Intervention de Charlotte Grastilleur

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Charlotte Grastilleur, directrice adjointe à la direction de l'évaluation des risques, volet santé et alimentation :

C'est précisément un point que je voulais ajouter, en complément de la notion de produits réglementés. On pense beaucoup aux produits phytopharmaceutiques et aux biocides pour lesquels on a très bien rappelé que l'autorisation est désormais également gérée par l'ANSES. Il existe d'autres ingrédients qui relèvent du champ alimentaire dont il est important de vérifier l'innocuité.

Des ingrédients et produits alimentaires sont soumis à autorisation, de même que les nouveaux aliments, c'est-à-dire les aliments qui n'étaient pas sur le marché, dans l'Union, avant 1997, les organismes génétiquement modifiés (OGM), les enzymes, qui sont des facilitateurs dans diverses recettes, et les additifs. Dans les additifs, on retrouve beaucoup de substances utilisées pour diverses propriétés technologiques, par exemple des anti-agglomérants, des colorants, des arômes, des édulcorants. En la matière, la quasi-totalité des règles et de la législation sont d'essence européenne. L'autorisation de mise sur le marché des nouveaux aliments, additifs et autres est donc délivrée par la Commission européenne. La comitologie des décisions se fait au niveau européen, mais avec un appui fort et un arbitrage des États membres, la Commission ayant le dernier mot en l'absence de consensus du comité permanent. L'autorisation est délivrée sur la base d'un dossier qui doit garantir effectivement l'innocuité et préciser, le cas échéant, un degré de pureté de la substance, une modalité d'obtention, un dosage d'utilisation, les aliments dans lesquels l'utiliser ou non. Toutes les conditions d'emploi doivent être précisées dans l'autorisation.

Puisque l'autorisation est européenne et que l'autorisation est délivrée en comitologie avec les 28 États membres, c'est l'EFSA qui est le support d'évaluation direct adapté. Il existe des procédés ou des processus transitoires liés aux besoins d'organisation et au manque de moyens de l'EFSA. Je m'explique : avant le 1er janvier 2018, les aliments étaient évalués dans les agences nationales. Le pétitionnaire déposait son dossier dans un des États membres, et il y avait un schéma de reconnaissance. Depuis le début de l'année, c'est l'EFSA qui évalue les nouveaux aliments. Pour les enzymes, nous sommes dans une phase transitoire : en ce qui concerne les dossiers déposés en France, l'ANSES continue de faire les évaluations, mais à terme – la date n'est pas précisée – c'est bien l'EFSA qui le fera. S'agissant des additifs, les pétitionnaires déposent leur dossier directement auprès de l'EFSA, comme pour les OGM.

Le schéma est donc très simple et place l'EFSA au coeur du dispositif en tant que responsable de l'examen du dossier dans la mesure où on est sur des processus de délivrance d'autorisation à l'échelle européenne.

Néanmoins, et j'insiste beaucoup sur ce point, cela n'enlève rien à nos prérogatives nationales sur ces sujets, et nous avons toute latitude en cas d'alerte, en cas de questions que nous nous poserions d'emblée ou qui nous seraient transmises par les ministères, pour examiner ces questions. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait, à la demande des ministères, sur le dioxyde de titane, puisque nous avons produit un avis sur la dernière étude Bettini et alii, dite NANOGUT, indépendamment du travail qui était en cours à l'EFSA sur le dossier d'autorisation proprement dit.

S'agissant de la coopération de fait avec l'EFSA dans ce genre de dossier, je vous indique que nous sommes en étroite relation avec l'autorité européenne par divers mécanismes. Il existe un forum consultatif, dont l'ANSES est partie prenante, placé auprès de l'EFSA, décrit dans le texte dit food law, c'est-à-dire le règlement en cours de révision dont vous parliez. Ce forum permet de s'organiser pour discuter de nos conclusions respectives et éviter de faire des travaux en double. Il existe d'autres mécanismes, notamment un mécanisme de points focaux dans chacun des États membres, c'est-à-dire des points de contact avec l'EFSA. Le conseil d'administration de l'EFSA devrait être réformé pour pouvoir accueillir des représentants des États membres, ce qui faciliterait l'accès aux discussions. Enfin, nous avons des échanges très réguliers entre équipes – c'est presque notre lot quotidien – et des réunions au moins annuelles au niveau de nos directions respectives sur ces sujets.

En résumé, oui nous sommes en contact avec l'EFSA, nous avons des échanges très réguliers, et notre coopération se fait dans un souci financier de ne pas réaliser des travaux redondants.

