Intervention de Denis Morin

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 10h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ces dernières années, la Cour des comptes n'a pas consacré de rapport spécifique aux déserts médicaux, objet de votre commission d'enquête. Néanmoins, elle s'est exprimée sur les inégalités sociales et territoriales de santé. Elle a eu l'occasion de dresser des constats, connus et partagés, et de formuler des propositions à la fois dans le dernier rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de 2017 et dans le rapport sur l'avenir de l'assurance maladie, qui a été remis en novembre 2017, un mois avant que je ne prenne mes fonctions de président de la sixième chambre.

Je ferai donc, pour l'essentiel, référence à des travaux auxquels je n'ai pas été amené à participer mais vous pouvez me faire confiance pour préparer les prochains rapports qui alimenteront vos réflexions ainsi que celles de la commission des affaires sociales.

Pour ce qui est des constats, je dirai que notre système de santé connaît des inégalités sociales et territoriales fortes. Beaucoup de travaux le confirment, notamment ceux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Les territoires du sud sont privilégiés par rapport à ceux du nord, les centres villes par rapport à la périphérie, les espaces urbains par rapport aux espaces ruraux. À l'échelle des bassins de vie, voire à une échelle plus fine encore, la carte de France fait apparaître une mosaïque qui reflète des inégalités de santé majeures.

Une fois ce constat posé, nous sommes face à deux possibilités.

La première consiste à miser, dans le cadre actuel de la médecine libérale, sur les incitations existantes en considérant qu'elles finiront par produire leurs effets – position qui inspire largement les travaux de la Cour.

La deuxième vise à passer à un registre plus énergique de régulation, notamment en reposant la question des conditions de la liberté d'installation des médecins, les autres professions de santé étant déjà soumises à des règles fortes, et à défendre l'idée d'un conventionnement sélectif.

Avant d'arriver à cette éventualité, qui soulève de multiples difficultés, notamment de mise en oeuvre, il est préférable, selon la Cour, de laisser se déployer tous les instruments progressivement mis en place ces dernières années. C'est le mouvement qu'ont suivi les réformes de santé avec, après les ordonnances de 1996, l'instauration de la tarification à l'activité (T2A) en 2003, la réforme de la gouvernance de l'assurance maladie en 2004 et la loi hôpital, patients, santé et territoire (HPST) en 2009.

Les dispositifs qui s'attachent spécifiquement à lutter contre les inégalités de santé se sont développés à partir de 2012. Ils ont commencé à être mieux coordonnés à partir de 2015, après avoir porté la marque d'une double régulation : celle opérée par l'État, par le ministère des affaires sociales et au niveau interministériel, d'une part, celle opérée par l'assurance maladie, d'autre part.

Parmi ces dispositifs, citons les pactes « territoire santé » de 2012 et 2015, ainsi que le plan d'accès aux soins d'octobre 2017. Dans ce panorama, n'oublions pas non plus les potentialités liées au développement du numérique en santé, domaine dans lequel nous accusons un certain retard par rapport à nos voisins. Nous y reviendrons dans le prochain rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Ce bouquet de solutions permet d'aborder dans de meilleures conditions la réduction des inégalités de santé, sujet de préoccupation pour nos concitoyens. Dans beaucoup de territoires, l'accès à un généraliste reste compliqué car les délais pour obtenir une consultation sont trop longs et des filières entières souffrent de pénurie, je pense notamment aux soins visuels.

Il sera sans doute nécessaire de mieux coordonner dispositifs et aides mais on peut penser qu'ils seront efficaces à terme. Je prendrai l'exemple des contrats d'engagement de service public (CESP). Lorsque j'étais directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Rhône-Alpes en 2009, j'ai accueilli le premier signataire de la région, un jeune généraliste souhaitant s'installer dans une zone de désertification médicale et il y en a 300 aujourd'hui, preuve que le système fonctionne.

Faisons maintenant le point des aides existantes, qui pourraient faire l'objet d'une simplification. C'est probablement un travers de notre administration que de générer de la complexité. Or, comme chacun sait, la complexité nuit à l'efficacité.

Il existe quatre aides de l'assurance maladie : le contrat d'installation en zone sous-dotée, le contrat de transition pour les médecins qui préparent leur sortie d'exercice, le contrat de stabilisation et de coordination pour les médecins ayant une pratique groupée, le contrat de solidarité territoriale pour les médecins installés en ville qui viennent aider leurs collègues exerçant dans des zones peu denses.

À cela s'ajoutent les aides de l'État liées au CESP, au praticien territorial de médecine générale (PTMG), au praticien territorial médical de remplacement (PTMR), au praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA), qui sont dispensées sous forme de garanties de revenus ou de soutien à l'investissement.

Les collectivités locales distribuent également des aides : prise en charge de frais d'investissement et de fonctionnement, mise à disposition de locaux – c'est souvent le cas pour les maisons de santé –, versement de primes dans les zones couvertes par les dispositifs mis en place par l'État et par l'assurance maladie.

Enfin, il faut citer les aides fiscales et sociales qui ne sont pas neutres, qu'il s'agisse des aides spécifiques aux zones de revitalisation rurale (ZRR) ou aux zones de redynamisation urbaine (ZRU) ou des exonérations d'impôt sur le revenu, notamment dans le cadre de la permanence des soins ambulatoire (PDSA) dans les zones fragiles.

La situation à laquelle nous sommes confrontés appelle à miser sur l'intelligence des territoires. Il faut laisser les initiatives monter depuis la périphérie plutôt que d'organiser les choses depuis le centre. Entre les maisons pluriprofessionnelles de santé (MSP) et la constitution d'équipes territoriales de professionnels de santé, il existe des possibilités de sortir de la pratique médicale isolée en médecine libérale pour entrer dans une pratique groupée et mettre en place, à travers la définition d'un projet territorial de santé, des solutions répondant mieux aux besoins de nos concitoyens. Certaines actions couronnées succès sont ensuite labellisées, si l'on peut dire, par la réglementation et par la loi. Les ARS sont à la manoeuvre en ce domaine. Les enjeux ne sont pas négligeables. Le rapport de 2017 sur l'avenir de l'assurance maladie, sous-titré « Assurer l'efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs », considère qu'ils représentent entre 1 milliard et 3 milliards d'euros.

Le sentiment de la Cour est que le maintien d'inégalités sociales et territoriales de santé extrêmement fortes tient non seulement à l'insuffisante régulation de la médecine de ville mais aussi à la recomposition hospitalière, qui est un sujet sensible. On peut attendre beaucoup des groupements hospitaliers de territoire (GHT), mais il reste à supprimer de nombreux plateaux techniques ne présentant pas des garanties suffisantes de qualité des soins et de sécurité, du fait d'un trop faible volume d'actes.

Je termine par ce propos très encourageant, en espérant n'avoir pas été trop long, monsieur le président.

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