Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

Jeudi 17 mai 2018

La séance est ouverte à huit heures trente.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête entend les ordres paramédicaux : M. Patrick Chamboredon, président du Conseil national de l'Ordre des infirmiers, Mme Pascale Mathieu, M. Jean-François Dumas et M. Pierre Degonde, respectivement présidente, secrétaire général et consultant de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes, et MM. Éric Prou et Guillaume Brouard, président et délégué aux affaires internes de l'Ordre des pédicures-podologues.

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Mes chers collègues, nous débutons aujourd'hui nos travaux par une audition commune des ordres paramédicaux, auxquels je souhaite la bienvenue. Il s'agit plus précisément du Conseil national de l'Ordre des infirmiers, représenté par son président, M. Patrick Chamboredon, de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes, représenté par sa présidente, Mme Pascale Mathieu, accompagnée de M. Jean-François Dumas, secrétaire général, et de M. Pierre Degonde, consultant, et de l'Ordre des pédicures-podologues, représenté par M. Éric Prou, président, et M. Guillaume Brouard, délégué aux affaires internes.

Mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation à participer à cette audition commune. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, par conséquent celles-ci sont d'abord ouvertes à la presse, puis rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, et enfin consultables en vidéo sur le site de l'Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Je vous remercie de nous avoir invités à cette consultation. En préambule à cette audition, je rappellerai certains chiffres et quelques faits.

Numériquement, les infirmiers représentent la profession de santé la plus importante en France : actuellement, nous sommes environ 600 000. Nous sommes les dernières professions de santé à nous déplacer au domicile des patients, et donc à prendre en charge leur contexte sanitaire, mais aussi social : cette particularité ne se retrouve quasiment plus dans les autres professions. Nous sommes conscients que la santé est un facteur essentiel de l'attractivité du territoire. Notre répartition géographique, déterminée depuis quelques années par une régulation imposée, nous rend très présents et très disponibles. Les missions imparties aux infirmiers, du fait de leur formation initiale, leur permettent de couvrir tous les champs de la santé, y compris celui de la prévention. Exercer une politique de prévention, voilà un atout important de notre profession – voyez les prévisions du Gouvernement et sa stratégie de transformation du système de santé.

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Monsieur le président, je suis ravie de participer à cette commission d'enquête, parce qu'il me paraît extrêmement important de relayer la parole de ceux qui touchent les patients, tous les jours, sur tout le territoire. Avec M. le secrétaire général, nous allons vous présenter rapidement la situation démographique de notre profession, mais, avant, je dirai quelques mots en guise de préambule.

La profession de kinésithérapeute a été profondément réformée, puisqu'elle demande maintenant cinq années de formation. C'est une profession très dynamique, qui s'est largement transformée au fil des années et qui a acquis une certaine maturité. Je vous ai entendu parler d'ordres paramédicaux. Cette appellation n'existe pas pour nous. Le code de la santé publique ne parle pas d'« ordres paramédicaux », mais d'« auxiliaires médicaux », ce qui est peut-être un petit peu dépassé. Peut-être faudrait-il changer la façon de voir la santé dans ce pays. Peut-être conviendrait-il d'arrêter ce distinguo qui n'a plus lieu d'être, selon nous, entre les professions médicales et les auxiliaires médicaux. Nous sommes en profonde mutation. Cette appellation d'une autre époque a fait son temps. Peut-être faudra-t-il en passer par la loi. Toujours est-il qu'une évolution en ce sens serait profitable aux patients.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir et de nous écouter. Nous représentons une profession en très grande majorité libérale : 80 % des kinésithérapeutes exercent en libéral, 20 % sont salariés. Cette profession est en pleine explosion démographique. Nous étions 44 000 professionnels en exercice en 1990 – période à laquelle je me suis installé – contre 93 000 aujourd'hui. Nous enregistrons 5 000 nouveaux professionnels par an et nous estimons que, d'ici à deux ou trois ans, nous franchirons le cap des 100 000 professionnels en exercice. Tous auront une activité, il n'y a pas de kinésithérapeute inscrit au chômage.

Malgré cette explosion démographique, la population est confrontée à une importante difficulté pour accéder aux soins de kinésithérapie. Le premier désert en kinésithérapie, c'est l'hôpital, notamment l'hôpital public ; les jeunes ne veulent plus exercer à l'hôpital. Le deuxième désert, bien évidemment, à l'image des autres professions médicales et des infirmiers, ce sont les zones rurales, que nous appelons des zones très sous-dotées. J'exerce personnellement dans une zone très sous-dotée en Normandie ; je connais le système des mesures incitatives et les carences de ce système ; je pourrai vous en parler si cela vous intéresse.

L'explosion démographique est due à une formation encadrée, qui produit 2 800 diplômés d'État tous les ans, auxquels s'ajoutent environ 2 200 à 2 300 diplômés formés par d'autres pays de l'Union européenne. La moitié de ses diplômes sont obtenus par des Français qui, tous les ans, sont presque un millier à s'expatrier pour accéder à leur rêve, devenir kinésithérapeute.

C'est pourquoi la notion de régulation démographique ne peut plus simplement s'envisager à l'échelon national. Cela n'a plus de sens : il faut l'appréhender dans un ensemble européen cohérent. Un pays comme la Roumanie participe à la formation de jeunes Français, comme des Roumains qui viennent travailler sur territoire français. En France, la densité moyenne des kinésithérapeutes sur le territoire se situe autour de 13 kinésithérapeutes pour 10 000 habitants, salariés et libéraux compris ; en Roumanie, elle est de 1 pour 10 000 habitants. Ainsi, un pays de l'Union européenne forme des professionnels de santé dont il a besoin, mais qui vont directement travailler sur le territoire français.

Les plus importantes densités en kinésithérapie se trouvent dans les pays du Nord, notamment dans le Benelux. Ces pays ont fait le choix de la kinésithérapie, qui est une médecine douce, officielle, basée sur des preuves scientifiques, quasiment sans aucun effet secondaire. Ces densités sont quasiment deux fois plus importantes qu'en France, avec 24 ou 25 kinésithérapeutes pour 10 000 habitants.

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Le premier désert auquel nous devons nous attaquer en kinésithérapie, c'est l'hôpital. Le problème est prégnant. Il s'explique, d'une part, par des salaires extrêmement bas : 1 350 euros nets par mois en début de carrière à l'hôpital public, et ce après cinq années d'études, c'est indécent, il n'y a pas d'autre mot. La deuxième raison est l'absence totale d'attractivité et d'évolution possible à l'hôpital public. Nous pourrons parler aussi de la répartition des kinésithérapeutes et d'un autre sujet essentiel, celui de l'accès direct.

Il ne vous a pas échappé que nous sommes une profession prescrite, du moins en thérapeutique. Nous ne pouvons agir que sur prescription médicale. Or une régulation vient d'être signée par un syndicat, qui va nous imposer bientôt de nous installer dans les zones sous-dotées en conventionnement sélectif. Il nous semble tout à fait incohérent d'envoyer des kinésithérapeutes dans des zones où il n'y aura pas de médecins prescripteurs. C'est une véritable difficulté puisque, dans les zones sous-dotées, il est déjà difficile d'obtenir des prescriptions médicales, les médecins qui restent étant débordés.

L'une de nos demandes, qui rejoint les dispositions de la plupart des pays développés, est l'accès direct au kinésithérapeute. La majeure partie des pays l'a déjà mis en oeuvre. C'est une évidence pour une profession qui a cinq années de formation et qui a fait la preuve de sa capacité d'autonomie. Dans les faits, l'accès direct existe déjà dans le cas de l'urgence, comme le prévoit la loi. À ma connaissance, il n'y aura pas de danger pour la santé publique, dans la mesure où d'autres professions, qui ont une formation de bien moindre qualité, non universitaire, ont l'accès direct sans que cela pose problème, en tout cas ni au Gouvernement ni à la représentation nationale – je pense par exemple aux chiropraticiens et aux ostéopathes.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, mon intervention s'appuiera sur la contribution qui vous a été transmise en amont de cette audition. Dans un premier temps, je vous rappellerai ce qu'est la profession de pédicure-podologue, profession atypique et souvent méconnue, mais dont l'activité et les compétences apportent une plus-value indéniable au parcours de soins et à la prise en charge du patient.

Le pédicure-podologue est un professionnel de santé. Je partage les propos de Mme Mathieu sur les termes d'« auxiliaire médical » ou « paramédical ». Nous sommes réellement des « professionnels de santé ». Ces termes devraient entrer dans la littérature commune. Le pédicure-podologue est un professionnel qui bénéficie de la libre réception du patient, qui a un droit à la prescription et qui, depuis la loi du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé, a la compétence de diagnostic. Dans les faits, c'est une profession médicale à compétence définie, car elle bénéficie de l'accès direct. En effet, la majeure partie des patients consulte en première intention chez le pédicure-podologue.

Environ 13 200 podologues sont aujourd'hui présents sur le territoire. Il n'existe pas de désert podologique. En outre, 98 % de ces pédicures-podologues exercent une activité libérale exclusive. L'accès aux soins est donc satisfaisant. Cependant, cet accès a un revers – c'est l'un des premiers points que nous avons évoqués dans la contribution. En effet, il existe une inégalité économique, puisque nos actes sont très peu ou pas du tout pris en charge, ce qui fait que le reste à charge pour les patients est très important.

Un deuxième axe de réflexion – nous y reviendrons au moment des questions – concerne la pertinence des soins, qui est forcément corrélée à l'exercice pluridisciplinaire. Les exemples sont criants. Nous avons un droit de prescription pour les orthèses plantaires, droit inscrit dans nos compétences par le code de la santé publique, mais qui n'est pas retranscrit dans le code de la sécurité sociale. Le patient vient donc nous consulter en première intention pour réaliser des orthèses plantaires, alors qu'une prescription est nécessaire pour la prise en charge. Notre prescription n'est pas valable au regard de la sécurité sociale, le patient doit donc repasser chez le médecin généraliste. Ainsi, nous multiplions les consultations pour une même pathologie. Nous pourrions faire gagner du temps médical au médecin prescripteur. Je pourrais vous citer d'autres exemples similaires dans notre pratique quotidienne.

Notre troisième axe de réflexion porte sur la prévention. La politique de prévention en France a souvent été mise de côté. Aujourd'hui, nous revenons à une vraie politique de prévention, mais notre système de santé marche parfois un peu sur la tête. Nous pourrons aussi évoquer la convention de prise en charge, signée entre notre profession et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM), sur la prise en charge des pieds des patients diabétiques, convention de prévention qui n'en est pas vraiment une.

Je terminerai mon propos liminaire en insistant sur la formation. Celle-ci a été réformée en 2012. Aujourd'hui, elle doit véritablement passer par l'universitarisation. Une L1 commune permettra à l'ensemble des professions de santé d'avoir une véritable culture pluridisciplinaire, dès la formation initiale. Cela permettra également de développer des connaissances partagées, les compétences et les activités de chacun des acteurs de santé et, ainsi, de favoriser le développement des structures pluridisciplinaires.

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Concernant les infirmiers, quel est votre avis sur la fameuse convention en cours d'élaboration, qui permettrait de plus grandes délégations de tâches ? Le mot « délégation » n'est pas toujours apprécié, appelez-la comme vous le souhaitez. Il s'agit d'élargir les missions qui sont confiées aux infirmiers. Quel est votre avis sur ce point, et quelles sont vos attentes ?

