La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Cet après-midi, l'Assemblée a commencé la discussion des articles de la proposition de loi, s'arrêtant à l'amendement no 5 à l'article 2.
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, pour donner l'avis du Gouvernement sur cet amendement.
Avis favorable.
L'amendement no 21 est adopté.
Cet amendement, relativement simple dans son objet, reprend une idée évoquée en commission – encore une ! Il s'agit d'obliger tout opérateur qui démarche par téléphone à développer les sigles qu'il emploie, de façon à ne pas créer de confusion chez le consommateur avec un sigle équivoque.
Je ne citerai aucun sigle ce soir, mais nous savons qu'un certain nombre d'entre eux peuvent prêter à confusion : ils sont utilisés de manière détournée, pour faire croire à des consommateurs un peu crédules au sérieux de l'entreprise, alors que ladite entreprise n'est pas celle à laquelle ces derniers pensent spontanément.
Favorable.
Il s'agit d'un très bon amendement. Créer une confusion sur les sigles est en effet une pratique assez courante. Le groupe La République en marche votera donc l'amendement.
L'amendement no 20 est adopté.
La parole est à M. Nicolas Démoulin, pour soutenir l'amendement no 15 .
L'amendement vise à permettre au consommateur, s'il est contacté par téléphone par un professionnel en vue de conclure un contrat sur la vente d'un bien ou la fourniture d'un service, de mettre fin à l'entretien à sa simple demande. L'idée est donc toute simple. Très souvent, le démarcheur téléphonique tombe sur des personnes timides ou qui n'osent pas raccrocher. Aussi je souhaite, pour rassurer ces dernières, inscrire dans la loi qu'elles peuvent le faire immédiatement.
Défavorable. L'amendement ne paraît pas nécessaire, dès lors que rien n'interdit au consommateur de raccrocher s'il le souhaite. Je ne doute pas, d'ailleurs, que nous l'ayons tous fait un jour. Lorsque les gens sont excédés, ils raccrochent directement sans prévenir qu'ils le feront. Ce n'est pas très respectueux, je le conçois, mais mettre un terme à la démarche commerciale se fait naturellement en raccrochant le téléphone.
Le Gouvernement partage les interrogations de la commission sur l'effectivité de la mesure : le simple fait de demander à mettre un terme à la démarche commerciale devrait être suivi par le geste de raccrocher. Cela relève davantage de l'habitude ou du guide des bonnes pratiques. Il me paraît donc difficile d'inscrire une telle disposition dans la loi.
Je formulerai donc une demande de retrait plutôt qu'un avis défavorable, dans la mesure où le Gouvernement a aussi saisi le Conseil national de la consommation pour traiter du sujet avec les opérateurs de la filière, et le faire dans le cadre du guide des bonnes pratiques plutôt que par la loi. C'est pourquoi je suggère le retrait de l'amendement ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement no 15 est retiré.
Nous souhaitons que le démarcheur, professionnel ou non, présente le service Bloctel, qui souffre d'un manque évident de notoriété. Cela créerait une relation de confiance entre le consommateur et le démarcheur téléphonique. Une telle démarche permettrait d'informer les particuliers sur le fichier Bloctel ou de les inciter à s'y inscrire, l'objectif étant de lui permettre de monter en puissance : pour l'instant, seules 3,8 millions de personnes y sont inscrites, ce qui n'est pas suffisant au regard des demandes.
Si Bloctel ne monte pas en puissance, monsieur Démoulin, c'est pour la bonne et simple raison qu'il ne fonctionne pas. Si les choses demeurent en l'état, nous en resterons donc entre 3,7 et 3,8 millions d'inscrits. De fait, on peut être porté à croire que le service est efficace pendant quatre ou cinq semaines mais, passé cette durée, il ne l'est plus. Si l'on ne change pas les choses, le service ne montera donc pas en puissance.
Je suis favorable à l'amendement no 16 : même s'il ne va pas aussi loin que le principe d'une obligation de consentement, il permettra de rappeler aux consommateurs qu'ils disposent d'un droit d'opposition et qu'ils peuvent en faire usage.
En revanche, l'amendement ne vise pas, selon moi, le bon article du code de la consommation. Aussi, par un sous-amendement no 30 , je vous propose de substituer à la référence : « L. 121-34 », la référence : « L. 223-1 ».
Je vous propose un autre sous-amendement, no 32 , pour aller plus loin dans le droit d'opposition et permettre au consommateur de déclarer s'opposer à être rappelé par le même opérateur, la même entreprise de démarchage ou l'entreprise pour le compte de laquelle le démarchage est effectué.
Je suis donc personnellement favorable à l'amendement, sous réserve de l'adoption de ces deux sous-amendements.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et sur les deux sous-amendements ?
Favorable à l'amendement, sous réserve de l'adoption du sous-amendement no 30 , qui apporte une précision juridique utile.
L'objectif poursuivi par le sous-amendement no 32 est légitime, puisqu'il s'agit de permettre au consommateur de ne plus être contacté, dès lors qu'il en fait la demande, par un professionnel ou par l'entreprise pour le compte de laquelle ce dernier intervient. Cependant, outre que le consommateur peut d'ores et déjà faire cette demande de sa propre initiative, il n'est pas sûr que la mesure, même inscrite dans la loi, serait réellement efficace. Il faudrait en effet apporter la preuve que la demande a bien été formulée si le démarchage vient à se poursuivre malgré l'interdiction.
Par ailleurs, la disposition introduirait un nouveau régime d'opposition, plus informel, au démarchage téléphonique. Or l'opposition ne concernerait que les entreprises avec lesquelles le consommateur a été en contact direct, et elle existerait parallèlement à Bloctel. Pour ces raisons, le Gouvernement suggère le retrait du sous-amendement no 32 , faute de quoi l'avis serait défavorable. Avisfavorable à l'amendement, sous réserve de l'adoption du sous-amendement no 30 .
Le sous-amendement no 32 est retiré.
Le sous-amendement no 30 est adopté.
L'amendement no 16 , sous-amendé, est adopté.
L'article 2, amendé, est adopté.
Il existe un code de déontologie pour les professionnels du démarchage téléphonique. Ce code mentionne les heures et les jours pendant lesquels le démarchage peut avoir lieu. Je souhaite inscrire ces références dans la loi, de façon que le démarchage ne puisse intervenir que du lundi au samedi, de neuf heures à dix-neuf heures, …
… aucun appel ne pouvant être passé les dimanches et les jours fériés.
Il s'agirait de l'heure française, monsieur Lecoq.
La parole est à M. Pierre Cordier, pour soutenir le sous-amendement no 28 .
Je souhaite étendre l'interdiction du démarchage entre douze heures et quatorze heures. Cette mesure correspond à une demande qui nous est venue du terrain. Le créneau de neuf à dix-neuf heures est une première étape, certes, mais je pense qu'il faut aussi arrêter de déranger nos concitoyens à l'heure du déjeuner.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et sur le sous-amendement ?
Je suggère le retrait de l'amendement, pour les mêmes raisons que précédemment. La mesure me semble davantage relever du domaine réglementaire ou d'un code de déontologie plutôt que de la loi. La concertation est ouverte au sein du Conseil national de la consommation, sur ce sujet comme sur le précédent.
Par ailleurs, comme le montre la réaction du groupe GDR, il y aurait matière à préciser un certain nombre de choses s'agissant des fuseaux horaires. Si j'ai bien compris, en effet, beaucoup de plateformes d'appel sont situées à l'étranger : la mention des horaires gagnerait donc à être précisée.
La parole est à M. le secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement no 33 , tendant à la suppression de l'article 3.
L'article 3, que le Gouvernement souhaite en effet supprimer, tend à mettre en place une tranche de numéros dédiés aux appels passés dans le cadre d'un démarchage téléphonique. Le Gouvernement souhaite procéder avec les parties prenantes à une analyse plus détaillée de ce type de mesures et de leur efficacité. De fait, la question soulevée est celle des effets pervers pour les entreprises ayant un comportement vertueux.
La mesure n'empêchera pas les professionnels malveillants – qui, souvent installés en dehors de l'Union européenne, ne respectent absolument pas le dispositif Bloctel – de continuer à démarcher les consommateurs en utilisant des numéros en dehors de la tranche dédiée. Il faut donc se demander si elle ne risque pas de fragiliser particulièrement les opérateurs nationaux du démarchage, secteur qui rassemble plusieurs dizaines de milliers d'emplois, souvent peu qualifiés.
En outre, le démarchage téléphonique est une méthode de commercialisation très utilisée par les nouveaux entrants sur un marché. Il favorise donc la concurrence, et nous tenons à le préserver.
Compte tenu des incertitudes qui entourent l'efficacité des dispositions de l'article 3 pour lutter contre les nuisances du démarchage téléphonique, et du risque d'un impact négatif sur les entreprises vertueuses, le Gouvernement estime prématuré de légiférer sur ce point. Il vous propose donc de supprimer l'article 3, au bénéfice du résultat de la concertation qu'il s'engage à mener, sur ce sujet comme sur ceux que j'ai précédemment évoqués.
Nous sommes, monsieur le secrétaire d'État, dans la droite ligne de ce qu'évoquait notre collègue tout à l'heure : en fait, vous videz totalement le texte de sa substance, exception faite de l'article 2, que nous avons adopté il y a quelques minutes. Celui-ci est une goutte d'eau, si je puis dire, par rapport à ce qui était prévu.
L'article 3 saute donc, de même que l'article 1er, et l'article 4 connaîtra le même sort. Quant à l'article 5, il n'en restera que des bribes. Vous l'imaginez bien, je suis donc défavorable à votre amendement de suppression.
L'article 3 est indispensable en ce qu'il crée un indicatif unique permettant aux consommateurs de mieux discerner la nature commerciale de l'appel et de choisir de décrocher ou non. Cette mesure, dites-vous, pénaliserait les entreprises vertueuses. Je ne vois pas en quoi, dès lors que la rédaction adoptée en commission limite l'indicatif aux seules entreprises de démarchage. De plus, je propose un amendement visant à exclure de ce dispositif les petites entreprises, dont le démarchage n'est pas l'activité principale.
Ainsi, seules les plus grandes entreprises, ou celles qui sont spécialisées dans le démarchage, devront avoir cet indicatif. Cela me paraît loin d'être excessif, monsieur le secrétaire d'État. Certes, on ne résoudra pas ainsi le problème de la fraude, mais tel n'est pas l'objet de la proposition de loi : nous ne devons pas pour autant renoncer à chercher des solutions pour améliorer la situation actuelle.
Quant à la question de l'emploi, elle ne me paraît pas pertinente, car le modèle économique des entreprises de démarchage sera renforcé si les appels visent les consommateurs les plus réceptifs, ceux qui consentent à être appelés ou à décrocher, et les retombées sur les ventes ou les conclusions de contrats seront bien supérieures.
En outre, vos propos sont contradictoires : vous dites à la fois que la mesure ne sert à rien puisque ceux qui démarchent sont situés à l'étranger et qu'il ne faut pas la mettre en oeuvre parce que ceux qui démarchent sont en France et risquent d'être affectés.
Enfin, les nouveaux entrants que vous évoquez dans l'exposé sommaire ne sont pas les plus vertueux. Dans son rapport d'activité, le médiateur national de l'énergie signalait la recrudescence du démarchage téléphonique intempestif. Il n'y a donc pas de raison d'exempter ces acteurs de l'obligation d'utiliser l'indicatif unique.
J'ajoute que cet indicatif n'est pas une obligation purement nationale : la directive européenne vie privée et communications électroniques, en cours de révision, devrait laisser le choix aux États membres d'instaurer un indicatif unique.
Je suis donc, à titre personnel, défavorable à la suppression de l'article 3.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Au risque de me répéter, je ne comprends pas la position du Gouvernement.
En commission des affaires économiques, la majorité a reproché au rapporteur, qui défendait sa proposition de loi, de faire courir un risque à de petites entreprises. À l'article 1er, le rapporteur avait donc déposé un amendement excluant les petites entreprises du dispositif et cantonnant celui-ci aux seuls numéros d'appel téléphonique. Cet article était la substance de la proposition de loi ; lui supprimé, elle n'a plus aucun sens.
À l'article 3, également essentiel, vous déposez aussi un amendement de suppression, monsieur le secrétaire d'État. Je ne comprends pas cette stratégie.
Autant dire que vous ne voulez pas de la proposition de loi : ainsi, votre position sera claire. Votre attitude n'est correcte ni vis-à-vis du rapporteur ni vis-à-vis de nous. Il aurait été de bon ton et de bonne méthode de construction politique de porter sur un texte comme celui-là un regard plus ouvert.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Moi non plus je ne comprends pas la position du Gouvernement sur l'article 3.
Tout le monde s'accorde à le dire : les gens se sentent abusés, ils en ont assez des coups de téléphone commerciaux. L'article 1er a malheureusement déjà été supprimé, et voilà que l'on demande aussi la suppression de l'article 3, qui se contente d'identifier par un indicatif les appels commerciaux, ce qui fournit une arme aux citoyens.
Soit on supprime l'un après l'autre tous les articles et la totalité de la proposition de loi, soit on essaie de construire le texte ensemble – et n'est-ce pas l'objectif ? Nous n'avons pas pu le faire avec l'article 1er, pour différentes raisons ; mais l'article 3 propose une manière intéressante d'avancer sur le dossier du démarchage téléphonique et de rassurer nos concitoyens.
Vous répétez sans arrêt qu'à l'article 1er, s'agissant de l'opt-in, nous n'avons jamais proposé de limiter le dispositif au niveau des entreprises ; ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées en commission des affaires économiques.
En ce qui concerne l'indicatif, plusieurs choses nous posent problème. D'abord, il n'y a pas d'étude d'impact. Comment une entreprise fera-t-elle la différence entre ceux de ses appels qui relèvent du démarchage et les autres ? C'est très compliqué. J'aimerais donc disposer d'une étude d'impact très précise sur la faisabilité de la mesure.
Ensuite, celle-ci me semble en contradiction avec le principe de l'opt-in, si bien que votre démarche paraît incohérente. Si l'opt-in est mis en oeuvre – c'était le sens de la proposition de loi initiale – , il n'y a pas besoin d'indicatif puisque les destinataires des appels auront accepté d'être démarchés.
Pourquoi donc introduire dans le même texte d'une part l'opt-in, d'autre part l'indicatif ?
Parce qu'ils avaient anticipé la suppression de l'article 1er ! C'était bien réfléchi !
« Étude d'impact, étude d'impact, étude d'impact… » Nous avons déjà entendu la rengaine, avec mon ami Gilles Lurton, il y a quelques semaines ; ce soir, ça recommence : vous n'avez que ces mots à la bouche, …
Voilà : parce que vous n'avez pas beaucoup d'arguments à nous opposer.
Mettons que je m'inscrive sur une liste pour ne pas être démarché, parce que je ne veux pas que l'on m'appelle. J'ai évoqué tout à l'heure une possibilité que vous aviez vous-même proposée en commission, monsieur Démoulin – raison pour laquelle je ne comprends pas votre démarche.
En commission – je le dis devant le président Lescure – , nous avons échangé pendant une heure et demie dans un esprit constructif. Il vous suffit de reprendre le rapport – peut-être ne l'avez-vous pas encore, car il n'est sorti qu'hier – pour y retrouver, au mot près, ce qui s'est dit en commission. Vous parliez de contradiction ; c'est vous qui êtes en contradiction totale avec vous-même. Reprenez le compte rendu des débats en commission : vous verrez que les souhaits que vous y avez exprimés, concernant notamment les petites entreprises, ont été exaucés. Aujourd'hui, vous dites exactement l'inverse de ce que vous avez dit en commission il y a une semaine, …
… une posture que je critique depuis tout à l'heure et qui vise ma démarche. Du reste, cette démarche n'est pas seulement la mienne : nos collègues en ont parlé, et Jacques Mézard avait lui aussi, en son temps, déposé un texte sur le sujet. Mme Gény-Stephann a répondu à votre collègue Bérangère Abba qu'il fallait agir et que plusieurs dispositions du texte seraient validées en séance. Or on sait pertinemment que, dans une demi-heure, seul l'article 2 aura été adopté. Arrêtons donc l'hypocrisie, cela ira mieux.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et UDI-Agir.
L'amendement no 33 est adopté et l'article 3 est supprimé ; en conséquence, les amendements nos 7 , 4 rectifié et 22 rectifié tombent.
Je veux vous alerter à propos des conséquences de cet article et, plus généralement, de la proposition de loi.
Un centre d'appel implanté dans ma circonscription, à Rouen, qui emploie aujourd'hui plus de 350 personnes, s'inquiète de ce texte qui menace directement son activité et ses emplois. En effet, la proposition de loi réduirait considérablement son champ d'activité en matière de sollicitations commerciales. De plus, elle sanctionnerait les entreprises françaises et non les entreprises étrangères, notamment hors de l'Union européenne, lesquelles ne sont pas soumises à la même législation. Est-ce cela que nous voulons ? Je ne le pense pas.
L'article 3 bis, introduit par voie d'amendement, vise à supprimer la possibilité pour les entreprises de démarcher des personnes inscrites sur Bloctel pour peu qu'elles aient eu des relations contractuelles préexistantes avec ces personnes. J'en comprends l'objet, car il existe des abus, mais l'idée de supprimer cette faculté semble excessive et inquiète une partie du secteur. Toutes les entreprises sollicitent leurs anciens clients.
Je salue l'amendement, déposé par le groupe La République en marche, visant à réécrire l'article pour que celui-ci s'applique non à tout démarchage téléphonique, quel qu'en soit l'objet, mais uniquement aux sollicitations téléphoniques dépourvues de lien direct avec l'objet du contrat en cours.
Nous pourrions également envisager de limiter dans le temps la possibilité pour l'entreprise de démarcher des personnes avec qui elle a entretenu des relations contractuelles.
Voilà qui permettrait à nos entreprises de circonscrire leur activité de démarchage dans des limites raisonnables du point de vue des consommateurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme Christine Hennion, pour soutenir l'amendement no 17 .
Comme vient de le dire M. Adam, l'interdiction envisagée est excessive. L'amendement a pour objet de permettre aux entreprises de contacter leurs clients dans le cadre du contrat qui les lie à eux. C'est d'ailleurs ce que prévoit le règlement général sur la protection des données – le RGPD – , selon lequel cette démarche est tout à fait légitime et doit être autorisée.
Monsieur Adam, j'aimerais vous lire quelques mots prononcés par une personne que vous connaissez bien, Jacques Mézard, le 28 janvier 2014, à propos des entreprises, dans le cadre de la discussion au Sénat d'un texte voisin de celui que je défends devant vous. « En effet, pour dire les choses telles qu'elles sont, la plupart de ces centres d'appel fonctionnent depuis le Maroc, l'Inde ou ailleurs… Les 110 000 emplois en suspens constituent donc, là encore, une fumisterie ! » Je ne fais que citer les propos d'un ministre du gouvernement que vous soutenez, monsieur Adam, pour remettre les choses en perspective s'agissant du chantage à l'emploi.
J'en ai parlé tout à l'heure, mais je ne sais pas si vous étiez alors dans l'hémicycle : il n'y a pas ici, d'un côté, La République en marche qui défend les emplois, les entreprises, les entrepreneurs, tous ceux qui créent et investissent et, face à elle, les autres, Les Républicains, les communistes, les insoumis, les centristes, qui seraient contre l'emploi. N'opposons pas les deux points de vue. Il est possible, et c'est le sens de plusieurs dispositions que j'ai proposées dans le cadre du présent texte, de limiter autant que possible les destructions d'emplois. Je suis aussi soucieux que vous de préserver l'emploi, même si je n'ai pas de centre d'appels dans ma circonscription ; croyez bien que vous n'êtes pas les seuls ici, vous et vos collègues, à défendre cette idée.
