Intervention de Marguerite Deprez-Audebert

Séance en hémicycle du jeudi 21 juin 2018 à 21h30
Défense du droit de propriété — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarguerite Deprez-Audebert :

La proposition de loi présente des pistes de solution pour mieux lutter contre un problème auquel nombre d'entre nous ont pu être confrontés et qui touche des centaines de nos concitoyens, démunis face à des procédures d'expulsion parfois laborieuses, nécessitant une meilleure prise en charge et une meilleure application du droit. Il est donc parfaitement légitime que la représentation nationale s'en saisisse et l'examine.

Il est d'autant plus important que nous nous exprimions sur le sujet que, vous l'avez dit, plusieurs cas fortement médiatisés ont contribué à sensibiliser les Français sur ce problème ces dernières années, et permis d'alerter sur la lenteur des procédures et les difficultés de leur application. Le cas de cette dame octogénaire, désormais célèbre, nous a tous interpellés.

Avant de déposer votre proposition de loi, vous avez d'abord présenté une série d'amendements sur ces questions lors de l'examen du projet de loi ELAN – portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Nous, députés membres du groupe MODEM, vous avons alors soutenu. En effet, ce projet de loi, qui traite de l'accession à la propriété, de la mobilité ou encore de la lutte contre l'habitat indigne, parmi bien d'autres thèmes, présente des lacunes sur le volet relatif au droit de propriété. Nous avons toutefois exprimé des doutes quant au dispositif législatif auquel vous pensez, doutes réitérés récemment en commission des affaires économiques et qui persistent, car la rédaction de certains articles ne nous semble pas opportune. Nous conservons néanmoins la conviction que les élus de la nation doivent traiter ce sujet.

En l'état actuel du droit, le législateur prévoit une distinction de procédure entre l'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier quelconque – un logement vacant, un bureau, un immeuble, un box de parking – et celle d'un domicile. La première relève du code des procédures civiles et ne peut emporter le recours à la force publique, alors que la seconde relève du code pénal. Dans le cas des occupations sans droit ni titre de locaux vacants, comme évoqué au cours des débats en commission, les procédures peuvent être particulièrement longues et laborieuses, et les notifications de quitter les lieux ne sont pas systématiquement suivies d'effet immédiat. Parfois, elles peuvent prendre plusieurs mois, ce qui provoque l'exaspération bien compréhensible des victimes.

Rappelons toutefois, puisque cela a également été évoqué au cours de ces débats et que cela a été l'un de vos arguments pour justifier l'utilité de ce texte, qu'une application lente ou insuffisamment opérante des procédures de justice ne justifie en rien le recours à la justice privée. De tels recours, lorsqu'ils ont lieu, ne se justifient jamais, mais reconnaissons qu'ils existent et qu'ils révèlent l'exaspération des personnes victimes de squat. Dans le cas des occupations d'un domicile, à l'inverse, le préfet peut, après décision du juge, mettre en demeure les occupants de quitter les lieux et, le cas échéant, recourir à la force publique pour faire exécuter cette décision.

Dans ce texte, vous proposez, en réécrivant l'article 38 de la loi DALO et l'article 226-4 du code pénal, d'assimiler en droit ces deux formes d'occupation. Un tel changement se justifie par le flou juridique relatif que revêt la notion de domicile. Vous le mentionnez, monsieur le rapporteur, dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a successivement retenu des notions différentes du domicile, incluant tantôt les résidences secondaires, non occupées durant une partie importante de l'année, les excluant ensuite, en disposant qu'un immeuble vacant ou inoccupé au jour de l'intrusion ne saurait être considéré comme un domicile.

À cette convergence des régimes juridiques, qui permettrait d'inclure les résidences secondaires et les logements occupés de manière discontinue, mais qui effacerait une distinction du droit qui n'est pas injustifiée au regard de la nature des différentes formes d'occupation – je pense notamment à l'occupation de locaux ne constituant pas des logements, que vous semblez ignorer dans ce texte – , vous ajoutez un article visant à augmenter les peines encourues par les personnes jugées coupables d'occupation illégale. Ainsi, l'article 2 de cette proposition de loi prévoit d'exclure de l'ensemble des bénéfices de la loi DALO toute personne s'étant rendue coupable d'occupation illégale d'un bien immobilier, qu'il s'agisse ou non d'un logement occupé ou d'un local vacant d'une autre nature. Nous vous avons déjà alerté, en commission, sur le fait que nous jugeons cette disposition disproportionnée. Vous avez d'ailleurs reconnu, au cours des débats, qu'exclure des bénéfices de la loi DALO des personnes jugées coupables d'une occupation illégale d'un domicile, était déjà une disposition exceptionnelle du droit commun, que nous ne souhaitons pas étendre.