Ma deuxième question concerne toutes les mesures de régulation. Toutes vos professions, à l'exclusion des médecins, ont, à un moment ou un autre, été l'objet de mesures de régulation. Quel bilan dressez-vous de ces mesures ? Quelles sont les perspectives pour les cinq et dix ans à venir ? Nous faisons de la prospective et nous souhaitons savoir quelle sera l'offre de soins dans ce pays dans dix ans, afin de prendre des mesures immédiates, des mesures à court terme et des mesures à moyen et long termes.

Ma troisième question porte sur les formations qui ont lieu dans l'Union européenne – M. Prou a évoqué ce point. Nous vivons cela pour les médecins, les dentistes, les pharmaciens, les podologues, les kinésithérapeutes, etc. Quelles sont vos préconisations ? Souhaitez-vous une harmonisation des diplômes vers le haut ? Nous avons besoin que vous exprimiez un avis clair, puisqu'un volet du rapport de cette commission d'enquête portera sur la formation. Il va de soi que les mesures de formation n'ont pas d'incidence immédiate, mais qu'elles en ont une, a minima, à moyen terme. En attendant, que fait-on ?

Les kinésithérapeutes et les infirmiers notamment vivent un phénomène absolument étonnant. Alors que les médecins s'orientent de plus en plus vers les domaines public et parapublic – sur dix médecins formés, un seul s'installe en ville contre neuf dans une structure publique ou parapublique –, 70 % à 80 % des kinésithérapeutes s'installent comme profession libérale. Notre but n'est pas de nous occuper uniquement de la médecine libérale, mais de la médecine hospitalière et de la médecine libérale, tant on constate qu'elles sont parfaitement imbriquées. Cessons d'avoir deux canaux où personne ne se parle. Voyez les conséquences sur l'hôpital, qui connaît à l'heure actuelle de grandes difficultés – c'est le moins que l'on puisse dire. Et cela ne date pas d'hier !

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Vous avez évoqué les points débattus hier au Comité des professions paramédicales, dans le texte sur la pratique avancée, qui concerne l'ensemble des professionnels de santé paramédicaux – je préfère, moi aussi, le terme de « professionnel de santé ». Nous avons été invités aux concertations, mais le texte présenté n'est pas celui qui était attendu. Il a fait l'objet de beaucoup de lobbying. Le texte est finalement très contraint pour les infirmiers – nous sommes les premiers concernés, le tour des podologues et kinésithérapeutes viendra ensuite. Nous n'avons pas la liberté souhaitée, et qui est l'ambition du Gouvernement. Ce texte reprend des mesures qui n'ont pas fonctionné, notamment l'article 51 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), que Mme Bachelot a fait voter, et qui contraint les infirmiers à écrire des protocoles et à trouver des délégations d'actes, alors que nous devrions en venir à des logiques de mission.

Les infirmiers sont des professionnels formés à l'université. Ils ont un niveau de master 2, avec une responsabilité clairement écrite dans la loi pour les actes qu'ils pratiquent. Or le texte, tel qu'il est présenté à ce jour, nous oblige à écrire des protocoles, à rendre compte, comme si nous étions des petits garçons. Voilà qui est décevant.

Une infirmière de pratique avancée (IPA) pourrait très bien travailler dans des champs qui ne sont pas prévus par les textes de loi, tels que la psychiatrie, la santé mentale, etc. Nous savons qu'il existe, dans les centres médico-psychologiques de proximité, un déficit de médecins psychiatres. Nous pourrions aussi parler de la place des IPA dans l'éducation nationale, où les enfants pourraient recevoir une véritable éducation à la santé, alors que – nous le savons bien – la pénurie médicale frappe de plein fouet l'éducation nationale. Et que dire de la santé au travail, où les infirmiers sont les seuls, à ce jour, à proposer des consultations régulièrement, au moins tous les deux ans ?

Le texte manque d'ambition sur la pratique avancée, sur le rôle et la place des infirmiers, et sur tous les champs que je viens d'énumérer et qui sont importants. Je veux aussi aborder la question du premier secours. À l'arrivée à l'hôpital public, les infirmiers d'accueil et d'orientation sont ceux qui assurent le premier tri : sur ce point, il n'existe ni reconnaissance ni expertise. Je ne m'attarderai pas sur la régulation téléphonique et le drame qui a eu lieu à Strasbourg. Les infirmiers anesthésistes, diplômés d'État, ont une réelle expertise de la maîtrise de la douleur et de la prise en charge. Ils pourraient très bien participer au tri en premier ou second niveau, derrière les personnes qui répondent au téléphone.

En ce qui concerne la régulation démographique des infirmiers, vous trouverez quelques chiffres dans la note qui vous a été transmise. Concernant la liberté d'installation, nous sommes des professionnels prescrits, si bien que nous sommes obligés d'avoir autour de nous d'autres professionnels de santé, des médecins pour prescrire. Le rôle des pharmaciens est aussi très important, puisque les infirmiers ont besoin d'aller chercher les médicaments chez eux. Les infirmiers travaillent très facilement en réseau.

Le point gênant est l'effet d'aubaine et de frontière. Nous constatons que certaines zones sont très surdotées, avec un faible taux de remplacement et très peu de mutations. Nous pouvons mesurer ces chiffres depuis que nous incombe la mission de régulation et de délivrance des autorisations de remplacement. Les effets d'aubaine et de frontière sont assez marqués.

Je n'en dirai pas plus, parce que l'Ordre, qui est pourtant l'instance de régulation et de délivrance des autorisations de placement, n'est pas du tout partie prenante dans les négociations avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), concernant cette régulation. C'est totalement dommageable, puisque nous sommes le seul organe qui a une vue d'ensemble des remplacements.

Par ailleurs, nous sommes une profession très mobile, avec une grande fluidité des parcours professionnels entre secteurs salarié et libéral, puisque nous avons une obligation de servir pendant deux ans à l'hôpital avant de pouvoir accéder au secteur libéral. Seul l'Ordre peut mesurer ces questions, et nous ne comprenons pas très bien pourquoi nous ne sommes pas invités dans les négociations sur la régulation démographique. Nous ne maîtrisons donc pas les tenants et les aboutissants de la question, puisque nous n'avons aucun pouvoir, si ce n'est de contractualiser avec l'agence régionale de santé (ARS), avec une latitude de redéfinition des zones totalement marginale.

Concernant l'universitarisation, notre profession a accédé au processus de Bologne voilà dix ans. Nous avons été la première profession paramédicale à y accéder. Je m'inquiète et je m'étonne que, depuis dix ans, il n'y ait pas eu d'évaluation de ce processus. C'est un fait. Nous sommes en train d'accéder à l'université, et donc de préfigurer, à travers les IPA, le futur de la profession d'infirmier, tout du moins de la discipline infirmière. L'ambition de Stéphane Le Bouler, qui a été mandaté par le Gouvernement, est de créer des postes d'enseignants chercheurs spécialisés dans la discipline infirmière. Je ne peux que m'en féliciter : nous allons avoir, comme c'est déjà le cas pour les kinésithérapeutes, à nous intégrer dans une formation commune avec les médecins, les pharmaciens et tous ceux qui passent par la première année commune aux études de santé (PACES). Nous aurons ainsi un langage commun, permettant une plus grande fluidité dans les échanges avec toutes les professions de santé. Je rejoins les propos de Mme Mathieu : nous devons être réellement considérés comme des professionnels de santé.

Les infirmiers qui travaillent à l'hôpital ne peuvent pas accéder directement au secteur libéral. Nous sommes 80 % de salariés à ce jour. La possibilité d'une plus grande fluidité serait bienvenue, afin que les infirmiers suivent un parcours mixte, à la fois hospitalier et libéral. Ce serait une mesure de bon aloi, puisque ce modèle existe déjà pour les médecins. Des IPA, avec un niveau supérieur de formation, y gagneraient la possibilité d'orienter les patients et de les prendre en charge au long cours, notamment pour les maladies chroniques, qui ne sont pas soignées à l'hôpital. Une coordination est absolument nécessaire pour ces nouveaux métiers et ces nouveaux besoins, qui vont forcément exploser dans les années à venir. Nous parlons d'environ 10 millions de malades chroniques à venir dans les prochaines années.

J'attire l'attention de la commission sur le fait que, pour la première fois, il y a eu 30 % de moins d'inscrits au concours d'entrée dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Voilà qui est inquiétant, d'autant plus que les ARS prévoient un besoin de 800 000 infirmiers. Actuellement, nous sommes 600 000 à exercer. Nous parlons de personnes ayant une formation universitaire, des responsabilités élevées, mais, comme l'a souligné Mme Mathieu, un revenu mensuel de 1 350 euros en début de carrière à l'hôpital. L'attractivité de notre profession doit être revue. C'est un signal d'alerte que de constater que des jeunes, qui généralement s'orientent vers ces métiers par conviction, n'ont plus cette conviction pour venir travailler et servir.

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Monsieur Chamboredon, nous nous rejoignons sur beaucoup de points.

Je commencerai par les pratiques avancées, qui faisaient l'objet de votre première question, monsieur le rapporteur. Je suis très préoccupée quand je vois ce qui se passe pour les infirmiers. J'ose à peine imaginer comment travailler pour les pratiques avancées en kinésithérapie. Nous avons beaucoup d'idées, nous avons beaucoup de projets, mais les freins et les corporatismes me font craindre une longue bataille avant de voir un texte émerger, qui sera de toute façon complètement vidé de son sens. Notre profession est soumise à un socle de cinq années d'études, ce qui correspond aux termes du rapport Hénart-Berland définissant les métiers qui pouvaient accéder à des professions médicales à compétence définie et à des professions intermédiaires dans la santé.

Nous pourrions imaginer des kinésithérapeutes de pratique avancée, par exemple pour toutes les maladies chroniques respiratoires, puisque nous avons une forte compétence en kinésithérapie respiratoire sur les bronchopathies chroniques obstructives. Ils pourraient effectuer les épreuves fonctionnelles respiratoires et les interpréter. Une expérimentation a été conduite pour proposer un dépistage de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), en demandant une mesure du flux expiratoire en cabinet libéral, avec de petits débitmètres de pointe. Une sorte de guerre a eu lieu entre les pneumologues et les généralistes, les pneumologues ne voulant pas que les généralistes effectuent ce dépistage. Quand les kinésithérapeutes ont proposé de participer au dépistage, on leur a dit que ce n'était pas le moment, parce qu'il y avait un problème entre médecins. Finalement, ce fut un échec cuisant, puisque rien n'a été fait.

Pour les pratiques avancées, les kinésithérapeutes sont les prochains concernés. J'étais avant-hier en réunion sur l'universitarisation avec le groupe de travail de M. Le Bouler qu'évoquait M. Chamboredon. Je fais partie du comité de suivi : il nous a été dit que l'universitarisation serait le prochain chantier et que nous y serions inclus. Nous avons beaucoup d'idées, nous attendons et nous verrons.

Vous avez évoqué les mesures de régulation. Elles sont récentes pour les kinésithérapeutes et ont été mises en place avec un processus incitatif, sur laquelle reviendra M. Dumas, qui le connaît bien. Elles seront applicables au 1er juillet prochain pour les kinésithérapeutes libéraux – le texte ayant été retoqué pour un problème de légalité.

Comme M. Chamboredon, nous ne comprenons pas que ce soit le payeur, à savoir l'assurance maladie, qui assure la régulation territoriale. Ce sont des logiques de coûts, non des logiques de santé publique, qui présideront à cette régulation. Cela me paraît complètement déconnecté de la réalité : l'assurance maladie prendra des chiffres bruts – le nombre de kinésithérapeutes et le nombre d'habitants sur un secteur, fera une division et donnera les chiffres qu'elle attend. Cependant, le nombre de kinésithérapeutes n'est pas le même dans une zone très industrielle, qui voit les troubles musculo-squelettiques (TMS) se multiplier, ou dans une zone rurale. J'exerce en plein coeur du Sauternais, pas très loin de chez M. le président : les TMS concernent des personnes jeunes, qui travaillent à la vigne. Nous n'aurons pas le même besoin ici que dans d'autres régions. La régulation ne peut pas se faire uniquement sur des critères quantitatifs, déconnectés des réalités médicales.

