition des bons usages avec l'ensemble des parties prenantes, afin de développer des alternatives en matière phytosanitaire par un dispositif de soutien et d'accompagnement des PME dans les solutions de biocontrôle. Nous avons mis en place une plateforme de dialogue avec l'ensemble des parties prenantes sur la problématique des pesticides. Cette initiative s'inscrit dans la ligne de l'agence en matière d'ouverture et de transparence.
Merci, monsieur le professeur Lasfargues, pour ce propos liminaire plutôt complet. Vous avez beaucoup parlé de votre connaissance de l'exposition des populations aux contaminants. J'aimerais que vous nous expliquiez précisément et concrètement les procédures de gestion et de suivi mises en oeuvre par l'ANSES en matière d'autorisation de mise sur le marché des divers produits réglementés.
J'ai besoin d'avoir une vision très précise du circuit de ces autorisations de mise sur le marché. Qui réalise les évaluations scientifiques préalables ? L'ANSES dispose-t-elle des études scientifiques réalisées par les entreprises, relatives à l'innocuité des produits dont elles demandent l'autorisation de mise sur le marché ? D'une manière plus générale, quelles relations l'ANSES entretient-elle avec les centres de recherche de l'industrie agroalimentaire ?
C'est ma première série de questions. Comme j'en ai beaucoup d'autres, je vous demanderais d'être le plus précis et concis que possible.
Je vais essayer d'être concis, mais l'évaluation et la gestion des produits réglementés sont complexes car les réglementations diffèrent selon les types de produits.
Pour les produits phytopharmaceutiques, l'évaluation des substances actives se fait au niveau européen, sous l'égide de l'EFSA. Les industriels doivent déposer un dossier et respecter un certain nombre de requis. En matière de cancérogénèse, ils doivent fournir des études sur au moins deux espèces animales, qui seront utilisées par les agences de sécurité sanitaire, l'EFSA et l'Agence européenne des produits chimiques – European Chemicals Agency (EFSA) – pour établir une classification de ces substances actives. Les industriels doivent aussi joindre à leur dossier des études de toxicologie, de toxicocinétique, de toxicodynamie, de mécanismes d'action, de toxicité aiguë et de génotoxicité. Si le dossier n'est pas complet lorsque nous évaluons une substance active, nous demandons à l'industriel de nous fournir les données complémentaires. S'il ne le fait pas, l'autorisation de mise sur le marché n'est pas accordée. Comme dans l'évaluation européenne des produits chimiques, le principe est le suivant : no data, no market, c'est-à-dire pas de données, pas de marché.
L'EFSA – et donc la Commission européenne – demande à un État membre de faire l'évaluation du dossier de l'industriel. Ce dossier est ensuite examiné par les différentes agences des États membres au niveau européen, sous l'égide de l'EFSA. Celle-ci rend un avis sur l'évaluation de la substance active. Pour cette substance active, l'autorisation est délivrée par la commission des États membres, le fameux Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADA). C'est le processus suivi récemment par le glyphosate.
Au niveau des pays, les agences nationales sont en charge de l'évaluation des préparations, c'est-à-dire des produits qui contiennent des substances actives. Une fois qu'une substance active est approuvée au niveau européen, les industriels déposent un dossier à l'ANSES pour que nous les autorisions à mettre sur le marché français des produits contenant cette substance.
Nos évaluations et autorisations de mise sur le marché valent pour un produit, à une dose donnée, pour un mode d'emploi particulier, pour une culture et pour un type de ravageurs. Nous partons du principe que la substance n'est pas autorisée. Ensuite, petit à petit, nous levons les interdictions si notre évaluation le permet. Nous travaillons à partir du dossier mais aussi de la littérature scientifique et des données de pharmacovigilance. Quand le risque n'est pas inacceptable pour le consommateur, le travailleur, l'applicateur du pesticide et les riverains, nous délivrons cette autorisation de mise sur le marché.
L'autorisation n'est pas donnée de manière générale pour un produit ; elle vaut pour son utilisation dans des conditions précises. L'ANSES s'appuie sur son équipe de scientifiques et sur des comités d'experts qui regroupent des chercheurs de l'INRA, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et aussi des équipes académiques pour mener ces évaluations et prendre une décision concernant la demande d'usage de préparations en France.
Pour les biocides, l'évaluation est réalisée par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui est en charge de l'évaluation des produits chimiques, en général, dans le cadre de la réglementation REACH – acronyme de Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals – au niveau européen. C'est aussi cette agence qui classe les agents chimiques, quels qu'ils soient, selon le règlement CLP – classification, étiquetage et emballage des substances et mélanges. C'est ce qui permet de dire si un produit est cancérogène possible, probable ou avéré, s'il est mutagène ou reprotoxique.
Sous l'égide de l'ECHA, nous évaluons certaines substances biocides. Pour ces produits, l'essentiel des évaluations se fait au niveau européen. Nous sommes très impliqués dans les comités d'évaluation européens. Pour les biocides, il n'y a pas un processus à deux étages aussi net que pour les produits phytopharmaceutiques : substance active au niveau européen, préparation au niveau français.
Pour les médicaments vétérinaires, l'évaluation est du ressort de l'Agence européenne du médicament – European Medicines Agency (EMA). Installée en Angleterre, cette agence va migrer à Amsterdam, aux Pays-Bas, à la faveur du Brexit. Nous évaluons certains de ces médicaments vétérinaires dans un processus totalement européen. Comme pour les médicaments destinés aux humains, toute la comitologie des décisions d'autorisation se fait au niveau européen.
