Intervention de Gérard Lasfargues

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Gérard Lasfargues, directeur général délégué, pôle sciences pour l'expertise, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Merci beaucoup, monsieur le président, de me poser cette question car, apparemment, beaucoup de fausses informations ont circulé sur le sujet.

Je vais entrer dans le détail des échanges que nous avons eus avec M. Rustin. En fin d'année 2017, il nous a contactés pour nous dire qu'il travaillait sur des maladies rares, liées à des mutations du gène de la succinate déshydrogénase (SDH). Chez l'homme, ces mutations conduiraient à des associations avec certaines maladies chroniques, voire des cancers. C'est une autre problématique que les SDHI. Il nous a dit être étonné que des substances capables d'inhiber la respiration mitochondriale puissent être mises sur le marché, nous indiquant qu'elles étaient cancérogènes.

Interpellés, nous lui avons demandé de nous fournir les données des études qui lui permettaient d'affirmer de telles choses. Aucune des études de cancérogènes qui figurent dans nos dossiers ne permet de classer les SDHI mis sur le marché comme cancérogènes avérés ou cancérogènes probables. Il y avait donc une contradiction. À ce jour, j'attends toujours les données de ce scientifique.

Je suis très content d'être auditionné aujourd'hui parce que s'il existe des données non publiées, nous aimerions beaucoup les voir. Celles qu'il a publiées décrivent le mécanisme d'action et elles n'apportent rien concernant les problèmes de cancérogénèse. D'autres données, relatives aux mutations géniques, à la maladie rare, ne portaient pas sur les SDHI. D'une façon très ouverte et conviviale, je lui ai dit que je serais très heureux qu'il puisse nous apporter des données qui nous permettent, si nécessaire, de remettre en cause les autorisations de mise sur le marché et de demander à l'EFSA de revoir l'évaluation de certaines substances actives.

Comme il s'agissait d'une alerte, nous avons constitué, en urgence, un groupe d'expertise collective qui réunit des chercheurs de pointe. Notre comité d'experts spécialisés regardera aussi le dossier, et nous produirons un rapport et des conclusions.

Précisons qu'il existe sur le marché de nombreux agents chimiques, y compris de médicaments, qui inhibent la respiration mitochondriale : les statines – excellents hypocholestérolémiants permettant de prévenir les maladies cardiovasculaires –, la metformine qui est un antidiabétique, certains anesthésiques locaux, certains antibiotiques. Tous ces produits peuvent avoir des effets sur la respiration mitochondriale et c'est pourquoi ils sont prescrits suivant une posologie. C'est toute la différence entre un danger et une évaluation de risque pour la mise sur le marché de produits dont on est sûr qu'ils ne sont pas toxiques pour l'homme.

Par ailleurs, en matière de phytopharmacovigilance, nous continuons à prendre contact avec l'ensemble des agences internationales de sécurité sanitaire, et j'en ai parlé personnellement avec des collègues du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) et du CIRC. Jusqu'à présent, nous n'avons pas vu de signaux d'alerte à travers toutes les études que nous regardons dans la littérature scientifique. Je ne peux donc pas lancer une alerte sur quelque chose que des biologistes qui travaillant sur des maladies rares, et qui ne sont pas forcément des toxicologues, ont signalé.

Mes collègues et moi-même serons très heureux d'avoir une conversation avec M. Rustin. L'ANSES est considérée, à travers le monde, comme l'agence qui porte la précaution au plus haut niveau concernant l'évaluation et les substances chimiques. Il y a quinze jours, j'étais à un congrès sur la toxicité prénatale des produits chimiques. Tous les collègues des grands instituts de recherche américains et européens sont venus remercier l'ANSES pour sa proactivité sur l'évaluation des risques chimiques, sur les perturbateurs endocriniens et sur ce que nous promouvons sur ce plan.

Nous avons ouvert nos dossiers à M. Rustin, nous lui avons dit de ne pas hésiter à nous faire part de ses observations en matière d'évaluation et que nous étions prêts à en discuter et à faire des corrections si c'est nécessaire. M. Rustin nous a répondu qu'il fallait être inhumains pour regarder ces dossiers. Il y a donc plein d'êtres inhumains à l'ANSES qui regardent ces dossiers jour après jour, page par page… Et beaucoup de chercheurs de l'INSERM, de l'INRA et du CNRS, sont capables de se pencher sur ces dossiers et de regarder ce qu'ils contiennent. Avant de lancer une alerte, peut-être aurait-il fallu prendre le temps de consulter attentivement ces dossiers et d'échanger avec les collègues chercheurs et experts.

Je le répète, nous sommes tout à fait ouverts à la discussion et prêts à interdire des substances si l'on nous apporte des éléments scientifiques.

M. Rustin a souhaité déposer un projet de recherche dans le cadre du Programme national de recherche « environnement santé travail » porté par l'Agence. Comme tous les chercheurs, il a reçu le texte de l'appel à projets : il s'agit de soutenir des projets à long terme, de trois, quatre ou cinq ans, et non des projets faits pour donner un résultat immédiat qui servirait d'alerte. C'est également un appel à projets concurrentiels, comme peut l'être l'appel à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Les chercheurs qui déposent un projet ou une lettre d'intention dans le cadre de ce programme doivent se plier aux règles prévues, notamment à la concurrence avec les autres chercheurs. Son projet n'a pas été retenu parmi les meilleurs. Nous sélectionnons environ cent lettres d'intention parmi les quelque 300 lettres qui nous sont envoyées. Ensuite, nous demandons aux auteurs des lettres sélectionnées de déposer des projets complets. Compte tenu des moyens de financement qui nous sont alloués, nous ne pouvons financer que trente-cinq à quarante projets chaque année. Nous encourageons M. Rustin à postuler de nouveau et à améliorer la qualité scientifique de son projet pour qu'il puisse être retenu une prochaine fois.

Nous aurions la possibilité de financer des études spécifiques sur l'évaluation des SDHI si c'était nécessaire, via le processus de phytopharmacovigilance. Mais ce n'était pas ce type d'étude qui était annoncé clairement par M. Rustin et ses collaborateurs.

Vous savez, je suis médecin, et mon souci est vraiment de protéger la population. Je le répète, notre Agence est vraiment précurseur en matière de précaution et de soutien aux victimes. J'étais aux côtés des associations de victimes pour contribuer à l'interdiction de l'amiante et prendre la problématique des fibres courtes et fines dans l'évaluation. J'ai été aussi l'un des premiers à rendre visite, dans sa ferme, à M. Paul François, de l'association Phyto-Victimes, pour voir comment on pouvait l'aider. Enfin, je rappelle que l'Agence est à l'initiative de la création des tableaux des maladies professionnelles sur les produits phytopharmaceutiques. Dès 2010, j'avais proposé dans un rapport l'inscription de la maladie de Parkinson.

Nous sommes tout à fait ouverts au dialogue, et je suis vraiment très content que nous ayons un dialogue avec M. Rustin cet après-midi. Nous publierons les résultats de cette expertise de façon très transparente, nous en discuterons sur notre plateforme de dialogue avec toutes les parties prenantes, avec les ONG, avec toutes les personnes qui se sentent concernées, et nous prendrons toutes les décisions nécessaires – retrait ou non, autorisation de mise sur le marché de ces produits phytopharmaceutiques – dès que ce sera possible.

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