De plus, seul l'Ordre des kinésithérapeutes suit en temps réel la réalité démographique. Or l'Ordre n'est pas du tout associé à cette régulation, dont je crains qu'elle ne soit pas du tout pertinente.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Avant d'aborder les mesures incitatives, je rappelle que ces mesures de régulation ne concernent bien évidemment que l'exercice conventionné, alors que le premier désert, c'est l'hôpital. Nous avons établi un système cloisonné et n'avons défini aucune mesure pour réguler la pratique salariée, alors que tout est lié. Tout cela n'a pas de sens. De plus, le conventionnement des professionnels dans les zones très surdotées va être interdit. Ils s'installeront donc dans les zones moyennement dotées. Qu'est-ce qui les poussera à s'installer dans des zones très sous-dotées ? Les incitations sont totalement insuffisantes.

Pour diverses raisons socio-économiques, les kinésithérapeutes font des études supérieures, comme les médecins. Leurs conjoints ont fait des études supérieures. Dans un bassin de vie où le tissu économique est détruit, il n'y a pas d'emploi pour les cadres, il n'y a pas d'emploi pour des jeunes qui ont fait des études supérieures. Nous obligeons les professionnels à s'installer dans ces zones-là, avec des mesures qui ne sont pas suffisamment incitatives. Les parents calculent le coût de la vie d'un enfant qui va faire des études supérieures. Par exemple, pour moi qui habite en Normandie, il faudra un appartement à Caen ou à Paris pour le premier enfant, un appartement à Rouen pour le second, etc. Tout cela entre en compte, si bien que les mesures qui sont proposées pour les kinésithérapeutes sont largement insuffisantes. Quand les jeunes font ce calcul…

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Monsieur, permettez-moi de vous interrompre. Il faut faire attention à ce que nous allons faire. J'entends votre propos : il nous faut mettre plus d'argent sur la table parce qu'Untel habite à 50 kilomètres de Caen. Mais l'université de Caen ne propose pas toutes les formations. Si un étudiant qui habite Caen veut faire une école vétérinaire, où ira-t-il ? Faudra-t-il payer un appartement à Paris ? Je suis professionnel de santé, j'ai étudié à Clermont-Ferrand, à l'époque où tous les certificats d'études spéciaux se passaient à Tours, à Lyon ou à Paris. Je souhaite vous appeler à une certaine forme de raison. Nous sommes là pour vous écouter et définir les mesures incitatives les plus pertinentes. Cependant, lisez le rapport de la Cour des comptes, qui passe ces sujets au vitriol.

Nous avons beau jeu de demander toujours plus d'argent public. Certains médecins touchent 50 000 euros de prime, puis, au bout de cinq ans, s'en vont. Voilà ce à quoi nous assistons ; tous mes collègues parlementaires vous le diront. Certains pharmaciens menacent de quitter tel village de 2 000 habitants si on ne leur donne pas 50 000 euros par an. L'assurance maladie donne actuellement 20 000 euros à chaque radiologue qui reste dans les zones sous-dotées. La situation est inquiétante. Le remboursement de la sécurité sociale pour une consultation de podologue s'élève à 1,26 euro. Sans mutuelle, elle s'élèverait à zéro euro. Je voudrais essayer de trouver une cohérence dans ce que nous proposons.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Vous parlez à un professionnel qui est installé dans une zone très sous-dotée depuis trente ans. Je me suis installé sans aucun problème. Cependant, je ne suis absolument pas représentatif du choix sociétal des jeunes. Ils ne sont pas dans cette démarche-là. Voilà ce que j'essaie de vous expliquer. Quant à moi, je suis déjà installé dans cette zone et je n'ai pas l'intention de la quitter.

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Je vous comprends, là n'est pas la question. Il est nécessaire que nous ayons ce débat, qui est utile à l'efficacité de notre commission d'enquête. Espérons que nous ne faisons pas qu'empiler les dossiers, sans rien faire ensuite.

Les mesures incitatives financières ont-elles montré leur pertinence ? Voilà la question qui se pose, pour les médecins et pour tous les autres professionnels de santé. Est-ce uniquement un problème d'argent ? Je suis moi-même père de médecins, je vous parle donc très librement. Est-ce uniquement une question d'argent qui fera que des médecins s'installeront dans les zones sous-dotées ? Ces zones se trouvent dans les zones rurales, mais aussi dans les grandes villes, par exemple dans le 20e arrondissement de Paris. Notre approche doit être générale, et non seulement financière. D'autres mesures incitatives portant sur l'attractivité ne sont-elles pas nécessaires ? Nous avons besoin d'entendre l'avis des professions que vous représentez, afin que nous soyons les plus objectifs possible.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Vous avez tout à fait raison, mais, pour ma profession, seul le biais financier existe. Il n'existe pas de projet professionnel qui pourrait être beaucoup plus valorisant, notamment par le biais de l'accès direct, ou par l'encadrement d'une équipe de soins interprofessionnels. La seule incitation existante est financière.

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Ne voyez-vous pas dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CTPS) un moyen de créer des réseaux ? Ces instances permettent, à l'échelle d'un territoire, la mise en place de politiques de prévention, grâce à des financements de l'ARS. Voyez le dossier médical partagé (DMP), ou les parcours de soins – certes, ces politiques n'en sont qu'à leurs balbutiements. Tous les professionnels demandent à travailler en réseau ; or un réseau n'existe que par la présence d'un médecin, d'un dentiste, de pharmaciens, d'un kinésithérapeute, d'une infirmière, d'un podologue, etc.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Vous avez tout à fait raison. Cependant, l'incitation, présentée comme mesure de régulation, n'est que financière. Elle s'élève à 3 000 euros par an.

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Permettez-moi de compléter les propos de M. Dumas.

Nous donnons en effet des primes de 50 000 euros qui ne servent à rien. Quant aux kinésithérapeutes, ils touchent la plus petite rémunération des professionnels de santé. De plus – et c'est une particularité de notre profession –, la majorité d'entre eux s'endettent pour financer leurs études. Pour se former, ils ont le choix entre quatre instituts privés à but lucratif, où les frais de scolarité s'élèvent jusqu'à 10 000 euros par an, des instituts privés à but non lucratif, où les frais de scolarité atteignent jusqu'à 9 200 euros par an, et des instituts publics où les frais d'inscription universitaires sont de 6 000 euros par an. Pour un étudiant dont les parents n'ont pas les moyens, et qui s'endette pour faire ses études, exercer à l'hôpital public pour 1 350 euros par mois n'est pas envisageable. Il n'aurait même pas de quoi vivre.

De plus, les zones très sous-dotées, ou même sous-dotées tout court, ne sont pas attractives ! Disons-le franchement ! C'est ce que nous disent les jeunes. Quand j'ai fini ma journée, j'ai envie d'aller boire un verre avec des amis. Quand je sors de chez moi, à Langon, à 20 heures 30, rien n'est ouvert, pas même un bar sympa pour aller boire un verre avec des amis. Des jeunes, à la sortie des études supérieures, n'ont pas forcément envie de cela. J'entends bien que l'on ne peut pas distribuer de l'argent partout, mais ce n'est pas avec 3 000 euros par an que vous les inciterez à s'installer dans des endroits où il n'y a pas de loisirs. Cela ne correspond pas à l'envie sociétale actuelle.

Pour ma part, j'ai trois enfants et j'habite à 50 kilomètres au sud de Bordeaux. Il fut un temps où je louais un appartement pour ma fille et un autre appartement pour mon fils à Bordeaux, et un troisième à Nice, et ce avec des revenus qui n'étaient pas très importants. J'ai hésité à quitter mon cabinet à Langon, situé en zone moyennement dotée, pour m'installer à Bordeaux et vivre en famille, avec mes enfants. Voilà un vrai problème ! Même 50 000 euros n'incitent pas les médecins à s'installer, et l'échelle n'est pas la même ! D'ailleurs, je ne dis pas que 50 000 euros inciteront les kinésithérapeutes.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Concernant les pratiques avancées, j'abonde dans le sens de Mme Mathieu. Nous étions hier au Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) pour la présentation du décret sur les IPA. Nous avons nous aussi des projets de pratiques avancées, mais il ne faut pas que celles-ci empiètent sur les diplômes d'exercice initiaux et les vident de leur substance. C'est un petit peu ce qui ressort. Concernant la formation, douze instituts de formation existent aujourd'hui sur le territoire français, dont dix privés, pour des coûts de formation allant, à l'année, de 7 000 à 14 000 euros en fonction des instituts.

Deux instituts de formation sont publics, à Bordeaux et Toulouse. Or 62 % des futurs professionnels sont formés en Île-de-France. J'ai dit tout à l'heure qu'il n'existait pas de désert podologique, mais nous constatons une concentration importante des podologues en Île-de-France.

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Guillaume Brouard

Concernant les mesures incitatives, pour reprendre les propos du président, l'accès aux soins concernant la pédicurie-podologie est disponible sur l'ensemble du territoire. La difficulté actuelle porte sur la répartition des professionnels et des lieux de formation. Une mesure de régulation pertinente serait de proposer une meilleure répartition des centres de formation sur le territoire. Nous constatons, dans notre profession, que les professionnels sont souvent amenés à travailler là où ils ont fait leurs études. Il serait donc intéressant de proposer des mesures incitatives au niveau des régions.

Un autre point porte sur le niveau de formation des étudiants. Grâce à l'universitarisation, nous envisageons pour notre profession la mastérisation, des parcours de recherche et des masters professionnels avec des compétences étendues. Voilà une mesure incitative pour les futurs professionnels. Ils pourront intégrer une filière de soins qui leur permettra soit d'avoir un diplôme d'exercice du niveau actuel, avec le service rendu aux patients, soit la possibilité d'aller un petit peu plus loin, d'innover et de libérer un petit peu leur énergie, car des étudiants souhaitent, aujourd'hui, aller plus loin dans leur parcours de formation.

Je pense qu'il y a la place aujourd'hui pour un corps intermédiaire de professionnels de santé, entre des formations paramédicales de trois ans et des professions médicales, en particulier pour les médecins généralistes, de onze ans, à l'image de ce qui existe chez nos voisins européens, en Espagne, en Italie, en tout cas pour les pédicures-podologues. Nous pourrions aussi aller un peu plus loin, comme au Canada, où existe une véritable formation de podiatre, c'est-à-dire une profession médicale à compétence définie. Il faut oser aller vers ces modèles-là, proposer ce genre de compétences sur le territoire français et ne pas laisser nos voisins européens, à terme, grâce à l'évolution du numérique, proposer ces compétences à la place de nos propres professionnels.

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Madame, messieurs, la présence d'un médecin en milieu rural est visiblement la clé de voûte de notre système de santé, et surtout de votre plein exercice, qu'il soit qualitatif ou quantitatif. L'une des hypothèses évoquées est la télémédecine, en particulier grâce au binôme médecin-infirmier. Comment envisagez-vous une telle hypothèse ?