En ce qui concerne l'amendement no 17 , dont nous avons discuté avec votre collègue Annaïg Le Meur, j'y suis tout à fait favorable. Il vise à autoriser le démarchage téléphonique en vue de sollicitations ayant un rapport direct avec l'objet d'un contrat en cours. Ces appels-là sont rarement ceux qui gênent les consommateurs. Si vous interrogez régulièrement les habitants de votre circonscription, ils vous le diront. Au contraire, de tels appels peuvent leur permettre d'optimiser leur engagement ou de se remémorer l'échéance d'un contrat. Il n'apparaît donc pas déraisonnable de les autoriser.
D'accord avec le rapporteur, du moins s'agissant de l'amendement !
Sourires.
Avis favorable.
L'amendement no 17 est adopté.
L'article 3 bis, amendé, est adopté.
Cet article dispose que le consommateur concluant un contrat avec un opérateur de téléphonie doit donner son accord préalable pour pouvoir être démarché. Un amendement du rapporteur est venu préciser que cette mesure s'appliquait aussi à toute entreprise à laquelle l'opérateur de téléphonie aurait cédé ses données téléphoniques.
Autrement dit, l'article crée un opt-in généralisé qui transforme le droit d'opposition actuel en accord préalable. Or qui accepterait d'être démarché ? Cet article sonnerait donc le glas du démarchage téléphonique. Il existe des abus, c'est vrai, et il faut les sanctionner ; c'est indispensable. Mais ne sanctionnons pas les entreprises honnêtes qui créent des emplois et de l'activité sur notre territoire. Très concrètement, la fin du démarchage téléphonique menacerait plus de 350 emplois dans ma circonscription, à Rouen, et plusieurs dizaines de milliers en France.
Je souhaite donc l'adoption de l'amendement visant à supprimer cet article, car les conséquences de la disposition ne me semblent pas avoir été mesurées.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Je suis saisi d'un amendement no 34 , tendant à supprimer l'article 4.
La parole est à M. le secrétaire d'État, pour le soutenir.
L'article 4, s'il était adopté, aurait pour conséquence de supprimer le deuxième alinéa de l'article L. 223-2 du code de la consommation, lequel garantit que le consommateur concluant un contrat est informé de l'existence de son droit à s'inscrire sur la liste Bloctel.
Par ailleurs, l'article 4 dispose que, lorsque les coordonnées téléphoniques d'un consommateur sont recueillies par un professionnel lors de la conclusion d'un contrat, ce dernier doit recueillir le consentement exprès du consommateur pour pouvoir les utiliser ou les transmettre à d'autres professionnels, alors qu'il n'introduit aucune obligation supplémentaire pour le professionnel qui a recueilli les coordonnées téléphoniques du consommateur par un autre moyen que la conclusion d'un contrat. Enfin, l'article crée une procédure de consentement exprès des consommateurs au démarchage, sans s'assurer que ceux-ci soient, par ailleurs, inscrits sur Bloctel, alors que cette inscription rend illicite tout démarchage téléphonique à leur égard. L'article 4, dans sa rédaction actuelle, est incompatible avec le dispositif Bloctel.
Je n'en attendais pas moins de la part du Gouvernement, puisque j'avais été informé de sa volonté de supprimer l'article 4. Malgré tout, je tiens à apporter quelques précisions.
L'article 4, dans la logique du texte, est indispensable à l'établissement d'un véritable droit de consentement des consommateurs. Il oblige l'opérateur avec lequel un consommateur conclut un contrat à recueillir son accord pour utiliser ses données ou les transmettre à des fins de démarchage. L'objectif est de passer d'une information relative au droit à s'inscrire sur Bloctel à une obligation de recueillir le consentement explicite du consommateur. Il est donc impératif d'aligner le régime des appels sur celui des courriels et des SMS, comme nous l'avons évoqué tout à l'heure. Il n'est pas cohérent de ne pas le faire.
Les professionnels avec lesquels le consommateur n'a pas conclu de contrat seraient soumis à l'interdiction de démarcher un particulier sans son consentement. Vous avez évoqué un problème de coordination des fichiers. Je tiens à vous signaler que, de manière à garantir cette coordination, nous suggérons que Bloctel soit remplacé par un fichier répertoriant les particuliers consentant à être démarchés, comme en Allemagne ou dans dix autres pays de l'Union européenne – nous ne serions pas les seuls à le faire, il faut en être conscients.
La balle est dans votre camp, monsieur le secrétaire d'État. Nous sommes en effet contraints par les exigences de l'article 40 de la Constitution, qui ne nous a pas permis de créer nous-mêmes le fichier en question. En cas de non-constitution du fichier, il peut être envisagé qu'un particulier s'inscrive sur Bloctel pour s'opposer de manière générale au démarchage téléphonique, mais consente au cas par cas à l'être par tel ou tel professionnel avec lequel il aura conclu un contrat. L'autorisation particulière l'emporterait sur l'interdiction générale. Avis défavorable, à titre personnel, sur l'amendement de suppression.
L'article 4 me semble déjà satisfait par le RGPD. Si je le comprends bien, nous allons au-delà de l'exécution du contrat. Dans le cas où un opérateur souhaiterait transmettre des données personnelles à un tiers, pour quelque raison que ce soit, il aurait besoin de l'autorisation de la personne dont il a collecté les données.
La parole est à Mme Sophie Auconie, pour soutenir l'amendement no 11 , portant article additionnel après l'article 4.
Avis favorable, à titre personnel. Cet amendement vise à ajouter à la liste des mentions que doit comporter tout contrat de communication électronique la mention du consentement ou du refus du consommateur quant à l'utilisation de ses données à des fins de prospection commerciale. Cela est de nature à garantir une plus grande information du consommateur et permettrait de mettre en oeuvre, de manière effective, l'obligation de consentement préalable.
Avis défavorable. Avec la suppression de l'article 1er, la nécessité d'un consentement exprès du consommateur pour l'utilisation de ses données à des fins de sollicitation commerciale n'a pas été retenue. De ce fait, la mention du consentement ou du refus, dans un contrat de service de communication électronique, n'a pas lieu d'être.
L'amendement no 11 n'est pas adopté.
La parole est à M. le secrétaire d'État, pour soutenir l'amendement no 35 .
Dans sa rédaction actuelle, l'article prévoit une sanction pénale, notamment pour la violation des règles relatives au traitement de données à caractère personnel à des fins de prospection commerciale en général. Outre qu'il ne s'agit pas seulement de sanctionner des pratiques de démarchage téléphonique illicite, le régime de sanction prévu par cet article est incohérent avec les dispositions du projet de loi relatif à la protection des données personnelles adopté par l'Assemblée nationale le 12 avril dernier. Celui-ci ne prévoit une sanction pénale que pour la violation des règles sur le traitement des données portant atteinte à des intérêts bien précis, comme la défense nationale… Excusez-moi, je suis perturbé par un insecte ! Je pense que le rapporteur n'y est pas pour rien…
Sourires.
Merci, monsieur Lescure, d'essayer de l'éloigner ! C'est une forme de démarchage assez agressive – vous imaginez bien que je parle de la mouche, et non pas du président de la commission !
Sourires.
Vous devriez vous contenter de dire que vous êtes favorable à l'amendement, monsieur le secrétaire d'État, cela irait plus vite !
J'y suis d'autant plus favorable que c'est un amendement du Gouvernement, monsieur Huyghe !
L'amendement vise à réécrire l'article de la proposition de loi, en le recentrant sur le non-respect des règles propres au démarchage téléphonique et en étendant les sanctions prévues à l'article L. 242-16 du code de la consommation au non-respect de l'obligation pour les professionnels ayant recours au démarchage téléphonique de faire expurger de leur fichier les numéros de téléphone inscrits sur Bloctel.
Chèrement, j'imagine !
Rires.
Vous imaginez bien, monsieur le secrétaire d'État, que je suis défavorable à votre amendement tendant à supprimer l'article 5. Il me paraît en effet indispensable que le démarchage téléphonique sans consentement et l'utilisation des données téléphoniques personnelles sans autorisation préalable soient considérés comme une infraction pénale et passibles de sanctions pénales et non pas uniquement administratives. On constate, en effet, leur inefficacité – cela a été évoqué au cours de nos auditions.
L'article L. 226-18-1 du code pénal dispose que le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique malgré l'opposition de celle-ci, lorsque le traitement répond à des fins de prospection, notamment commerciale, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Cet article n'est pas modifié par la loi que vous avez évoquée et qui a été publiée hier au Journal officiel.
Il convient, comme pour le reste du texte, de renverser le paradigme, en précisant que le fait de procéder à de telles actions, non pas malgré l'opposition, mais sans le consentement préalable du consommateur, est passible de sanctions pénales. Il y va de la crédibilité de ces sanctions, de leur caractère dissuasif et, partant, de leur efficacité. Avis défavorable, à titre personnel.
Alors que nous allons examiner le dernier article de cette proposition de loi, je souhaitais m'étonner du déroulement de la discussion du texte. La commission des affaires économiques, dont je ne suis pas membre, avait apparemment adopté plusieurs amendements et, partant, accepté le principe même du texte. Or, ceux qui avaient voté ces amendements ou s'étaient abstenus ont changé de pied dans l'hémicycle, à la demande du Gouvernement. Rappelons que la Ve République est un régime parlementaire, où les parlementaires peuvent voter des textes, en gardant leur liberté de vote. Je m'étonne vraiment de voir que l'on peut se dédire ou se contredire dans l'hémicycle, après avoir voté en commission.
Le dispositif proposé par Pierre Cordier est très intéressant. Nous connaissons en effet tous dans notre entourage des gens qui sont véritablement harcelés par le démarchage téléphonique. Essayer de trouver des solutions pour le faire cesser ou, à tout le moins, pour le diminuer est intéressant. Je peux comprendre que vous soyez défavorables à l'obligation de s'inscrire sur une liste pour pouvoir être démarché. En revanche, d'autres dispositifs permettaient à nos concitoyens de voir qu'on les appelait dans le cadre d'un démarchage. L'idée d'un indicatif réservé au démarchage me semblait ainsi un bon moyen pour l'identifier et choisir de ne pas répondre, plutôt que de le découvrir après avoir décroché. Je regrette cette incohérence qui consiste à voter en commission ce que l'on ne vote plus dans l'hémicycle, le petit doigt sur la couture du pantalon, aux ordres du Gouvernement.
L'article 6 est adopté.
Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l'article 6.
Nous commençons par l'amendement no 27 rectifié , qui fait l'objet d'un sous-amendement no 31 .
La parole est à M. Richard Ramos, pour soutenir l'amendement.
Je défends l'excellent amendement de ma collègue Aude Luquet. Le démarchage téléphonique est particulièrement intense et insupportable. « Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! », disait feu le président Pompidou. Nous devons trouver une façon de faire en sorte que les Français ne soient pas emmerdés par des appels incessants. Pour les plus fragiles de nos concitoyens, notamment les anciens, cela devient insupportable. Certains vont même consulter leur médecin, tant la fréquence des appels est intolérable. Il y a des opérateurs qui appellent, mais également des automates qui polluent nos concitoyens. L'amendement vise à pénaliser plus sévèrement les entreprises utilisant des automates d'appels qui embêtent les Français. Personne ne prendra la mouche,
Sourires
et je ne doute pas que le bon sens vous poussera à adopter notre amendement.
La parole est à M. Pierre Cordier, pour soutenir le sous-amendement no 31 et donner l'avis de la commission sur l'amendement.
Je suis bien entendu favorable à l'amendement, monsieur Ramos, tout en souhaitant apporter quelques précisions. Mon sous-amendement a pour objet d'harmoniser les sanctions encourues par les contrevenants au code des postes et communications électroniques, démarchant sans consentement ou utilisant notamment des automates d'appel, avec les sanctions encourues par les contrevenants au dispositif Bloctel. Cela conduit à porter la sanction encourue par une personne morale de 15 000 à 75 000 euros. En conséquence, ce sous-amendement a également pour effet d'augmenter le montant des sanctions encourues par les personnes physiques utilisant de tels dispositifs, actuellement trop peu dissuasives, quand bien même leur montant serait porté de 3 000 à 15 000 euros.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et le sous-amendement ?
Le texte que nous examinons porte sur les appels téléphoniques réalisés par des opérateurs, mais il n'est pas incohérent de vouloir harmoniser le régime des sanctions, bien que cela n'ait pas été envisagé initialement par le Gouvernement. Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.
Je suis heureux de voir qu'on réalise enfin un travail parlementaire : face au problème du démarchage téléphonique, des députés de la majorité proposent d'enrichir le texte et le Gouvernement nous laisse réfléchir. Par ailleurs, au fur et à mesure des discussions, le texte me fait penser au village Potemkine : vous gardez la façade, mais comme à l'arrière il n'y a plus rien, l'excellente proposition de loi de notre collègue est privée de toute efficacité.
Tout à l'heure, on a rappelé qu'en commission, plusieurs intervenants avaient défendu d'autres positions que dans l'hémicycle, et je le regrette. Je ne sais pas si c'est la jambe droite ou la jambe gauche qui ne se coordonnent plus, mais là, plus que le petit doigt sur la couture du pantalon, c'est le petit doigt sur la rupture du pantalon… Je vous invite, mes chers collègues, à faire en sorte que cette proposition de loi ne soit pas un village Potemkine, et qu'au bout du compte le dispositif soit bel et bien efficace. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l'on avance mollement sur un tel sujet.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
Je voudrais restaurer la vérité sur la teneur des débats au sein de la commission, qui, comme l'ont noté le rapporteur et un certain nombre de collègues, ont été de bonne tenue, permettant de préparer le travail actuellement fait dans l'hémicycle. À la suite de ces discussions, plusieurs articles étaient restés ouverts et on avait envisagé de retravailler ces sujets en vue de la séance. Les conclusions de ce travail ne vous siéent guère ; j'en suis marri, mais ne remettons pas en cause ce qui avait été fait en commission.
Le sous-amendement no 31 est adopté.
L'amendement no 27 rectifié , sous-amendé, est adopté.
Cet amendement vise à bâtir un cadre juridique plus protecteur. Je rappelle qu'il y aurait plus de 40 000 victimes d'abus de faiblesse chaque année en France, parmi lesquelles de très nombreux seniors et personnes seules qui représentent une cible privilégiée pour une série de sociétés commerciales faisant usage de techniques de vente parfois à la limite de la légalité. Il apparaît nécessaire de protéger toutes ces personnes ; dans ce contexte, nous proposons d'insérer un article stipulant que le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur l'efficacité des dispositifs de protection des personnes les plus vulnérables face au démarchage commercial à domicile par voie postale, téléphonique ou numérique. Ce rapport devrait être réalisé avant le 1er décembre 2018.
Je suis favorable à votre amendement, cher camarade – car il semble, ce soir, que je sois plus en phase avec les communistes qu'avec La République en marche –, …
Sourires
Profitez-en, cher collègue, car cela ne va peut-être pas durer toute la soirée !
… quoiqu'il dépasse le champ de la proposition de loi.
Mes initiales sont « P. C. » ; l'affinité viendrait-elle de là ?
Je suis donc, à titre personnel, favorable à cet amendement. Certes, il dépasse le champ de la proposition de loi puisqu'il concerne l'ensemble des démarchages à domicile par voie postale, téléphonique et numérique, et cible également la fraude, mais il me semble nécessaire d'avoir une vision claire de ces procédés qui peuvent en effet constituer des abus de faiblesse, et de faire émerger des solutions pouvant éventuellement faire l'objet d'une proposition de loi dédiée.
Sourires.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement, pour les raisons suivantes. D'abord – M. le rapporteur l'a souligné – , l'amendement vise à la remise d'un rapport dont l'objet va bien au-delà de la présente proposition de loi. Ensuite, nous considérons que les travaux et enquêtes menés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – la DGCCRF – , ainsi que les débats qui ont lieu au sein du Conseil national de la consommation permettront de nourrir la réflexion des uns et des autres sans qu'il soit nécessaire d'ajouter un rapport supplémentaire. Enfin, s'il devait y avoir une initiative parlementaire en matière de prévention d'un démarchage abusif par voie postale ou numérique – les deux points qui excèdent le cadre de cette proposition de loi – , il ne nous semble pas logique institutionnellement parlant que la proposition de loi d'un parlementaire soit adossée à la remise d'un rapport du Gouvernement. Le Parlement dispose lui-même de moyens de contrôle et d'inspection, tels que les missions d'information, qui peuvent alimenter ses travaux. C'est aussi un principe que de nous opposer à la prolifération des rapports demandés au Gouvernement.
L'amendement no 18 n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Avant son passage dans l'hémicycle, la proposition de loi visait à protéger les plus faibles. Le débat a fait apparaître que nous avions tous le même objectif, ou du moins l'a-t-on compris ainsi : tout le monde, sur tous les bancs, considérait que le harcèlement téléphonique commercial était insupportable, qu'il était dangereux, qu'il pouvait mettre les gens en danger et qu'il nuisait au bonheur d'une grande partie de nos concitoyens, qui aspirent à la tranquillité, à une vie familiale sereine et à une communication normale avec les gens avec qui ils ont envie de communiquer. Or, au bout de la discussion, je ne sais plus ce que je vais voter car la proposition de loi est complètement vidée de sa substance sans que l'on ait une explication satisfaisante – malgré la tentative de notre collègue de La République en marche – sur ce qu'il serait bon de mettre en oeuvre. Alors que nos collègues Les Républicains – et nous avec eux – ont considéré qu'il y avait urgence à agir pour mettre un terme à ce harcèlement, il semble que ce soit moins urgent pour la majorité parlementaire et pour le Gouvernement.
C'est dommage, car il y a urgence – non seulement à lutter contre le harcèlement, mais également à défendre ceux qui font bien leur métier. Damien Adam a parlé des centres d'appel et des entreprises de sa circonscription ; il y en a dans beaucoup de territoires, dont le mien. Ces entreprises considèrent qu'il faut cesser de favoriser celles qui sont installées au Maroc plutôt que celles qui ont envie de faire travailler des salariés en France – je prends cet exemple parce que les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat se trouvent actuellement au Maroc ; c'est d'ailleurs parce que le président ne dort pas dans son château qu'on peut faire de la musique devant… Dans le cadre du futur travail que fera le Gouvernement, il conviendra à la fois de protéger les citoyens du harcèlement et d'oeuvrer pour que les sociétés installées en France, qui font bien leur travail, conservent un pied dans notre pays et ne soient pas systématiquement tentées de délocaliser leur activité parce que la réglementation serait moins sévère ailleurs. Voilà le travail que le groupe communiste considère comme urgent.
Même si la proposition de loi est vidée de ses aspects essentiels, elle a le mérite d'exister ; nous voterons donc pour.
La parole est à Mme Sophie Auconie, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
Il y avait trois façons d'aborder cette proposition de loi : mettre la poussière sous le tapis et faire comme si Bloctel fonctionnait bien et que nos concitoyens – dont ma mère, 85 ans – vivaient sereinement, sans subir des appels intempestifs dans la journée ou en fin de journée ; améliorer le dispositif existant à la marge en essayant de rendre la liste d'opposition plus contraignante ; renverser la table pour mettre en place un système de consentement exprès, préférant la méthode de l'opt-in à celle de l'opt-out.
Comme vous le disiez, chers collègues, ce texte représente une avancée ; des dispositions seront prises qui vont améliorer les conditions de travail des salariés dans ces sociétés, mais aussi les conditions de vie des citoyens pollués par ces appels téléphoniques intempestifs. Toutefois, même si les adaptations apportées vont dans le bon sens, elles ne me semblent pas suffisantes. Le durcissement des sanctions doit contribuer à les rendre plus dissuasives. L'annonce de l'identité en début d'appel doit permettre à nos concitoyens de mieux identifier les appels de démarchage. Il est également bienvenu d'obliger les démarcheurs à vérifier la conformité de leurs fichiers de prospection avec Bloctel.
Cependant notre préférence allait à la mise en place d'un système de consentement. Nous partageons donc la déception de plusieurs collègues et du rapporteur. Je pense que nous irons un jour vers ce système qui existe dans plusieurs États membres de l'Union européenne, où il participe au confort des citoyens. Il faut maintenant que la DGCCRF multiplie les contrôles, non seulement pour vérifier l'effectivité de Bloctel, mais aussi pour faire appliquer les nouvelles dispositions lorsqu'elles entreront en vigueur. Nous ne perdrons pas de vue que Bloctel doit faire l'objet d'une évaluation complète ; le bilan prévu est une première étape. Par ailleurs, nous suggérons que notre assemblée se saisisse à nouveau de l'évaluation de la loi Hamon votée sous la précédente législature.
