Depuis son entrée en vigueur, les appels intempestifs n'ont pas cessé chez les particuliers qui s'y sont inscrits, et 81 % des Français estiment qu'il ne fonctionne pas. Il en résulte une atteinte à la vie privée, une intrusion dans l'intimité, non souhaitée et potentiellement risquée. Les droits des consommateurs, qui devraient pouvoir ne plus être importunés chez eux contre leur gré et ne plus être assaillis d'offres commerciales qu'ils n'ont pas sollicitées, ne sont pas respectés.
C'est pourquoi il est aujourd'hui urgent d'agir. J'avais déjà déposé un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance. Cet amendement demandait au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport présentant les modifications législatives à apporter pour protéger les consommateurs des abus du démarchage téléphonique. Le rapporteur de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Stanislas Guerini, avait reconnu que le sujet était d'importance, mais estimé qu'il n'avait pas sa place dans un projet de loi traitant des relations entre l'administration et les citoyens.
J'ai donc pris la responsabilité de rédiger une proposition de loi exclusivement consacrée à ce sujet important. Ce texte poursuit deux objectifs principaux : garantir le consentement à la transmission des données et rendre plus transparents les appels de démarchage téléphonique.
En ce qui concerne le consentement d'abord, l'article 1er, supprimé en commission des affaires économiques, permet de garantir que les consommateurs consentent explicitement, et de manière préalable, à être démarchés à des fins de prospection commerciale. Il s'agit de renverser le paradigme, afin de passer d'un droit d'opposition à une obligation d'autorisation. J'ai déposé un amendement pour rétablir cet article, qui constitue l'essence même de cette proposition de loi. L'article 4 contribue également à atteindre cet objectif, en précisant que les personnes concluant un nouveau contrat auprès d'un opérateur de téléphonie devront donner explicitement leur accord pour le démarchage au moment de la signature du contrat. À l'heure actuelle, l'acheteur est seulement informé de son droit à s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage. L'article 5 actualise et augmente les sanctions applicables en cas de traitement des données téléphoniques d'une personne n'ayant pas donné son accord. Un article additionnel après l'article 5 a été, à mon initiative, adopté en commission pour renforcer les sanctions administratives contre les personnes démarchant des consommateurs inscrits sur Bloctel.
S'agissant de la transparence ensuite, l'article 2 oblige les personnes appelant pour démarcher un particulier à des fins commerciales à donner, dès le début de l'appel, un certain nombre d'informations les concernant, et concernant leur entreprise. Cet article a été renforcé en commission, et l'auteur de l'appel devra également préciser l'objet social de son entreprise. Il doit en résulter une meilleure information du particulier appelé et un meilleur discernement de la nature commerciale de l'appel. L'article 3 prévoit de mettre en place un indicatif unique pour le démarchage téléphonique, de manière à aider également les particuliers à repérer plus facilement les appels à vocation commerciale. Cet article a été limité, en commission, aux seules entreprises de démarchage téléphonique. Je propose, pour ma part, d'en exempter plutôt les entreprises les plus petites, dont l'activité principale n'est pas le démarchage. Nous en avons parlé longuement en commission et nous sommes tous d'accord pour garantir le démarchage commercial des artisans.
Les dispositions de cette proposition de loi permettront d'améliorer le respect de la vie privée, de renforcer la protection des données personnelles et de limiter les abus de faiblesse.
En cela, la proposition de loi s'inscrit dans la droite ligne des démarches entreprises dans le cadre européen du nouveau règlement général sur la protection des données – RGPD. Ce texte, adopté par l'Union européenne, a également fait l'objet d'une loi en France : la loi sur la protection des données personnelles, actuellement examinée par le Conseil constitutionnel. Je rappelle d'ailleurs que ce texte, qui va strictement dans le même sens que la proposition de loi étudiée ce jour, a été voté par l'opposition, dans une démarche constructive.