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

La télémédecine est très intéressante. Voilà un vrai sujet pour les kinésithérapeutes. Beaucoup est possible grâce au numérique et aux objets connectés, comme un éventuel suivi des séances de kinésithérapie. Prenons un exemple mis en place par les kinésithérapeutes dans un hôpital de la région parisienne : des bracelets connectés sur les hémiplégiques. Le kinésithérapeute propose un programme de rééducation, que le patient effectue avec un bracelet connecté au membre supérieur. Les données sont envoyées au professionnel, qui peut suivre les mouvements effectués, apporter des corrections et se mettre en rapport avec le patient à domicile – puisque ce dernier doit être acteur de son soin –, éventuellement adapter le traitement. Nous avons identifié de nombreux sujets en kinésithérapie, dans de nombreux domaines.

Cependant, l'article 2 de la loi HPST constitue un frein : « La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance, utilisant la technologie de l'information et de la communication. Elle met en rapport entre eux ou avec un patient un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical. » En d'autres termes, nous ne sommes pas intégrés dans la télémédecine. Nous en revenons à mes propos liminaires et à cette dichotomie complètement hors du temps entre les professions médicales et les auxiliaires médicaux.

Personnellement, je veux bien faire de la télémédecine au fin fond de ma campagne, en suivant certains patients chroniques à domicile. Cela diminuerait les coûts et simplifierait vraiment les choses. Toutefois, actuellement, cela n'a même pas été imaginé. Je veux bien que le médecin vienne dans mon cabinet, pour analyser avec moi les données, mais est-ce pertinent ? Je pense que la télémédecine est l'avenir, mais un avenir avec beaucoup plus d'autonomie pour les kinésithérapeutes ; nous reviendrons probablement sur l'accès direct au kinésithérapeute. Je pense que vous parliez aussi des infirmiers.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Effectivement, le fait que la loi prévoit que la télémédecine n'existe qu'entre médecins pose un vrai problème. De plus, il ne faut pas se leurrer, la France rencontre un important problème d'aménagement du territoire. Nous ne pourrons pas faire de télémédecine sans haut débit, c'est une réalité – même si on nous dit que ça va changer…

Il y a un autre fait à prendre en compte, c'est que les infirmiers prennent en charge des gens. Est-ce que tous les gens ont actuellement accès à un guichet électronique pour retirer de l'argent ? Qui sera le médiateur ? Il y a tout de même une fracture numérique en France. Notre patientèle à domicile a plus de 70 ans et n'a pas forcément de tablette ou, si elle en a une, ne sait pas comment s'en servir. Il y a aussi un problème de technologies. L'infirmier va-t-il devenir un médiateur technologique ? Pourra-t-il faire des soins ? La télémédecine est réservée aux médecins : la convention réalisée avec la CNAMTS ne parle absolument pas de valorisation économique pour les infirmiers, au cas où ils prendraient part à la télémédecine. Cela n'a pas du tout été évoqué, alors que la convention avec la CNAMTS vient de se terminer. Il va falloir aller très loin concernant ce dispositif.

Un sujet connexe doit aussi être évoqué. Les municipalités ont considérablement augmenté le coût du stationnement. Les infirmiers se déplacent partout au domicile des patients. Or nous constatons de très grandes disparités pour stationner sur la voie publique, afin d'accéder au domicile des patients pour dispenser les soins. Le coût varie entre zéro et 350 euros par an. Aucune harmonisation nationale n'existe sur ce point, alors qu'il s'agit d'un immense service rendu à la population, qui permet de soigner à domicile et de permettre l'existence de la médecine ambulatoire, à laquelle les infirmiers participent largement. C'est un frein aux soins à domicile.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Je souscris tout à fait à ces propos. La législation doit évoluer pour que nous ayons accès à la télémédecine. Nous sommes concernés par toutes les nouvelles technologies, notamment pour la fabrication d'orthèses plantaires. Il faut aussi bien comprendre que la télémédecine ne remplacera pas le professionnel de santé. Nos actes sont très techniques, notre plateau technique en soins instrumentaux est similaire à celui des chirurgiens-dentistes, et la machine ne pourra pas toujours tout faire.

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Je voulais poser une question sur la délégation de tâches. Je suis pharmacien. Que pensez-vous de la délégation de tâche faite aux pharmaciens de pouvoir vacciner contre la grippe A ? J'aurais aussi souhaité savoir la position de l'Ordre des pharmaciens sur ce sujet.

Quel est votre avis sur la notion de parcours ? Dans le cadre du développement du maintien à domicile, pour l'établissement du parcours, la relation entre les professionnels de santé, entre le médecin, le pharmacien et l'infirmier, est essentielle si nous souhaitons faire un jour du maintien à domicile une vraie politique.

Enfin, je vous rejoins sur la nécessité, peut-être dans le cadre de la pratique avancée, de faire que les infirmiers soient plus présents à l'école. Les médecins scolaires n'existent plus, disons-le. La présence de votre profession à l'école représente un véritable enjeu, puisque nous savons bien que la présence d'une profession de santé à l'école est nécessaire.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

La question de la vaccination est très récurrente. Les pharmaciens ont bénéficié d'une expérimentation, qui a été étendue à ce jour. Je n'ai eu connaissance d'aucune évaluation de cette expérimentation, mais j'ai constaté qu'elle a été étendue. L'Ordre des infirmiers réclame – je crois que c'est le bon terme – la possibilité de vacciner en première intention, sans avoir besoin de passer par une prescription, au moins pour la grippe. Il nous arrive, notamment pour des rappels en zone rurale, de vacciner des gens alors qu'ils n'ont pas de prescription. Les gens ont le vaccin chez eux et – c'est la réalité – il n'y a pas de médecin. Il faut vacciner et faire les rappels, nous le faisons donc ! Nous souhaitons simplement une régularisation de la pratique courante !

Nous sommes 600 000 infirmiers en France. Comment est-il possible qu'une profession de santé chargée de la prévention ne soit pas plus impliquée dans la prévention ? Pourquoi ne pas donner plus de latitude aux infirmiers pour vacciner ? Nous serons plus nombreux à pouvoir faire les vaccins, et nous serons de meilleurs ambassadeurs de la vaccination. Aujourd'hui, des maladies réapparaissent en Europe, des migrants arrivent en France avec de graves problèmes sanitaires et nous ne nous donnons pas les moyens en personnel pour vacciner. Si les infirmiers sont plus impliqués, ils auront forcément une appétence pour vacciner. Soit nous disons que les vaccins sont dangereux au mépris du fait scientifique, soit nous formons mieux les professionnels de santé – je pense aux infirmiers et à tous les professionnels de santé – et nous disons que la vaccination est efficace et qu'elle a fait disparaître beaucoup de maladies en Europe. Les infirmiers peuvent le faire, ce n'est qu'une question de bon sens. Il ne s'agit ni de corporatisme ni de lobbying ; nous parlons ici de santé publique.

Nous ne pouvons que souscrire au parcours de soins. Je ne suis pas là pour opposer les professions ; il nous faut travailler ensemble, notamment avec les pharmaciens. Nous avons tous besoin du médecin prescripteur, mais aussi d'un pharmacien à proximité, et surtout de travailler ensemble.

En ce qui concerne la vaccination, des freins existent, puisque les infirmiers ne peuvent pas vacciner dans les pharmacies. Est-ce une piste de travail judicieuse, puisque le sujet est polémique ? Quoi qu'il en soit, il nous faut travailler de concert. Que la coordination du parcours de soins soit assurée par les infirmiers est une question de bon sens.

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Des maisons médicales ou pluridisciplinaires naissent un petit peu partout sur le territoire. Il est vrai que des régions sont un peu plus dynamiques que d'autres dans ce domaine. Ces maisons semblent être une réponse à la désertification médicale, parce qu'elles permettent non seulement un partage des tâches administratives, mais aussi la création du réseau professionnel dont nous parlions tout à l'heure. Quel est votre avis sur ce point ?

Par ailleurs, quelles sont vos relations avec vos administrations de tutelle ? Je pense notamment aux relations avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), qui parfois sont difficiles. N'est-ce pas aussi un frein au développement de vos professions ?

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Les maisons de santé sont une piste intéressante, qui ne répond toutefois pas à tous les besoins. Les kinésithérapeutes ont des plateaux techniques assez importants, ils ont besoin d'espace. Leurs loyers peuvent être assez importants. Or les projets actuels de maisons de santé ne se montent pas forcément dans des endroits où il n'y a pas de kinésithérapeutes. Cela pose un vrai problème.

L'Ordre a souvent été sollicité par des kinésithérapeutes, localement implantés de longue date, qui étaient particulièrement émus de voir des maisons de santé s'implanter près de chez eux. On leur proposait de s'y installer, mais ils étaient déjà propriétaires de leur cabinet ; ils n'avaient donc pas de loyer à payer – je vous rappelle que les revenus ne sont pas très élevés. De ce fait, quand vous êtes propriétaire d'un cabinet qui est mis aux normes, pour l'accessibilité par exemple, que vous ne pouvez pas le retransformer en un bien différent puisque les grandes salles ne sont pas transformables en bien locatif, et que l'on vous propose d'aller dans une maison de santé, il est compréhensible que vous refusiez, parce que ça n'est pas du tout intéressant pour vous. De ce fait, il arrive que l'on fasse venir des professionnels d'ailleurs, ce qui déséquilibre l'offre de soins sur le territoire.

Je soulèverai un autre problème. Que voit-on dans les maisons de santé ? Nous donnons caution à des professionnels qui utilisent les pseudosciences. Des maisons de santé vides voient s'installer des réflexologues, des hypnothérapeutes ou je ne sais quoi, des gens qui ne sont pas des professionnels de santé. Parfois, c'est véritablement le salon de la voyance ! Un médecin, par sa présence, à son corps défendant d'ailleurs, cautionne des professionnels qui n'ont strictement rien à voir avec la science. Nous voyons fleurir sur les réseaux sociaux des photos particulièrement préoccupantes, car elles donnent crédit à des gens qui ne sont pas des professionnels de santé et qui proposent des choses parfois dangereuses.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Dans ma commune de Thiberville, dans l'Eure, se prépare actuellement un projet de création d'une maison de santé. Mon message est le suivant : le plus important, c'est d'abord de valoriser le projet de santé avant de valoriser le projet immobilier. Or, souvent, nous mettons la charrue devant les boeufs, en pensant que les murs attireront les jeunes. Nous recherchons actuellement des médecins. En vingt-cinq ans, dans ma commune, le nombre d'auxiliaires médicaux a été multiplié par deux : deux fois plus de kinésithérapeutes et deux fois plus d'infirmiers. De trois médecins avec une très grosse clientèle, et un très gros pouvoir de prescription, nous sommes passés à la configuration suivante : un médecin qui ne demande qu'à partir à la retraite et qui est complètement épuisé, un autre qui sera à la retraite dans cinq ans, et une jeune médecin qui vient d'arriver et qui ne se voit absolument pas assumer toute seule le départ des deux médecins sans qu'ils trouvent des successeurs.

Nous sommes en train de monter une maison de santé, projet auquel je participe. Cependant, je refuse de l'intégrer, pour des raisons bassement matérielles : j'ai des revenus très faibles. Les kinésithérapeutes et les infirmiers ont les plus faibles revenus des professions de santé. Ma maison et mon cabinet sont mon seul patrimoine. Intégrer la maison de santé, c'est abandonner mon cabinet. Il n'est pas question de me le racheter pour me faire intégrer la maison de santé ; je le comprends parfaitement et je ne le demande pas. Quant à l'autre cabinet, il est tout neuf, puisqu'il a été créé il y a quatre ans ; le kinésithérapeute refuse lui aussi d'intégrer la maison de santé.