Nous allons nous abstenir sur cette proposition de loi parce qu'elle est vidée de sa substance et qu'elle ne va pas jusqu'au bout de ce que nous souhaiterions qu'elle soit pour nos concitoyens et pour les travailleurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Nicolas Démoulin, pour le groupe La République en marche.
Nous ne sommes pas d'accord sur la méthode. Nous n'avons pas réussi à vous convaincre, soit ; mais nous voulons que le texte fonctionne. Je le répète : l'opt-in ne fonctionnera pas. Vous dites que cela marche en Allemagne, mais je pense que Bloctel y aurait également marché. La France est un pays un peu indiscipliné où il est plus compliqué de faire respecter les lois.
Vous avez parlé de posture politique, mais les particuliers veulent que les choses changent et nous avons l'ambition et le courage de faire en sorte que ce soit le cas : je suis moi aussi déçu que nous ne puissions pas aller plus loin, mais nous prenons le risque d'enlever des articles parce que les dispositifs proposés ne fonctionneraient pas. Voulez-vous que, dans quelques années, ce soit la désillusion parce que les Français continuent à recevoir ces appels ? J'aimerais que vous entendiez cet argument.
Par ailleurs, on a beaucoup cité M. Jacques Mézard, désormais ministre. Je vais faire, comme vous, un peu de politique, car nous apprenons : je vous rappelle que Pacitel avait été créé à l'époque de Nicolas Sarkozy, sur l'initiative de Frédéric Lefebvre.
Je vous renvoie aux arguments de ce dernier : il souhaitait précisément protéger la profession et avait déjà commencé à alerter sur les risques que j'évoque.
Sourires.
Pour finir sur une note positive, j'aimerais que l'on avance et que l'on puisse travailler avec le rapporteur, car ce texte n'est pas une fin en soi. L'article 2 et le renforcement des sanctions constituent déjà de très belles avancées. J'aimerais que nous travaillions ensemble sur de vraies solutions, pour que l'on mette enfin un terme à ces démarchages insupportables pour les Français.
La parole est à M. Richard Ramos, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Le groupe MODEM votera ce texte. Nous pensons que c'était un bon texte et que c'est toujours un bon texte, même s'il a été un peu vidé de sa substance par la suppression de l'article 1er. Peut-être aurions-nous pu trouver d'autres voies s'agissant de cet article, car notre première préoccupation, c'est le caractère insupportable de ces appels incessants pour les Français. Je pense que vous serez sensible, monsieur le secrétaire d'État, aux débats qui ont eu lieu. Il faut que vous soyez conscient que nous ne répondons pas à l'ensemble du problème ce soir, c'est-à-dire à la nécessité de protéger les Français qui n'en peuvent plus, mais aussi, dans une certaine mesure, à celle protéger les entreprises qui souhaitent prospecter et démarcher normalement.
Que d'amertume à l'issue de ces débats ! Le rapporteur a fourni un travail remarquable, qui cherchait à combler une carence dans notre droit, au bénéfice de tous les Français et Françaises, qui en ont marre, nous le savons, d'être importunés à tout moment et à tout propos dans leur vie privée. Lorsque l'on siège dans cet hémicycle, on attache du prix à quelques principes généraux du droit, fondamentaux, dont la liberté individuelle et le respect de la vie privée. Or la proposition de loi initiale tendait effectivement à protéger la vie privée : chacun doit être libre d'accepter ou non d'être dérangé, je dirais même harcelé, par un opérateur qui cherche in fine à susciter un acte commercial à son préjudice. J'ai beaucoup d'amertume en cet instant.
Cette proposition de loi ne tombait pas du ciel : elle correspondait à un besoin exprimé et ressenti dans nos territoires ; elle concernait un élément fondamental, la vie privée ; notre réglementation présentait des lacunes. À l'issue des débats, je le dis à mon tour : vous avez vidé ce texte de sa substance, parfois même avec une forme d'hypocrisie. On a déjà fait le coup du « on va travailler ensemble » à Gilles Lurton, ici même, le 5 avril dernier. Il avait présenté un texte sur les soldats engagés en Algérie entre 1962 et 1964, car il y avait, là aussi, une carence. On a tout fait pour que le dossier ne soit pas évoqué ; on lui a dit : « on va travailler ensemble » ; et, trois semaines plus tard, le Gouvernement a repris sa proposition de façon unilatérale, en faisant fi du travail qu'il avait réalisé. Vous nous faites le même coup ce soir, à vingt-deux heures trente. Cette façon de procéder, assez déplorable, fait donc jurisprudence.
Pour notre part, nous insistons sur le fait qu'il faut que chacun soit libre de recevoir ou non des coups de téléphone. On accepte ou pas de téléphoner à sa famille, à ses amis, à ses proches. On accepte ou pas d'être importuné par un tiers étranger, a fortiori quand il cherche à obtenir quelque chose avec le goût du lucre. C'est pourquoi ce texte était essentiel. Désormais, il est vide. Aussi, malgré tout le travail du rapporteur, nous ne pourrons finalement que nous abstenir.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour le groupe La France insoumise.
Nos collègues du groupe Les Républicains vont s'abstenir, et nous les comprenons. Néanmoins, il était utile de débattre du sujet et, même si, comme l'ont dit plusieurs collègues, la proposition de loi a indiscutablement été vidée de sa substance, notre groupe la votera.
Cet échange a eu une vertu : affirmer le caractère inacceptable d'une forme de harcèlement qui devrait même, selon nous, être interdit, car il constitue un trouble réel. Il se révèle en effet très destructeur du point de vue psychologique, mais aussi économique et social : ce sont souvent de petites entreprises locales, qui n'ont pas les moyens de se payer les services de ce type de plateforme, qui sont ainsi concurrencées par d'autres groupes.
Cet échange a une autre vertu : il nous semble constituer une introduction à une discussion sur le harcèlement publicitaire. Si nous avions été audacieux lors de l'examen de ce texte, nous aurions pu soulever le problème d'une autre forme de harcèlement, qui revêt des dimensions tout aussi importantes, voire plus. Savez-vous que chacun d'entre nous reçoit chaque jour 3 000 messages publicitaires ? Les principales victimes en sont souvent les gens les plus fragiles, notamment les enfants – nous en avons tous été témoins. Il faudra un jour y mettre bon ordre. Nous sommes tous les jours la cible de messages publicitaires à travers la télévision, les affiches, etc. Ça suffit ! Car nous sommes non pas consommateurs, mais des citoyens.
Nous constatons que la majorité ne veut pas aller jusqu'au bout, et je le regrette. Voter cette proposition de loi est pour nous une manière de dire qu'une société doit être ordonnée. Certes, nous sommes favorables à ce qu'il y ait des échanges économiques, mais nous voulons que les citoyens gardent leur liberté de conscience et de jugement en toute situation ; nous refusons qu'ils soient mis sous pression par des gens qui ne cherchent qu'à faire de l'argent. Nous voterons donc la proposition de loi, mais en reprenant à notre compte toutes les réserves qui ont été exprimées précédemment. Elle aura peu d'effet ; je comprends donc que nos collègues du groupe Les Républicains s'abstiennent. Néanmoins, elle peut être le point de départ d'une réflexion dans la société sur le fait qu'il faudrait tout simplement interdire non seulement ce type de harcèlement, mais aussi, je le dis tout de go, la publicité, car elle amène des gens à consommer des produits dont ils n'ont pas besoin. Il y en a assez de cette consommation de l'inutile ! Cela fait de nous des zombies, considérés uniquement comme des portefeuilles.
La proposition de loi est adoptée.
Votre arrivée dans l'hémicycle tombe bien, monsieur le ministre de la cohésion des territoires, car je viens de défendre un texte sur le démarchage téléphonique, sujet sur lequel vous étiez vous-même monté au créneau il y a quelques années. Or vous pouvez constater que vos alliés d'aujourd'hui n'ont pas suivi votre logique d'hier, …
Ceux d'hier non plus !
Sourires.
Je voudrais tout d'abord vous dire à quel point je suis déçu, mes chers collègues. Je suis un jeune parlementaire ; il y a ici des députés qui sont élus depuis très longtemps…
Non, pas trop longtemps : je voulais dire qu'ils ont de l'assise et de l'expérience. Certains d'entre eux m'avaient dit : « Tu sais, Pierre, ne te fais pas trop d'illusions, même si c'est un texte transpartisan, équilibré, pas politicien ni démago, et que tu as fait un bon travail en commission. » Nous avons effectivement pu échanger avec tout le monde, et je tiens à cet égard à remercier le président de la commission, qui a été, je le dis, très ouvert. J'ai vraiment apprécié les débats que nous avons eus.
Je tiens aussi à remercier le président Jacob, qui m'a permis d'inscrire cette proposition de loi dans la niche parlementaire du groupe Les Républicains. Pour le jeune parlementaire que je suis, élu depuis peu, c'est quelque chose d'important.
Des illusions, je m'en suis fait un peu : je pensais, naïvement sans doute – lorsque j'aurai quelques années de plus derrière moi, cela ira mieux – , que ce que nous entendions sur le terrain, quelle que soit notre sensibilité politique, pourrait trouver ici une traduction apolitique et consensuelle, et que nous pourrions essayer d'avancer ensemble. Je me suis trompé.
Auparavant, avec un bloc de droite et un bloc de gauche, c'était compliqué, m'a-t-on dit, mais aujourd'hui, avec un bloc central ayant une approche un peu nouvelle – c'est en tout cas la manière dont vous présentez les choses dans les médias, qui vous suivent encore souvent dans cette dialectique – , je me disais qu'il y avait peut-être moyen, comme on dit chez moi, de faire passer ce texte. Je me suis trompé. Je le regrette, surtout pour nos concitoyens qui vont continuer à recevoir des appels pour tout et n'importe quoi, de sept heures du matin à vingt-deux heures, en raison d'un manque de courage de la majorité parlementaire.
Nos travaux en commission avaient été constructifs ; nous avions avancé, même si nous n'étions pas d'accord sur tout. C'est seulement ce matin que les amendements de suppression des articles ont été déposés par le Gouvernement. On a tout de suite compris que la majorité avait dû ajuster les choses sur un certain nombre de points.
Vous ne pouvez pas dire autre chose, monsieur Démoulin. Si j'étais à votre place, je ferais sans doute comme vous, mais cela ne sert à rien de prétendre le contraire.
Mais oui, bien sûr. Je constate simplement que les choses se sont passées très différemment en commission et ici, avec ces amendements de suppression émanant du Gouvernement. En tout cas, je souhaite que ce texte ne connaisse pas le même sort que celui de Gilles Lurton. Nos concitoyens sur le terrain commencent à sentir ce qui se passe, et cela commence à les agacer. Vous ne le ressentez pas encore trop, puisque vous êtes ultra-majoritaires ici. Votre groupe compte plus de 310 députés et vous êtes là jusqu'en 2022, mais faites tout de même un peu attention – c'est un simple conseil d'un novice en politique.
Je remercie l'administratrice à qui l'on a confié le suivi de ce texte. Nous avons beaucoup travaillé dans un laps de temps très court, en procédant à de nombreuses auditions. Je remercie aussi ma collaboratrice. Je remercie à nouveau le président de la commission. Cela s'est bien passé entre nous, je le dis comme je le pense, même si je croyais que vous aviez davantage d'influence que cela, monsieur le président !
Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes LR et MODEM.
La parole est à M. Julien Aubert, rapporteur de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, monsieur le ministre de la cohésion des territoires, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, le droit de propriété n'existe plus en France.
Oui, le droit de propriété, « inviolable et sacré » selon l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, n'existe plus, parce qu'il n'est plus protégé. Proudhon – la référence fera plaisir à M. Corbière – prétendait : « La propriété, c'est le vol. » Par lâcheté, notre système a fait du voleur un propriétaire.
En effet, aussi paradoxal que cela puisse être, le vol d'une moto est aujourd'hui davantage puni par la loi que la captation du bien d'autrui, parce que celle-ci n'existe pas en tant que délit. La loi ne se réveille de sa somnolence qu'en cas d'occupation illégale de votre domicile, ce qui ne couvre qu'une partie des biens immobiliers que vous pouvez posséder. Cela va même plus loin : elle protégera le voleur qui a pris possession de votre bien en érigeant celui-ci en domicile et en le protégeant avec la même constance et la même intensité que s'il avait été acquis légalement.
Certains juristes en herbe vous expliqueront doctement que la protection de la vie privée a également une valeur juridique constitutionnelle, ce qui explique que le domicile s'impose face à la propriété, ou bien invoqueront l'articulation avec le droit au logement. Or c'est le fond du problème : c'est non pas le législateur mais les juges qui en ont décidé ainsi, et cette articulation se fait systématiquement au détriment du droit de propriété. Il y a là une contradiction : en l'inscrivant en lettres d'or dans la déclaration qui a fondé la République, nos pères fondateurs ont bel et bien souhaité que le droit de propriété, qui se distinguait déjà par son ancienneté, soit un droit prééminent, certainement pas qu'il passe invariablement au second rang.
La situation actuelle du marché locatif est là pour le prouver : certains propriétaires refusent de louer par peur de ne pas être protégés. Le régime actuel pose donc un vrai problème économique. D'où la présente proposition de loi, qui entend créer un délit d'occupation sans droit ni titre, pour punir comme un vol l'appropriation frauduleuse du bien d'autrui et dissuader ceux qui se jouent de la loi.
Depuis notre travail en commission, l'actualité s'est encore fait l'écho d'un nouveau cas auquel ce texte pourrait s'appliquer. Il s'agit d'une affaire intolérable. Avant-hier, Le Figaro a titré : « Elle se retrouve à la rue parce que ses locataires ne l'ont pas payée. » Et de faire la longue chronique judiciaire d'une propriétaire devenue sans domicile fixe, obligée de vendre son propre appartement pour rembourser le prêt qu'elle avait contracté, du fait de loyers impayés par ses locataires.
Eu égard à la longueur de la procédure – plus de deux ans ! – et à l'émotion suscitée, la préfecture du Var a accepté enfin d'expulser les locataires indélicats. Le fait est suffisamment inhabituel pour qu'on le mentionne : le plus souvent, l'État préfère ne pas agir, pour éviter ce qui s'apparenterait à un trouble de l'ordre public – comme si, pour un propriétaire, la perte d'un bien ne constituait pas en elle-même un trouble suffisant à l'ordre public.
Voilà les faits. Et la liste de ces injustices est longue. S'il s'agissait de l'un de vos proches, je suis sûr que vous comprendriez que nous ne pouvons pas remettre le traitement de cette question à la Saint-Glinglin – d'autant que cela a déjà été fait.
Ici même, en effet, il y a trois ans, le 11 juin 2015, nous avons légiféré après une affaire dite « Maryvonne ». En mai 2015, une dame de 83 ans avait dû attendre plus de dix-mois avant de pouvoir recouvrer la jouissance d'un bien immobilier dont elle était propriétaire, mais qui était occupé par des squatteurs. L'affaire avait fortement ému les Français, eu égard à l'âge de la requérante et à la longueur de la procédure. Or le texte que nous avions discuté dans cet hémicycle n'avait modifié le droit existant qu'à la marge. Nous nous étions cantonnés au strict respect du droit s'appliquant à la violation de domicile, en permettant de constater à n'importe quel moment le délit d'intrusion, mais en laissant de côté les autres atteintes à la propriété.
J'ai tiré ici même la sonnette d'alarme, mais la majorité de l'époque m'avait convaincu, au nom de l'efficacité, de retirer mes amendements qui visaient à traiter enfin du problème principal. Ce sont exactement les mêmes arguments qu'utilisent aujourd'hui les procrastinateurs. Pour quel résultat ? Celui-ci : en décembre 2017, à Garges-lès-Gonesse, un propriétaire a dû recourir à la justice privée pour retrouver la jouissance de son bien immobilier. Il s'agissait en effet d'un logement vacant, occupé par des Roms, et la loi de 2015 ne s'appliquait pas. Cet incident s'est terminé par un affrontement de rue entre justiciers privés et squatteurs – bref des occupants sans droit ni titre.
Ces différentes affaires, si dramatiques et spectaculaires qu'elles soient, sont loin d'être des cas isolés. Elles mettent en évidence l'existence d'un vide juridique. Le domicile est protégé par extension du droit à la vie privée, mais la propriété ne l'est pas en tant que telle. Si des voies de recours existent, l'administration, par souci d'éviter les troubles à l'ordre public, préfère ne pas exécuter les décisions de justice. De ce fait, il ne reste plus au propriétaire que le recours indemnitaire : une procédure de plus, qui rallonge encore les procédures.
La proposition de loi vise à simplifier le droit actuel en créant un nouveau délit sanctionnant les occupants sans droit ni titre d'un immeuble, à accélérer les voies d'exécution forcée et à rendre obligatoire l'exécution des décisions de justice, en recourant si nécessaire à la force publique.
Son premier volet vise à protéger le droit de propriété en tant que tel, sans qu'on se demande quel est l'usage du bien immobilier ou sa destination.
Les articles 3 et 4, tels que je propose de les amender, permettraient de ne plus différencier le domicile protégé des autres types de propriété. Il serait créé, au titre Ier du livre III du code pénal, un chapitre V intitulé : « De l'occupation frauduleuse d'un immeuble », instaurant une véritable défense du droit de propriété dans la section consacrée à la protection des biens.
L'article 4, tel qu'amendé par votre rapporteur, crée dans cette section un nouveau délit pour les occupants sans droit ni titre de mauvaise foi, car il s'agit bien ici de punir les fraudeurs professionnels, et uniquement ceux-ci. Ce délit serait punissable – au même titre qu'un vol de moto – de 45 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement, ce qui permettrait de simplifier le droit actuel. En effet, qu'il s'agisse d'une usurpation de domicile ou pas, que le délit soit commis avec violence ou non, le droit serait le même. En cas d'intrusion, il y aurait atteinte à la vie privée, ce qui constituerait un autre délit.
La personne occupant un bien immobilier sans droit ni titre devrait prouver sa bonne foi. Par la caractérisation de la mauvaise foi, nous visons les occupants d'un bien immobilier particulier. C'est pourquoi l'article 6 impose la contractualisation entre propriétaires et occupants à titre gratuit d'un bien immobilier, afin de sécuriser les situations contractuelles.
Néanmoins, le propriétaire qui souhaite récupérer son bien après un préavis d'un mois et auquel le locataire oppose une fin de non-recevoir pourra se prévaloir des dispositions de l'article 1er de la présente proposition de loi.
Quant à l'article 2, il crée, dans un souci d'équité, un cas d'exclusion du bénéfice des dispositions de la loi sur le droit au logement opposable pour toute personne ayant été condamnée pour occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier.
Je sais que cet article ne fait pas l'unanimité, mais je le rappelle. Si la majorité accepte le débat, je suis prêt, au nom de l'opposition, à discuter de tout pourvu que l'on protège l'essentiel : la propriété.
Quant au second volet de la proposition de loi, il oblige la puissance publique à agir en élargissant les voies d'exécution, car c'est le meilleur gage pour éviter un recours des citoyens à la justice privée.
L'article 1er, quant à lui, instaure une voie d'exécution forcée pour les occupants sans droit ni titre d'un bien immobilier.
L'article 5 oblige la puissance publique à agir en créant une situation de compétence liée pour l'autorité administrative, qu'elle agisse sur le fondement de l'article 226-4 du code pénal, sanctionnant l'intrusion dans le domicile, ou sur celui de l'article 315-1, créé par la proposition de loi, sanctionnant le délit d'occupation sans droit ni titre. On évite ainsi la carence de l'action administrative.
Monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le temps est venu de voter une proposition de loi. En commission, celle-ci a été rejetée à une voix près, ce qui démontre qu'elle fait plus consensus qu'on ne pense, et qu'il s'en faut de peu qu'elle ne soit adoptée.
Les Français attendent que nous agissions vite. De combien de situations dramatiques relatées par la presse devrons-nous prendre connaissance avant d'agir ? Lors des débats sur le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique – ELAN – , j'ai proposé une première version de ce dispositif.
Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé au nom du Gouvernement à travailler de manière collaborative. Entre-temps, j'ai organisé plusieurs auditions. J'ai tenu compte de vos remarques. Je présente aujourd'hui cinq amendements afin de rendre le dispositif plus lisible et plus efficace. Ne me parlez pas de débat en deuxième lecture de la loi ELAN : il n'y en aura pas, puisque le texte fait l'objet d'une procédure accélérée.
Il appartient à l'Assemblée nationale de débattre, ce qu'elle n'a pas fait en 2015, car c'était le Sénat qui avait pris l'initiative de la proposition de loi que j'évoquais.
Chers collègues de la majorité, siéger au Parlement est un honneur. Ce n'est pas un jeu, et un vote vous engage. Derrière ce texte, il y a des décennies de souffrance. Des citoyens honnêtes ont été broyés par les travers du droit. Ils vous regardent – ils nous regardent. C'est sur ce dispositif rénové et simple que je vous demande de vous engager, d'abandonner les non-dits partisans et de vous souvenir qu'il faut oeuvrer pour la République et pour l'intérêt général.
Rappelez-vous qu'il y a un an, vous vous êtes fait élire en promettant de vous comporter différemment, sans idéologie, en ne reproduisant pas les schémas du passé. Ce soir, vous êtes au pied du mur. Nous vous tendons la main. C'est à vous de la prendre.
Je reste propriétaire indivis de la proposition de loi, avec mes collègues, mais nous vous en céderons volontiers l'usufruit.
Sourires.
Si vous ne vous sentez pas d'humeur à respecter les consignes de votre groupe, mieux vaut une abstention ou une absence, qui permet un progrès, qu'un vote négatif qui paraîtrait incompréhensible aux Français lassés des guéguerres politiciennes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et UDI-Agir.
« Le premier des droits de l'homme, c'est la liberté individuelle, la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail. » Je vous invite à faire usage de la première et de la troisième des libertés précitées afin de sauver la seconde, en actionnant dès maintenant la quatrième.
Sourires. – Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
J'ai bien entendu l'exposé du rapporteur de la proposition de loi.
Au-delà du rappel parfaitement justifié des valeurs fondamentales de la République, qui sont, je le sais, partagées sur tous les bancs, je pense que, dans une matière toujours importante pour nos concitoyens – le respect de la propriété privée – , comme d'ailleurs dans toutes les matières, ce qui compte, c'est aussi d'être fidèle à la règle de droit.
Monsieur le rapporteur, vous posez des questions relatives à des réalités auxquelles un certain nombre de réponses ont été apportées au fil des années par les gouvernements successifs. Aujourd'hui, du moins c'est ce que je considère personnellement, il existe déjà des dispositifs. À la suite de la discussion du projet de loi ELAN, j'ai réexaminé ce dossier, sur lequel nous continuons à travailler.
Si – vous l'avez compris – nous ne prendrons pas en l'état votre proposition de loi, nous continuerons à réfléchir pour essayer d'avancer. Cependant, je le dis d'entrée pour que les choses soient claires : le problème essentiel est non d'ajouter un texte de loi à tous les autres, mais d'essayer de faire appliquer de manière ferme et précise les lois qui existent dans la République.
Tout à fait ! Vous avez raison de le dire, et c'est exactement ce que je pense. C'est d'ailleurs ce que je rappelle constamment. Je l'ai suffisamment dit quand j'étais sur les bancs de la majorité ou de l'opposition pour ne pas changer de discours aujourd'hui. Il y a effectivement des problèmes d'exécution.
Absolument ! Bien sûr, nous rencontrons un certain nombre de faits. Je n'ose pas parler de faits divers, car chacun a toute son importance pour les victimes. La mission des législateurs que vous êtes ne se résume jamais à des agrégats, à des chiffres, à des abstractions. Il s'agit de la vie quotidienne que, à quelque groupe politique que nous appartenions, nous essayons avec autant de conviction d'améliorer.
« En même temps », selon la formule consacrée, nous devons conserver la juste distance, le recul nécessaire pour ne pas légiférer après chaque fait divers, ce qui a souvent été le cas. Je m'entends encore contester devant la Haute Assemblée l'accumulation de textes répressifs renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux. Or nous avons régulièrement aggravé les sanctions sans jamais parvenir à empêcher les chiens de mordre. Je sais aussi que certains textes régleraient les problèmes, s'ils étaient plus fermement appliqués.
Monsieur le rapporteur, nous avons examiné votre proposition de loi, au lendemain des débats récents sur le projet de loi ELAN. La chancellerie étant compétente en la matière, j'ai demandé son expertise, ainsi que la présence de ses services ce soir mes côtés. À cet égard, je vous prie d'excuser l'absence de la garde des sceaux, qui part ce soir en Chine avec le Premier ministre, et ne peux donc être présente sur les bancs de l'Assemblée nationale.
Je la remplace bien volontiers, sans doute avec moins de talent.
Sourires.
La proposition de loi a pour objectif de mieux protéger la propriété privée. Tout en garantissant sa protection, elle tend à accélérer les délais de procédure qui existent aujourd'hui.
La propriété figure effectivement au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la déclaration de 1789. Mais nous sommes là dans l'application de textes tant de droit pénal que de droit civil.
Le droit pénal protège le domicile au nom du respect de la vie privée, constitutionnellement garanti. C'est ainsi qu'il sanctionne, à l'article 226-4, le délit d'introduction dans le domicile d'autrui ou de maintien dans ce domicile.
Depuis 2015 – très récemment, donc – et l'adoption d'une proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile, texte initié au Sénat par Mme Natacha Bouchart – et que j'avais voté, comme une très large majorité de sénateurs – , l'article 226-4 du code pénal distingue expressément deux infractions, dont celle du maintien dans le domicile d'autrui, qui présente la particularité d'être une infraction continue – et non une infraction instantanée, comme l'est l'introduction dans le domicile d'autrui. Cette particularité permet aux forces de l'ordre, tout au long de l'occupation, d'intervenir et d'interpeller les squatteurs, quel que soit le délai écoulé. On peut donc agir après introduction dans le domicile, même plus de quarante-huit heures après l'infraction. Il s'agit là d'un outil juridique particulièrement efficace et puissant pour faire cesser des situations de squats caractérisées. J'insiste sur ce fait, car des cas sont trop souvent cités, dans la presse ou même dans cette enceinte, de Français partis en vacances et qui ne peuvent pas récupérer leur domicile, car plus de quarante-huit heures se sont écoulées. C'est inexact : la loi actuelle permet d'agir dans les plus brefs délais.
En complément de la procédure pénale existante, la loi instituant le droit au logement opposable – dite « loi DALO » – a mis en place, en son article 38, une procédure administrative permettant au préfet, lorsqu'une plainte a été déposée pour violation de domicile, d'ordonner l'expulsion des squatteurs sans attendre une décision judiciaire.
Telles sont les dispositions législatives actuelles. On peut considérer qu'elles sont insuffisamment, voire mal utilisées, mais elles existent. Par ailleurs, il convient de préciser ici que, contrairement à ce qui a pu être dit, la violation de domicile est reconnue pour les résidences secondaires et les immeubles d'habitation, dès lors qu'ils sont meublés à cet effet. Il ne peut y avoir de confusion, car tel est le droit actuel ; je ne dis pas qu'il est parfait mais, en tout cas, il est parfaitement utilisable dans ces cas de figure.
La Cour de cassation définit le domicile comme « le lieu où une personne, qu'elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée à ces locaux ». Cela concerne les résidences principales comme les résidences secondaires. Plusieurs décisions assez récentes et univoques ont été rendues en ce sens. Il en est également ainsi des dépendances d'une résidence – que ce soit, par exemple, une cour attenante à une habitation ou une cave – , des appartements meublés, même momentanément inoccupés en raison de travaux devant y être effectués, ou encore des locaux affectés à l'exercice d'un travail ou d'une profession.
Je le répète, il n'est donc pas exact d'affirmer que le droit pénal actuel ne protège pas les résidences des Français lorsque ceux-ci s'absentent pendant plus de quarante-huit heures. Il n'est pas exact d'affirmer qu'il n'est pas possible d'interpeller et de déloger les auteurs de l'infraction de violation de domicile plus de quarante-huit heures après leur entrée dans les lieux. Le droit actuel, grâce notamment aux évolutions législatives des dernières années, le permet. Mais il est vrai qu'il peut parfois subsister dans l'esprit de nos concitoyens des ambiguïtés sur ces points, qu'il convient de lever.
En complément des protections apportées par les procédures pénales et administratives, que je viens d'évoquer, s'agissant de la protection du domicile, le droit civil, en particulier l'article 544 du code civil, confère une protection plus large au droit de propriété, et ce de manière efficace, comme l'attestent les données statistiques du ministère de la justice.
La procédure de référé civil permet de solliciter du tribunal d'instance l'expulsion à bref délai de squatteurs de tout logement ou bien immobilier, quand bien même celui-ci ne peut recevoir la qualification de « domicile ». La même procédure de référé peut être utilisée devant le tribunal de grande instance concernant les terrains occupés non bâtis ; c'est le cas, notamment, lorsque des caravanes s'installent sans autorisation sur le terrain d'autrui. Pour avoir présidé un exécutif pendant seize ans, je conviens que l'application de ces dispositions législatives peut – je l'ai vécu – se révéler compliquée. Tel est, néanmoins, le droit positif.
Devant les tribunaux d'instance, en moyenne, les décisions en référé sont rendues dans un délai de trois mois – j'ai vérifié ces statistiques, que je tiens à votre disposition. Devant les tribunaux de grande instance, elles sont rendues, en moyenne, dans un délai d'un mois et demi. En principe, la décision ordonnant l'expulsion ne peut pas être exécutée avant l'expiration d'un délai de deux mois – qui s'ajoute au délai précédent – à compter de la délivrance d'un commandement de quitter les lieux. Le juge des référés peut cependant, si les occupants sont entrés dans le lieu par voie de fait, ce qui est évidemment le cas en matière de squat, réduire ou supprimer ce délai. Ce n'est pas, j'en conviens, une obligation. Le juge peut également autoriser, par exception, l'expulsion de personnes entrées par voie de fait durant la trêve hivernale. La loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové – dite « loi ALUR » – et la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté ont entraîné des évolutions ; je n'ai pas vu, d'ailleurs, dans la proposition de loi, de modification de ces deux textes. Le problème peut effectivement se poser puisque, pendant la période hivernale, quel que soit le type d'occupation, il peut ne pas y avoir d'expulsion – je ne pense pas que le cas inverse se produise souvent.
Je veux revenir sur l'affaire que vous avez évoquée, qui avait justement ému l'opinion publique il y a quelques années : celle de Mme Thamin, âgée de 83 ans, qui s'était trouvée confrontée à des squatteurs dans sa maison inoccupée en Bretagne.
La Bretagne est grande !
Sourires.
Dans cette affaire, le tribunal d'instance de Rennes a mis moins d'un mois, entre l'introduction de l'instance en référé – dans le cadre d'une procédure civile – et le délibéré, pour ordonner l'expulsion sans délai des squatteurs qui occupaient sa maison. L'immeuble appartenant à cette dame avait été occupé à compter de septembre 2013, mais ce n'est que le 12 mai 2015 – vingt mois après – que Mme Thamin avait effectivement engagé une procédure d'expulsion, en référé, devant le juge d'instance de Rennes. Telle est la réalité des faits. L'affaire a été évoquée à l'audience du 22 mai, et la décision prononçant l'expulsion des occupants a été rendue le 29 mai, soit sept jours après. Les dix-huit mois d'occupation de cet immeuble, dont la presse s'est fait l'écho, se sont en réalité écoulés en dehors de toute saisine d'une juridiction de l'ordre judiciaire. Ces précisions permettent de rétablir la réalité des faits.
Comme vous le voyez, chiffres et exemples à l'appui, il est donc inexact de considérer qu'en pratique la justice ne serait pas diligente pour ordonner les expulsions des squatteurs. Nous vous communiquerons les chiffres.
J'ai néanmoins conscience que, dans ce type de dossier, face à la détresse des propriétaires, la justice doit être particulièrement diligente pour examiner en référé les assignations. Dans l'affaire également citée – de ce début d'année, à Garges-lès-Gonesse, les faits ont également été vérifiés. Là encore, le pavillon squatté ne constituait pas le domicile du propriétaire. Il n'était plus habité depuis de nombreuses années, à la suite d'une procédure contentieuse de succession. Le propriétaire a porté plainte mais n'a pas intenté d'action civile. Des pressions ont été exercées par des jeunes du quartier pour que les occupants s'en aillent. Ces jeunes ont eux-mêmes assuré une grande publicité à leurs actions sur les réseaux sociaux. S'il n'y a pas eu de violence, il n'en reste pas moins qu'il est tout à fait inadmissible qu'une justice privée se mette en place – même si, en l'occurrence, la justice n'avait pas été saisie.
Monsieur le député, vous avez cité précédemment un article de journal publié il y a trois jours. Il concernait non pas un squat, mais une location parfaitement régulière, si ce n'est que loyer n'était pas versé, ce qui a entraîné les difficultés que vous avez mentionnées pour la personne propriétaire des immeubles. Mais il s'agissait, à l'origine, d'une location tout à fait régulière.
Oui, et alors ? Cela correspond à l'objet de la proposition de loi, qui ne traite pas que des squats !
Je ne vous ai pas dit le contraire.
S'agissant de l'exécution des procédures – qui est, à mon avis, le sujet principal – , notamment de l'octroi du concours de la force publique, le taux de réponse positive est aujourd'hui de 67 %, selon les statistiques du ministère de l'intérieur. On peut considérer, ce que j'entends parfaitement, que ce taux est insuffisant, encore qu'il soit en progression depuis plusieurs années.
Saisi de demandes de concours de la force publique pour permettre l'exécution de jugements d'expulsion, le préfet est déjà tenu d'y répondre favorablement, sauf s'il est confronté à des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d'expulsion, telles que l'exécution de celle-ci serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine. Il s'agit, là aussi, d'une jurisprudence tout à fait univoque du Conseil d'État. Lorsque l'administration est saisie d'une demande de concours de la force publique pour l'exécution d'une décision d'expulsion, elle dispose d'un délai d'instruction de deux mois pour étudier la demande de concours et faire connaître sa position. On peut là encore considérer – c'est une position parfaitement défendable – que ce délai est trop long, et qu'il conviendrait de le raccourcir.
Vous savez, monsieur le député, pour avoir exercé la profession d'avocat pendant trente-huit ans, j'ai acquis une certaine expérience des décisions d'expulsion – ayant été du côté des requérants comme des personnes poursuivies. Il y a d'ailleurs, parmi nous, un certain nombre de confrères. La question des délais est régulièrement posée, et ils ne sont souvent pas respectés, ce qui constitue aussi un vrai problème en matière d'exécution des décisions.
Au regard des dispositions que j'évoquais, le Conseil d'État a jugé que le refus exprès du préfet, ou son refus implicite né à l'expiration de ce délai, est de nature à engager la responsabilité de l'État. Cette règle, que vous connaissez, figure aujourd'hui dans les textes. Dans ce cas, le propriétaire est indemnisé de la perte des loyers, des charges locatives, des préjudices moraux, des dégradations. Vous me direz que cela nécessite une procédure complémentaire, parfois longue, et très désagréable pour la victime de l'inaction de l'État. Telle est en effet la réalité.
Peut-on améliorer les choses ? Certainement, en ce qui concerne l'exécution de la décision de justice. En effet, lorsqu'une personne obtient une expulsion en justice et est confrontée à l'inexécution de l'autorité administrative, en l'occurrence du préfet, elle éprouve évidemment un sentiment d'injustice et d'impuissance. En réalité, près de 90 % des décisions sont le fruit d'un accord amiable entre la victime et l'administration. Je fais néanmoins partie de ceux qui considèrent qu'il faut accélérer les évolutions et parvenir à un taux supérieur d'exécution des décisions judiciaires d'expulsion – je le dis très clairement aux honorables représentants de l'administration. Je suis convaincu que des efforts doivent être entrepris en ce sens, mais je maintiens, monsieur Aubert, que les textes existant sur ces sujets permettent à nos concitoyens de faire reconnaître leurs droits, ce qui est l'essentiel.
J'entends vos propos concernant la vie quotidienne des Français. Que l'on appartienne à l'opposition ou à la majorité, on s'efforce de l'améliorer mais, dans notre beau pays, on a une spécialité : dès qu'un problème se pose, on fait une loi nouvelle. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution.
Je l'ai dit à plusieurs reprises lors des débats parlementaires : j'ai voulu que la loi ELAN soit un texte de simplification.
Non, ce n'est pas du tout raté, même si vous avez contribué à l'allonger un peu.
Avec succès, parfois.
Sourires.
Sérieusement, je ne crois pas qu'il faille ajouter un texte législatif à chaque fois qu'un fait divers se produit. L'urgence est plutôt de regarder la façon dont on peut améliorer l'exécution de nos textes. Vous ne m'entendrez jamais dire que ce que nous faisons est parfait, mais nous avons tous été responsables, les uns après les autres, de la quantité de textes législatifs et réglementaires accumulés. Quoi qu'il en soit, quand un texte porte des simplifications, il faut y aller.
C'est ce que nous essayons de faire.
Monsieur le rapporteur, il est normal que vous posiez cette question et qu'on essaie d'améliorer les choses dans l'exécution. Je suis en train de travailler pour voir si l'on peut encore améliorer la loi. Néanmoins, en l'état, le Gouvernement ne peut pas accepter votre proposition de loi.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. » Chacun, je crois, aura reconnu l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. On y remarque que le droit de propriété est mentionné en toutes lettres et placé au même niveau que le droit à la liberté, par exemple.
Pourtant, dans les journaux, nous découvrons des faits divers comme celui-ci : « Le confort douillet de son domicile, Serge, 60 ans, n'en garde qu'un lointain souvenir. Cet ancien sportif de haut niveau, aujourd'hui invalide à 55 %, n'est tout simplement plus le bienvenu chez lui, dans l'appartement qu'il possède depuis 1992 [… ], squatté en toute impunité, depuis trois mois, par un couple et deux enfants en bas âge. Les occupants sont entrés par effraction, ont changé les serrures, ont modifié le contrat EDF et se sont littéralement installés. Le propriétaire n'a réalisé ce qu'il se passait que plusieurs jours après, lorsque le syndic de l'immeuble l'a contacté pour le prévenir qu'un homme avait essayé de se faire passer pour lui, afin d'obtenir un badge d'accès au parking. »
Ce cas n'est pas isolé, loin de là. Souvenons-nous d'exemples plus médiatiques, comme celui, déjà exposé par mon collègue Julien Aubert, de Garges-lès-Gonesse, après l'expulsion des occupants par des jeunes de la région, ou encore celui de l'« affaire Maryvonne », du nom de cette octogénaire mise à la porte de sa maison par des squatteurs en 2015.
Il faut se pincer pour savoir si cela est bien la réalité ou un cauchemar dans un pays comme le nôtre. Est-ce donc à dire que le droit de propriété est un droit de seconde zone, moins important que les autres, au point de se voir impunément bafoué de la sorte ? À lire ce récit glaçant, nous pouvons effectivement nous poser la question et parler d'impunité pour les occupations illicites. D'autant que ces histoires ubuesques sont tragiques pour ceux qui les vivent et peuvent arriver à n'importe qui. Personne n'est à l'abri d'une occupation illicite de son domicile, car il est aussi facile pour des squatteurs de violer un domicile que difficile pour la force publique de les en déloger. Pour y faire face, les propriétaires se sentent souvent démunis, voire abandonnés, par les pouvoirs publics. Pire, ils estiment que le droit n'est pas de leur côté et qu'à l'inverse, il protège ceux qui occupent leur maison en toute illégalité. Ces situations anormales et inadmissibles défient ouvertement l'autorité de l'État et sa capacité à garantir l'ordre public. Ce n'est pas acceptable dans notre État de droit.