Ces processus différents ne sont pas forcément harmonisés, ce qui entraîne des problèmes comme celui de la définition des perturbateurs endocriniens. Une harmonisation a été faite pour les produits phytopharmaceutiques, mais ce n'est pas le cas pour les biocides dans le cadre de REACH. Pour notre part, nous proposons qu'une seule agence – qui pourrait être l'ECHA – soit responsable de l'évaluation des produits chimiques et des perturbateurs endocriniens. Sinon, le risque est d'avoir des évaluations différentes pour un produit phytopharmaceutique, utilisé comme biocide ou éventuellement comme médicament vétérinaire, en fonction des États membres évaluateurs et des différentes agences européennes. Le produit peut même avoir des valeurs toxicologiques de référence différentes dans les trois réglementations. Dans ce domaine, il y a vraiment un besoin d'harmonisation et de simplification.
La semaine dernière, nous avons rencontré le directeur de l'EFSA et son équipe et nous avons fait des propositions très concrètes. Avec Roger Genet, notre directeur, nous sommes très proactifs en matière d'harmonisation. Nous plaidons pour la création d'un fonds européen qui financerait des études toxicologiques indépendantes pour dépasser les controverses sur certaines substances comme le bisphénol A ou le glyphosate. Sur le bisphénol A, nos conclusions n'étaient pas les mêmes que celles de l'EFSA. Sur le glyphosate, il y a des divergences entre l'EFSA et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et l'histoire n'est pas finie. Financées par un fonds dédié, des études toxicologies effectuées par des équipes de recherche indépendantes permettraient de trancher, d'avoir des avis plus clairs.
Les Américains ont développé le Programme national de toxicologie – National Toxicology Program (NTP) – dans lequel ils investissent des dizaines de millions de dollars chaque année. Il serait intéressant d'avoir un programme similaire au niveau européen, financé par l'agence européenne et les grandes agences nationales : l'ANSES en France, le RIVM – Rijksinstituut voor Volksgezondheid en Milieu – aux Pays-Bas, le BFR – Bundesinstitut für Risikobewertung – en Allemagne. Cela permettrait d'avancer concrètement en cas de controverses importantes ou d'incertitudes à propos des dangers de telle ou telle substance, de tel ou tel pesticide.
Lundi prochain, nous allons rencontrer le directeur général de l'ECHA et nous lui présenterons notre proposition. Pour nous, il est extrêmement important de prendre en compte toutes les données de la science quand on évalue les risques de ces substances et produits réglementés. Nous étudions les données produites par les industriels. Je peux vous dire que nos scientifiques épluchent les dossiers de façon très détaillée et qu'ils n'hésitent pas demander les données brutes pour les réanalyser au moindre doute. Nous tenons évidemment compte des données fournies par la littérature académique scientifique, qui sont parfois contradictoires avec celles des industriels. Il est intéressant de confronter ces données. C'est pourquoi nous avons besoin d'expertises collectives, de chercheurs et d'experts à la fois dans notre agence et dans nos comités.
Merci pour cette réponse. Pour être franc, j'ai en tête un exemple qui vient contredire vos propos. Certaines substances ont des effets importants sur l'environnement et la biodiversité, notamment les fongicides SDHI que vous évoquiez dans votre propos liminaire. Il y a quelques semaines, nous avons rencontré le professeur Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS, suite à l'alerte qu'il a lancée avec d'autres chercheurs concernant ces SDHI.
Comment des pesticides ayant un tel effet peuvent-ils recevoir une autorisation de mise sur le marché de la part de l'ANSES ? Est-ce que cela signifie que les tests de toxicité réalisés avant la mise sur le marché des SDHI n'avaient pas porté sur le spectre entier des risques potentiels et donc de l'écosystème dans son ensemble ? Si c'est le cas, y a-t-il des raisons de procéder de cette manière ? Au regard de ce qui est avéré par cette équipe de scientifiques et bien d'autres au niveau international, ne faudrait-il pas appliquer immédiatement un principe de précaution ?
Après l'autorisation de mise sur le marché d'un produit, l'ANSES doit assurer un suivi et surveiller ses éventuels effets indésirables. Lorsqu'une telle alerte est lancée, une demande de retrait des produits, à titre conservatoire, ne s'impose-t-elle pas ? Si c'est le cas, pourquoi l'ANSES ne l'a-t-elle pas fait ? Cette question rejoint un peu la précédente sur le principe de précaution. Cette affaire m'étonne.
Vous expliquez que vous lisez toute la littérature scientifique existante avant d'émettre un avis sur un produit. En l'occurrence, une équipe mondialement reconnue n'a visiblement pas été consultée par l'ANSES avant que ces fongicides ne reçoivent une autorisation de mise sur le marché. Ne faudrait-il pas réviser les procédures internes à l'ANSES ?
Vous avez évoqué un besoin qui me paraît prégnant : la création d'un fonds dédié à des études scientifiques indépendantes. L'équipe du professeur Rustin a sollicité l'ANSES pour obtenir des financements afin de travailler sur les SDHI. Ces financements lui ont été refusés. Je trouve qu'il y a un décalage entre vos propos sur la nécessité d'avoir des études indépendantes et les pratiques de l'ANSES. J'aimerais que vous m'éclairiez sur ce point.
Merci beaucoup, monsieur le président, de me poser cette question car, apparemment, beaucoup de fausses informations ont circulé sur le sujet.