Valoriser le projet de santé nous paraît beaucoup plus judicieux. Ce sera un travail en équipe, une meilleure prise en charge pluridisciplinaire du patient, par des projets innovants comme le traitement de la petite traumatologie ou le triage auquel peut participer le kinésithérapeute. Malheureusement, c'est le projet immobilier qui prévaut. Je pense que c'est une erreur et je ne suis pas sûr que cela soit viable. Un grand nombre de maisons de santé ont été créées dans le centre de la France, mais les retours du terrain montrent qu'elles sont en partie vides. C'est pourquoi il faut trouver des professionnels pouvant payer le loyer : nous nous retrouvons avec des professionnels qui prétendent apporter des soins aux patients, mais sans aucune base scientifique, exerçant des métiers qui ne sont même pas reconnus en France – naturopathie, réflexologie – et d'autres disciplines qui sont reconnues, mais distinctes des professions de santé. C'est un véritable problème. Le projet de santé, oui ; mais le projet immobilier comme vecteur de promotion de l'installation dans une zone très sous-dotée, je n'y crois pas.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Comme nous l'avions indiqué dans la contribution, les maisons de santé sont pour nous l'un des leviers pour répondre au problème, mais ce n'est pas le seul. M. Vigier l'a dit tout à l'heure, les CPTS sont peut-être une solution intéressante, qui commence à émerger. Des pédicures-podologues sont intégrés dans certaines de ces structures, qui favorisent la pluridisciplinarité.

Les maisons de santé souhaitent favoriser l'exercice pluridisciplinaire. J'exerce aussi dans une commune semi-rurale, où je suis installé avec des kinésithérapeutes et des infirmiers. La maison médicale, avec trois médecins, est située à deux rues, la pharmacie à trois rues, et tout le monde travaille ensemble. L'exercice pluridisciplinaire existe, sans qu'il y ait eu besoin de faire financer par l'ARS une maison de santé. Dans les faits, la pluridisciplinarité existe, parce que les professionnels sont des gens sérieux. Ils ont compris depuis longtemps que l'exercice pluridisciplinaire était nécessaire, et qu'exercer tout seul dans son coin n'était plus possible.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Nous constatons un phénomène assez intéressant. Les maisons de santé dont vous parlez ressemblent beaucoup à des projets immobiliers. Quant à nos professions, elles ne sont pas représentées, de par la loi, dans les conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA). C'est tout de même hallucinant ! On nous demande de travailler ensemble, de façon pluridisciplinaire, et nous sommes exclus des CRSA. Nous ne pouvons pas peser sur l'organisation fine du territoire. Nous avons beau jeu de parler de santé et de territorialité !

Concernant les liens avec les CPAM, nous constatons que ces dernières n'exercent qu'une gestion comptable. On nous impose des seuils. Or nous sommes une profession prescrite et nous répondons à des besoins de santé exprimés par les patients. Seule la logique du bâton existe.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Je compléterai la réponse sur les freins dans les relations avec les caisses primaires d'assurance maladie. Comme vous avez pu le constater, la profession de pédicure-podologue n'est absolument pas prise en charge par la sécurité sociale ; sur prescription médicale, le patient peut espérer obtenir un remboursement de 1,26 euro. Les relations avec la CPAM peuvent être réellement un frein quand il n'existe pas d'accompagnement des patients. Je pense particulièrement aux patients qui viennent nous consulter en première intention, dans le cadre de notre accès direct.

Le pédicure-podologue, par sa compétence de diagnostic, est amené à dépister des maux perforants plantaires, des complications importantes pour la suite de la prise en charge du patient. Le parcours de ce patient, une fois le diagnostic posé, consiste à aller consulter le médecin pour un second diagnostic, qui est en général identique au premier. Le médecin renvoie ensuite le patient chez le pédicure-podologue pour envisager des soins.

Notre champ de compétence, aujourd'hui, est un peu contraint ; des champs de compétence partagés rencontrent des freins législatifs, tels que la prise en charge d'un patient diabétique avec des risques de complication, les maux perforants plantaires, le suivi de cicatrisation, etc. Un pédicure-podologue pourrait assumer de telles prises en charge, avec un accompagnement de la part de ses pairs. Alors, oui, de fait, le frein de l'assurance maladie concernant notre profession constitue un vrai problème d'accès aux soins pour le patient.

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Pour rebondir sur les maisons de santé pluridisciplinaires, il est évident que ce n'est pas la seule solution. Cependant, les jeunes médecins ne veulent plus travailler 60 à 70 heures par semaine. Ils veulent travailler en association, entourés de l'ensemble des professionnels de santé. Ainsi, nous gagnons en efficience.

Monsieur Prou, quand vous indiquez que le médecin se trouve à deux rues de chez vous, c'est une remarque tout à fait pertinente. Nous sommes beaucoup d'élus à penser que les maisons de santé sont avant tout des murs. C'est comme si vous vouliez lutter contre la faim en Afrique avec des épiceries vides. Un beau mirage ! Il faut nous recentrer sur le patient. Que veulent-ils ? La possibilité de se soigner. Dans le plan du mois d'octobre défini par les ministres, un mot a été très apprécié : la prévention. C'est la priorité. Tout comme l'offre et la qualité des soins. Le système français d'éducation thérapeutique doit aller vers une prévention dès le primaire.

Prenons l'exemple du diabète. Un diabète de type 2, suivi à 80 % en ville, coûte près de 20 milliards d'euros. Avec les complications, il faut rajouter 8 milliards d'euros : plaies, ostéites, artériopathies, neuropathies, etc. En cas de plaie avec surinfection, nous savons qu'une nouvelle plaie avec surinfection interviendra dans les deux à quatre ans, et que dans les trois ans, 10 % des patients subiront une amputation, qui coûte à peu près 30 000 euros. Je partage votre point de vue. Je suis pour une forfaitisation de prise en charge dès le grade 0.

Concernant l'universitarisation des études, il me paraît pertinent d'associer l'ensemble des soignants en vue d'un travail commun et d'une meilleure relation entre la médecine de ville et l'hôpital.

Comment voyez-vous l'évolution de la forfaitisation des filières de soins et qu'en attendez-vous ? Nous sommes obligés de changer de modèle. Nous garderons les consultations à l'acte, mais nous allons évoluer vers une forfaitisation, parce nous constatons une inflation des affections de longue durée (ALD), du diabète, des maladies cardio-vasculaires, etc. Voyez le cas du traitement de l'hypertension : nous n'en parlons pas assez, alors que cela coûte extrêmement cher, notamment à cause des risques d'accident vasculaire cérébral (AVC). Comment voyez-vous cette évolution et comment travailler mieux ensemble, puisque l'on est plus intelligent à plusieurs que seul ?

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Je ne veux pas mettre ma profession en avant, mais les infirmiers ont comme prérogative la prévention. Notre formation est axée sur la prévention, et la qualité des soins délivrés par les infirmiers n'est plus à démontrer. Tout se joue à l'école. Nous devons concentrer nos efforts sur l'éducation. Les infirmiers doivent être en contact avec les enfants et les jeunes. Il y a quelques années, nous donnions encore des brosses à dents dans les écoles. Nous l'avons oublié. Nous devons placer dans les écoles des professionnels de santé de premier recours, qui vont parler aux enfants. Le diabète de type 2 existe par manque d'hygiène et à cause d'une mauvaise alimentation. Un professionnel de santé doit être au plus près des enfants, au quotidien, pour renforcer les messages de prévention. Tout se joue très tôt.

Voyez la santé au travail ! Il s'agit bien de consultations, alors que le terme de consultation n'apparaît pas dans le texte, parce que cela froisse certains lobbies et certains corporatismes. L'on nous a dit que cela allait ouvrir droit au paiement à l'acte. Or, la ministre l'a dit à plusieurs reprises, elle n'envisage pas une logique de paiement à l'acte, mais une logique de parcours, et donc le paiement de la soulte. Nous devons faire évoluer le modèle, mais certains lobbies l'empêchent.

Revenons à la simplicité. Donnons du sens là où c'est nécessaire, dès la petite enfance. Si les gens ne comprennent pas l'étiquetage alimentaire, que soutient actuellement votre collègue Olivier Véran, que des médiateurs l'expliquent : il nous faut du bon sens et des infirmiers.

Il nous faut aborder un autre sujet, qui est très polémique – je ne suis pas là pour dire les choses qui font plaisir. A-t-on forcément besoin du recours médical en première intention ? Ce modèle-là n'a-t-il pas vécu ? Je pose cette question, mais je n'ai pas la réponse. On dira que je fais du corporatisme, ce qui est peut-être de mauvais aloi ici. Le premier recours doit-il revenir au médecin pour l'accès aux soins ?

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Je rejoins parfaitement les propos du président Chamboredon. Les professionnels de santé, les infirmiers doivent retourner à l'école, être présents auprès de la petite enfance ; les kinésithérapeutes doivent être présents pour le dépistage des déformations rachidiennes, dans la prévention des TMS, dans la prévention de l'obésité, du diabète, dans la promotion de l'activité physique. Nous sommes les représentants de 93 000 professionnels : nous sommes les seuls professionnels à être présents à la fois dans le code de la santé publique, parce que nous sommes des professionnels de santé, et dans le code du sport, car nous sommes tous éducateurs sportifs. La population à prendre en charge est tellement importante que les 93 000 kinésithérapeutes ne seront pas de trop, en complément, bien évidemment, des professionnels du sport issus de la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) ou de la filière fédérale d'éducateur sportif.

Il faut absolument que nous intégrions l'école. Il existe un projet très intéressant en région parisienne, « Aime ton dos », où des kinésithérapeutes interviennent à l'école pour la prévention des troubles rachidiens et des TMS. Il faut également promouvoir l'intervention des kinésithérapeutes en entreprise ; un certain nombre de professionnels interviennent dans la prévention des TMS en entreprise. C'est extrêmement important. Nous avions proposé et nous proposons toujours la création d'un statut de kinésithérapeute du travail, comme il existe le médecin du travail en entreprise. J'interviens également en entreprise, mais je n'interviens pas à l'école. Les infirmiers et les kinésithérapeutes ont vraiment un rôle majeur à jouer en la matière. C'est au cours de la petite enfance que tout se joue. Après, tout devient extrêmement difficile. Le discours en entreprise passe très difficilement, contrairement au discours auprès de la petite enfance.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Nous envisageons plus la notion d'enveloppe dans le cadre de la prévention. C'est un moyen d'intégrer le pédicure-podologue dans une prise en charge globale du patient. Je rejoins les propos de M. Dumas sur les pathologies au travail. J'en ai une expérience directe par mon épouse, qui a intégré un service de maladies professionnelles à Toulouse en tant que pédicure-podologue. Elle est probablement la seule dans ce cas en France. Les médecins du travail lui adressent les salariés en difficulté au niveau du chaussage, qui est une obligation pour eux, voire un motif de licenciement s'ils ne peuvent pas respecter les normes de sécurité. Aujourd'hui, sa consultation a pris une ampleur considérable, elle n'arrive plus à répondre à toutes les demandes. En effet, les médecins du travail commencent à devenir dépendants de ce service nouvellement créé et lui demandent d'en faire un peu plus. En l'état actuel des choses, elle ne peut aller au-delà du temps dédié. Une réflexion est nécessaire sur la prise en charge du salarié au travail, notamment au niveau de la prévention des risques d'accident.

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Je trouve les propos que vous avez tenus, les uns et les autres, très intéressants ; ils montrent une autre façon de parler de santé. Je reviens simplement sur les maisons de santé. Au départ, l'idée d'une maison de santé était d'attirer des professionnels de santé, qui étaient absents dans des communes ou dans des bassins de vie particulièrement ruraux. Il est vrai que, par la suite, ce projet initial a beaucoup changé, pour en arriver à des projets immobiliers tous azimuts. Ce n'est pas ce que nous souhaitons et nous en sommes conscients.