Si l'État ne remplit pas ses obligations les plus élémentaires, comme celle de faire cesser les atteintes au droit de propriété, alors notre contrat social est en péril. Car, pour pallier la faiblesse de l'État, nos concitoyens confrontés à de telles situations envisagent parfois de se faire justice eux-mêmes et de déloger les occupants. Si cela est illégal et répréhensible, tout comme l'est l'occupation illicite d'un logement, comment ne pas les comprendre lorsqu'on connaît la procédure judiciaire qui les attend ? Déposer une requête auprès d'un tribunal de grande instance afin qu'un juge désigne un huissier, qui sera le seul habilité à entrer dans le logement pour relever les identités des occupants, puis engager une procédure d'expulsion auprès du tribunal d'instance, qui fixera une date d'audience, et, enfin, une fois l'expulsion ordonnée par un juge, obtenir le concours de la préfecture pour déloger les occupants.
La législation actuelle n'est pas adaptée à cette nouvelle forme de délinquance, qui prend des proportions importantes et menace le « vivre-ensemble ». Notre droit est même incohérent et semble protéger toujours davantage les délinquants. En effet, s'introduire dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, peut entraîner une condamnation d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, tandis que déloger un occupant en ayant recours à la violence peut être puni de trois ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Or la violation du droit de propriété doit être autant condamnée que l'usage de la violence, et c'est d'ailleurs l'objet d'un amendement que j'ai déposé. La proposition de loi de notre collègue Julien Aubert renforce à raison et opportunément notre arsenal juridique contre ces situations inacceptables.
Pour conclure, j'espère que cette proposition de loi sera accompagnée d'une volonté politique de mettre fin au laxisme, mais cela n'est plus de notre compétence ni de notre responsabilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains visant à lutter contre les occupations sans droit ni titre d'un bien immobilier et à défendre les propriétaires et les locataires dans leurs droits, traite d'un sujet que les députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés jugent primordial. Il touche en effet à l'intégrité des biens immobiliers de nos concitoyens, au droit au logement et à la vie privée. Par ailleurs, il constitue un problème ancien et récurrent, qui aurait dû être mieux appréhendé depuis longtemps. Aussi sommes-nous reconnaissants envers nos collègues du groupe Les Républicains de soulever ce sujet dans leur niche.
La proposition de loi présente des pistes de solution pour mieux lutter contre un problème auquel nombre d'entre nous ont pu être confrontés et qui touche des centaines de nos concitoyens, démunis face à des procédures d'expulsion parfois laborieuses, nécessitant une meilleure prise en charge et une meilleure application du droit. Il est donc parfaitement légitime que la représentation nationale s'en saisisse et l'examine.
Il est d'autant plus important que nous nous exprimions sur le sujet que, vous l'avez dit, plusieurs cas fortement médiatisés ont contribué à sensibiliser les Français sur ce problème ces dernières années, et permis d'alerter sur la lenteur des procédures et les difficultés de leur application. Le cas de cette dame octogénaire, désormais célèbre, nous a tous interpellés.
Avant de déposer votre proposition de loi, vous avez d'abord présenté une série d'amendements sur ces questions lors de l'examen du projet de loi ELAN – portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Nous, députés membres du groupe MODEM, vous avons alors soutenu. En effet, ce projet de loi, qui traite de l'accession à la propriété, de la mobilité ou encore de la lutte contre l'habitat indigne, parmi bien d'autres thèmes, présente des lacunes sur le volet relatif au droit de propriété. Nous avons toutefois exprimé des doutes quant au dispositif législatif auquel vous pensez, doutes réitérés récemment en commission des affaires économiques et qui persistent, car la rédaction de certains articles ne nous semble pas opportune. Nous conservons néanmoins la conviction que les élus de la nation doivent traiter ce sujet.
En l'état actuel du droit, le législateur prévoit une distinction de procédure entre l'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier quelconque – un logement vacant, un bureau, un immeuble, un box de parking – et celle d'un domicile. La première relève du code des procédures civiles et ne peut emporter le recours à la force publique, alors que la seconde relève du code pénal. Dans le cas des occupations sans droit ni titre de locaux vacants, comme évoqué au cours des débats en commission, les procédures peuvent être particulièrement longues et laborieuses, et les notifications de quitter les lieux ne sont pas systématiquement suivies d'effet immédiat. Parfois, elles peuvent prendre plusieurs mois, ce qui provoque l'exaspération bien compréhensible des victimes.
Rappelons toutefois, puisque cela a également été évoqué au cours de ces débats et que cela a été l'un de vos arguments pour justifier l'utilité de ce texte, qu'une application lente ou insuffisamment opérante des procédures de justice ne justifie en rien le recours à la justice privée. De tels recours, lorsqu'ils ont lieu, ne se justifient jamais, mais reconnaissons qu'ils existent et qu'ils révèlent l'exaspération des personnes victimes de squat. Dans le cas des occupations d'un domicile, à l'inverse, le préfet peut, après décision du juge, mettre en demeure les occupants de quitter les lieux et, le cas échéant, recourir à la force publique pour faire exécuter cette décision.
Dans ce texte, vous proposez, en réécrivant l'article 38 de la loi DALO et l'article 226-4 du code pénal, d'assimiler en droit ces deux formes d'occupation. Un tel changement se justifie par le flou juridique relatif que revêt la notion de domicile. Vous le mentionnez, monsieur le rapporteur, dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a successivement retenu des notions différentes du domicile, incluant tantôt les résidences secondaires, non occupées durant une partie importante de l'année, les excluant ensuite, en disposant qu'un immeuble vacant ou inoccupé au jour de l'intrusion ne saurait être considéré comme un domicile.
À cette convergence des régimes juridiques, qui permettrait d'inclure les résidences secondaires et les logements occupés de manière discontinue, mais qui effacerait une distinction du droit qui n'est pas injustifiée au regard de la nature des différentes formes d'occupation – je pense notamment à l'occupation de locaux ne constituant pas des logements, que vous semblez ignorer dans ce texte – , vous ajoutez un article visant à augmenter les peines encourues par les personnes jugées coupables d'occupation illégale. Ainsi, l'article 2 de cette proposition de loi prévoit d'exclure de l'ensemble des bénéfices de la loi DALO toute personne s'étant rendue coupable d'occupation illégale d'un bien immobilier, qu'il s'agisse ou non d'un logement occupé ou d'un local vacant d'une autre nature. Nous vous avons déjà alerté, en commission, sur le fait que nous jugeons cette disposition disproportionnée. Vous avez d'ailleurs reconnu, au cours des débats, qu'exclure des bénéfices de la loi DALO des personnes jugées coupables d'une occupation illégale d'un domicile, était déjà une disposition exceptionnelle du droit commun, que nous ne souhaitons pas étendre.
En outre, l'article 4 de la proposition de loi prévoit d'élargir les dispositions de l'article 226-4 du code pénal, afin de rendre condamnable d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende l'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier appartenant à un tiers. Surtout, il propose un renversement de la charge de la preuve dans les cas d'occupation illégale. Alors qu'il incombe aujourd'hui au plaignant de prouver que le logement ou le local occupé lui appartient et qu'il ne l'a pas mis à disposition de l'occupant, il sera désormais demandé à ce dernier de prouver sa bonne foi. Une fois encore, l'idée nous semble plus que pertinente et nous en comprenons le but : empêcher les cas où, en prouvant leur implantation dans le logement ou le local depuis plus de quarante-huit heures, les occupants peuvent bénéficier d'un droit à y rester jusqu'à ce que la preuve de l'illégalité de leur présence soit établie et la sanction appliquée. Nous conservons toutefois des doutes, tant sur la rédaction du dispositif que sur l'application d'une telle clause, qui, associée au reste du texte, contribue à son déséquilibre général à nos yeux.
En outre, nous comprenons moins la nécessité du dispositif que vous prévoyez à l'article 6. Vous souhaitez en effet créer une nouvelle forme de bail pour les mises à disposition à titre gratuit d'un logement. Ce type d'opération fait le plus souvent l'objet d'un accord oral entre personnes proches ou d'une même famille. Si l'on peut concevoir la détérioration occasionnelle de tels accords, ceux-ci nous paraissent peu enclins à provoquer des situations de squat illégales, que vous visez à travers cette proposition de loi. Ce dispositif nous semble contraignant et peu utile : ne risque-t-il pas de mettre en difficulté les occupants logés à titre gratuit ? En effet, ceux-ci pourraient à l'avenir, si votre proposition de loi était adoptée, être sommés de quitter les lieux dans un délai d'un mois, sans possibilité de recours.
Vous l'avez compris, nous sommes favorables à ce que ce sujet soit traité. Si certaines dispositions de votre proposition de loi nous paraissent disproportionnées et contribuent à déséquilibrer le texte, nous adhérons à sa philosophie générale : l'amélioration du droit de la propriété et de son fonctionnement, afin de mieux protéger les propriétaires et les locataires contre les occupations illégales, et de faire exécuter les décisions de justice plus rapidement et avec plus d'efficacité. Bien entendu, d'autres mesures pourraient être ajoutées afin de raccourcir les délais d'exécution des sentences ou de donner davantage de moyens aux préfets pour mener les opérations d'expulsion.
Monsieur le ministre, j'ai bien noté la prise en compte de ce problème avéré. Nous sommes attachés à ce que ce travail se concrétise et progresse car la proposition de loi de nos collègues ne nous paraît pas assez aboutie. Nous reconnaissons, comme vous, la nécessité de mieux lutter contre les occupations illégales et de mieux protéger les propriétaires dans leur bon droit. À nos yeux, le problème nous semble prioritairement résider dans une mauvaise application du droit existant, peu lisible et opérant. Des modifications de ce droit sont donc les bienvenues voire nécessaires, mais elles ne doivent pas conduire à davantage de précarité.
Pour l'ensemble de ces raisons et parce que les membres du groupe MODEM sont très sensibles au sujet que nous étudions ensemble, nous resterons particulièrement vigilants quant à l'évolution des travaux relatifs à ce sujet dans la loi ELAN, et nous n'hésiterons pas à nous investir davantage sur cette question au cours de la navette. Il s'agit de lui trouver une réponse appropriée et effective. Le groupe MODEM ne votera donc pas cette proposition de loi, l'objectif devant être atteint dans le texte relatif au logement en cours de discussion au Parlement.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, comme la précédente, cette proposition traite d'un sujet quotidien et concret. Je tiens tout d'abord à saluer le travail du rapporteur, M. Aubert, qui a vocation à mieux protéger les propriétaires se retrouvant dans des situations souvent délicates lorsque leurs biens sont occupés contre leur gré.
Eu égard aux différentes situations dans nos circonscriptions, concernant ces occupations illicites, il est logique que nous, représentants du peuple français, fassions ce qui est en notre pouvoir pour mieux protéger nos concitoyens, cela ne fait pas l'ombre d'un doute.
Ces situations ne sont pas rares ; la presse s'en fait régulièrement l'écho, et je ne vais pas reparler de cette dame de quatre-vingt-trois ans dont chacun a parlé et dont le prénom est Maryvonne – c'est la seule chose qui nous a échappé. Malheureusement, les cas médiatisés ne sont pas les seuls. Il y en a de nombreux autres, même si le phénomène est difficilement quantifiable.
La réaction que nous devons avoir n'est pas celle face à un fait divers mais face à un véritable vide législatif. En effet, l'arsenal juridique n'est pas toujours efficace, monsieur le ministre, pour lutter contre les occupations illicites, et, vous l'avez dit, la jurisprudence est fluctuante.
Ce sujet, l'atteinte au droit de la propriété, est essentiel. Il faut constater que nous n'arrivons simplement plus à faire respecter le droit. Ce genre de situations, où l'on a tendance à léser les propriétaires plus qu'à réprimer ces occupants illégaux, renforce voire crée un sentiment d'insécurité face aux agissements d'une minorité de la population ainsi qu'un sentiment d'abandon de la part de l'État.
Cela me rappelle nos débats d'il y a quelques jours, lors de l'examen du projet de loi ELAN, à propos d'amendements visant à mieux réprimer les occupations de halls d'immeubles : nous sommes typiquement face à un problème qui pollue le quotidien de nos concitoyens sans trouver de réponse politique, et cela ne fait qu'accroître le vote pour les extrêmes.
C'est également vrai des occupations illicites de logements. Il est de notre devoir de parlementaires d'y répondre.
La présente proposition de loi avance des pistes intéressantes et légitimes pour lutter contre l'occupation de biens d'autrui, même si certains points sont à revoir sur le plan juridique, et nous allons y travailler. L'enjeu principal du texte est de rééquilibrer le droit en étendant le dispositif de lutte contre l'occupation illicite d'un domicile aux biens immobiliers dans leur ensemble. Ce sujet a également été évoqué par voie d'amendement, il y a quinze jours, dans cet hémicycle, et je regrette que le projet de loi ELAN, en faveur duquel nous venons de voter, n'aborde pas ce problème malgré le consensus qui s'est dessiné pour le traiter.
Un de nos amendements, défendu par Jean-Luc Warsmann, visait à porter de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures la durée pendant laquelle le flagrant délit d'occupation illicite peut être constaté. Il a été rejeté ; je le regrette. Les amendements de notre rapporteur Julien Aubert l'ont également été.
C'est l'un des points du texte ELAN sur lesquels notre groupe a été déçu par les réponses du Gouvernement. L'argument était purement juridique, le ministre ayant évoqué des risques constitutionnels. C'est également ce que la majorité a dit, la semaine dernière, en commission des affaires économiques.
Pour ma part, monsieur le rapporteur, je ne citerai ni Proudhon ni Jaurès.
Pour ce qui me concerne, je me laisserai caresser les mains par Montesquieu et je dirai que nous sommes ici pour faire la loi : il est évident que nous devons la rédiger « d'une main tremblante » en évitant de potentielles censures du Conseil constitutionnel. Cela étant dit, essayons d'être un peu hardis et évitons cette soumission systématique au Conseil constitutionnel.
Notre Constitution consacre le droit de propriété ; si une réponse ferme face aux occupations illicites est empêchée, il faudra y réfléchir dans le cadre de la révision à venir. En tout cas, le statu quo n'est pas tenable. Une réponse politique urgente est nécessaire parce qu'on l'a promis aux citoyens. Les faits sont là, les cas d'occupation illégale sont nombreux, nos concitoyens réclament de l'aide et ce texte peut répondre à ce besoin.
L'une des difficultés est que la procédure d'évacuation prévue à l'article 38 de la loi DALO ne peut être enclenchée qu'en cas de manoeuvres, menaces, voies de fait ou de contraintes, ce qui n'est pas toujours le cas dans les installations illicites, il faut l'avoir vécu.
Il est nécessaire d'élargir le champ de la législation en incluant tout bien immobilier en tant que propriété, qu'il s'agisse par ailleurs d'une résidence principale comme d'une résidence secondaire. Les personnes possédant un bien autre que leur domicile ou même plusieurs ont travaillé toute leur vie pour parvenir à se construire un patrimoine et il est naturel, que dis-je, il est logique d'inclure leurs possessions dans la notion de droit de propriété. Ces citoyens sont parfois des personnes âgées utilisant leurs biens immobiliers en tant qu'unique ou quasi unique source de revenus. Lorsque ceux-ci sont occupés illégalement, la perte de revenus est évidente et c'est une épreuve qui peut être difficile à surmonter pour eux. À ce titre, les articles 1er et 4, qui clarifient la législation et renforcent ce qui n'est rien d'autre qu'un droit fondamental, le droit de propriété, sont essentiels et permettront de protéger plus efficacement nos concitoyens.
Il a été relevé, en commission, que le cadre législatif, notamment la possibilité pour le juge d'ordonner l'évacuation des lieux, permettait déjà de lutter efficacement contre l'occupation d'un bien immobilier. Or, dans les faits, les juges ne demandent que très rarement l'évacuation des lieux. Si le cadre législatif était satisfaisant et efficace, nous ne serions pas là ce soir, mais dehors, à la fête de la musique.
Parfois, ce sont les habitants d'une commune eux-mêmes qui viennent en aide aux propriétaires. Cette façon de faire n'est pas acceptable car elle pourrait engendrer des situations encore plus délicates que la simple occupation d'un bien. Lorsque ce sont les citoyens eux-mêmes qui tentent de rétablir l'ordre, les événements peuvent vite se dégrader. C'est pourquoi cette proposition de loi est nécessaire.
Un autre aspect intéressant et indispensable pour aider davantage les propriétaires est l'inversion de la charge de la preuve : ce n'est plus aux propriétaires d'avoir peur et de lutter pour récupérer leurs biens. Ce me semble un point important.
Il faut aussi mentionner un aspect qui n'est pas toujours pris en compte : pour un propriétaire, devoir faire face à ce genre de conflit représente bien souvent un poids psychologique très important, cela se comprend aisément. En plus de ne plus pouvoir disposer de son bien, souvent endommagé de surcroît, il doit passer par des procédures judiciaires interminables et complexes. Cette charge n'est pas à minimiser, surtout s'il s'agit de personnes âgées, pour lesquelles il est complexe de faire intervenir la justice ou les forces de l'ordre. Il nous est impératif de changer le droit et de mieux protéger les propriétaires, ne serait-ce que pour simplifier les démarches juridiques en cas de conflit.
L'article 2 touche une partie sensible du problème : occuper des biens sans l'accord du propriétaire n'est pas excusable, mais durcir la loi doit s'accompagner d'une réponse pour ceux qui sont en situation de grande précarité et ont besoin d'être logés. Il me semble objectivement que ce volet existe de façon ambitieuse dans le plan quinquennal pour le logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme, présenté par le Président de la République en septembre dernier.
Mes chers collègues, le texte va dans le sens d'une amélioration du cadre juridique concernant le droit de propriété. Il clarifie le dispositif en cas d'occupation illicite tout en renforçant les droits des propriétaires pour mieux les protéger et les aider en cas d'occupation illégale. Travaillons ensemble à un dispositif équilibré. À cet effet, le groupe UDI, Agir et indépendants soutiendra cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'objectif de cette proposition de loi est de lutter contre les squats de biens immobiliers, d'abord en renforçant le droit de propriété, en expulsant les squatteurs. Ensuite, le texte propose d'accélérer l'exécution des décisions de justice.
Plusieurs faits divers mettant en scène des résidences principales squattées pendant des congés ou des propriétaires se faisant justice eux-mêmes ont été rapportés par la presse durant les vacances d'hiver et bien avant. Il ne s'agit donc pas de nier la réalité d'un phénomène réel qui cause bien des nuisances à bon nombre de nos concitoyens. Ce texte permet de mettre en lumière des situations souvent complexes. C'est une excellente chose, s'agissant d'une des préoccupations majeures des Français.
Si notre groupe partage le constat que les dispositions actuelles manquent d'efficacité, la proposition de loi, qui prétend les renforcer, pose plusieurs difficultés, que je vais synthétiser.
Premièrement, elle comporte des failles juridiques. Par exemple, elle ne différencie pas le cas d'une association agissant pour des raisons politiques de lutte pour le droit au logement et permettant à des familles modestes d'occuper un immeuble vide depuis plusieurs années, du cas de bandes organisées qui squattent délibérément un bâtiment en profitant d'une faille juridique. À cet égard, je tiens à souligner que nous avons été alertés par des associations humanitaires et de lutte pour le droit au logement. En effet, ce texte fait peser une grave menace sur les personnes en grande difficulté. Dans la grande majorité des cas, il s'agit de locaux d'activité vacants pour lesquels aucun projet ne justifie une expulsion rapide et en tout état de cause sans solution d'hébergement. La proposition de loi exclurait de surcroît ces personnes du bénéfice du droit au logement opposable, ce qui contribuerait à précariser davantage des situations déjà très complexes. Il y a là une volonté de stigmatisation que nous ne pouvons partager.