Je vais entrer dans le détail des échanges que nous avons eus avec M. Rustin. En fin d'année 2017, il nous a contactés pour nous dire qu'il travaillait sur des maladies rares, liées à des mutations du gène de la succinate déshydrogénase (SDH). Chez l'homme, ces mutations conduiraient à des associations avec certaines maladies chroniques, voire des cancers. C'est une autre problématique que les SDHI. Il nous a dit être étonné que des substances capables d'inhiber la respiration mitochondriale puissent être mises sur le marché, nous indiquant qu'elles étaient cancérogènes.
Interpellés, nous lui avons demandé de nous fournir les données des études qui lui permettaient d'affirmer de telles choses. Aucune des études de cancérogènes qui figurent dans nos dossiers ne permet de classer les SDHI mis sur le marché comme cancérogènes avérés ou cancérogènes probables. Il y avait donc une contradiction. À ce jour, j'attends toujours les données de ce scientifique.
Je suis très content d'être auditionné aujourd'hui parce que s'il existe des données non publiées, nous aimerions beaucoup les voir. Celles qu'il a publiées décrivent le mécanisme d'action et elles n'apportent rien concernant les problèmes de cancérogénèse. D'autres données, relatives aux mutations géniques, à la maladie rare, ne portaient pas sur les SDHI. D'une façon très ouverte et conviviale, je lui ai dit que je serais très heureux qu'il puisse nous apporter des données qui nous permettent, si nécessaire, de remettre en cause les autorisations de mise sur le marché et de demander à l'EFSA de revoir l'évaluation de certaines substances actives.
Comme il s'agissait d'une alerte, nous avons constitué, en urgence, un groupe d'expertise collective qui réunit des chercheurs de pointe. Notre comité d'experts spécialisés regardera aussi le dossier, et nous produirons un rapport et des conclusions.
Précisons qu'il existe sur le marché de nombreux agents chimiques, y compris de médicaments, qui inhibent la respiration mitochondriale : les statines – excellents hypocholestérolémiants permettant de prévenir les maladies cardiovasculaires –, la metformine qui est un antidiabétique, certains anesthésiques locaux, certains antibiotiques. Tous ces produits peuvent avoir des effets sur la respiration mitochondriale et c'est pourquoi ils sont prescrits suivant une posologie. C'est toute la différence entre un danger et une évaluation de risque pour la mise sur le marché de produits dont on est sûr qu'ils ne sont pas toxiques pour l'homme.
Par ailleurs, en matière de phytopharmacovigilance, nous continuons à prendre contact avec l'ensemble des agences internationales de sécurité sanitaire, et j'en ai parlé personnellement avec des collègues du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) et du CIRC. Jusqu'à présent, nous n'avons pas vu de signaux d'alerte à travers toutes les études que nous regardons dans la littérature scientifique. Je ne peux donc pas lancer une alerte sur quelque chose que des biologistes qui travaillant sur des maladies rares, et qui ne sont pas forcément des toxicologues, ont signalé.
Mes collègues et moi-même serons très heureux d'avoir une conversation avec M. Rustin. L'ANSES est considérée, à travers le monde, comme l'agence qui porte la précaution au plus haut niveau concernant l'évaluation et les substances chimiques. Il y a quinze jours, j'étais à un congrès sur la toxicité prénatale des produits chimiques. Tous les collègues des grands instituts de recherche américains et européens sont venus remercier l'ANSES pour sa proactivité sur l'évaluation des risques chimiques, sur les perturbateurs endocriniens et sur ce que nous promouvons sur ce plan.
Nous avons ouvert nos dossiers à M. Rustin, nous lui avons dit de ne pas hésiter à nous faire part de ses observations en matière d'évaluation et que nous étions prêts à en discuter et à faire des corrections si c'est nécessaire. M. Rustin nous a répondu qu'il fallait être inhumains pour regarder ces dossiers. Il y a donc plein d'êtres inhumains à l'ANSES qui regardent ces dossiers jour après jour, page par page… Et beaucoup de chercheurs de l'INSERM, de l'INRA et du CNRS, sont capables de se pencher sur ces dossiers et de regarder ce qu'ils contiennent. Avant de lancer une alerte, peut-être aurait-il fallu prendre le temps de consulter attentivement ces dossiers et d'échanger avec les collègues chercheurs et experts.
Je le répète, nous sommes tout à fait ouverts à la discussion et prêts à interdire des substances si l'on nous apporte des éléments scientifiques.
M. Rustin a souhaité déposer un projet de recherche dans le cadre du Programme national de recherche « environnement santé travail » porté par l'Agence. Comme tous les chercheurs, il a reçu le texte de l'appel à projets : il s'agit de soutenir des projets à long terme, de trois, quatre ou cinq ans, et non des projets faits pour donner un résultat immédiat qui servirait d'alerte. C'est également un appel à projets concurrentiels, comme peut l'être l'appel à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Les chercheurs qui déposent un projet ou une lettre d'intention dans le cadre de ce programme doivent se plier aux règles prévues, notamment à la concurrence avec les autres chercheurs. Son projet n'a pas été retenu parmi les meilleurs. Nous sélectionnons environ cent lettres d'intention parmi les quelque 300 lettres qui nous sont envoyées. Ensuite, nous demandons aux auteurs des lettres sélectionnées de déposer des projets complets. Compte tenu des moyens de financement qui nous sont alloués, nous ne pouvons financer que trente-cinq à quarante projets chaque année. Nous encourageons M. Rustin à postuler de nouveau et à améliorer la qualité scientifique de son projet pour qu'il puisse être retenu une prochaine fois.