J'ai une question concernant l'envie de faire des études pour les infirmiers. Vous parliez d'une baisse de 30 % du nombre de candidats au concours d'infirmier. À quoi attribuez-vous cette baisse ? Est-ce l'attractivité du métier ? Je souhaite également savoir si c'est le cas pour les autres professions de santé.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Je ne reviendrai pas longuement sur les maisons de santé. Néanmoins, rappelons que nous nous adressons, dans les maisons de santé, à des professionnels de santé. Il est bien qu'il y ait des murs. Avec des murs, il est possible de faire venir des gens. Mais qu'en est-il du financement et de la répartition des charges ? Voilà peut-être une piste pour faire en sorte que des professionnels viennent habiter ces maisons de santé. La représentation nationale devrait peut-être mieux encadrer les choses et promouvoir une meilleure répartition des coûts, au-delà des simples frais de fonctionnement.

La baisse de 30 % du nombre de candidats au concours d'entrée est une vraie surprise. Plusieurs facteurs jouent, dont le premier est l'attractivité de la profession. La profession connaît un vrai malaise. Nous avons fait face à une augmentation des suicides. Le salaire d'un infirmier est de 1 350 euros par mois la première année, après trois ans d'études, avec la responsabilité de trente patients, des horaires de travail pénibles – il n'est plus à démontrer que la journée de 12 heures est néfaste. Même si c'est une bonne chose, nous sommes astreints au travail de nuit et à l'obligation de continuité du service public ; mais tout cela pour 1 350 euros par mois… Il faut remettre les choses en perspective. Je sais que les ordres n'ont pas à aborder ces sujets et que c'est à la représentation syndicale de le faire. Cependant, vous me demandez d'être clair ; je pense que c'est un point que l'on ne peut occulter dans ce débat.

Nous avons parlé d'universitarisation. D'autres pays d'Europe forment sans concours d'entrée, comme la Roumanie ou la Belgique. Des professionnels infirmiers vont ailleurs, où il n'y a pas de sélection. De plus, une rumeur a couru cette année, du fait que les études d'infirmier sont, en France, en pleine phase d'universitarisation : ainsi, il aurait fallu attendre l'année prochaine, parce qu'il n'y aurait pas de concours et qu'il serait possible d'entrer de plein droit dans les formations. Mais nous allons passer par Parcoursup, ce qui ne sera pas forcément mieux.

Je souhaite attirer votre attention sur un autre problème, dont je ne sais comment il peut être résolu. Être infirmier – c'est mon expérience de vie – est un facteur d'élévation et d'intégration sociale. C'est ce qui permettait la promotion sociale au sein de l'hôpital. Avec l'universitarisation, cela va devenir beaucoup plus compliqué, parce que les crédits de formation ne sont pas à la hauteur pour financer des jeunes pendant trois, voire quatre ans à l'université. L'universitarisation bloque aussi ceux qui ne sont pas titulaires du baccalauréat. C'est aussi un point de blocage pour les aides-soignants qui voudraient bénéficier de cette formation professionnelle en continu, tout au long de la vie. Ce sera sûrement une difficulté, alors que nous savons très bien que les jeunes qui sont aide-soignant veulent évoluer au sein de l'hôpital et dans leur carrière professionnelle.

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Je souhaitais revenir sur les maisons de santé et sur un projet très intéressant, déjà évoqué avec M. Vigier lors d'une précédente rencontre, qui se développe à Nancy. Il ne s'agit pas d'une maison de santé en tant que telle, mais d'un local avec un service de secrétariat. Les professionnels viennent à tour de rôle, sur la base du volontariat. Ils ne restent pas dans les murs, ce qui veut dire que les professionnels de santé, à Nancy, se sont spontanément organisés pour consulter dans cette maison et prendre en charge les patients ; ce ne sont pas leurs patients dédiés qu'ils rencontrent à chaque fois ; par exemple, le kinésithérapeute viendra une demi-journée ou une journée par mois. Tous les professionnels de terrain ont une sorte d'astreinte, avec un planning déterminé à l'avance, et viennent pour de l'accès aux soins. De cette manière, on ne contraint pas des professionnels à aller dans des endroits dans lesquels ils n'ont pas envie d'aller.

Nous pourrions généraliser un tel système, pas forcément sur la base du volontariat, mais peut-être avec une forme de contrainte, dans la logique d'un nécessaire accès aux soins des concitoyens. Je précise que nous ne réinventons pas les dispensaires, où le médecin vient faire des consultations. Vu le nombre de professionnels présents aux alentours, si tout le monde s'y mettait, je pense que je pourrais consacrer une journée par mois à une telle forme de pratique, dans les Landes, là où il n'y a personne, pour prodiguer des soins à nos concitoyens. Cette autre forme d'organisation pourrait être intéressante.

Concernant la formation, nous ne connaissons aucun creux, au contraire. Je laisse sur ce point la parole à M. Dumas.

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Il y a une très forte attractivité pour le métier, pour diverses raisons. Les kinés sont issus en très grande majorité de la PACES, avec des notes qui leur permettraient très facilement de continuer médecine, mais ils préfèrent s'orienter vers la kinésithérapie, parce que les études sont plus courtes, parce qu'il y a moins de tâches administratives dans l'exercice de la profession que chez les médecins, peut-être parce que le temps passé auprès du patient est plus long, ce qui crée une complicité – ça aussi, c'est très important. Il faudrait plutôt interroger le représentant des étudiants.

Nous connaissons l'effet inverse : il y a tellement de demandes qu'à peu près un millier de jeunes Français s'expatrie en Belgique, en Espagne et en Roumanie. Nous y reviendrons peut-être tout à l'heure, pour comparer ces niveaux de formation.

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éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Pour ce qui est de notre profession, voici quelques chiffres : 9 500 podologues en 2006, 13 200 aujourd'hui. Il existe un surplus de podologues, puisque, ces dernières années, 8 % des jeunes diplômés n'exercent jamais, ne s'inscrivent pas au tableau de l'Ordre et partent vers d'autres formations. Il n'y a pas de problème d'attractivité. Depuis deux ans, les instituts qui recrutent par concours ont certes du mal à recruter des candidats. Ce sont les conseils régionaux qui donnent les agréments pour l'ouverture d'un institut. Nous en avons ouvert beaucoup trop. Nous sommes une profession jeune, qui connaît peu de départs en retraite – cela viendra en 2025.

Cette compétence dévolue aux conseillers régionaux constitue un frein, et une politique de concertation entre tous les conseils régionaux serait nécessaire. Même avec des avis négatifs des ARS, des instituts se sont ouverts. C'est un vrai souci, et, aujourd'hui, ces instituts ont du mal à faire le plein dans les concours. Des quotas de 120 étudiants terminent en promotions de 80… Nous avons eu une vision à court terme. C'est pourquoi l'universitarisation est très importante pour notre profession. Si ce frein existe aujourd'hui, c'est parce que les coûts de formation vont de 7 000 à 14 000 euros par an. C'est, je pense, le frein essentiel pour entrer dans notre formation. Quant à nos revenus – je ne veux pas faire un concours sur ce point –, certaines sources indiquent que c'est la profession d'orthoptiste qui a les plus faibles revenus, devant les pédicures-podologues.

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Cela n'empêche pas de susciter les vocations, malgré tout.

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Madame, messieurs, je vous remercie de vos analyses et de vos témoignages, qui nous sont très utiles. Nous sommes tous préoccupés par l'égal accès de nos concitoyens au système de santé et à la mise en place d'un parcours de soins, dont l'objectif est, à mon sens, d'avoir le juste soin au bon endroit et au bon moment. C'est, je pense, le défi qui est devant nous, quel que soit le territoire – et nous sommes tous dans des territoires différents.

La coordination de l'ensemble des professionnels sur le terrain me préoccupe beaucoup. Comment peut-on promouvoir une prise en charge globale et structurée du patient au plus près de son lieu de vie ? Je vois toute la difficulté à coordonner les actions entre établissements publics et établissements privés, domaine sanitaire et domaine médico-social, et entre l'ensemble des professionnels de santé libéraux que vous êtes.

Des expériences sont menées, d'ailleurs au-delà de ce que sont censées être leurs compétences, par certains groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ces expériences ont permis, dans nos territoires respectifs – un certain nombre d'entre nous a déjà mis sur pied des GHT – de consolider l'hôpital comme le lieu public central, de l'entourer des autres établissements, en quelque sorte de les sauver, et de les coordonner en un système unique. Ainsi, des chirurgiens vont parfois consulter à 30 kilomètres, dans un hôpital de plus basse importance, et sont ainsi présents sur le terrain. Toutefois, nous constatons la difficulté à aller plus loin, c'est-à-dire à faire en sorte que l'ensemble des professionnels libéraux de santé puisse être associé au GHT et que nous ayons une vision globale du territoire. Nous pouvons même imaginer que des professionnels de santé exercent en milieu rural, dans des lieux assez isolés, mais aussi à l'hôpital public, ou bien dans un établissement privé, pour que cette complémentarité nous permette d'avoir une vision stratégique territoire par territoire, avec des professionnels qui ne soient pas isolés, des professionnels qui soient reliés à notre organisation et qui nous permettent de sortir d'une situation difficile.

J'aimerais avoir votre point de vue sur cette situation. Je suis sur un territoire où nous essayons, à travers un GHT, d'aller plus loin, c'est-à-dire d'associer l'ensemble des professionnels de santé. Or les difficultés sont grandes, par manque d'interlocuteurs. Comment chaque profession est-elle représentée ? Je pense notamment aux médecins ; peut-être est-ce plus facile pour les infirmiers ou pour les kinésithérapeutes. Toujours est-il qu'il est assez difficile d'avoir en face de soi le porte-parole, le représentant des différents domaines professionnels, pour mettre en oeuvre une stratégie globale. Quel est votre point de vue sur cette situation ? N'est-elle pas une voie ouverte sur un nouveau mode de coopération au travail ?

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Ma question est similaire.

Madame et messieurs, je vous remercie d'être présents aujourd'hui et de nous avoir exposé votre avis. Nous avions tous été frustrés, lorsque nous avions reçu l'Ordre des médecins et l'Ordre des dentistes, de ne pas vous voir associés à l'audition. Je suis très heureuse de vous voir aujourd'hui.

Ma question s'adresse plus aux infirmiers. Le modèle à l'hôpital est presque à l'inverse du modèle libéral. Le patient, à l'hôpital, est reçu par une infirmière d'accueil et d'orientation (IAO). Inversement, en ville, le patient consulte en première intention chez le médecin.

Pour une même prise en charge, l'approche est différente. Moi non plus, je ne souhaite pas opposer les professionnels entre eux. Pourriez-vous nous donner votre avis sur cette consultation, qui pourrait être une consultation infirmière, et l'évolution de la profession par rapport à cette consultation ? Cela implique la prise en charge, dans les IFSI, de cette formation, tout comme la télémédecine, car seule une formation à la télémédecine permettra son utilisation sur le terrain.

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Je souhaite moi aussi revenir aux pratiques avancées, afin de mieux comprendre la définition qui est la vôtre des professions médicales à compétence définie. Comment imaginez-vous ces professions ? Je m'adresse particulièrement au président de l'Ordre national des infirmiers.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Finalement, nous avons bien fait de venir ! Il y a un tel décalage entre les demandes que vous exprimez et ce que l'on voit avenue Duquesne que l'on se demande si l'on est dans le même monde et si l'on est toujours en France.