En outre, l'article 4 de la proposition de loi prévoit d'élargir les dispositions de l'article 226-4 du code pénal, afin de rendre condamnable d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende l'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier appartenant à un tiers. Surtout, il propose un renversement de la charge de la preuve dans les cas d'occupation illégale. Alors qu'il incombe aujourd'hui au plaignant de prouver que le logement ou le local occupé lui appartient et qu'il ne l'a pas mis à disposition de l'occupant, il sera désormais demandé à ce dernier de prouver sa bonne foi. Une fois encore, l'idée nous semble plus que pertinente et nous en comprenons le but : empêcher les cas où, en prouvant leur implantation dans le logement ou le local depuis plus de quarante-huit heures, les occupants peuvent bénéficier d'un droit à y rester jusqu'à ce que la preuve de l'illégalité de leur présence soit établie et la sanction appliquée. Nous conservons toutefois des doutes, tant sur la rédaction du dispositif que sur l'application d'une telle clause, qui, associée au reste du texte, contribue à son déséquilibre général à nos yeux.

En outre, nous comprenons moins la nécessité du dispositif que vous prévoyez à l'article 6. Vous souhaitez en effet créer une nouvelle forme de bail pour les mises à disposition à titre gratuit d'un logement. Ce type d'opération fait le plus souvent l'objet d'un accord oral entre personnes proches ou d'une même famille. Si l'on peut concevoir la détérioration occasionnelle de tels accords, ceux-ci nous paraissent peu enclins à provoquer des situations de squat illégales, que vous visez à travers cette proposition de loi. Ce dispositif nous semble contraignant et peu utile : ne risque-t-il pas de mettre en difficulté les occupants logés à titre gratuit ? En effet, ceux-ci pourraient à l'avenir, si votre proposition de loi était adoptée, être sommés de quitter les lieux dans un délai d'un mois, sans possibilité de recours.

Vous l'avez compris, nous sommes favorables à ce que ce sujet soit traité. Si certaines dispositions de votre proposition de loi nous paraissent disproportionnées et contribuent à déséquilibrer le texte, nous adhérons à sa philosophie générale : l'amélioration du droit de la propriété et de son fonctionnement, afin de mieux protéger les propriétaires et les locataires contre les occupations illégales, et de faire exécuter les décisions de justice plus rapidement et avec plus d'efficacité. Bien entendu, d'autres mesures pourraient être ajoutées afin de raccourcir les délais d'exécution des sentences ou de donner davantage de moyens aux préfets pour mener les opérations d'expulsion.

Monsieur le ministre, j'ai bien noté la prise en compte de ce problème avéré. Nous sommes attachés à ce que ce travail se concrétise et progresse car la proposition de loi de nos collègues ne nous paraît pas assez aboutie. Nous reconnaissons, comme vous, la nécessité de mieux lutter contre les occupations illégales et de mieux protéger les propriétaires dans leur bon droit. À nos yeux, le problème nous semble prioritairement résider dans une mauvaise application du droit existant, peu lisible et opérant. Des modifications de ce droit sont donc les bienvenues voire nécessaires, mais elles ne doivent pas conduire à davantage de précarité.

Pour l'ensemble de ces raisons et parce que les membres du groupe MODEM sont très sensibles au sujet que nous étudions ensemble, nous resterons particulièrement vigilants quant à l'évolution des travaux relatifs à ce sujet dans la loi ELAN, et nous n'hésiterons pas à nous investir davantage sur cette question au cours de la navette. Il s'agit de lui trouver une réponse appropriée et effective. Le groupe MODEM ne votera donc pas cette proposition de loi, l'objectif devant être atteint dans le texte relatif au logement en cours de discussion au Parlement.

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