Nous aurions la possibilité de financer des études spécifiques sur l'évaluation des SDHI si c'était nécessaire, via le processus de phytopharmacovigilance. Mais ce n'était pas ce type d'étude qui était annoncé clairement par M. Rustin et ses collaborateurs.
Vous savez, je suis médecin, et mon souci est vraiment de protéger la population. Je le répète, notre Agence est vraiment précurseur en matière de précaution et de soutien aux victimes. J'étais aux côtés des associations de victimes pour contribuer à l'interdiction de l'amiante et prendre la problématique des fibres courtes et fines dans l'évaluation. J'ai été aussi l'un des premiers à rendre visite, dans sa ferme, à M. Paul François, de l'association Phyto-Victimes, pour voir comment on pouvait l'aider. Enfin, je rappelle que l'Agence est à l'initiative de la création des tableaux des maladies professionnelles sur les produits phytopharmaceutiques. Dès 2010, j'avais proposé dans un rapport l'inscription de la maladie de Parkinson.
Nous sommes tout à fait ouverts au dialogue, et je suis vraiment très content que nous ayons un dialogue avec M. Rustin cet après-midi. Nous publierons les résultats de cette expertise de façon très transparente, nous en discuterons sur notre plateforme de dialogue avec toutes les parties prenantes, avec les ONG, avec toutes les personnes qui se sentent concernées, et nous prendrons toutes les décisions nécessaires – retrait ou non, autorisation de mise sur le marché de ces produits phytopharmaceutiques – dès que ce sera possible.
Vous n'avez pas répondu sur le spectre large qui doit couvrir les études sur l'environnement. Vous dites que vos évaluations sur la cancérogénicité valent pour une dose, un mode d'emploi, un usage.
Plusieurs doses !
En matière d'environnement, il y a aussi des effets cumulatifs dans le temps. Qu'en est-il des évaluations ?
Dans toutes les évaluations d'un produit, on étudie sa rémanence dans l'environnement. Si un produit est rémanent de façon trop longue dans le temps et s'il a une toxicité cumulative, que ce soit pour l'environnement, la santé humaine, voire la santé animale, bien évidemment il ne sera pas mis sur le marché. De fait, certaines molécules ne sont pas mises sur le marché pour ces raisons, y compris d'ailleurs un certain nombre de pesticides SDHI qui n'ont pas été autorisés dans l'évaluation européenne ou dans nos précédentes évaluations. Dans tous les dossiers, on demande évidemment des données sur l'écotoxicité, la toxicité environnementale, les effets sur la biodiversité. Cela fait bien sûr partie de l'évaluation. La question de la toxicité environnementale dans sa globalité est très importante pour nous, comme l'est celle de la toxicité humaine.
Nous vous transmettrons également une note qui récapitule le processus lié à ces produits réglementés et l'intégralité du champ des pièces et points scientifiques qui sont examinés par l'Agence.
Je me permets également de vous proposer, pour les questions liées à l'EFSA et l'expertise, de vous transmettre une note que nous avions produite dans le cadre des Etats généraux de l'alimentation. La dernière partie de cette note reprend tous les éléments de collaboration avec l'EFSA.
Merci. Ce sera utile.
Quel est le rôle de l'ANSES en ce qui concerne les additifs, les arômes et autres ingrédients qui sont incorporés aux recettes de l'alimentation industrielle ? D'ici à 2020, l'EFSA devrait avoir mené à bien une évaluation complète sur les caractéristiques et les risques potentiels de plus 300 additifs alimentaires. Cela semble être un travail titanesque. Comment êtes-vous impliqués dans ce travail ?
C'est précisément un point que je voulais ajouter, en complément de la notion de produits réglementés. On pense beaucoup aux produits phytopharmaceutiques et aux biocides pour lesquels on a très bien rappelé que l'autorisation est désormais également gérée par l'ANSES. Il existe d'autres ingrédients qui relèvent du champ alimentaire dont il est important de vérifier l'innocuité.
Des ingrédients et produits alimentaires sont soumis à autorisation, de même que les nouveaux aliments, c'est-à-dire les aliments qui n'étaient pas sur le marché, dans l'Union, avant 1997, les organismes génétiquement modifiés (OGM), les enzymes, qui sont des facilitateurs dans diverses recettes, et les additifs. Dans les additifs, on retrouve beaucoup de substances utilisées pour diverses propriétés technologiques, par exemple des anti-agglomérants, des colorants, des arômes, des édulcorants. En la matière, la quasi-totalité des règles et de la législation sont d'essence européenne. L'autorisation de mise sur le marché des nouveaux aliments, additifs et autres est donc délivrée par la Commission européenne. La comitologie des décisions se fait au niveau européen, mais avec un appui fort et un arbitrage des États membres, la Commission ayant le dernier mot en l'absence de consensus du comité permanent. L'autorisation est délivrée sur la base d'un dossier qui doit garantir effectivement l'innocuité et préciser, le cas échéant, un degré de pureté de la substance, une modalité d'obtention, un dosage d'utilisation, les aliments dans lesquels l'utiliser ou non. Toutes les conditions d'emploi doivent être précisées dans l'autorisation.