Il existe aussi un mécanisme réglementaire – c'est l'article 30 du règlement 178 de 2002 – de réduction des divergences scientifiques. Dès lors que l'EFSA et d'autres agences nationales ont abordé un sujet scientifique sur lequel il semble qu'il y ait des différences d'appréciation, l'EFSA a l'initiative de se rapprocher de l'agence en question et d'entamer des discussions scientifiques, ce qui se fait très régulièrement et de façon très fluide.

Je voudrais rebondir sur un point que vous avez évoqué en lien avec la question de l'évaluation des dossiers et des processus industriels. Effectivement, l'EFSA examine actuellement 300 additifs, ce qui est considérable, selon une politique relativement intransigeante qui consiste à demander aux industriels, pour les additifs assez anciens utilisés régulièrement mais pour lesquels il n'y a pas un pétitionnaire mais une multiplicité d'utilisateurs dans l'industrie, de fournir des données. Cela permettrait que ces additifs ne soient plus une nébuleuse que tout le monde utilise, ce qui entraîne une espèce de déresponsabilisation par rapport à un dossier d'origine. En effet, comme l'usage est devenu commun, on perd parfois un peu la trace des pétitionnaires d'origine. L'idée est donc de faire appel aux pétitionnaires et industriels intéressés par l'utilisation d'un additif pour qu'ils fournissent des données sur cet additif. Dans l'hypothèse où à telle date l'EFSA n'aura pas les données nécessaires, elle indiquera qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de sécurité. Nous soutenons tout à fait cette démarche. Je pense que certains additifs pourraient purement et simplement sortir des listes d'autorisation au motif d'une insuffisance de documentation.

Vous nous avez posé la question des relations avec les centres industriels. Nous sommes vraiment au coeur de la déontologie de l'Agence. S'agissant des travaux sur dossier, nous ne sommes pas du tout dans un travail itératif ou de cotravail avec l'industrie. Il existe une liste de données à fournir impérativement basée sur des lignes directrices scientifiques de démonstration – ce sont des lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l'EFSA. Nous travaillons sur dossier et l'appréciation se fait de façon totalement indépendante et transparente. L'agence, qu'il s'agisse de l'ANSES ou de l'EFSA, n'est pas dans la coconstruction avec l'industrie. J'ajoute que lorsque nous avons besoin, pour des raisons déontologiques, de nous rapprocher de ce type de structure, nous le faisons dans le cadre d'auditions et je précise que les gens de l'industrie ne sont en aucun cas dans nos collectifs d'experts. Dans le cadre de la refonte de la food law, il est proposé de prévoir la possibilité d'auditer les laboratoires qui sont à l'origine de la fourniture de données pour l'évaluation des risques. Cette proposition recueille tout à fait l'assentiment de l'ANSES.

S'agissant toujours de la rénovation du règlement 178 de 2002, l'ANSES soutient clairement la proposition relative à la transparence de l'évaluation des risques, avec un projet de publication précoce en cours de processus d'évaluation des données des pétitionnaires, dans un objectif un peu vertueux d'ouverture, de transparence qui concourt à la rassurance de tous nos concitoyens sur le processus en cours, et afin que les équipes scientifiques puissent s'emparer à un stade précoce des données et livrer leur appréciation, en tant que de besoin, sur ces données.

Une autre proposition, qui concerne la qualité, la fiabilité des études qui sous-tendent l'évaluation des risques, est celle d'un registre des études en cours à renseigner par les pétitionnaires. Nous soutenons également cette proposition qui permettrait de connaître, au-delà des pièces obligatoires dans le dossier, les études promues par l'industrie qui pourraient potentiellement comporter des éléments négatifs.

Un autre point nous semble intéressant, celui de l'inclusion dans le conseil d'administration de l'EFSA de représentants des États membres, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela pourrait induire une fluidité des relations, avec l'EFSA en particulier.

Le quatrième point qui concerne plutôt l'EFSA que les agences nationales est relatif à l'amélioration de la communication sur les risques, avec là encore l'enjeu très vertueux d'un dialogue plus régulier avec les parties prenantes, y compris les ONG à parts égales, si ce n'est supérieures à celle de l'industrie, dans un but d'explication, d'éducation, de rassurance, de transparence sur les processus à l'oeuvre, ce qui pourrait être tout à fait transposable à l'ANSES. Sans nous vanter, je dois dire que nous avions une longueur d'avance en ce qui concerne le dialogue avec les parties prenantes puisque nous avons mis très rapidement en place une plateforme sur les produits phytosanitaires, et que nous avons d'autres plateformes de dialogue qui ont très bien fonctionné, et qui continuent d'être à l'oeuvre sur les radiofréquences et les nanomatériaux. L'enjeu, au sein de ces plateformes, est de débattre de l'expertise, du résultat d'expertises, dans un souci d'information des parties prenantes, ce qui peut induire également la mise à l'agenda de projets de recherche pour compléter les données manquantes.

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