Vous avez évoqué les points débattus hier au Comité des professions paramédicales, dans le texte sur la pratique avancée, qui concerne l'ensemble des professionnels de santé paramédicaux – je préfère, moi aussi, le terme de « professionnel de santé ». Nous avons été invités aux concertations, mais le texte présenté n'est pas celui qui était attendu. Il a fait l'objet de beaucoup de lobbying. Le texte est finalement très contraint pour les infirmiers – nous sommes les premiers concernés, le tour des podologues et kinésithérapeutes viendra ensuite. Nous n'avons pas la liberté souhaitée, et qui est l'ambition du Gouvernement. Ce texte reprend des mesures qui n'ont pas fonctionné, notamment l'article 51 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), que Mme Bachelot a fait voter, et qui contraint les infirmiers à écrire des protocoles et à trouver des délégations d'actes, alors que nous devrions en venir à des logiques de mission.
Les infirmiers sont des professionnels formés à l'université. Ils ont un niveau de master 2, avec une responsabilité clairement écrite dans la loi pour les actes qu'ils pratiquent. Or le texte, tel qu'il est présenté à ce jour, nous oblige à écrire des protocoles, à rendre compte, comme si nous étions des petits garçons. Voilà qui est décevant.
Une infirmière de pratique avancée (IPA) pourrait très bien travailler dans des champs qui ne sont pas prévus par les textes de loi, tels que la psychiatrie, la santé mentale, etc. Nous savons qu'il existe, dans les centres médico-psychologiques de proximité, un déficit de médecins psychiatres. Nous pourrions aussi parler de la place des IPA dans l'éducation nationale, où les enfants pourraient recevoir une véritable éducation à la santé, alors que – nous le savons bien – la pénurie médicale frappe de plein fouet l'éducation nationale. Et que dire de la santé au travail, où les infirmiers sont les seuls, à ce jour, à proposer des consultations régulièrement, au moins tous les deux ans ?
Le texte manque d'ambition sur la pratique avancée, sur le rôle et la place des infirmiers, et sur tous les champs que je viens d'énumérer et qui sont importants. Je veux aussi aborder la question du premier secours. À l'arrivée à l'hôpital public, les infirmiers d'accueil et d'orientation sont ceux qui assurent le premier tri : sur ce point, il n'existe ni reconnaissance ni expertise. Je ne m'attarderai pas sur la régulation téléphonique et le drame qui a eu lieu à Strasbourg. Les infirmiers anesthésistes, diplômés d'État, ont une réelle expertise de la maîtrise de la douleur et de la prise en charge. Ils pourraient très bien participer au tri en premier ou second niveau, derrière les personnes qui répondent au téléphone.
En ce qui concerne la régulation démographique des infirmiers, vous trouverez quelques chiffres dans la note qui vous a été transmise. Concernant la liberté d'installation, nous sommes des professionnels prescrits, si bien que nous sommes obligés d'avoir autour de nous d'autres professionnels de santé, des médecins pour prescrire. Le rôle des pharmaciens est aussi très important, puisque les infirmiers ont besoin d'aller chercher les médicaments chez eux. Les infirmiers travaillent très facilement en réseau.
Le point gênant est l'effet d'aubaine et de frontière. Nous constatons que certaines zones sont très surdotées, avec un faible taux de remplacement et très peu de mutations. Nous pouvons mesurer ces chiffres depuis que nous incombe la mission de régulation et de délivrance des autorisations de remplacement. Les effets d'aubaine et de frontière sont assez marqués.
Je n'en dirai pas plus, parce que l'Ordre, qui est pourtant l'instance de régulation et de délivrance des autorisations de placement, n'est pas du tout partie prenante dans les négociations avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), concernant cette régulation. C'est totalement dommageable, puisque nous sommes le seul organe qui a une vue d'ensemble des remplacements.
Par ailleurs, nous sommes une profession très mobile, avec une grande fluidité des parcours professionnels entre secteurs salarié et libéral, puisque nous avons une obligation de servir pendant deux ans à l'hôpital avant de pouvoir accéder au secteur libéral. Seul l'Ordre peut mesurer ces questions, et nous ne comprenons pas très bien pourquoi nous ne sommes pas invités dans les négociations sur la régulation démographique. Nous ne maîtrisons donc pas les tenants et les aboutissants de la question, puisque nous n'avons aucun pouvoir, si ce n'est de contractualiser avec l'agence régionale de santé (ARS), avec une latitude de redéfinition des zones totalement marginale.
Concernant l'universitarisation, notre profession a accédé au processus de Bologne voilà dix ans. Nous avons été la première profession paramédicale à y accéder. Je m'inquiète et je m'étonne que, depuis dix ans, il n'y ait pas eu d'évaluation de ce processus. C'est un fait. Nous sommes en train d'accéder à l'université, et donc de préfigurer, à travers les IPA, le futur de la profession d'infirmier, tout du moins de la discipline infirmière. L'ambition de Stéphane Le Bouler, qui a été mandaté par le Gouvernement, est de créer des postes d'enseignants chercheurs spécialisés dans la discipline infirmière. Je ne peux que m'en féliciter : nous allons avoir, comme c'est déjà le cas pour les kinésithérapeutes, à nous intégrer dans une formation commune avec les médecins, les pharmaciens et tous ceux qui passent par la première année commune aux études de santé (PACES). Nous aurons ainsi un langage commun, permettant une plus grande fluidité dans les échanges avec toutes les professions de santé. Je rejoins les propos de Mme Mathieu : nous devons être réellement considérés comme des professionnels de santé.
Les infirmiers qui travaillent à l'hôpital ne peuvent pas accéder directement au secteur libéral. Nous sommes 80 % de salariés à ce jour. La possibilité d'une plus grande fluidité serait bienvenue, afin que les infirmiers suivent un parcours mixte, à la fois hospitalier et libéral. Ce serait une mesure de bon aloi, puisque ce modèle existe déjà pour les médecins. Des IPA, avec un niveau supérieur de formation, y gagneraient la possibilité d'orienter les patients et de les prendre en charge au long cours, notamment pour les maladies chroniques, qui ne sont pas soignées à l'hôpital. Une coordination est absolument nécessaire pour ces nouveaux métiers et ces nouveaux besoins, qui vont forcément exploser dans les années à venir. Nous parlons d'environ 10 millions de malades chroniques à venir dans les prochaines années.
J'attire l'attention de la commission sur le fait que, pour la première fois, il y a eu 30 % de moins d'inscrits au concours d'entrée dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Voilà qui est inquiétant, d'autant plus que les ARS prévoient un besoin de 800 000 infirmiers. Actuellement, nous sommes 600 000 à exercer. Nous parlons de personnes ayant une formation universitaire, des responsabilités élevées, mais, comme l'a souligné Mme Mathieu, un revenu mensuel de 1 350 euros en début de carrière à l'hôpital. L'attractivité de notre profession doit être revue. C'est un signal d'alerte que de constater que des jeunes, qui généralement s'orientent vers ces métiers par conviction, n'ont plus cette conviction pour venir travailler et servir.