Puisque l'autorisation est européenne et que l'autorisation est délivrée en comitologie avec les 28 États membres, c'est l'EFSA qui est le support d'évaluation direct adapté. Il existe des procédés ou des processus transitoires liés aux besoins d'organisation et au manque de moyens de l'EFSA. Je m'explique : avant le 1er janvier 2018, les aliments étaient évalués dans les agences nationales. Le pétitionnaire déposait son dossier dans un des États membres, et il y avait un schéma de reconnaissance. Depuis le début de l'année, c'est l'EFSA qui évalue les nouveaux aliments. Pour les enzymes, nous sommes dans une phase transitoire : en ce qui concerne les dossiers déposés en France, l'ANSES continue de faire les évaluations, mais à terme – la date n'est pas précisée – c'est bien l'EFSA qui le fera. S'agissant des additifs, les pétitionnaires déposent leur dossier directement auprès de l'EFSA, comme pour les OGM.
Le schéma est donc très simple et place l'EFSA au coeur du dispositif en tant que responsable de l'examen du dossier dans la mesure où on est sur des processus de délivrance d'autorisation à l'échelle européenne.
Néanmoins, et j'insiste beaucoup sur ce point, cela n'enlève rien à nos prérogatives nationales sur ces sujets, et nous avons toute latitude en cas d'alerte, en cas de questions que nous nous poserions d'emblée ou qui nous seraient transmises par les ministères, pour examiner ces questions. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait, à la demande des ministères, sur le dioxyde de titane, puisque nous avons produit un avis sur la dernière étude Bettini et alii, dite NANOGUT, indépendamment du travail qui était en cours à l'EFSA sur le dossier d'autorisation proprement dit.
S'agissant de la coopération de fait avec l'EFSA dans ce genre de dossier, je vous indique que nous sommes en étroite relation avec l'autorité européenne par divers mécanismes. Il existe un forum consultatif, dont l'ANSES est partie prenante, placé auprès de l'EFSA, décrit dans le texte dit food law, c'est-à-dire le règlement en cours de révision dont vous parliez. Ce forum permet de s'organiser pour discuter de nos conclusions respectives et éviter de faire des travaux en double. Il existe d'autres mécanismes, notamment un mécanisme de points focaux dans chacun des États membres, c'est-à-dire des points de contact avec l'EFSA. Le conseil d'administration de l'EFSA devrait être réformé pour pouvoir accueillir des représentants des États membres, ce qui faciliterait l'accès aux discussions. Enfin, nous avons des échanges très réguliers entre équipes – c'est presque notre lot quotidien – et des réunions au moins annuelles au niveau de nos directions respectives sur ces sujets.
En résumé, oui nous sommes en contact avec l'EFSA, nous avons des échanges très réguliers, et notre coopération se fait dans un souci financier de ne pas réaliser des travaux redondants.
Il existe aussi un mécanisme réglementaire – c'est l'article 30 du règlement 178 de 2002 – de réduction des divergences scientifiques. Dès lors que l'EFSA et d'autres agences nationales ont abordé un sujet scientifique sur lequel il semble qu'il y ait des différences d'appréciation, l'EFSA a l'initiative de se rapprocher de l'agence en question et d'entamer des discussions scientifiques, ce qui se fait très régulièrement et de façon très fluide.
Je voudrais rebondir sur un point que vous avez évoqué en lien avec la question de l'évaluation des dossiers et des processus industriels. Effectivement, l'EFSA examine actuellement 300 additifs, ce qui est considérable, selon une politique relativement intransigeante qui consiste à demander aux industriels, pour les additifs assez anciens utilisés régulièrement mais pour lesquels il n'y a pas un pétitionnaire mais une multiplicité d'utilisateurs dans l'industrie, de fournir des données. Cela permettrait que ces additifs ne soient plus une nébuleuse que tout le monde utilise, ce qui entraîne une espèce de déresponsabilisation par rapport à un dossier d'origine. En effet, comme l'usage est devenu commun, on perd parfois un peu la trace des pétitionnaires d'origine. L'idée est donc de faire appel aux pétitionnaires et industriels intéressés par l'utilisation d'un additif pour qu'ils fournissent des données sur cet additif. Dans l'hypothèse où à telle date l'EFSA n'aura pas les données nécessaires, elle indiquera qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de sécurité. Nous soutenons tout à fait cette démarche. Je pense que certains additifs pourraient purement et simplement sortir des listes d'autorisation au motif d'une insuffisance de documentation.
Vous nous avez posé la question des relations avec les centres industriels. Nous sommes vraiment au coeur de la déontologie de l'Agence. S'agissant des travaux sur dossier, nous ne sommes pas du tout dans un travail itératif ou de cotravail avec l'industrie. Il existe une liste de données à fournir impérativement basée sur des lignes directrices scientifiques de démonstration – ce sont des lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l'EFSA. Nous travaillons sur dossier et l'appréciation se fait de façon totalement indépendante et transparente. L'agence, qu'il s'agisse de l'ANSES ou de l'EFSA, n'est pas dans la coconstruction avec l'industrie. J'ajoute que lorsque nous avons besoin, pour des raisons déontologiques, de nous rapprocher de ce type de structure, nous le faisons dans le cadre d'auditions et je précise que les gens de l'industrie ne sont en aucun cas dans nos collectifs d'experts. Dans le cadre de la refonte de la food law, il est proposé de prévoir la possibilité d'auditer les laboratoires qui sont à l'origine de la fourniture de données pour l'évaluation des risques. Cette proposition recueille tout à fait l'assentiment de l'ANSES.
S'agissant toujours de la rénovation du règlement 178 de 2002, l'ANSES soutient clairement la proposition relative à la transparence de l'évaluation des risques, avec un projet de publication précoce en cours de processus d'évaluation des données des pétitionnaires, dans un objectif un peu vertueux d'ouverture, de transparence qui concourt à la rassurance de tous nos concitoyens sur le processus en cours, et afin que les équipes scientifiques puissent s'emparer à un stade précoce des données et livrer leur appréciation, en tant que de besoin, sur ces données.
