Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission d'enquête. Il était en effet important que mes principaux collaborateurs et moi-même venions vous expliquer comment le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en particulier la direction générale de l'alimentation, traite les crises comme celle survenue à l'usine Lactalis de Craon.
Vous vous demandez si l'organisation des services de l'État, la répartition entre les différents ministères des moyens pour assurer la sécurité alimentaire, est satisfaisante. Le ministère des solidarités et de la santé et Santé publique France sont chargés de la santé humaine et assurent donc la veille sanitaire des cas humains. En cas de toxi-infection alimentaire, ils alertent le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, puis ils réalisent l'enquête épidémiologique, par le biais d'un questionnaire, pour connaître les symptômes et l'historique des aliments concernés. Le ministère de l'économie et des finances, à travers la DGCCRF, et le ministère de l'agriculture et de l'alimentation sont pour leur part chargés des produits alimentaires. Une fois qu'ils ont connaissance de cas humains et d'une suspicion de cause alimentaire, un contrôle officiel et, autant que de besoin, la traçabilité et des analyses sont réalisés. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation est responsable de l'hygiène des denrées animales – viande, lait, oeufs, poissons et tout produit transformé. Le ministère de l'économie et des finances est, lui, responsable de l'hygiène des denrées végétales et de l'alimentation infantile.
Les compétences sont donc ici réparties entre, d'une part, la gestion des cas humains, relevant du ministère des solidarités et de la santé, et, d'autre part, les enquêtes alimentaires, relevant du ministère de l'agriculture et de l'alimentation et du ministère de l'économie et des finances. Cette organisation est satisfaisante même si la communication est toujours perfectible.
Pour ce qui est de la répartition des compétences entre le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et le ministère de l'économie et des finances, on a procédé à la fusion des services déconcentrés en 2010. Aussi les agents de la DGAL et ceux de la DGCCRF se trouvent-il aujourd'hui dans les mêmes directions et souvent dans les mêmes services. Ils peuvent donc vraiment travailler ensemble. Une programmation conjointe est prévue pour toucher le plus grand nombre d'établissements dans le temps, dans l'espace et selon les problématiques abordées ; elle prévoit des documents de coordination avec un protocole de coopération entre les administrations.
De façon plus générale, vous vous demandez s'il faut créer une police unifiée de l'alimentation. Si la création des DDCSPP a permis le développement de synergies, il est utile de s'interroger sur l'articulation des administrations entre elles. L'un des scénarios actuellement envisagés et qui pourrait avoir du sens consisterait à confier toutes les compétences concernant la qualité de l'alimentation au ministère compétent en matière d'alimentation, et de prévoir une autre répartition des effectifs entre le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, actuellement au nombre de 4 715, et le ministère de l'économie et des finances, au nombre de 528.
La délégation du contrôle au secteur privé n'est pas l'option choisie par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation : nous estimons que la protection de la santé publique relève des missions régaliennes de l'État. Je rappelle en outre le succès du système Alim'Confiance, qui garantit la transparence au consommateur – il s'agit d'une application développée par la DGAL et que vous pouvez installer sur vos téléphones portables afin de disposer d'une information en temps réel sur les contrôles effectués dans un certain nombre d'établissements.
La délégation n'est en outre pas compatible avec la réglementation communautaire qui impose que les sanctions administratives et pénales prises à la suite d'un contrôle – mises en demeure, procès-verbaux de fermeture, de retrait d'agrément – soient du ressort de l'État ; or de telles sanctions sont prises dans 49 % des cas. L'État doit intervenir après le délégataire pour décider des sanctions administratives et pénales. La réglementation communautaire prévoit l'indépendance, l'impartialité et l'accréditation du contrôleur. Il est nécessaire de conserver ces compétences au sein de l'État en cas de crise en plus du contrôle du délégataire – et l'on peut en effet discuter des économies ainsi réalisées…
Vous m'avez également interrogé sur le règlement européen 2017625 du 15 mars 2017. Il prévoit la mise en place, dans les États membres de l'Union européenne, d'un organisme unique chargé de piloter l'élaboration du plan pluriannuel des contrôles en matière de sécurité alimentaire. Selon quelles modalités en France ? Ce n'est pas encore décidé à ce stade, mais il existe déjà un seul et unique plan de contrôle pluriannuel. Nous entendons en tout cas continuer de travailler sur le scénario alternatif d'une police de la qualité de l'alimentation au sein du ministère chargé de l'alimentation.