Voilà la réalité ! M. Prou était présent avec moi, hier au HSPP, le texte est en deçà de toutes les attentes exprimées depuis 2015. Heureusement que Mme Agnès Buzyn est arrivée au ministère de la santé, car il s'agit de textes qu'elle a rédigés quand elle était présidente de l'Institut national du cancer (INCa). Les derniers textes concernant les infirmiers ont mis dix ans avant d'arriver à l'Assemblée nationale et d'être promulgués. Nous pouvons au moins saluer cet effort et cette volonté politique.

Je pense qu'il faudrait créer un exercice mixte, à l'instar des médecins. Une expérimentation a lieu à l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille, où, pour assurer la coordination, ils font appel à une association qui emploie des infirmiers libéraux. Qui est mieux placé qu'un infirmier libéral pour parler à un autre infirmier libéral ? Nous savons tous que la lettre de sortie du patient, à l'hôpital, met dix jours à arriver, quand elle arrive, alors que la préconisation est de deux ou trois jours.

Et je ne parle pas des patients qui doivent sortir le vendredi à 15 heures de l'hôpital, pour que les patients des urgences ne meurent pas sur les brancards. On fait sortir la personne, l'infirmier tente de garder le patient à domicile ; or ce n'est pas possible et il faut réhospitaliser, contre l'avis du patient, alors qu'il aurait fallu trouver une autre solution, à savoir une vraie coordination ville-hôpital. Clairement, c'est l'infirmier qui l'assure, c'est notre travail.

Se pose donc la question statutaire : il n'existe pas de fluidité de parcours entre les infirmiers à l'hôpital et les infirmiers en ville, contrairement aux médecins, ce qui constitue un véritable frein. Il est tout à fait possible, envisageable, pertinent et cohérent que les jeunes bénéficient des deux modes d'exercice. Il nous faut nous parler et nous connaître.

Nous avions demandé le premier recours. L'accès direct à l'infirmier, c'est niet ! Les infirmiers devaient être considérés comme des professionnels à compétence limitée. Il n'en est rien. Il n'y a eu ni logique de mission ni décrets d'actes. Les listes sont déjà obsolètes, comme l'on dit les syndicats confédérés. Je suis très à l'aise sur cette question. Je n'ai même pas déposé d'amendements sur ce texte, que j'ai demandé au Haut Conseil des professions paramédicales de rejeter. Je tiens à dire à la représentation nationale que j'ai été entendu par les syndicats confédérés qui ont rejeté le texte, ce dont je me félicite.

Le texte passera quand même, nous en sommes bien conscients. Reste qu'il va à la fois contre les préconisations de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI), des professionnels de santé libéraux, de l'Ordre des infirmiers et des syndicats confédérés. Nous constatons un certain autisme dans certaines rues de Paris quant aux besoins de santé et aux besoins des infirmiers.

La logique de missions ou de prise en charge pourrait très bien exister dans le cadre de consultations. C'est un terme qui est refusé aux infirmiers. Faire une consultation n'est pas possible. Soit nous ne sommes pas assez intelligents, soit notre formation n'est pas à la hauteur de ce que l'on nous demande. Je suis très étonné.

L'enjeu, ce sont les personnes âgées et la médecine ambulatoire. Vous l'avez très bien dit, monsieur Perrut. L'ambulatoire, c'est la vraie question : comment fait-on pour vider les hôpitaux et pour que les gens soient pris en charge de façon pertinente ? Concernant la douleur, des dispositions pratiques font que le médecin doit intervenir à domicile à tout moment. Les infirmiers interviennent à sa place, ils sont obligés de faire et de facturer à la sécurité sociale des actes qui ne sont pas du tout en phase avec la pratique de tous les jours. En tant qu'ordre, et donc instance régulatrice, nous ne parlons pas de la pratique professionnelle avec la CPAM. Je vous rappelle qu'il s'agit simplement de prendre en charge la douleur des patients à domicile.

Il nous est très difficile d'être entendus par les pouvoirs publics ; c'est le cas pour chacune de nos professions respectives. Pourquoi les infirmiers et les médecins sont-ils auditionnés séparément dans les commissions d'enquête ? Nous sommes tous des professionnels de santé et notre but à tous est le bien-être du patient et le maintien à domicile.

Nous sommes contraints parce que le médecin est le point d'entrée. Ce n'est pas l'objet de notre revendication, nous revendiquons simplement de pouvoir assurer le suivi. Nous n'avons pas pu inscrire non plus, dans le texte, les termes « consultation de suivi », pas même pour les diabétiques, alors que vous avez rappelé l'importance du poids économique de cette maladie, pour laquelle il faut constamment adapter les posologies. La situation est la même pour toutes les maladies chroniques ; nous ne pouvons assurer le suivi.

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Rappelons clairement une réalité : sur le terrain, tout va bien. Avec des coups de téléphone, avec les médecins, avec les pharmaciens, avec les infirmiers, nous nous voyons au chevet des patients. Sur le terrain, tout va bien entre professionnels de santé. Les problèmes surviennent quand il faut travailler des textes avec les instances des différentes professions. Je constate qu'il n'y a pas de corporatisme sur le terrain, mais je ne peux que constater du corporatisme chez certains décideurs de certaines professions. Voilà, c'est dit.

Le problème que nous rencontrons à l'hôpital est celui du statut de la fonction publique hospitalière, qui empêche les parcours mixtes. Je ne donnerai qu'un seul exemple. Très souvent, certains hôpitaux qui manquent de kinésithérapeutes sont prêts à payer ces derniers au dernier échelon. Par conséquent, ils ne seront jamais titularisés ; de plus, ils sont employés selon je ne sais quel statut bâtard. Nous avons reçu dernièrement les kinésithérapeutes de l'Assistance publique Hôpitaux de Partis (AP-HP), qui sont vraiment désespérés – je pèse mes mots, la situation est catastrophique – parce qu'ils n'arrivent pas à recruter et qu'on embauche à leur place des professeurs de sport.

Les professeurs de sport ne sont pas des professionnels de santé. Je pensais naïvement que ces professeurs de sport étaient rémunérés au SMIC, 1 100 euros par mois, ce qui me paraissait intéressant pour l'hôpital. Il n'en est rien, ils sont payés au niveau « bac +5 », parce qu'ils ne sont pas soumis au statut de la fonction publique hospitalière, qui oblige à recruter un kinésithérapeute selon des grilles de 1962, soit anciennement « bac +2 », malgré une petite revalorisation d'une vingtaine d'euros par mois. Nous en venons donc à recruter, avec des rémunérations attractives « bac +5 », des non-professionnels de santé qui se substituent aux professionnels de santé, parce que le directeur d'hôpital n'a pas le droit de déroger au sacro-saint statut. Si un kinésithérapeute est engagé, le directeur est obligé de suivre la grille des kinésithérapeutes.

Pour répondre à tous ces problèmes, il est temps de parler de ces professions médicales à compétence définie. Un jour, avenue Duquesne, on m'a dit : « Ne dites pas cela pour les kinésithérapeutes, vous allez faire peur. » Je l'ai compris, et c'est pourquoi je n'en parle plus. En effet, il y a des confrontations entre professionnels à compétence définie. Une profession médicale à compétence définie, c'est une profession qui a un droit de prescription, ce que nous avons déjà – nous demandons par ailleurs qu'il soit élargi – et c'est une profession qui a un accès direct.

Le kinésithérapeute ne s'occupe pas que d'entorse de la cheville et de lombalgie – c'est la vision qu'ont certains de notre métier – : c'est celui qui rééduque l'AVC, qui s'occupe de la sclérose en plaques, qui s'occupe du BPCO, qui concourt au maintien à domicile de la personne âgée et qui lutte contre l'entrée en dépendance. Nous agissons dans les cancers du sein, dans les cancers en général, notre champ d'activité est très large. Actuellement, dans nos zones sous-dotées, quand nous n'avons pas de prescription médicale, parce que le médecin n'a pas fait la prescription ou parce que le patient en ALD a oublié de la demander au médecin, quand le kinésithérapeute n'a plus de séance, nous continuons à soigner avec des prescriptions qui ne sont plus valables, ce qui engendre des problèmes de facturation. L'ordonnance est un bon à remboursement, si bien qu'avec l'accès direct et les ALD, c'est un frein pour que nous soyons rémunérés.

Dans notre référentiel de formation, d'activité et de compétences, les drapeaux rouges sont le Québec, la Norvège, la Pologne, etc. Je ne parle pas de la Nouvelle-Zélande ou de l'Australie, où l'accès direct au kinésithérapeute existe. J'ajoute que cet accès direct ne va pas générer de coût, cela ne changera rien au parcours de soins du patient en ALD qui a besoin de kinésithérapie ; cet accès direct fluidifiera et facilitera son parcours de soins. Dans le cas d'un patient dont l'épaule a été opérée, l'accès direct n'entraînera pas de coûts supplémentaires, car les référentiels de l'assurance maladie encadrent ces soins ; pour un canal carpien opéré, aucune séance n'est prise en charge ; pour une entorse de cheville externe, dix séances sont prises en charge. Il n'y aura donc pas d'inflation. L'accès direct, pour ce genre de pathologie, ne générera pas de coûts supplémentaires.

Avec le conventionnement sélectif, des kinésithérapeutes seront envoyés dans des endroits où il n'y a pas de médecin. La profession a pris ses responsabilités et s'est volontairement engagée dans cette voie. Il faut l'accompagner et souligner cet effort, en considérant que nous sommes des professionnels responsables, qui ne prendront pas de risque. Quand nous sommes en difficulté, il n'est pas du tout question de recevoir les patients et de court-circuiter le médecin, bien évidemment. Il est question de travailler de façon cohérente avec l'évolution de la formation et de nos compétences.

M. Guillaume Brouard, Monsieur Perrut, vous avez bien résumé la situation avec cette notion de « juste soin, au bon endroit et au bon moment ».

Le « juste soin » correspond à la compétence, à l'offre de soin du professionnel de santé sur le territoire. « Au bon endroit » correspond à la possibilité d'accéder à un professionnel de santé. « Au bon moment » correspond à la capacité d'offrir du temps de consultation. Concernant notre profession de pédicure-podologue, pour comprendre ce que pourrait être une profession médicale à compétence définie, les compétences possibles et envisageables sont faciles à imaginer. Elles existent de l'autre côté de la frontière, en Espagne. Si nous allons un peu plus loin, dans les faits, la profession de podiatre, au Canada, est une profession médicale à compétence définie, avec initialement le même profil que ce que peut être le pédicure-podologue aujourd'hui.

Concernant le « bon endroit », nous disposons de l'accès direct. Sur l'ensemble du territoire, il est aujourd'hui possible de consulter un pédicure-podologue. Le temps de consultation est en général de 45 minutes. C'est une profession qui travaille aussi chez les patients : le pédicure-podologue se déplace à domicile pour prodiguer ces soins et ses compétences de diagnostic. Ce temps de consultation est donc disponible. La difficulté porte sur le temps de consultation médicale. Contrairement à ce qui était attendu, le nombre de médecins n'a pas diminué ; ce qui pèche, c'est le temps de consultation disponible, à savoir la possibilité pour le patient d'avoir un rendez-vous. Je pense qu'il faut utiliser ce qui est disponible sur le terrain, et le temps de consultation concernant notre profession est disponible.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Je voulais rajouter un point sur la pratique avancée. Dans le monde, 31 pays ont déjà une pratique avancée infirmière. Nous sommes le dernier pays développé à mettre cela en place. C'est hallucinant.

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Ce que je crains, c'est qu'un jour nous ouvrions les vannes. Si notre pays ne se modernise pas, ne développe pas les parcours de soins et l'accès aux soins, les professionnels viendront un jour de l'étranger, avant que les professionnels français ne soient prêts concernant les pratiques avancées.