Une autre proposition, qui concerne la qualité, la fiabilité des études qui sous-tendent l'évaluation des risques, est celle d'un registre des études en cours à renseigner par les pétitionnaires. Nous soutenons également cette proposition qui permettrait de connaître, au-delà des pièces obligatoires dans le dossier, les études promues par l'industrie qui pourraient potentiellement comporter des éléments négatifs.
Un autre point nous semble intéressant, celui de l'inclusion dans le conseil d'administration de l'EFSA de représentants des États membres, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela pourrait induire une fluidité des relations, avec l'EFSA en particulier.
Le quatrième point qui concerne plutôt l'EFSA que les agences nationales est relatif à l'amélioration de la communication sur les risques, avec là encore l'enjeu très vertueux d'un dialogue plus régulier avec les parties prenantes, y compris les ONG à parts égales, si ce n'est supérieures à celle de l'industrie, dans un but d'explication, d'éducation, de rassurance, de transparence sur les processus à l'oeuvre, ce qui pourrait être tout à fait transposable à l'ANSES. Sans nous vanter, je dois dire que nous avions une longueur d'avance en ce qui concerne le dialogue avec les parties prenantes puisque nous avons mis très rapidement en place une plateforme sur les produits phytosanitaires, et que nous avons d'autres plateformes de dialogue qui ont très bien fonctionné, et qui continuent d'être à l'oeuvre sur les radiofréquences et les nanomatériaux. L'enjeu, au sein de ces plateformes, est de débattre de l'expertise, du résultat d'expertises, dans un souci d'information des parties prenantes, ce qui peut induire également la mise à l'agenda de projets de recherche pour compléter les données manquantes.
Vous parlez des évolutions futures, et notamment des études préalables des pétitionnaires auprès de l'EFSA, ce qui montre une défaillance de l'EFSA, comme on l'a vu avec l'affaire des Monsanto Papers. Vous dites que vous soutenez la transparence, le fait que des études précoces puissent être publiées pour que d'autres équipes scientifiques s'en emparent. Toutes ces propositions vont plutôt dans le bon sens, mais cela veut dire que la situation actuelle n'est pas satisfaisante.
Vous nous avez dit que les biocides dépendaient de l'ECHA. Les mêmes progrès sont-ils prévus pour cette agence ?
Les quatre points que nous soutenons sont des propositions qui font consensus entre les États membres, et notamment auprès de la Commission. Nous avions rajouté deux propositions générales importantes. Premièrement, que l'EFSA soit davantage au coeur de l'évaluation des risques en cas de crise – je pense que le fipronil est un très bon exemple. En cas de crise, il faut en effet qu'il y ait un arbitrage très clair et rapide et que des niveaux d'action établis par les scientifiques puissent être mis en place très rapidement dans tous les États membres. Ce n'est certainement pas le moment de multiplier les évaluations à l'échelle nationale par 27 ou par 28. Nous proposions donc que l'EFSA puisse jouer ce rôle, ce qui n'est pas forcément le cas. J'en veux pour preuve l'affaire du fipronil qui a éclaté l'année dernière, en plein coeur de l'été : comme les Allemands, nous avons dû mener nos propres calculs, ce qui peut sembler réellement contre-productif quand on est en crise et qu'on a besoin d'un arbitrage rapide. L'EFSA nous a indiqué réfléchir à des procédures d'évaluation en urgence qui sont, à mon sens, très bienvenues sur ce point.
Le second point important qui rejoint ce que M. Lasfargues a très bien évoqué, concerne le besoin d'aller vers des évaluations plus intégratives. Il ne s'agit plus de répondre à une question de sécurité sanitaire d'un côté, et une question nutritionnelle de l'autre, et de se préoccuper des expositions professionnelles ou de l'environnement, car on sent bien qu'il y a, la plupart du temps, une globalité des sujets. Nous proposons que l'EFSA aille vers énormément de coopération, et bien plus avec l'ECHA et l'EMA en particulier, afin d'aboutir à une appréciation plus intégrée des évaluations et des impacts d'un certain nombre de pratiques. Pour notre part, nous avons la capacité de tenter des évaluations assez intégratives dans la mesure où, depuis la fusion de 2010, le champ de l'ANSES intègre à la fois l'alimentation, l'environnement et la santé au travail. Pour l'EFSA, sans forcément remanier son champ d'action dans la fameuse food law, il y a vraiment là une piste d'amélioration de la collaboration avec en particulier l'ECHA et l'EMA, ainsi que les agences de biodiversité.
La note que nous vous avons adressée fait état de propositions d'amélioration de l'ensemble des agences européennes, et pas seulement de l'EFSA.
Je vous remercie pour vos explications.
Avec tous ces organismes, on a vraiment le sentiment d'être dans une nébuleuse et j'ai peur que chacun se renvoie la faute. Nous avons encore besoin d'avoir des précisions.
J'aimerais que vous alliez un peu plus loin dans vos réponses sur certains points.
L'étude Nutri-Net Santé, qui a été publiée au mois de février dernier, a suggéré une association entre la consommation de produits ultra-transformés et le risque de développer un cancer. Selon la classification NOVA, les produits ultra-transformés se caractérisent notamment par l'ajout d'additifs. Il existerait environ 400 additifs sur le marché européen dans l'industrie agroalimentaire. L'ANSES formule-t-elle des recommandations à l'industrie agroalimentaire quant à l'utilisation des additifs ? Nous avons besoin de savoir ce que vous pensez de l'« effet cocktail ». Quel curseur faudrait-il adopter ? Le principe de précaution est-il suffisamment appliqué ? Comme de nouveaux additifs arrivent en permanence sur le marché, cela modifie à chaque fois les données scientifiques. Au-delà de quatre médicaments, un médecin ne sait pas quels sont leurs effets sur le patient ; j'imagine que c'est la même problématique en ce qui concerne l'alimentation.