Vous m'avez demandé si la crise dont il est ici question n'avait pas mis en évidence une certaine insuffisance des effectifs et des moyens financiers du ministère chargé de la sécurité sanitaire des aliments. Le programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », fait partie du budget du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. La DGAL compte 4 569 équivalents temps plein (ETP) contre 405 ETP pour la DGCCRF. Les effectifs des contrôleurs sont calculés en fonction du nombre de consommateurs et du nombre d'industries agroalimentaires dans le territoire considéré. Prenons les chiffres de 2016 pour 2015 : au niveau national, le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt comptait 215 ETP au niveau national, 535 au niveau régional et 3 965 au niveau départemental, soit un total de 4 715 ETP. Les chiffres sont les suivants pour le ministère de l'économie et des finances : 123 ETP – effectif dont un tiers est dédié au contrôle alimentaire – au niveau national, 31 au niveau régional et 374 au niveau départemental, pour un total de 528 ETP. Au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, l'inspection des abattoirs et des établissements alimentaires regroupe 45 % des effectifs totaux, soit 2 067 ETP en 2017 dont 71 % en abattoirs. L'inspection hors abattoirs comprend 607 ETP. Notons une augmentation de 180 ETP entre 2015 et 2017, afin de pallier en partie la baisse des effectifs survenue entre 2006 et 2013 – 4 871 ETP en 2006 contre 4 589 en 2013, soit une différence de 282 ETP.
Pour ce qui est du programme 206, toujours, en 2017, les dépenses exécutées s'élèvent à 313 millions d'euros en crédits de paiement. Pour l'action spécifique relative à l'inspection dans le domaine alimentaire, les frais de fonctionnement, à savoir le coût des analyses et des matériels, ont atteint 5,88 millions d'euros et devraient s'élever à 5,5 millions d'euros en 2018 et 5,58 millions d'euros en 2019. Les frais de personnels, de déplacements, de loyers…, relevant du programme 333, « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », sont pris en compte dans ce budget.
Vous avez évoqué une taxe sanitaire qui serait acquittée par les industriels pour financer les contrôles officiels. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation en défend le principe pour la création de 900 ETP dont entre 60 et 100 seront dus au Brexit. Du fait du Brexit, en effet, il va falloir créer, dans nos ports, des sas pour contrôler les aliments ou le bétail vivant qui pourraient y transiter depuis le Royaume-Uni.
Le coût du système sanitaire pour les établissements du commerce de détail et de la restauration est en France de 0,30 euro par habitant et par an et est pris en charge à 100 % par l'État ; ce coût est cinq fois plus élevé aux Pays-Bas, 1,50 euro par habitant et par an, et pris en charge à hauteur de 94 % par l'État ; en Belgique, il équivaut à 5,7 fois celui de la France avec 1,70 euro par habitant et par an et dont 13 % sont pris à son compte par l'État ; enfin, au Danemark, le coût est huit fois plus élevé qu'en France puisque de 2,40 euros par habitant et par an, à charge de l'État pour 83 %.
Estimons-nous ensuite que le rythme des contrôles des services, soit un contrôle en moyenne tous les deux ans, mérite d'être accéléré ? Environ 55 000 contrôles alimentaires par an ont été réalisés pour le ministère de l'agriculture et de l'alimentation ; plus de mille alertes par an ont été lancées, dont la moitié par la DGCCRF ; 30 laboratoires de référence, sur les 150 qui sont spécialisés et référencés. Je rappelle que, depuis vingt ans, la réglementation communautaire a permis une responsabilisation des professionnels et nous encourrions le risque de déresponsabilisation à trop impliquer l'État dans certains contrôles. Pourquoi ? Parce que l'industriel a la responsabilité de la sécurité de ses produits.
J'en viens aux moyens. J'y ai fait allusion, nous sommes favorables à l'établissement d'une taxe pour la réalisation de contrôles officiels. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation fait ces contrôles suivant un rythme calculé sur la base d'une analyse de risque, qui prend en compte le volume produit par l'entreprise, le type de produit – on va par exemple plus contrôler une entreprise qui produit du steak haché qu'une entreprise qui met des aliments en conserve – et le type de consommateur – ainsi beaucoup plus de contrôles seront réalisés sur des aliments infantiles.