Deuxièmement, je rappelle que ce sujet n'a pas été absent des longues heures de débats sur le projet de loi ELAN. En première lecture, le groupe Nouvelle Gauche avait, sur le cas particulier de l'occupation des parties communes des immeubles, défendu un amendement visant à tirer les conséquences de l'inefficacité du système actuel, en remplaçant l'actuel délit par une contravention – c'était l'amendement no 2734 , portant article additionnel après l'article 40. Le Gouvernement s'est alors engagé à travailler sur ce problème de manière globale et approfondie lors de l'examen du texte au Sénat. Gageons que cet engagement sera tenu. Le débat nocturne qui nous occupe aujourd'hui pourrait peut-être constituer une nouvelle occasion, pour le Gouvernement, de rappeler cette promesse. Ce serait certainement de nature à rassurer les auteurs de la proposition de loi, dont je salue le travail.
Pour notre part, en raison des engagements que je viens de rappeler et compte tenu des failles que j'ai soulignées, nous nous abstiendrons sur ce texte.
Monsieur le rapporteur, vous soulevez un débat important, à partir de faits réels. Je commencerai néanmoins par souligner que, s'il existe actuellement un scandale dans notre pays, c'est d'abord celui, intolérable, du mal-logement. En termes d'échelle, ça n'a rien à voir ! Or un pays aussi important que le nôtre ne peut pas tolérer que tant de gens ne trouvent pas de logement ou soient mal logés, ce qui remet leur vie – j'insiste sur le mot – en cause.
Commençons par l'essentiel. Monsieur le rapporteur, vous êtes un excellent député, toujours fidèle à vos convictions – ce n'est certes pas moi qui vais vous en faire le reproche – même si l'on peut parfois regretter chez vous quelques excès de langage.
Sourires.
Vous avez commencé par dire que le droit de la propriété n'existait plus dans notre pays : c'était une forme d'humour, sans doute – en tout cas, pour ma part, j'ai éclaté de rire. Dans quel drôle de pays vous vivez ! M. le ministre vous a, à raison, rappelé la réalité. De grâce, les quelques cas que vous avez décrits sont suffisamment graves pour être traités avec sérieux ; ils ne sont pas là pour servir d'épouvantail à moineaux.
Oui, la loi protège déjà les propriétaires. La droite, à laquelle vous appartenez, a d'ailleurs souvent défendu le droit de propriété : en 2007, au moment de la discussion de la loi DALO, ou en 2014, quand des sénateurs de votre famille politique avaient déposé une proposition de loi « visant à faciliter l'expulsion des squatteurs de domicile », devenue ensuite loi « tendant à préciser l'infraction de violation de domicile ». Ce changement de titre montre bien qu'il existait déjà un cadre législatif, qu'il s'agissait simplement de préciser.
Cette loi existe désormais. Je ne peux donc que marcher sur les pas de M. le ministre : si nous voulons débattre sérieusement de ce sujet, il faut rappeler qu'un dispositif existe ; les quelques cas que vous pointez sont très particuliers, et il est faux de faire croire qu'il suffirait de quitter quelques jours son domicile pour qu'une personne malveillante l'occupe et que vous vous retrouviez totalement démuni. Ce n'est pas vrai !
Le droit actuel permet de réprimer efficacement l'occupation illégale du domicile ; sinon, il n'y aurait sans doute pas 150 000 SDF – personnes sans domicile fixe – en France, j'y reviendrai. Alors ne pratiquons pas la fake news, si vous me permettez l'expression : la loi existe, et elle protège la propriété privée du domicile.
Mais il faut embrasser une perspective plus large et comprendre pourquoi il arrive parfois, dans des situations dramatiques, que certaines personnes occupent illégalement un domicile. C'est en raison d'une situation que nous ne pouvons pas accepter : 150 000 personnes, je le répète, sont aujourd'hui sans domicile fixe ; selon le collectif Les Morts de la rue, 3 000 personnes meurent chaque année dans la rue ; on peut estimer qu'1 million de logements sont surpeuplés ; 3,5 millions de nos concitoyens sont mal logés et ont froid chez eux, nombre d'associations intervenant sur le terrain le constatent.
Monsieur le rapporteur, c'est d'abord à ce fléau-là qu'il faut s'attaquer. L'abbé Pierre disait : « Gouverner, c'est d'abord loger son peuple. » Si nous devons faire notre devoir, c'est d'abord en créant les conditions pour que chacun soit logé dignement.
Puisque vous avez fait beaucoup de citations, je vous en livre une à mon tour.
… déclarait : « le droit à l'hébergement [… ], c'est une obligation humaine ! [… ] Si on n'est plus choqué quand quelqu'un n'a pas un toit lorsqu'il fait froid et qu'il est obligé de dormir dehors, c'est tout l'équilibre de la société où vous voulez que vos enfants vivent en paix qui s'en trouvera remis en cause ». Tout l'équilibre de la société, disait-il ! Et de qui s'agit-il ?
Rires.
Sourires.
Eh bien oui ! C'est de là qu'il faut partir, et vous devriez être fidèle à Nicolas Sarkozy, au moins sur ce point – il est vrai qu'il était en campagne, et il arrive que certains énoncent pendant les campagnes des principes qu'ils se refusent à appliquer une fois arrivés au pouvoir… Mais il avait vu juste ! La propriété privée du domicile n'est pas celle d'une moto ou d'une voiture. Nous parlons ici de l'essentiel, du fait qu'une famille dorme dehors ou soit mal logée. Or, si elle est mal logée, c'est son espérance de vie qui est remise en cause. C'est de ces situations dramatiques qu'il faut partir. La question de la propriété privée est tout sauf abstraite.
Votre proposition de loi met sur le même plan le domicile et la propriété destinée à l'usage de domicile. Mais ce n'est pas la même chose !
Il faut distinguer l'occupation du domicile de l'occupation d'appartements possédés par quelqu'un, souvent d'ailleurs après en avoir hérité. Car nous devrions aussi nous interroger sur le fait que notre société ne permet pas de vraie mobilité, et je vous invite à relire Thomas Piketty : c'est bien dans l'héritage, notamment de la propriété foncière, que se situent les plus grandes inégalités ; il est impossible, sur une seule génération, de se créer un capital immobilier. S'il y a bien une injustice dans notre société, c'est bien que certains peuvent posséder plusieurs maisons. Non, je le dis en tant que parlementaire, le domicile de quelqu'un, ce n'est pas la même chose que les différents appartements qu'il possède, même s'ils peuvent être destinés à un usage de domicile. Du point de vue de l'intérêt général, et donc de l'ordre public, ce n'est pas pareil.
Mes chers collègues, ce sujet est sérieux. J'ai donné des chiffres, dans le même esprit que l'oratrice précédente – et j'imagine que le suivant les rappellera – , mais qui ont été peu cités dans ce débat jusqu'à présent. J'en répète donc un : on peut estimer à 3 000 personnes le nombre de personnes qui meurent dans la rue chaque année. C'est un chiffre infiniment difficile à établir mais, chaque année, il peut aller de 1 500 à peut-être 4 200 personnes. Un autre chiffre : 25 % des logements, dans le centre de Paris, sont inoccupés. Voilà la situation !
L'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme a été cité, mais il ne faut pas oublier sa deuxième partie : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment ». La propriété privée est donc déjà limitée. La nécessité publique exigerait que personne ne dorme à la rue alors que des logements sont vides, mais elle n'est pas respectée.
La nécessité publique, c'est l'État qui en décide. La proposition de loi combat des occupations illégales !
J'évoquais tout à l'heure une grande figure : l'abbé Pierre. Le droit de réquisition existe dans la législation ; ces dispositions, prises notamment sous l'influence de Jacques Chirac, ne sont pas aujourd'hui suffisamment utilisées.
Revenons à l'essentiel : nous sommes une République.
Nous proclamons : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Si cette phrase est forte, ce n'est pas parce qu'elle affirme l'égalité des droits à la naissance mais parce qu'elle affirme que les hommes « demeurent » égaux en droits. Comment faire pour que chaque citoyen ait des droits, non pas seulement proclamés, mais bien réels ?
Nous voterons, vous l'avez compris, contre ce texte, qui durcit fortement une situation déjà difficile en préférant tout propriétaire d'un bien immobilier – même s'il ne l'occupe pas, même s'il n'en fait rien, même s'il s'en sert pour spéculer, même s'il le laisse volontairement inoccupé pour le vendre plus cher dans cinq ou dix ans – à des gens qui vivraient à la rue, à une association qui défendrait des familles et réquisitionnerait un bâtiment ! La criminalisation proposée dans ce texte n'est pas tolérable !
Le préambule de la Constitution de 1946 proclame : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Croyons-nous à ces paroles ?
Considérons-nous, comme le dispose l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » ? Comment ces droits peuvent-ils devenir réalité si, je le répète, nous ne nous attaquons pas au mal-logement ?
Le sujet est grave. Il ne s'agit pas pour moi, bien sûr, de banaliser les situations difficiles que vous avez évoquées tout à l'heure, monsieur le rapporteur, et que quelques-uns de nos concitoyens ont effectivement rencontrées. Mais prenons un peu de recul et ne perdons pas de vue les échelles.
S'il y a un drame, c'est que des bâtiments restent vides alors qu'un très grand nombre de personnes vivent dans la rue, voyant ainsi leur situation matérielle et leurs droits de citoyens remis en cause, et que beaucoup même y perdent la vie.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, durant les débats parlementaires autour de la loi ELAN déjà, plusieurs amendements visant à modifier la législation de l'occupation sans droit ni titre avaient été déposés par les parlementaires de droite, remettant dangereusement en cause les combats législatifs menés contre le mal-logement. Si nous pouvons nous féliciter que ces amendements aient été rejetés en première lecture par notre chambre, force est de constater que ce courant de pensée est malheureusement tenace…
… puisqu'il est à l'origine de cette discussion sur une proposition de loi tout à fait sidérante.
La crise du logement dans notre pays atteint un point critique. Selon les chiffres de la Fondation Abbé-Pierre – celle-là même qui, avant-hier, épinglait le nouveau coup de rabot sur l'aide personnalisée au logement, l'APL, décidé par le Gouvernement – , ce sont quotidiennement presque 150 000 personnes qui dorment dans les rues. Et en même temps, l'INSEE dénombre près de 3 millions de logements vacants. Cela donne donc un ratio de vingt logements vacants pour chaque sans domicile fixe. La crise du logement que nous connaissons dans de nombreuses villes en France n'est donc rien d'autre qu'une crise de la vacance des logements. Et quand je parle de logements vacants, qu'on me comprenne bien : je ne parle même pas des résidences secondaires ou des logements occasionnels, mais bien des seuls logements vacants, qui représentent aujourd'hui 8,3 % du parc de logements en France.
Pourtant, cette proposition de loi, tout en abordant le mal-logement, ne donne aucun moyen d'en traiter la cause à la racine. De façon tout à fait opportuniste, elle semble au contraire plus encline à imaginer la détresse des propriétaires – pourtant pas toujours parés des meilleures intentions quand ils agissent en marchands de sommeil – plutôt que la misère des squatteurs.
Caricature, monsieur le rapporteur ? La justice vous dira si ce sont des caricatures !
Votre proposition de loi tend, à bien des égards, à renforcer encore un peu plus le droit de propriété, pourtant déjà largement consacré, cela a été dit, par la Déclaration des droits de l'homme et par notre Constitution, parfois au détriment de l'intérêt général et du bien commun. Nous l'avons vu, hélas, pendant la discussion de la loi ELAN, et nous le voyons au quotidien dans les tribunaux devant lesquels les marchands de sommeil sont poursuivis.
En mettant en avant les squatteurs, elle prétend apporter des solutions inédites à un problème que le droit français n'aborderait pas, ou marginalement, alors qu'il existe au contraire un arsenal juridique déjà très fourni en la matière, comme M. le ministre nous l'a rappelé. En somme, elle propose des solutions à rebours des problèmes qu'elle prétend vouloir résoudre.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens d'abord à rappeler que, si la loi DALO était correctement appliquée, nous ne serions certainement pas en train de débattre de ces problèmes de squats et d'occupation illégale de logements. Alors que les commissions de médiation prévues par cette loi ont rendu plus de 243 000 décisions favorables, seules 143 000 demandes ont pu être comblées à ce jour. Il faut absolument réussir, monsieur le ministre, à faire en sorte que ce taux de satisfaction des demandes augmente et tende vers 100 % ; c'est la seule condition pour que le droit au logement devienne réellement un droit opposable. En matière de résorption des squats, peut-être une discussion sur ce sujet aurait-elle été plus efficace pour répondre à la problématique posée. Mais sans doute aurait-elle été politiquement moins porteuse pour séduire un certain électorat très convoité.
Il est d'ailleurs assez regrettable que le groupe qui propose aujourd'hui ce texte soit celui-là même qui a fait voter la loi DALO il y a tout juste dix ans. Une dizaine des cosignataires de la proposition examinée ce soir avaient d'ailleurs voté pour ce texte en 2007. Nous assistons donc à un bien fâcheux revirement de situation.
Nous verrons…
En ce qui concerne ce texte, je commencerai par partager ma surprise après en avoir lu l'exposé des motifs. Il est déplorable qu'un texte prétendant porter des revendications aussi importantes puisse s'ouvrir sur deux faits divers, dramatiques mais marginaux, …
… pour proposer ensuite des solutions lourdes de conséquence pour des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. La justice doit faire son oeuvre.
Faire de la politique à partir de quelques faits divers est déjà une mauvaise chose en soi, mais, le ministre l'a également montré, lorsque ces faits divers sont faussés et tronqués, cela devient totalement irresponsable.
Ainsi, sous prétexte de faits divers mal rapportés, visant à émouvoir l'opinion publique, cette proposition de loi cherche en réalité à servir les plus forts et à enfoncer les plus faibles dans une précarité toujours plus grande, en ne laissant à l'État qu'un rôle de répression. Ce n'est pourtant pas en agitant des chiffons rouges, en laissant croire que les propriétaires risquent l'expropriation à tout moment – ce qui est heureusement totalement faux – , que nous parviendrons à lutter efficacement contre le mal-logement et contre le squat.
Puisqu'il faut restituer les phénomènes dans leurs contextes, permettez-moi de vous rappeler une statistique : en 2015, 1 940 demandes d'expulsion ont été formulées, ce qui représente 0,0054 % de l'ensemble des logements recensés en France en 2017 par l'INSEE. Par ailleurs, une autre vérité est que la grande majorité des squats ne s'établissent pas dans le domicile des personnes mais dans des locaux inutilisés, parfois depuis de nombreuses années.
Mais qu'en est-il de ces 1 940 demandes ? C'est justement là que le bât blesse. Car, à lire l'exposé des motifs de la proposition de loi, il y a de quoi penser avec effarement que le droit est confronté à un véritable vide juridique que cette proposition de loi vise à combler de toute urgence. Pourtant, au risque d'en décevoir certains, le droit encadre justement déjà, et très largement, le phénomène d'occupation sans droit ni titre. Le principe est celui de l'obtention d'une décision de justice, laquelle peut déjà être obtenue par le biais de la procédure du référé.
Il ne s'agit pas ici d'idéaliser quoi que ce soit : il est essentiel de faire respecter le droit des propriétaires, surtout lorsque l'occupation concerne leur résidence principale. Nous appuyons sur le fait qu'il est tout simplement inacceptable que des propriétaires soient privés de la jouissance d'un bien dont ils ont l'utilité. Pour autant, le droit le fait déjà et il n'est nul besoin de légiférer à nouveau.
De plus, la proposition de loi présente également un risque découlant de sa dangerosité car, en supprimant le bénéfice du DALO aux personnes condamnées pour une occupation sans droit ni titre, c'est bien là un autre droit consacré par la Constitution que vous remettez en question sans sourciller. En proposant d'étendre la notion de domicile à l'ensemble des propriétés bâties ou non bâties, vous ne vous embarrassez même plus des acquis de 2007, dont, je vous le rappelle, votre majorité d'alors était dépositaire.
En proposant d'accroître démesurément les marges de manoeuvre laissées aux propriétaires, vous participez à une opération de victimisation largement exagérée…
… contre lesquels vous avez pourtant proposé des solutions intéressantes durant les débats sur le projet de loi ELAN. Vous devriez toujours attendre la fin de ma phrase, monsieur le rapporteur !
Face à une loi à l'évidence déséquilibrée et privée des nombreux fondements avancés dans son exposé des motifs, les députés communistes s'opposeront résolument à l'ensemble de ses dispositions inutiles, rétrogrades et, pour certaines, proches de l'inconstitutionnalité. En cohérence, nous voterons évidemment contre ce texte et espérons, en mémoire de décennies de victoires législatives pour la lutte contre le mal-logement, et en vue de toutes celles qu'il nous reste à mener, que de nombreux parlementaires ne manqueront pas de faire de même. Peut-être pourrons-nous, ensuite, nous attaquer plus sérieusement aux causes du mal-logement, dont j'ai décrit certaines.
Monsieur le ministre, vous avez dit qu'il faut améliorer l'exécution des décisions de justice. Vous plaidez donc pour le renforcement des moyens de la justice, c'est-à-dire par l'ajout de postes de fonctionnaires de justice. En effet, vous partagez certainement avec nous l'idée que les fonctionnaires de police et de gendarmerie sont en nombre insuffisant au regard des missions qui leur sont confiées pour assurer la sécurité de notre population. Il suffira donc de renforcer les moyens de police et de gendarmerie afin de mettre en oeuvre les décisions de justice prises dans notre pays et de faire valoir le droit. Par conséquent, il n'était guère nécessaire d'ajouter un tel texte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, inviolable et sacré, le droit de propriété est inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au même titre que les droits à la liberté, à la sûreté et à la résistance à l'oppression.
La propriété est l'un de nos premiers droits. C'est pourquoi, les citoyens se battent pour elle : la propriété mérite toutes les garanties.
La proposition de loi de défense du droit de propriété et créant un délit d'occupation sans droit ni titre d'un immeuble, que nous examinons ce soir, s'appuie notamment sur des cas médiatisés de squats mettant en scène des personnes vulnérables dont le logement est occupé illégalement. L'émotion suscitée lors de la médiatisation de ces cas a été largement partagée, laissant penser que la loi était du côté des squatteurs. Comment concevoir qu'en France, on puisse être mis hors de chez soi sans que les occupants ne soient inquiétés avant de longs mois ? Plus généralement, le droit à la priorité est-il véritablement protégé ?
Cependant, si certains en doutaient, je voudrais rappeler qu'il existe, dans le droit français, des procédures protégeant le droit de propriété. Il faut être clair et ne pas faire d'amalgame : lorsque l'occupation illégale concerne un domicile, l'expulsion d'un occupant hors de ce domicile peut être prononcée par le préfet dans un délai rapide. Il ne faut pas laisser penser que, du jour au lendemain, un propriétaire ou un locataire honnête se retrouvera à la rue s'il découvre qu'un squatteur est venu s'installer chez lui. Non : il récupérera son logement !
Si l'occupation concerne un bien immobilier autre que le domicile, la notion de flagrance s'applique lors de l'introduction et du maintien dans ce bien, et la police peut intervenir dans un délai de quarante-huit heures.
Au-delà de ce délai, il est nécessaire d'obtenir une décision de justice. Faut-il donc légiférer ? Telle est la question.
En tout cas, monsieur le rapporteur, le groupe LaREM n'est pas satisfait par la copie que vous proposez. Votre proposition de loi pose plusieurs problèmes de nature juridique, notamment des risques importants d'inconstitutionnalité.
Pour légiférer, ne nous laissons pas gagner par l'émotion et par la volonté de répondre aux demandes médiatiques qui peuvent surgir.
En l'état, la proposition de loi nous semble excessive. Je m'explique.
D'abord, son article 1er vise à étendre la procédure d'occupation illégale d'un domicile à tout bien immobilier. Comme je l'ai rappelé en commission, cette mesure nous semble disproportionnée, car la notion de bien immobilier renvoie tant aux logements habités qu'aux logements vacants, aux ateliers, terrains ou bureaux. Cette modification met donc en cause l'équilibre entre le droit de propriété et le droit au logement, et risque de sanctionner des personnes déjà fragiles, qui éprouvent des difficultés à se loger.