Tout à l'heure, on a parlé des oeufs contaminés et des scandales qui éclatent régulièrement. Doit-on en conclure que les mécanismes de contrôle actuels ne sont pas suffisamment efficaces ? Selon vous, que pourrait-on faire pour renforcer ces contrôles sanitaires ? Hier, M. Assémat nous a déjà donné quelques réponses, mais j'aimerais que vous nous disiez comment on peut agir davantage sur les contrôles.
Lors des auditions précédentes, la notion de dose journalière admissible (DJA) a été évoquée à plusieurs reprises. La DJA prise sur la vie entière n'entraîne aucun risque appréciable sur la santé du consommateur. La limite maximale retenue doit aussi être prise en compte. Que pensez-vous de cet outil ? Ne devrait-il pas être mieux adapté ? En effet, il ne différencie pas du tout l'âge de l'individu, là où il habite, ce qu'il consomme chaque jour. Quelles sont vos préconisations sur la DJA ?
L'ANSES a émis des recommandations sur les huiles minérales et conseillé de limiter l'exposition du consommateur en utilisant des encres d'impression, des additifs et auxiliaires technologiques sans hydrocarbures aromatiques d'huile minérale – mineral oil aromatic hydrocarbons (MOAH). On sait que l'Allemagne a beaucoup évolué dans ce domaine. Où en sont les préconisations de l'ANSES sur les huiles minérales dans les produits alimentaires ?
Nous vous avons beaucoup parlé des procédures, mais nous ne vous avons pas suffisamment entendu sur le suivi de ces procédures. Le suivi des procédures mis en place est-il vraiment effectif ?
Vous avez dit faire de la recherche sur les mêmes problématiques que celles évoquées par M. Rustin. Comment se fait-il que vous n'ayez pas suffisamment échangé par rapport à ce qu'il a pu trouver ? Vous, les chercheurs, vous voulez travailler ensemble, mais j'ai l'impression qu'il est très difficile que la recherche arrive à échanger ses participations. On irait pourtant tellement plus vite. Il a peut-être des données, et j'imagine que vous en avez d'autres : le « cocktail » entre vous pourrait être beaucoup plus performant.
Vous avez raison de soulever la question de « l'effet cocktail » qui est un vrai challenge aujourd'hui pour l'ensemble des agences de sécurité sanitaire, en France, en Europe et dans le monde. Nous mettons en place des actions en la matière, et je laisserai mon collègue Jean-Luc Volatier, qui est très impliqué dans tout ce qui concerne la recherche et l'expertise sur ce plan, entrer dans le détail.
Je peux vous dire que nous nous préoccupons de cette question dans l'évaluation des risques de façon générale, s'agissant des additifs, mais aussi des cocktails de perturbateurs endocriniens auxquels on peut être exposé en tant que consommateur ou citoyen. Nous nous en emparons également dans l'évaluation des risques réglementés puisque, sous l'égide de l'EFSA, nous établissons des listes de produits phytopharmaceutiques qui ont la même cible, par exemple en termes de neurotoxicité, d'hépatotoxicité, de perturbations endocriniennes, afin d'avoir des « cocktails » pertinents en matière d'évaluation des risques. Comme on ne peut pas tester, bien évidemment, tous les « cocktails » possibles, il convient de prendre ceux qui sont représentatifs de l'exposition de la population ou ceux, qui, dans les produits réglementés, ont les mêmes cibles d'action ou les mêmes mécanismes, pour voir s'ils ont des effets supérieurs à l'effet additif attendu dans ce cadre-là.
Pour ma part, je suis plutôt chargé de l'évaluation a posteriori. Cela fait déjà une dizaine d'années que nous menons d'importants travaux sur l'« effet cocktail ». On a beaucoup parlé des processus d'autorisation et de la toxicologie a priori, mais il importe aussi de prendre en compte les données issues de l'épidémiologie. De ce point de vue, nous avons mis en place, depuis une dizaine d'années, des procédures pour fournir aux équipes d'épidémiologistes qui gèrent de grosses cohortes – par exemple la cohorte Agrican qui concerne la santé des travailleurs agricoles, la cohorte Elfe sur le développement de l'enfant, ou encore la cohorte Nutri-Net Santé dont vous avez parlé sur la nutrition et les impacts sanitaires de la nutrition – les données de caractérisation des aliments leur permettant de tester des associations entre les substances présentes dans les aliments – additifs, résidus de pesticides, etc. – et les effets sanitaires. Par exemple, nous avons fourni, il y a plusieurs mois, avant même que M. Rustin ne se préoccupe de cette question, des données sur la présence de produits phytopharmaceutiques, dont des SDHI comme le boscalid, à l'équipe chargée des cohortes Eden et Elfe pour voir s'il y avait des associations entre une exposition des femmes enceintes à tout type de substances chimiques, dont des résidus de pesticides, et le développement de l'enfant. Nous avons déjà un certain nombre de résultats qui ne sont pas encore publiés, mais qui seront fournis au groupe de travail.