Pour conclure, je souhaite insister sur deux aspects fondamentaux. En premier lieu, cette proposition de loi est transpartisane, elle dépasse les clivages politiques. Nous avons tous subi l'expérience du démarchage téléphonique et en avons tous été agacés. C'est pourquoi je souhaite que nous ne soyons pas dans des postures dogmatiques mais que nous accomplissions la mission pour laquelle nous avons tous été élus : la défense des droits de nos concitoyens.
Je sais que la République en marche est également très attachée à la lutte contre le démarchage. Ainsi, la semaine dernière, aux questions orales sans débat, la députée de la République en marche Bérangère Abba dénonçait « le fléau du démarchage téléphonique ». Vous lui avez répondu, madame la secrétaire d'État, que le Gouvernement allait soutenir plusieurs dispositions de la proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui. Il y a quelques années, Jacques Mézard, alors sénateur, déposait et défendait lui-même une proposition de loi qui allait dans le même sens. Elle avait été adoptée à l'unanimité du Sénat. Rien ne saurait justifier, à mes yeux, un changement radical de positionnement de votre part aujourd'hui.
En second lieu, nous avons entendu beaucoup de remarques quant aux menaces que cette proposition de loi ferait peser sur l'emploi et l'activité de nos entreprises, en particulier les plus petites. Je tiens à vous rassurer sur ce point. D'une part, cette proposition de loi n'a pas pour objectif d'interdire complètement le démarchage téléphonique : elle vise simplement à garantir que seuls ceux qui y consentent effectivement en feront l'objet. Ce principe, qui prévaut pour les messageries électroniques comme pour les SMS, n'affectera pas sensiblement l'emploi ni l'activité commerciale de nos entreprises. Certaines personnes consentiront à être démarchées comme d'autres consentent aujourd'hui à recevoir des propositions par courriel ou SMS parce qu'elles y voient un intérêt.
En tout état de cause il y aura toujours d'autres moyens de prospection et de démarchage, sans doute plus efficaces auprès des jeunes générations.
Par ailleurs onze États membres de l'Union européenne ont fait le choix d'un système d'accord préalable, sans pour autant que des difficultés aient été relevées. L'Allemagne, comparable à la France en de nombreux domaines, a choisi ce principe : on ne peut pourtant pas dire qu'elle ne cherche habituellement pas à protéger ses entreprises !
Troisièmement, un tel encadrement est souhaité par les entreprises elles-mêmes, celles qui démarchent ou prospectent d'une manière contrôlée et légitime. Les professionnels des centres d'appels que nous avons rencontrés nous l'indiquent : les appels intempestifs portent également préjudice au démarchage classique et justifié. Ils augmentent le sentiment de nuisance et d'agacement des consommateurs qui refusent davantage de prendre un appel ou d'y donner suite. Ces professionnels sont parfaitement conscients de la gêne occasionnée par des appels intempestifs et souhaitent également y mettre un terme parce que ceux-ci menacent leur équilibre économique.
Enfin, j'ai entendu les remarques et exclu du dispositif les entreprises de moins de cinquante salariés dont l'activité principale n'est pas le démarchage téléphonique. Ainsi ces petites entreprises, souvent des artisans locaux, pour qui les appels peuvent être nécessaires pour se lancer ou se développer, et qui ne sont généralement pas celles qui gênent le plus les personnes démarchées, seront en mesure de poursuivre leur activité telle qu'elles la mènent aujourd'hui.
Pour toutes ces raisons, je vous demande d'adopter cette proposition de loi équilibrée, de bon sens et très attendue par nos concitoyens. Ceci est nécessaire pour leur redonner la maîtrise de leurs données et de leur vie privée.
Je tiens enfin à remercier le président Lescure et tous les membres de la commission des affaires économiques, quelle que soit leur sensibilité, pour la qualité de nos échanges en commission. Je ne doute pas que nos débats du jour seront de la même qualité.