De plus, l'article 2 de la proposition vise à priver les personnes condamnées à la suite d'une occupation sans droit ni titre du dispositif du DALO, le droit au logement opposable. Cela nous semble également contre-productif : cette peine est non limitée et exclut définitivement des personnes qui rencontrent souvent des difficultés d'accès au logement.
Ensuite, la proposition de loi prévoit que, lorsqu'un juge constate une occupation sans droit ni titre par un tiers, le préfet du département où se situe l'immeuble occupé recourt dans les quarante-huit heures, sur demande du propriétaire, à la force publique, afin de déloger les tiers occupants de mauvaise foi dudit immeuble. Cet ajout pose problème : la finalité de l'incrimination de violation de domicile est de sanctionner un comportement contraire à la cohésion sociale, non de permettre l'expulsion du logement occupé. Le code pénal, par ailleurs, a vocation à décrire les comportements constitutifs d'infractions et les sanctions encourues, non à préciser les modalités concrètes et particulières d'exécution des condamnations.
Par ailleurs, la proposition précise : « Il incombe au tiers occupant sans droit ni titre de prouver sa bonne foi par la présentation d'un titre de propriété, d'un contrat de bail le liant au propriétaire de l'immeuble occupé, ou d'une convention d'occupation à titre gratuit signée par le propriétaire du bien. » Elle renverse ainsi la charge de la preuve et crée une présomption de culpabilité contre l'occupant d'un logement, ce qui pose évidemment un problème constitutionnel.
Enfin, le dernier article de la proposition met en difficulté les personnes bénéficiant d'un bien à titre gratuit, qui pourraient se faire déloger sans possibilité de recours si le texte venait à être adopté.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République en marche a déposé une motion de rejet du texte, que j'aurai le loisir de vous présenter tout à l'heure.
Pour terminer, je reviendrai sur ce que vous disiez en introduction, monsieur Aubert, à savoir que le droit de propriété n'existe plus dans ce pays. C'est assez cocasse, lorsque l'on sait que les dernières modifications à ce droit ont été apportées par des Républicains en 2015 ! Vous dites que Les Républicains auraient eux-mêmes mis fin au droit de propriété.
Ce n'est pas très sérieux, et c'est pourquoi nous voterons cette motion de rejet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons ce soir une proposition de loi visant à étendre le délit d'occupation sans droit ni titre à l'ensemble des biens immobiliers.
Il n'est certainement pas question ici de remettre en cause l'importance du sujet. Les phénomènes de squat sont intolérables, tant pour les propriétaires que pour les autorités locales et pour les habitants des quartiers concernés. Trop souvent, cette transgression du droit à la propriété s'accompagne de bien d'autres délits, que je n'énumérerai tant ils sont évidents. Il faut aussi remarquer que ces occupations illicites trouvent de nouvelles formes : elles touchent des appartements sociaux en cours d'attribution, des logements provisoirement inoccupés ou des résidences secondaires.
Le ministre a d'ores et déjà rappelé que des lois existaient. Leur application demande sans doute discussion mais, avant de revenir sur le fond de votre proposition, monsieur le rapporteur, je voudrais tout de même faire un petit point de calendrier.
Nous sortons en effet de l'examen d'un projet de loi au cours duquel nous avons largement abordé ces sujets et même débattu d'amendements que vous avez vous-même déposés, monsieur le rapporteur, et qui sont repris dans le présent texte. Après plus de quatre-vingt-dix heures de débat dans cet hémicycle et près de 3 000 amendements examinés sur ces bancs, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi ELAN, à une large majorité. Il y a dans l'exercice d'aujourd'hui une forme de session de rattrapage. C'est de bonne guerre mais ne m'en voulez pas de le constater.
Le ministre Jacques Mézard a rappelé le contenu de votre proposition de loi et vous avez entendu sa réponse défavorable ainsi que celle de notre collègue Christelle Dubos, rapporteure du projet de loi ELAN.
L'important est d'en rappeler les raisons. À l'époque, comme maintenant, votre premier amendement visait à inverser la charge de culpabilité. La rapporteure a expliqué la difficulté constitutionnelle inhérente à cette proposition. Sur le deuxième, relatif à l'exclusion du droit au logement opposable, une certaine disproportion à l'égard de l'urgence sociale à laquelle peuvent être confrontées ces personnes vous a été opposée. Enfin, les troisième et quatrième amendements n'apportent aucun avantage par rapport au contrat de droit commun prévu dans le code civil.
Je voudrais tout de même compléter un peu le propos. Votre texte souhaite donc mettre sur le même pied tous les biens immobiliers : logements, bâtiments à l'abandon, ateliers, entrepôts. L'idée s'entend. Une occupation illicite est une occupation illicite ; un propriétaire qui subit un tel préjudice mérite de recevoir le concours de la puissance publique.
Mais, en réalité, se voir priver de son logement parce qu'il est squatté, ce n'est pas la même chose que de récupérer un bien inutilisé ou un atelier vide. L'urgence n'est pas la même ; la justification de l'usage de la force publique non plus. Le Conseil constitutionnel fait bien la différence : il requiert un équilibre entre le droit constitutionnel de propriété et celui d'aller et venir ; dans les faits, il reconnaît la nécessité d'un abri. La réponse qui vous a été apportée par le ministre et la rapporteure allait dans ce sens. Il s'agit non pas de donner droit à une occupation illicite, mais de reconnaître que les moyens à mobiliser pour y faire face ne sont pas tous de même niveau.
Vous proposez par ailleurs une inversion de la charge de la preuve. En pratique, vous supposez qu'il est aussi facile pour un occupant de justifier de son occupation que pour un propriétaire de justifier de sa propriété. Je crains que vous ne loupiez totalement la cible, pour deux raisons. D'abord, vous prévoyez que l'occupant devra simplement produire un bail. Moi aussi, j'ai été élu de terrain, et des baux ou des quittances folkloriques, j'en ai vu passer des wagons. On peut jouer avec les documents et, à la fin, c'est le propriétaire qui devra justifier de sa propriété. M. le ministre faisait remarquer que la commission des lois de l'Assemblée nationale compliquait parfois les choses ; je parle d'or en disant que votre mesure est peut-être un peu compliquée. Mais surtout, elle va complètement à rebours de l'action que nous voulons mener avec opiniâtreté pour lutter contre les marchands de sommeil. Les propriétaires d'habitations dégradées, logeant des personnes dans des conditions inqualifiables, cela existe aussi. Souvent le statut des occupants du logement est aléatoire, et cette fragilité est organisée par le propriétaire indélicat. Là où nous voulons que celui-ci justifie de ses revenus illicites pour le confondre, vous voulez lui donner la possibilité d'évincer un occupant sans avoir à se justifier ; ce n'est pas une bonne chose.
Vous voulez aussi instaurer une peine automatique interdisant de bénéficier du mécanisme du DALO. Vous savez bien que cela est, par nature, inconstitutionnel. Mais, au-delà, le principe même me choque. D'une part, vous supposez que tout occupant d'un squat est conscient de son statut. Or ce n'est pas toujours le cas. Certaines familles sont convaincues d'être en règle – elles sont parfois suivies par la CAF, la caisse d'allocations familiales. Elles sont en fait logées dans des bâtiments dégradés, sous le contrôle de ceux qui sont les vrais squatteurs, je l'ai déjà dit. D'autre part, vous assimilez les squatteurs aux demandeurs de logements au titre du DALO, ce qui est lourdement stigmatisant.
Enfin, il faut tout de même rappeler ce qu'est le dispositif DALO, voté en 2007 – vous savez par qui. Celui-ci tend à accorder une priorité dans l'attribution d'un logement social lorsqu'une demande légitime, c'est-à-dire répondant aux critères prévus, n'a pas été satisfaite dans un délai raisonnable. Il s'agit donc de tenir compte d'une carence de la collectivité pendant un délai anormalement long.
Vous croyez réellement juste d'interdire à une personne ayant cherché à s'abriter dans un atelier désaffecté de bénéficier de ce qui relève du devoir de la collectivité. Votre proposition de loi répond à un problème certes réel, mais en lui apportant de mauvaises solutions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen grave dans le marbre que, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé ».
Pourtant, aujourd'hui, en toute impunité, circulent sur internet des petites astuces en tout genre, et même parfois de véritables guides pour apprendre à devenir de bons petits squatteurs : « le guide du squatteur illustré », « le squat de A à Z », « petit manuel du squat », « le manuel du parfait squatteur », n'en jetez plus ! Et manifestement, ceux qui piétinent sans vergogne la propriété des autres en sont assez fiers puisque pour eux, tout cela est, disent-ils, « le produit d'une écriture collective » ! On y apprend donc naturellement qu'il faut bien choisir sa maison, faire un petit repérage des lieux et même une première visite. Dit ainsi, on se croirait presque sur le site d'un agent immobilier tout ce qu'il y a de plus classique.
Mais l'illusion ne dure pas longtemps. Car pendant que certains se prennent pour des sortes de Robin des bois des temps modernes, il y a les autres : les victimes. Comme cette quinquagénaire du Var déjà citée qui, à cause de locataires devenus squatteurs, a fini, parce qu'elle était à court d'argent, par devoir vendre son appartement ; elle est aujourd'hui à la rue. Sans aller si loin, les exemples ne manquent pas. En 2017, le propriétaire d'un immeuble a saisi le juge des référés du tribunal d'instance de Béziers pour demander l'évacuation d'une quinzaine de squatteurs. Cela faisait un an que ces personnes vivaient dans le logement sans qu'aucun contrat de bail ne les lie au propriétaire : un an de perdu !
Pourquoi se mentir, la législation actuelle est très favorable aux squatteurs et bien moins aux propriétaires ou aux locataires. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des situations véritablement ubuesques, dans lesquelles certaines personnes peuvent, parfois en toute impunité, du moins durant un certain laps de temps, narguer à la fois le propriétaire légal, la loi et la justice. Les Français ne comprennent plus.
On l'a dit, les opérations de squat sont très souvent préméditées. Ainsi, lorsqu'un propriétaire se retrouve impuissant et démuni face à des occupants, sans titre mais souvent plein de morgue à son égard, l'impuissance se double d'un véritable sentiment d'injustice. Un infortuné propriétaire explique ainsi : « Je n'ai surtout pas le sentiment d'avoir la loi de mon côté. » Comment, en effet, faire comprendre à un propriétaire spolié de son bien que, s'il s'agissait d'une voiture ou d'une moto et non d'un immeuble, il rentrerait bien plus vite dans ses droits ?
Le squat constitue une atteinte inacceptable au droit de propriété, qui a pourtant valeur constitutionnelle. Il nous faut donc agir, et vite.
J'ai d'ailleurs proposé, dans le cadre de l'examen de la loi ELAN, d'élargir les dispositions de l'article 2264 du code civil à l'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier appartenant à un tiers et de punir cette occupation illégale d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Malheureusement, ma proposition n'a retenu l'attention ni du Gouvernement ni celle de sa majorité.
Afin que les maires puissent appuyer les propriétaires dans leurs droits, j'avais aussi suggéré, toujours lors de l'examen du projet de loi ELAN, d'étoffer ainsi l'article 53 du code de procédure pénale : « Le cas échéant, lorsque le maire a connaissance de l'occupation du domicile d'un de ses administrés ou de l'occupation d'un logement vacant, dans les conditions déterminées au premier alinéa, il peut, après avoir cherché par tous moyens à contacter le propriétaire ou le locataire du logement occupé, demander au préfet de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux. » Mais, là encore, ma proposition, plus girondine que jacobine, n'a retenu ni l'attention du Gouvernement ni celle de sa majorité.
Alors je me réjouis de voir que nos collègues du groupe Les Républicains s'emparent de la question par leur proposition de loi, que je soutiens et à laquelle j'apporterai bien entendu mon suffrage.
En France, au nom du droit au logement et de la protection des locataires, on néglige trop souvent les propriétaires victimes d'occupants illicites. Si l'on reste les bras croisés, c'est la « méthode Bassem » qui risque de se généraliser. Vous savez, ce jeune homme qui, choqué par l'histoire de Youssef, dont le pavillon avait été squatté par seize Roms, a incité d'autres jeunes à monter une équipe afin de déloger les squatteurs. Cela s'appelle tout simplement se faire justice soi-même. Est-ce cela que vous souhaitez ?
Monsieur le rapporteur, j'ai bien étudié votre proposition de loi. Le problème que vous évoquez est bien réel : je partage tout à fait votre constat d'un vide juridique au sujet des occupations sans droit ni titre. Cependant, les mesures que vous préconisez ne sont pas appropriées pour répondre au problème posé.
Accorder une place trop conséquente à la propriété privée, c'est risquer de le faire au détriment du droit au logement et de perturber un équilibre fragile. Bien sûr, il faudra améliorer le dispositif actuel, mais avec mesure, prudence et aussi efficacité.
En l'état actuel du droit, l'article 38 de la loi DALO prévoit qu'en cas d'introduction et de maintien dans le domicile d'autrui, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peut demander au préfet de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux. Or l'article 1er de votre proposition de loi introduit la notion d'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier, visant ainsi à élargir la portée de l'article 38, qui ne s'applique qu'au domicile. Mais faut-il étendre cette procédure à tous les biens immobiliers, bureaux, entrepôts, logements vacants, etc. ? Cette extension est susceptible de fragiliser l'équilibre entre le droit de propriété et le droit au logement. Vous proposez également, dans l'article 1er, que le préfet puisse recourir à la force publique afin de procéder à l'évacuation forcée du logement et vous supprimez la possibilité pour le propriétaire ou le locataire de s'y opposer.
Monsieur Aubert, pour les raisons que je viens d'exposer, je ne peux me prononcer en faveur des modifications prévues à l'article 1er, d'autant que la rédaction présente une incohérence juridique, la notion de bien immobilier recouvrant un champ plus large que celui du logement, qu'il s'agisse d'une résidence principale ou d'une résidence secondaire.
À l'article 2, vous ajoutez un nouvel article à la loi DALO, aux termes duquel toute personne ayant fait l'objet d'une décision de justice la condamnant à la suite d'une occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier, ne peut se prévaloir des dispositions de la loi DALO. C'est un peu comme si on privait de soupe populaire, pour toute sa vie, une personne qui a volé du pain alors qu'elle avait faim. Cette disposition est disproportionnée et peut s'avérer contre-productive dans la mesure où les personnes concernées connaissent souvent des difficultés d'accès au logement. Oui, nous devons persévérer dans notre combat contre les occupations illégales, mais nous devons nous y atteler en trouvant des solutions équilibrées et socialement responsables.
À l'article 6, vous prévoyez que toute occupation à titre gratuit d'un bien immobilier doit faire l'objet d'une convention signée entre le propriétaire et l'occupant. Cette mesure pourrait contrevenir au droit des personnes hébergées à titre gratuit. Actuellement, la législation prévoit que l'hébergement à titre gratuit leur donne droit à la protection relative au domicile privé. Avec votre proposition de loi, ces personnes pourraient être délogées après seulement un mois de préavis, ce qui les placerait dans une situation de grande précarité.
En conclusion, ce texte soulève plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel. Outre le défaut d'intelligibilité de la loi, notamment quant au champ des biens protégés, l'équilibre entre la protection du droit de propriété et le droit à un logement décent ne semble pas respecté.
Monsieur Aubert, cette proposition de loi a été examinée par la commission des affaires économiques le 12 juin dernier. Plusieurs mesures proposées dans ce texte ont fait l'objet d'amendements qui ont été repoussés dans le cadre du projet de loi ELAN. Il ne me paraît pas opportun de légiférer de nouveau sur le thème du logement alors que le projet de loi ELAN a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture.
Je vous engage à travailler avec le cabinet du ministre pour poursuivre les échanges car les réponses ne sont pas nécessairement d'ordre législatif. Pour ces raisons, je ne soutiens pas cette proposition de loi et vous invite, mes chers collègues, au nom du groupe La République en marche, à voter pour la motion de rejet préalable.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, depuis le début de cette discussion, j'entends parler du droit de propriété. Je voudrais profiter du temps qui m'est imparti pour évoquer le droit au logement.
En préambule, je souligne que je ne cherche pas à opposer les deux ni à faire primer l'un sur l'autre. Ce n'est pas notre philosophie, le projet de loi ELAN en atteste. En me faisant le porte-voix de personnes trop souvent inaudibles, je tiens simplement à rééquilibrer les termes du débat.
La loi DALO du 5 mars 2007, adoptée sous le gouvernement Villepin, permet aux personnes mal logées ou ayant attendu en vain un logement social, de faire valoir leur droit à un logement décent. Ce droit est opposable, c'est-à-dire que le citoyen dispose de voies de recours pour obtenir sa mise en oeuvre effective. L'État est garant de ce droit.
Les personnes éligibles à ce dispositif se trouvent dans l'une des situations suivantes : sans aucun logement, menacées d'expulsion, hébergées dans une structure d'accueil, logées dans des locaux insalubres ou suroccupés, ou encore demandeuses de logement social depuis un délai anormalement long, autant de situations humaines difficiles, desquelles notre regard ne peut se détourner.
Cette loi a permis, depuis 2008, de reloger près de 150 000 demandeurs. Malgré cette avancée, plus de 50 000 demandeurs restent à reloger, concentrés dans dix-huit départements, parmi lesquels figure l'Hérault, département où je suis élu. Elle est un symbole de solidarité : bien qu'imparfaite, elle a produit des résultats positifs, comme je viens de le rappeler, et notre groupe y tient.
Or votre proposition de loi la remet en cause, plus particulièrement, en son article 2, qui exclut du bénéfice du DALO les personnes ayant été condamnées pour avoir squatté un logement. Il s'agirait là d'une peine automatique, ce qui est par définition prohibé. En outre, cette mesure est, dans son esprit même, totalement régressive, car elle prive toute une catégorie de personnes d'un droit de valeur constitutionnelle.
Au-delà, cette mesure nous semble contre-productive. Le DALO a précisément pour objet de permettre aux personnes mal logées de faire valoir leur droit à un logement décent. En excluant de ce dispositif des personnes en ayant besoin, vous les poussez à reproduire indéfiniment les faits pour lesquels elles ont été condamnées ; vous les punissez sans apporter la moindre solution.
Je terminerai par un mot sur l'article 1er, par lequel vous visez les situations « d'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier ». Il dépasse largement le cas des logements squattés, que vous prétendez pourtant cibler. Je ne donnerai qu'un exemple. Après la résiliation d'un bail d'habitation, celui qui était locataire devient de fait occupant sans droit ni titre. Or les conditions de son expulsion sont strictement encadrées par le code des procédures civiles d'exécution, afin de préserver le droit au logement. Avec votre proposition de loi, c'en sera fini de la trêve hivernale et des autres mesures protectrices : vous donnez la possibilité aux propriétaires de faire expulser par voie administrative tout occupant, à tout moment.
Votre texte nous semble excessif : c'est pourquoi nous nous y opposerons – vous l'aurez compris – en votant pour la motion de rejet préalable.
Je remercie celles et ceux de nos collègues qui ont effectivement travaillé sur ce texte, car il semble que certains ne l'aient pas bien lu… Je répondrai aux différents arguments avancés par les orateurs successifs, un à un.
À tout seigneur, tout honneur : je commencerai par la majorité. Tout d'abord, monsieur Adam, vous avez dit que, si le droit de propriété n'existe plus, c'est qu'il a été supprimé par la droite, avec la loi du 24 juin 2015. Cela illustre bien le problème de dialogue entre nous, car la loi de 2015 ne portait pas sur la propriété mais sur le domicile. Là est d'ailleurs le coeur du problème : mon texte a pour objet de sortir du schéma habituel de la protection du domicile, qui prime depuis des années, mes chers collègues, et de nous demander si nous voulons protéger la propriété. Cela implique nécessairement d'élargir le domaine de la protection de la propriété – je reviendrai tout à l'heure sur ce qu'a dit M. le ministre à ce propos. Il s'agit, pour parler comme monsieur Corbière, d'une extension du domaine de la lutte !