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Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Tous les ordres vont intervenir, avec la chaire « Santé » de Sciences Po, dans une conférence sur l'exercice partiel et sur l'accès dans la communauté européenne de diplômés étrangers. Ces diplômés n'ont pas forcément les mêmes diplômes, ce qui complexifie le système. C'est un vrai problème, nous en sommes conscients et nous souhaitions en parler.

Nous sommes le dernier pays en Europe à mettre en place les pratiques avancées. Concernant la prescription infirmière, je dirai que le corollaire de la consultation, c'est la prescription. Quand je suis chez moi, je peux donner du Dafalgan à mes enfants. Quand je suis en blouse blanche à l'hôpital, je ne peux pas le faire. Les infirmiers qui se déplacent à domicile ne peuvent pas prescrire des antiseptiques pour faire les pansements qu'ils vont réaliser. En France, certaines pratiques relèvent du surnaturel.

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Tous les députés sont extrêmement sensibilisés par ces questions, et je vous remercie de votre liberté de ton et des réponses à nos questions.

Premièrement, concernant les pratiques avancées – vos derniers propos l'illustrent parfaitement –, vous couvrez des actes que vous ne devriez pas couvrir. Voilà la vérité. Disons les choses clairement. Il serait bien que l'on vous remette un tout petit peu à contribution. Nous avons parlé du diabète, de la surveillance des traitements anticoagulants, des vaccins, etc. Sans que cela ne déclenche la guerre des polices ni la guerre des professions, un pharmacien, un biologiste et un infirmier peuvent vacciner. L'audition des infirmiers puériculteurs a été très intéressante. Il y a des choses à faire.

Madame, vous avez raison, la médecine du travail est un naufrage dans ce pays. C'est un naufrage absolu. Les kinésithérapeutes et les podologues connaissent ces pathologies. Voyez le taux d'accidents du travail, notamment dans le domaine de la santé dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les problèmes de dos que rencontre le personnel – 98 % sont des femmes. Ne pourrait-on pas inventer de nouveaux dispositifs pour la médecine du travail ? Pour les infirmiers, dans le cadre de la régulation ? Voyez ce drame du service d'aide médicale urgente (SAMU) de Strasbourg ; un nouveau cas est évoqué ce matin. Avec l'arrivée de la télémédecine, ne peut-on pas imaginer l'émergence de nouveaux métiers – des infirmiers régulateurs, des infirmiers internistes, voire des kinésithérapeutes régulateurs ? Il nous faut inventer. Nous allons faire des propositions, mes collègues et moi-même. Nous allons nous mettre d'accord sur un document de synthèse. Vous pouvez constater que, quelles que soient les sensibilités politiques, l'envie d'avancer est prégnante.

Je vais vous poser une question encore un peu plus directe. Voilà la proposition : nous vous laissons pendant deux ans plus de liberté de prescription. Si des dérives sont constatées, vous ne pourrez plus prescrire. Cela vous semble-t-il recevable, ou inenvisageable ? Seriez-vous prêts à assumer une telle responsabilité ?

Deuxièmement, pour reprendre les propos de ma collègue sur la question des diplômes européens, je souhaiterais que vous, responsables des ordres, vous disiez avec force que le niveau de diplôme n'est pas le même. Qui mieux que vous peut le dire ? Je suis un Européen convaincu, génétiquement. Cependant, disons les choses clairement : nous allons être, entre guillemets, « envahis  », et je pèse mes mots. Cela fait trente ans que, quand un étudiant veut être vétérinaire et qu'il n'arrive pas à entrer à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort, il part en Belgique. Sommes-nous capables de mettre ces questions sur la table ?

Troisièmement, nous ne vous avons pas entendus concernant le dossier médical partagé. J'aimerais bien que vous me fassiez des propositions, car le DMP fait partie du parcours de santé, de la non-redondance d'examens et de la qualité de la prise en charge. C'est un dispositif essentiel.

Quatrièmement, nous croyons à la télémédecine, mais pour des actes identifiés, réalisés par des professionnels.

Je terminerai par un mot sur le problème de l'attractivité, notamment dans le domaine public, à l'hôpital, avec les débuts de carrière à 1 350 euros que vous évoquez. Pourriez-vous nous faire des propositions comparatives ? Je pense qu'une des solutions passe aussi par une meilleure attractivité à l'hôpital. Neuf médecins sur dix vont à l'hôpital, et ceux qui suivent les cursus habituels sont plutôt très mal payés pour des « bac + 12 » ou « bac + 13 ». Ce sont les mercenaires qui font le prix, à la dernière minute de la dernière heure ! C'est lastminute.com ! Untel vient faire la garde de 24 heures, mais réclame 1 800 euros. Voilà la situation dans laquelle nous sommes.

Pourriez-vous essayer de synthétiser vos propos pour apporter quelques éléments de réponse sur ces quatre ou cinq questions, qui résument cette audition particulièrement riche ? Je ne reviens pas sur les maisons de santé, mais je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut un projet médical à la clé. Serait-il possible de synthétiser tous ces éléments, pour que nous puissions être encore plus prospectifs dans nos propositions ?

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

La France propose pour les kinésithérapeutes le plus haut niveau de formation : cinq ans après le bac, 300 crédits ECTS, et un niveau master. Nous partageons ce niveau de formation avec la Belgique flamande. Les Wallons y viennent, le niveau belge sera donc équivalent au nôtre très rapidement. La Belgique et la Pologne sont les deux seuls pays qui proposent un master.

Je suis obligé de vous dire que les 2 200 diplômés européens qui viennent tous les ans en France passent par la région, par la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), qui délivre l'équivalence et l'autorisation d'exercer. Or le dispositif juridique indique que l'on doit comparer le niveau de formation actuel en France avec le niveau de formation du pays d'origine. Le niveau actuel est de « bac + 5 » depuis 2015 ; or les services déconcentrés reçoivent des directives de la DRJSCS, qui leur demande d'appliquer l'ancien programme à « bac + 3 ». Nous nous battons depuis trois ans et nous n'arrivons pas à obtenir gain de cause. Aujourd'hui, plus aucun étudiant en kinésithérapie n'est formé à bac + 3, le modèle est périmé. Le texte de septembre 2015 n'est pas appliqué dans les DRJSCS. Cette année, il n'y aura pas de kinésithérapeutes formés par la France, c'est une année blanche, puisque nous passons, dans les écoles de kinésithérapie, de trois à quatre ans. Il n'y aura que des diplômes européens ! Malgré notre désaccord !

C'est un sujet très politique, je laisse la parole à ma présidente…

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Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Nous avons rencontré la ministre ; elle est véritablement tombée des nues. Elle a demandé que les consignes soient appliquées, la direction générale de l'offre de soins (DGOS), a reçu ces consignes, les services du ministère aussi, cela a été confirmé lors d'une réunion avec la DGOS. Une réunion a eu lieu trois jours plus tard avec la DRJSCS, l'un de nos représentants était présent, et le représentant de la DGOS leur a demandé de continuer à appliquer le programme d'avant 2015.

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Il est temps de reprendre en main les services de l'État !

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Pour la profession de kinésithérapeute, nous souhaitons travailler au niveau européen, pour obtenir un cadre commun de formation, à l'instar des médecins, ce qui permettrait d'instaurer une reconnaissance automatique du diplôme. Plutôt qu'une dérégulation européenne, nous sommes beaucoup plus favorables à une harmonisation des réglementations. Actuellement, quand le diplôme est reconnu, les compétences ne sont pas les mêmes. Dans les autres pays, les compétences sont autres ou moindres. Les professionnels étrangers n'ont pas les compétences que nous avons, et ils ont exactement les mêmes droits que les professionnels français. Un problème d'harmonisation existe. Le fameux cadre d'exercice n'est pas le même.

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Qu'en est-il, par exemple, des écoles portugaises qui s'installent en France ?

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Jean-François Dumas, secrétaire général de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes

Nous constatons la mise en place d'un véritable système marchand de l'offre de formation. Des familles sont prêtes à payer 9 200 euros par an pendant quatre ans pour former leurs enfants qui souhaitent devenir kinésithérapeute. Des écoles proposent donc des tarifs moins chers, notamment des universités espagnoles, qui ont ouvert énormément d'écoles de formation à la kinésithérapie. Il en va de même en Roumanie.

Un nouveau système est apparu : l'école vient s'implanter sur le territoire français, sans aucune autorisation ni reconnaissance du ministère de l'enseignement supérieur ni du ministère de la santé, et sans que nous puissions, pas plus que le ministère, obtenir de l'État portugais l'attestation selon laquelle cette formation autorisera l'exercice sur le territoire portugais. Le régime de reconnaissance européen veut que si un pays européen reconnaît une équivalence française, ses ressortissants puissent exercer chez nous un jour ou l'autre. Il ne s'agit que de mesures compensatoires. Actuellement, la France n'est pas capable d'apprendre de l'État portugais si cette école, la fameuse CLES – ou ESEM, puisqu'ils ont changé de statut entre-temps –, est reconnue par lui. La juridiction française, le tribunal de grande instance de Toulon, a déclaré cette formation illégale sur le territoire français. Je n'irai pas plus loin, car il y a eu appel.

Permalien
éric Prou, président de l'Ordre des pédicures-podologues

Nous ne faisons qu'affirmer haut et fort l'exigence d'harmonisation au niveau de toute l'Europe. Cependant, je suis obligé de parler de l'accès partiel. C'est un souci pour nos professions de santé. Nous n'avons pas été beaucoup entendus quand le texte est arrivé en discussion. Cela va poser des problèmes. Malgré un avis de l'Ordre, ce sont les DRJSCS qui décident, sans toujours tenir compte de notre avis.

Nous sommes d'accord pour la mise en place de la prescription ou son élargissement. Pour notre profession, je peux vous garantir que cela va engendrer des économies. Si le pédicure-podologue peut prescrire les orthèses plantaires sans renvoyer chez le médecin pour obtenir un remboursement, c'est une consultation du médecin qui est économisée. Il en va de même pour les examens. Nous vous proposerons un document de synthèse de nos propositions. Enfin, il est très important que le DMP soit élargi à tous les professionnels de santé, sinon il n'y aura pas de coordination.

Permalien
Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers

Pour améliorer l'attractivité de la profession, il faut favoriser la fluidité des parcours, améliorer le statut, améliorer les carrières, notamment les possibilités de validation des acquis de l'expérience (VAE) et d'évolution de carrière, qui sont malgré tout assez bloquées. Partout où des infirmiers de pratique avancée ont été mis en place, nous n'avons pas mesuré d'augmentation des coûts ; ce qui a été dit avenue Duquesne est complètement faux. L'expérience internationale montre que ces dispositifs ont des coûts maîtrisés, sans inflation sur la dépense publique. Je ne peux que souscrire à ce qui est dit concernant les diplômes européens. Certains pays d'Europe « achètent » la directive européenne 200536, gérée par les DRJSCS. Les professionnels qui passent par les DRJSCS ont besoin de stage allant de six mois à un an pour être au niveau de ce qu'est la formation française. Voilà qui est frappant. Concernant le DMP, nous ne sommes pas associés aux travaux, et nous ne savons pas ce qui se passe. Quant à la télémédecine, vous avez bien compris que le texte ne concerne que les médecins.

L'audition se termine à dix heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 8 h 30

Présents. – Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Alexandre Freschi, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, M. Bernard Perrut, Mme Mireille Robert, M. Vincent Rolland, M. Stéphane Testé, Mme Nicole Trisse, M. Philippe Vigier

Excusée. - Mme Stéphanie Rist