Est-il pertinent que l'État exerce un contrôle plus important sur l'élaboration du plan de maîtrise des risques et sa mise en oeuvre par les industriels ? Qu'appelle-t-on un « contrôle plus important » ? Le plan de maîtrise sanitaire est de la responsabilité du professionnel. À l'ouverture d'une industrie, d'une entreprise agroalimentaire, l'agrément n'est octroyé que si le plan de maîtrise sanitaire a été validé par l'État. Des contrôles réguliers sont ensuite effectués. L'inspecteur du ministère de l'agriculture et de l'alimentation fait des audits puis des contrôles de second niveau pour vérifier si le plan de maîtrise sanitaire est suffisant et cohérent voire s'il est appliqué ; et il ne fait pas toujours faire des analyses officielles parce que le professionnel fait faire des analyses de son côté puisque c'est lui, je le répète, qui a la responsabilité de la sécurité des produits. Vous le savez, le projet de loi EGALIM contient un article visant à imposer des comparaisons inter-laboratoires pour s'assurer de la qualité des analyses fournies ou pour avoir une accréditation. Nous espérons que le Sénat ne modifiera pas ce dispositif.
L'État doit-il réaliser davantage de contrôles analytiques officiels face au manque de fiabilité de certains autocontrôles ? Ce serait beaucoup trop lourd. L'État a déjà fait 800 000 analyses pour un budget de 12 millions d'euros, contrôles aléatoires comme contrôles ciblés. Là encore, ce n'est pas à l'État de se substituer aux professionnels.
Vous nous avez interrogés sur la possibilité, dans les années à venir, de confier les analyses des contrôles à des laboratoires privés, sur le modèle du marché de l'eau. C'est déjà le cas, même si de nombreuses analyses sont réalisées aujourd'hui par les laboratoires départementaux. Tous les laboratoires amenés à faire ces analyses sont agréés et donc accrédités et ils devraient de surcroît procéder, je l'ai évoqué avec le projet de loi en cours d'examen, à des comparaisons inter-laboratoires. Aussi la qualité des analyses officielles ne se pose-t-elle pas. L'accréditation implique une obligation d'indépendance, une plus grande impartialité mais aussi le renforcement des compétences. En effet, pour pouvoir réaliser l'ensemble des opérations, nous avons besoin de personnels hautement qualifiés afin qu'elles ne soient pas sujettes à interprétations. Une réflexion est en cours sur la création d'un service d'intérêt économique général, au niveau local et au niveau national, afin de former un réseau national des laboratoires, afin d'apporter des réponses, afin de travailler de manière beaucoup plus transversale.
Il est vrai que l'indépendance des laboratoires privés chargés de réaliser les analyses pour le compte de grands industriels peut poser problème. C'est pourquoi le projet de loi EGALIM prévoit leur accréditation et la réalisation d'essais comparatifs, en aveugle, entre laboratoires. Reste qu'il est compliqué de demander aux laboratoires de confier les résultats des autocontrôles à l'État. En effet, une telle mesure revêtirait un aspect de délation : les résultats des contrôles sont la propriété des professionnels et le laboratoire n'a pas forcément non plus les données nécessaires pour interpréter un certain nombre de résultats. Comment, donc, assurer le contrôle des autocontrôles et comment renforcer le rôle des laboratoires publics ? Nous irions au-delà de la réglementation européenne si nous obligions les professionnels à avoir recours uniquement aux laboratoires publics. Nous avons, du reste, un réseau de laboratoires publics insuffisant, et nous ne saurions mettre en péril l'activité économique d'un certain nombre de laboratoires privés. Des contrôles des autocontrôles sont réalisés lors des inspections officielles, de même que des contrôles des laboratoires par essais d'intercomparaison – les laboratoires publics font déjà des analyses pour le compte des professionnels qui souhaitent recourir à leurs services.
En ce qui concerne l'obligation de transmission des autocontrôles, des modifications ont été apportées en ce sens par le projet de loi EGALIM, adopté en première lecture, même s'il existe déjà une obligation de transmettre les données mais uniquement en cas de toxi-infection alimentaire. Ainsi le projet de loi vise à imposer aux laboratoires de transmettre les données à la demande expresse de l'État et aux professionnels de transmettre les données en cas de risque. Le laboratoire, lorsqu'il dispose des prélèvements et des résultats, ne connaît pas le contexte de réalisation des prélèvements, d'où l'éventualité d'une interprétation difficile des résultats de l'analyse de données qui relèvent de la propriété du professionnel.
Voilà les éléments que j'ai souhaité vous livrer sur la répartition des effectifs et des compétences entre la DGCCRF, relevant du ministère de l'économie et des finances, et la DGAL, relevant du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, mais aussi sur les thèmes sur lesquels nous réfléchissons afin, dans le cadre du projet de loi EGALIM, de tirer les leçons de la crise.