Vous vous êtes retranchés derrière l'épouvantail habituel : le risque d'inconstitutionnalité. Pour un juriste, cette affirmation est étonnante. Comment risquer l'inconstitutionnalité en protégeant une liberté constitutionnelle ? Ce sera dur à prouver, d'autant que le principe que vous invoquez n'a pas la même valeur juridique que le droit de propriété. En effet, si je me souviens bien, le droit au logement est un objectif de valeur constitutionnelle, alors que la protection du domicile découle de la liberté individuelle, de rang constitutionnel. Et cette liberté s'arrête là où commence celle d'autrui : elle est donc limitée, et ne saurait autoriser l'intrusion dans l'exercice d'une autre liberté. Vous dites vouloir protéger un droit constitutionnel, mais je ne vois pas en quoi le délit que je propose d'instituer pose un problème de constitutionnalité. Du reste, si vous avez évoqué un tel problème, à aucun moment vous n'avez expliqué exactement en quoi il consiste.
Il y a d'autres incompréhensions, notamment au sujet de l'article 1er. Madame Do, monsieur Démoulin, vous avez estimé que la mesure prévue à cet article serait disproportionnée, parce qu'elle permettrait, par une simple action administrative, d'expulser quelqu'un. Mais, en l'état actuel du droit, tel qu'issu de la loi DALO, le préfet peut déjà, sans décision du juge, décider d'une expulsion.
Certes : c'est le système actuel de protection du domicile. On peut toujours discuter de sa constitutionnalité mais ce n'est pas le sujet de mon texte.
La colonne vertébrale de mon texte, c'est d'étendre la protection qu'offre ce système exorbitant du droit commun à une liberté d'un rang constitutionnel supérieur à la protection du domicile, une liberté qui figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Je ne vois pas en quoi l'élargissement des garanties juridiques du droit de propriété, qui nous vient de 1789, pose problème ! Sur le plan politique, c'est à nous d'en décider, mais, sur le plan juridique, ne me dites pas que cela n'a pas de sens. À moins que, selon vous, il soit moins important de protéger la propriété que le domicile ? Dans ce cas, il est normal que vous votiez contre ma proposition de loi !
Vous avez raison sur un point, monsieur Adam, concernant l'article 2, qui vise à retirer le droit au DALO aux personnes que l'on retrouve en train d'occuper un logement sans bien ni titre, et de mauvaise foi. J'avais promis de limiter dans le temps l'effet de cette disposition, et j'ai oublié de faire. Il faut la limiter dans le temps : vous avez raison sur ce point.
En revanche, monsieur Démoulin, vous avez dit qu'il s'agirait là d'une peine automatique. Non, ce serait une peine accessoire. Vous avez ajouté que cette mesure ne pourrait être appliquée, car le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle. Prenons un exemple : quand vous frappez votre épouse…
Rires et exclamations.
Je ne vous accuse pas, ce n'est qu'un exemple ! Je reprends : supposons qu'un député ou un maire soit condamné pour violences conjugales, et perde ses droits civiques. Or le droit de participer à la vie politique en votant ou en se présentant à une élection est une liberté constitutionnelle importante. Dans ce cas, on admet que le juge puisse vous en priver en prononçant une peine accessoire. Il est donc tout à fait possible de prononcer une peine complémentaire privant une personne d'un droit, de manière accessoire à sa condamnation pour un délit précis. Je comprends que cela fasse débat, car c'est une question profonde, je l'ai reconnu tout à l'heure ; cependant, pour ma part, je considère que cela se justifie tout à fait car ne sont visés que des occupants de mauvaise foi.
J'en viens à ce que certains ont appelé « inversion de la charge de la preuve » ou « présomption de culpabilité ». M. Vuilletet a fait une belle démonstration à ce propos. Mais il n'y a là aucune présomption de culpabilité ! Encore une fois, prenons un exemple : si, alors que vous êtes au volant d'une voiture, un policier vous demande de prouver que vous détenez le permis de conduire, cela ne signifie pas qu'il présume votre culpabilité, mais qu'il cherche à vérifier si vous êtes dans votre droit. On peut toujours essayer d'habiller cette question de grands principes juridiques, mais elle se ramène à cela : avoir un titre, exactement comme lorsqu'on demande au propriétaire de justifier d'un titre de propriété.
L'un d'entre vous m'a dit que les dispositions visant à lutter contre les marchands de sommeil risqueraient de s'appliquer à des personnes s'imaginant de bonne foi être les locataires légitimes d'un logement. Mais je vous rappelle que le délit que nous voulons créer frapperait uniquement les gens qui sont de mauvaise foi ! Les victimes d'un escroc, d'un marchand de sommeil, ne seront pas poursuivies. Cela ne fait du reste pas obstacle aux autres dispositions visant à lutter contre les logements insalubres, qui relèvent d'un autre régime juridique.
Enfin, madame Do, je veux bien tout entendre, mais vous ne pouvez pas me dire qu'il est inopportun de prendre des mesures législatives après l'examen du projet de loi ELAN, en me recommandant de travailler directement avec M. le ministre de la cohésion des territoires. En effet lorsque nous avons proposé ces mesures dans le cadre de l'examen du projet de loi ELAN, on nous a répondu que ce n'était pas le moment, que ce serait fait plus tard et qu'il faudrait collaborer avec M. Mézard. J'ai bien compris le coeur de votre message, à savoir qu'il faut travailler avec M. le ministre ; je n'ai d'ailleurs pas arrêté de lui téléphoner pour obtenir une conversation préalable. Quoi qu'il en soit, madame Do, vous ne pouvez pas nous dire pendant l'examen du projet de loi ELAN : « c'est trop tôt », et après l'examen de ce projet de loi : « c'est trop tard » ! Je n'admets pas cet argument.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez commencé par une erreur de diagnostic. Vous êtes l'un des seuls dans cet hémicycle – avec quelques-uns de nos collègues d'extrême gauche – à considérer qu'en ce qui concerne l'occupation sans droit ni titre, les lois sont bonnes, et que le problème réside uniquement dans leur application. Tous les autres, y compris Mme Do, ont reconnu qu'il y a un problème d'ordre législatif. Les services du ministère de la justice, que j'ai auditionnés, n'ont jamais nié, eux non plus, qu'il y eût un problème de protection du droit de propriété : ils ont reconnu, au contraire, la justesse de mon constat. Ils n'ont jamais contesté que la jurisprudence de la Cour de cassation fût fluctuante quant à la définition du domicile. Peut-être vous ont-ils donné entre-temps des informations différentes, mais ils n'ont pas relevé ce point pendant les auditions que j'ai menées. Les groupes MODEM, UDI-Agir et Les Républicains ont eux aussi reconnu – par des formules différentes – qu'il y a bien là un problème de fond. Vous ne pouvez donc pas me répondre que le droit est parfait mais qu'il est mal appliqué.
J'ai du reste décelé un peu de malice dans vos propos, monsieur le ministre : vous avez bien compris que ma proposition de loi est relative au droit de propriété, mais vous me répondez que les domiciles sont déjà bien protégés. C'est comme si, à une proposition de loi portant sur les choux, vous répondiez : pour les carottes, il n'y a aucun problème. Je persiste, pour ma part, à vouloir parler de la propriété : c'est l'objet même de cette proposition de loi !
Vous m'avez dit aussi qu'au regard de l'« affaire Maryvonne » – du prénom de cette retraitée dont le pavillon avait été occupé par des squatteurs – , il n'y a pas de problème législatif. Mais cette affaire a eu lieu avant l'adoption de la fameuse loi de 2015, qui vise uniquement à renforcer la protection des domiciles. Si je reviens vers vous, c'est parce que nous avons eu connaissance, depuis cette affaire, d'autres cas d'occupation sans droit ni titre pour lesquels les propriétaires ne sont pas couverts par le dispositif actuel, car le logement en cause n'était pas considéré comme leur domicile. C'est pour ces logements, qui se situent dans une zone grise, que la question se pose.
Monsieur le ministre, je n'ai jamais parlé des résidences secondaires. Vous avez tout à fait raison sur un point : le domicile peut être la résidence principale ou la résidence secondaire. Pour le cas de Garges-lès-Gonesse, vous avez vous-même précisé qu'il s'agissait d'un logement vacant depuis plusieurs années, dont le propriétaire, devenu veuf, voulait revenir dans sa maison d'origine.
La réalité est complexe, mais la question juridique est au fond très simple : oui ou non, la propriété est-elle protégée dans ce pays ? Ne me répondez pas en me parlant de protection du domicile, car ce n'est pas la question. Ce que j'entends faire, par cette proposition de loi, c'est changer le schéma de réflexion sur ce sujet : il ne suffit pas de protéger la liberté individuelle, en l'espèce le domicile privé ; il faut aussi protéger la propriété.
Vous avez reconnu vous-même qu'à Garges-lès-Gonesse, le problème venait du fait que la plainte déposée par le propriétaire n'avait pas été suivie d'effets. Voilà pourquoi je propose de créer un délit pénal : si une plainte est déposée auprès du commissariat, alors une enquête de police sera transmise au procureur, qui entamera des poursuites.
Vous voyez bien qu'il y a plusieurs manières d'aborder cette question. Ce que nous voulons, c'est renforcer la loi, la rendre plus efficace : de ce point de vue, un nouveau délit pénal serait dissuasif. Avant même d'aller porter plainte, le propriétaire pourra dire aux squatteurs qu'ils risquent trois ans de prison et 75 000 euros d'amende.
Faites un test : tapez les mots « squatteur » et « conseil » sur un moteur de recherche. Vous tomberez immédiatement sur un site internet libertaire très bien fait, où l'on explique : « Le squat dépend de la juridiction civile, c'est-à-dire d'un conflit entre deux parties où il n'y a pas risque de prison, contrairement à la juridiction pénale qui elle peut vous reloger directement derrière les barreaux. Toute preuve démontrant votre responsabilité dans une fracturation [… ] vous enverrait directement au pénal. C'est pour cela que beaucoup de squatteurs n'entrent dans des lieux qu'après l'ouverture de la porte par un "méchant" cambrioleur… » Il y a beaucoup d'autres conseils, par exemple : « Choisir de préférence un logement abandonné depuis plus de six mois », « Ne pas hésiter à faire une petite enquête de voisinage et à faire un tour au cadastre (demander à la mairie) pour en connaître un peu plus sur le proprio ». J'insiste : vous pouvez trouver sur internet, gracieusement fournis par des associations idéologues, tous les détails pour contourner le droit de propriété. Vous pouvez trouver cela normal, monsieur Corbière ; pour ma part, je considère qu'il est absolument anormal de trouver en ligne des éléments permettant de se jouer de la loi. Je le répète, pour ceux qui nous disent que le droit actuel est très bien fait : il est tellement bien fait qu'il existe des guides expliquant, par le détail, comment le contourner.
Cela ne veut rien dire. Il y a aussi, sur internet, des guides expliquant comment faire de l'évasion fiscale !
Vous comprenez l'intérêt le délit pénal. Dans l'affaire de Garges-lès-Gonesse, la plainte aurait conduit à la saisine du juge pénal. Vous nous dites vous-même que 67 % des décisions sont suivies d'effets, ce qui veut dire qu'un tiers d'entre elles ne le sont pas. Quant au délai de deux mois que vous avez cités, c'est un vrai maquis : imaginez le propriétaire qui devra avoir affaire au juge civil, au juge pénal, au juge administratif, attendre des délais, attendre que la justice décide si son bien est ou non son domicile – si c'est la résidence secondaire, cela dépend de la jurisprudence de la Cour de cassation. Mettons-nous à la place du propriétaire qui découvre tout cela ! Lui, il a envie qu'on lui explique très simplement ce qu'il en est et qu'on le protège. Son premier réflexe, c'est évidemment d'aller au commissariat pour se plaindre : « J'ai voulu rentrer chez moi, et il y a des gens. » Et si ensuite, il y a un enchaînement de procédures pénales, ce sera forcément plus efficace. Si je propose un renforcement des sanctions pour intrusion dans le domicile, c'est tout simplement parce que cela implique comparution immédiate, donc rapidité.
En outre, monsieur le ministre, vous m'avez semblé penser que le texte ne visait que les squatteurs : non, il vise les squatteurs mais aussi les locataires indélicats qui abusent de la loi ! Je me souviens d'un propriétaire qui m'avait raconté – un peu comme le cas du Var qui a été cité tout à l'heure – que son locataire était resté deux ans et demi et que, tous les mois, à minuit, celui-ci l'appelait pour lui dire : « Voilà comment je vais agir juridiquement par la suite et voilà pourquoi vous ne pourrez pas agir. » Pas de paiements de loyer, des cours juridiques gratuits pour savoir comment il était en train de se faire avoir ; et puis, au bout de deux ans et demi, son locataire lui a dit qu'il était au bout de ses recours et qu'il s'en irait une semaine plus tard. Il lui a laissé un appartement complètement dévasté.
Certes, il n'y a pas eu d'intrusion ; au début, le locataire payait ses loyers, mais une telle situation est-elle normale, mes chers collègues ? Le propriétaire a subi un manque à gagner terrible, et il se trouve que cet appartement était son complément de retraite.
C'est pourquoi j'en viens à vous, mes chers collègues de gauche. Vous avez affirmé qu'il était scandaleux de ma part de dire que la propriété n'existait plus. Mais vous avez vous-mêmes évoqué le mal-logement, et j'ai envie de vous poser une question : trouvez-vous que le droit au logement existe en France ?
C'est la bonne réponse en effet. Et pourquoi ? Si on affiche un droit théorique – la France est très forte pour ça – sans le faire respecter à aucun moment, on a le contentement moral mais nullement l'exercice réel d'un droit. Et pour moi, un droit qu'on ne fait pas respecter, c'est un droit qui n'existe pas !
Où est l'urgence ? C'est le droit au logement ou le droit de propriété ?
L'urgence, pour moi, monsieur Corbière, c'est le cas de cette dame du Var. Vous avez l'air de considérer qu'il y aurait, d'un côté, le propriétaire, dans un monde à part – certains ont parlé de « marchands de sommeil », ou encore de gens riches – , et, de l'autre, le locataire, victime du système. Mais je vous le dis : Maryvonne, quatre-vingt-trois ans, le monsieur de Garges-lès-Gonesse, lui aussi à la retraite et qui ne possédait que ce bien, sont des gens des classes populaires ! Ils ont tout autant le droit au respect de la nation que les autres ! Ce n'est pas parce qu'il y a, parmi les propriétaires, des très riches et des moins riches, qu'on ne devrait pas les protéger. Ce n'est pas une position acceptable.
Je vais vous dire, monsieur Corbière : vous et vos collègues êtes les premiers responsables du mal-logement quand vous tenez ce discours. Nombre de propriétaires se disent en effet : « Oh là là, cela a l'air compliqué, il y a des squatteurs, il y a parfois des locataires indélicats, et je ne suis pas protégé. » Et alors ils demandent deux mois de salaire, trois mois de garantie plus la caution du père : la ceinture et les bretelles. Cela entraîne une éviction des classes modestes. C'est vraiment un sujet économique, pas seulement un sujet juridique.
Vous dites qu'il faut limiter le droit de propriété parce qu'il y a des logements vides, mais ce n'est pas un raisonnement que je peux suivre : comme il y a 2,5 millions de mal nourris en France, va-t-on pour autant donner le droit de voler des aliments dans les magasins ?
Non, monsieur Corbière, car, comme vous l'avez dit vous-même, il y a la nécessité publique, et ce n'est pas à vous, à moi ou à une quelconque justice privée de la déterminer, mais à l'État ! C'est l'État qui détermine l'intérêt général ! C'est l'État qui prend ses responsabilités !
C'est l'État qui décide des réquisitions ! Voilà ce qu'est la légalité ! Ce n'est pas faire sa propre justice et prendre le bien du voisin quand on considère qu'on est mal nourri ou mal logé ; ça, c'est l'anarchie !
Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.
Ce n'est pas parce que la réalité est triste, ce n'est pas en instaurant un État de la jungle…
… que vous aiderez les familles ! Entre le fort et le faible, c'est la loi qui libère ! Voilà pourquoi nous vous proposons une nouvelle loi.
Qu'elle libère, la loi ! Qu'elle ouvre les portes des bâtiments vides, la loi ! L'urgence est là ! Qu'elle le fasse et je vous suivrai !
Je sais que vous avez envie de me suivre… Je vous invite, monsieur Corbière, à réaliser qu'il s'agit ici de protéger des honnêtes gens d'occupants « sans droit ni titre, de mauvaise foi » – je le rappelle pour ceux qui ne l'auraient pas noté. Je comprends parfaitement, madame Manin, ce que vous avez dit à propos des associations humanitaires, mais, au final, la responsabilité revient au juge. Et puis, dans l'optique de la différence entre mauvaise foi et bonne foi, il y a une distinction à faire entre l'association humanitaire qui agit pour loger des gens parce qu'ils sont à la rue et les aigrefins, spécialistes du squat et du détournement, qui amènent du malheur au monde.
Mes chers collègues, j'espère vous avoir tous répondu.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LaREM
je rappelle d'abord qu'émettre des critiques n'empêche pas de respecter vos opinions parce que je pense qu'il y a deux attitudes : soit on fait l'autruche et on dit qu'il n'y a pas de problème, soit on reconnaît qu'il y a un problème et qu'il est très sérieux. Il n'est pas normal que quelqu'un, dans le Var, soit obligé de vendre sa maison parce que l'État n'a rien fait pendant deux ans ! Et pourquoi l'affaire Maryvonne et le cas de Garges-lès-Gonesse se sont débloqués ? Parce que Ouest-France a publié un article d'une page !
Alors là oui, le préfet bouge ! Trouvez-vous cela normal ? Non ! Ensuite, on peut avoir des débats entre nous.
Évidemment qu'il faut en avoir un. On ne sera pas forcément d'accord, il y a aussi chez nous des sensibilités différentes. Toutefois, si nous sommes d'accord sur le diagnostic, on peut discuter de l'impact qu'aurait la privation du DALO pour les personnes sanctionnées, etc.
Et n'oubliez pas la simplicité de ma proposition, que je vous résume parce que certains d'entre vous n'avaient pas lu les amendements. Il s'agit de créer un délit. Actuellement, selon que vous volez une moto ou que vous occupez indûment pendant deux ans les biens d'autrui, vous ne serez pas poursuivi de la même manière. Ce délit pénal dissuadera et obligera les préfets à agir dans les quarante-huit heures. Quand un citoyen est à la rue parce que quelqu'un occupe son bien, qu'il subit un stress moral et que cela dure des mois, le minimum que peut faire l'État, c'est bien d'appliquer dans les quarante-huit heures la décision de justice qui a fini par lui donner raison. C'est la République, c'est l'intérêt général ! Et j'espère que les quelques commentaires que j'ai formulés vous auront convaincus que cette proposition de loi mérite d'être débattue.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et UDI-Agir. – « Ah ! » sur quelques bancs du groupe LaREM.
Sachant que la séance sera levée à une heure pile, soit dans six minutes, souhaitez-vous, monsieur Adam, présenter la motion de rejet préalable déposée, en application de l'article 91, alinéa 10, du règlement, par M. Richard Ferrand et les membres du groupe La République en marche ?
Si l'on n'a pas le temps de la mettre aux voix, je suis d'avis qu'elle ne soit pas défendue.
En application de l'article 50, alinéa 4, du règlement, qui prévoit que la dernière séance de la journée doit s'achever à une heure du matin, je vais lever la séance.
Il appartiendra à la conférence des présidents de fixer les conditions de la poursuite de la discussion de cette proposition de loi.
Prochaine séance, mardi 26 juin, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Nouvelle lecture du projet de loi renforçant l'efficacité de l'administration pour une relation de confiance avec le public.
La séance est levée.
La séance est levée, le vendredi 22 juin 2018, à zéro heure cinquante-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Catherine Joly