Intervention de Pascale Mathieu

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Pascale Mathieu, présidente de l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes :

Rappelons clairement une réalité : sur le terrain, tout va bien. Avec des coups de téléphone, avec les médecins, avec les pharmaciens, avec les infirmiers, nous nous voyons au chevet des patients. Sur le terrain, tout va bien entre professionnels de santé. Les problèmes surviennent quand il faut travailler des textes avec les instances des différentes professions. Je constate qu'il n'y a pas de corporatisme sur le terrain, mais je ne peux que constater du corporatisme chez certains décideurs de certaines professions. Voilà, c'est dit.

Le problème que nous rencontrons à l'hôpital est celui du statut de la fonction publique hospitalière, qui empêche les parcours mixtes. Je ne donnerai qu'un seul exemple. Très souvent, certains hôpitaux qui manquent de kinésithérapeutes sont prêts à payer ces derniers au dernier échelon. Par conséquent, ils ne seront jamais titularisés ; de plus, ils sont employés selon je ne sais quel statut bâtard. Nous avons reçu dernièrement les kinésithérapeutes de l'Assistance publique Hôpitaux de Partis (AP-HP), qui sont vraiment désespérés – je pèse mes mots, la situation est catastrophique – parce qu'ils n'arrivent pas à recruter et qu'on embauche à leur place des professeurs de sport.

Les professeurs de sport ne sont pas des professionnels de santé. Je pensais naïvement que ces professeurs de sport étaient rémunérés au SMIC, 1 100 euros par mois, ce qui me paraissait intéressant pour l'hôpital. Il n'en est rien, ils sont payés au niveau « bac +5 », parce qu'ils ne sont pas soumis au statut de la fonction publique hospitalière, qui oblige à recruter un kinésithérapeute selon des grilles de 1962, soit anciennement « bac +2 », malgré une petite revalorisation d'une vingtaine d'euros par mois. Nous en venons donc à recruter, avec des rémunérations attractives « bac +5 », des non-professionnels de santé qui se substituent aux professionnels de santé, parce que le directeur d'hôpital n'a pas le droit de déroger au sacro-saint statut. Si un kinésithérapeute est engagé, le directeur est obligé de suivre la grille des kinésithérapeutes.

Pour répondre à tous ces problèmes, il est temps de parler de ces professions médicales à compétence définie. Un jour, avenue Duquesne, on m'a dit : « Ne dites pas cela pour les kinésithérapeutes, vous allez faire peur. » Je l'ai compris, et c'est pourquoi je n'en parle plus. En effet, il y a des confrontations entre professionnels à compétence définie. Une profession médicale à compétence définie, c'est une profession qui a un droit de prescription, ce que nous avons déjà – nous demandons par ailleurs qu'il soit élargi – et c'est une profession qui a un accès direct.

Le kinésithérapeute ne s'occupe pas que d'entorse de la cheville et de lombalgie – c'est la vision qu'ont certains de notre métier – : c'est celui qui rééduque l'AVC, qui s'occupe de la sclérose en plaques, qui s'occupe du BPCO, qui concourt au maintien à domicile de la personne âgée et qui lutte contre l'entrée en dépendance. Nous agissons dans les cancers du sein, dans les cancers en général, notre champ d'activité est très large. Actuellement, dans nos zones sous-dotées, quand nous n'avons pas de prescription médicale, parce que le médecin n'a pas fait la prescription ou parce que le patient en ALD a oublié de la demander au médecin, quand le kinésithérapeute n'a plus de séance, nous continuons à soigner avec des prescriptions qui ne sont plus valables, ce qui engendre des problèmes de facturation. L'ordonnance est un bon à remboursement, si bien qu'avec l'accès direct et les ALD, c'est un frein pour que nous soyons rémunérés.

Dans notre référentiel de formation, d'activité et de compétences, les drapeaux rouges sont le Québec, la Norvège, la Pologne, etc. Je ne parle pas de la Nouvelle-Zélande ou de l'Australie, où l'accès direct au kinésithérapeute existe. J'ajoute que cet accès direct ne va pas générer de coût, cela ne changera rien au parcours de soins du patient en ALD qui a besoin de kinésithérapie ; cet accès direct fluidifiera et facilitera son parcours de soins. Dans le cas d'un patient dont l'épaule a été opérée, l'accès direct n'entraînera pas de coûts supplémentaires, car les référentiels de l'assurance maladie encadrent ces soins ; pour un canal carpien opéré, aucune séance n'est prise en charge ; pour une entorse de cheville externe, dix séances sont prises en charge. Il n'y aura donc pas d'inflation. L'accès direct, pour ce genre de pathologie, ne générera pas de coûts supplémentaires.

Avec le conventionnement sélectif, des kinésithérapeutes seront envoyés dans des endroits où il n'y a pas de médecin. La profession a pris ses responsabilités et s'est volontairement engagée dans cette voie. Il faut l'accompagner et souligner cet effort, en considérant que nous sommes des professionnels responsables, qui ne prendront pas de risque. Quand nous sommes en difficulté, il n'est pas du tout question de recevoir les patients et de court-circuiter le médecin, bien évidemment. Il est question de travailler de façon cohérente avec l'évolution de la formation et de nos compétences.

M. Guillaume Brouard, Monsieur Perrut, vous avez bien résumé la situation avec cette notion de « juste soin, au bon endroit et au bon moment ».

Le « juste soin » correspond à la compétence, à l'offre de soin du professionnel de santé sur le territoire. « Au bon endroit » correspond à la possibilité d'accéder à un professionnel de santé. « Au bon moment » correspond à la capacité d'offrir du temps de consultation. Concernant notre profession de pédicure-podologue, pour comprendre ce que pourrait être une profession médicale à compétence définie, les compétences possibles et envisageables sont faciles à imaginer. Elles existent de l'autre côté de la frontière, en Espagne. Si nous allons un peu plus loin, dans les faits, la profession de podiatre, au Canada, est une profession médicale à compétence définie, avec initialement le même profil que ce que peut être le pédicure-podologue aujourd'hui.

Concernant le « bon endroit », nous disposons de l'accès direct. Sur l'ensemble du territoire, il est aujourd'hui possible de consulter un pédicure-podologue. Le temps de consultation est en général de 45 minutes. C'est une profession qui travaille aussi chez les patients : le pédicure-podologue se déplace à domicile pour prodiguer ces soins et ses compétences de diagnostic. Ce temps de consultation est donc disponible. La difficulté porte sur le temps de consultation médicale. Contrairement à ce qui était attendu, le nombre de médecins n'a pas diminué ; ce qui pèche, c'est le temps de consultation disponible, à savoir la possibilité pour le patient d'avoir un rendez-vous. Je pense qu'il faut utiliser ce qui est disponible sur le terrain, et le temps de consultation concernant notre profession est disponible.

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