Nous n'attendons pas que des alertes soient lancées, et nous avons tout un processus qui consiste à mettre à la disposition des chercheurs des données leur permettant d'aller plus loin. Dès que Mathilde Touvier et Serge Hercberg ont publié leur papier sur les aliments ultra-transformés, nous les avons contactés pour leur dire que nous pouvions leur fournir nos données sur la présence d'additifs, sur les matériaux au contact des denrées alimentaires, afin qu'ils aillent encore plus loin que leur premier papier d'associations statistiques sur une catégorie NOVA qui est assez globale et voir s'il existe des liens entre tel ou tel additif et les cancers. L'ANSES est très en pointe en la matière au niveau international. Nous faisons également en sorte que ces données de surveillance existent dans les autres pays, notamment au niveau de l'OQALI qui permet d'avoir des données d'occurrence d'additifs alimentaires et de nutriments.
Nous avons contribué, avec le ministère de la santé, à la mise en place de l'Action conjointe européenne sur la nutrition et l'activité physique – Joint action on nutrition and physical activity (JANPA) pour réaliser une surveillance de la qualité des aliments et de la présence des ingrédients dans les aliments – un appel d'offres sera sans doute lancé dans les jours qui viennent pour essayer d'aller au-delà. Nous avons fait également des comparaisons avec des pays comme l'Autriche et la Roumanie. Nous avons piloté une action sur les expositions alimentaires aux substances chimiques dans le cadre du Programme-cadre de recherche et développement (PCRD) pour que les autres pays se mettent à niveau en termes d'exposition aux substances chimiques. Nous avons fourni toutes ces données à l'EFSA. Nous avons piloté des améliorations en termes d'harmonisation sur les données de consommation alimentaire, notamment dans le cadre du projet GloboDiet de l'OMS. Malheureusement, le CIRC a abandonné ce projet, mais nous le poursuivons avec des partenaires nationaux.
Nous sommes donc vraiment très en pointe sur les liens avec la recherche au niveau national mais aussi européen pour que l'ensemble des données sur la présence de différentes substances dans les aliments puissent être utilisées, notamment dans l'épidémiologie. Nous allons même au-delà de l'épidémiologie traditionnelle puisque, dans le cadre de la phytopharmacovigilance, nous mettons en place des systèmes de fouilles de données, notamment avec l'université de Grenoble et l'École nationale supérieure d'informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble (ENSIMAG), dans le cadre du big data, pour exploiter les bases de données médico-administratives de la sécurité sociale et mettre en regard les expositions, par voie alimentaire notamment, aux substances présentes dans l'alimentation pour que des équipes de recherche puissent analyser ces données.
Je pense que nous sommes vraiment très proactifs sur ces sujets au niveau national et européen.
Je veux revenir sur les huiles minérales. Les contrôles relèvent bien du champ de la gestion des risques et nous sommes évaluateurs, nous éclairons le décideur, mais, à l'exception des biocides et les produits phytosanitaires, nous ne sommes pas le décideur. Les contrôles sont vraiment dans le champ des ministères. Je vous invite donc à leur poser la question.
Les crises existent, parfois à des niveaux intolérables – on parle de bébés malades par exemple. Il est donc nécessaire de prendre en compte ces éléments et d'améliorer clairement la santé publique. Néanmoins, il faut aussi proportionner le message au regard du niveau de sécurité des aliments en France, car même si les choses sont perfectibles, le niveau est élevé. En dénonçant ce qu'il faut améliorer, ce qui est tout à fait légitime, mais qui peut être très anxiogène pour nos concitoyens, nous oublions toutefois que le niveau de sécurité est élevé.
Quand on parle de contrôle, il s'agit de détecter et agir précocement : c'est notre souci dans le cadre de la veille et de la vigilance. Les capacités scientifiques, notamment celles que l'ANSES développe via les laboratoires, concourent à la détection précoce d'événements problématiques. Si l'on pense à Lactalis, c'est vrai que la puissance scientifique de la génomique a permis de trouver des cas très sporadiques d'enfants malades et d'avoir la garantie de l'identité de la souche de salmonella Agona qui était présente chez tel et tel bébé de façon très sporadique et disséminée géographiquement. Il y a quelques années, il aurait été très compliqué de le faire. Les outils se perfectionnent en ce qui concerne la surveillance épidémiologique, ce qui est plutôt positif et rassurant, puisque des cas qui auparavant seraient passés discrètement dans le panorama sont maintenant identifiables. Cela permet d'améliorer les pratiques.
Dans notre avis, nous avons évoqué toute une série de préoccupations liées au recyclage et à la migration d'huiles minérales vers les produits de type aliments secs dans des emballages en papier carton. La réponse est vraiment dans le champ de l'industrie en relation avec les contrôleurs de la DGCCRF. Pour notre part, nous avons mené à terme notre travail scientifique et formulé des recommandations, éventuellement sur des barrières physiques pour éviter la migration puisque ce sont des substances volatiles, sur les modifications de formulation des encres et colles. Je le répète, les réponses appartiennent très clairement aux gestionnaires de risques, et en particulier à la DGCCRF.
Je vous remercie pour votre participation et vos réponses. En tout cas, n'hésitez pas à nous faire parvenir des documents complémentaires.
Nous sommes à votre disposition pour vous fournir des notes au cas où vous souhaiteriez que certains points soient précisés.
La séance est levée à onze heures quarante.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 10 heures
Présents. - Mme Michèle Crouzet, Mme Claire Pitollat, M. Loïc Prud'homme
Excusés. - M. Julien Aubert, M. Christophe Bouillon, Mme Fannette Charvier