Intervention de Sibel de la Selle Bilal

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Sibel de la Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social :

Mon parcours professionnel m'a amenée à créer le métier de coursier sanitaire et social. Je suis l'une des cofondatrices de la mission France de Médecins du monde et c'est dans le cadre de cette mission, créée en 1985, que j'ai fait pour la première fois l'expérience du système de soins français. J'ai vu passer à cette période plus de 14 000 exclus des soins. La quasi-totalité des médecins bénévoles qui exerçaient dans le cadre de la mission France étaient des médecins libéraux. Il n'y avait parmi eux ni médecins de santé publique, ni médecins de la sécurité sociale, ni médecins hospitaliers.

L'arrivée du sida, en 1987, nous a conduits à créer le premier centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG). Il m'est arrivé, à cette époque, d'avoir à informer des personnes que leur dépistage était positif, des usagers de drogues et des personnes en situation de marginalité. J'ai aussi contribué à créer le mouvement du réseau ville-hôpital, dont j'ai été la première vice-présidente en charge de la coordination nationale. À partir de 1998, nous avons mobilisé un nombre important de professionnels autour des malades du sida. Cette épidémie nous a tous pris de court. Avec le mouvement du réseau ville-hôpital, il ne s'agissait pas de créer une institution de plus, mais de proposer un mode d'organisation alternatif et de lutter contre l'exclusion.

En 1991, grâce au travail d'analyse de données mené par un sociologue, nous avons compris que le problème n'était pas uniquement l'exclusion ou l'accessibilité aux soins. Les personnes que nous imaginions triplement exclues étaient en réalité vues douze fois par les services sociaux et sept fois par les services médicaux sur un mois. Plutôt que d'exclusion, il fallait donc parler de non-adaptation de l'offre aux besoins du public. Il fallait par ailleurs s'attaquer au problème de communication entre la ville et l'hôpital. Plutôt que d'initier des parcours de soins après des périodes de crise aiguë, nous devions agir en amont, pendant et après, en particulier pour les maladies chroniques.

J'ai repensé, en écoutant les précédents intervenants, à un rapport publié par La Documentation française en 1991 sur la santé des Français. Il préconisait cent orientations possibles pour prévenir les catastrophes que nous affrontons aujourd'hui ! Certaines portaient bien sûr sur le numerus clausus et le vieillissement des médecins libéraux. En 2000, quelques milliers de médecins ont été incités, par des aides financières, à partir en préretraite. L'idée était alors, en réduisant l'offre, de réduire la demande et par conséquent les coûts. Des hôpitaux de proximité ont alors été fermés, mais j'ai appris hier qu'on envisage d'en ouvrir à nouveau…

Actuellement, 153 cabinets généralistes, qui suivent 1 118 patients, utilisent le service offert par Coursier sanitaire et social. Si nous en avions les moyens, nous le proposerions à un bien plus grand nombre de médecins généralistes. Quand on leur offre un service qui correspond à leurs besoins et à ceux de leurs patients, ils sont toujours prêts à s'investir.

Le problème de l'accès aux soins et de leur continuité ne dépend pas uniquement de l'offre et de la demande, mais aussi des besoins. Le rapport de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur les urgences hospitalières au cours des cinq dernières années, montre que 90 % des urgences justifient une intervention d'urgence, même si le recours au plateau technique n'est pas toujours nécessaire. Par ailleurs, j'ai cru longtemps que les urgences étaient plus fréquentées la nuit que le jour, parce que les gens sont plus angoissés. Je me trompais : la majorité des patients viennent pendant la journée.

Les médecins généralistes sont payés environ 5 000 euros nets par mois. Ils ont des charges de cabinet très lourdes, travaillent 65 heures par semaine en moyenne annuelle et ne prennent que trois semaines de vacances chaque année. On ne peut décemment pas, dans ces conditions, faire porter à ce corps professionnel la responsabilité du déficit de l'offre médicale. Les médecins généralistes, cheville ouvrière du système de santé français, sont reconnus depuis seulement 2010 comme le pivot de la politique de santé publique. La stratégie nationale de santé confie l'action de prévention primaire, secondaire et tertiaire, aux médecins généralistes de premier recours. La loi de 2009 les a rendus responsables dans le cadre du parcours de soins coordonnés.

L'ensemble des lois adoptées au cours des dix dernières années sont très intéressantes mais, permettez-moi de le dire, elles ne sont appliquées ni par les instances officielles, ni par le terrain, en raison de résistances culturelles, de la pression des lobbys et d'intérêts divers.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. J'aimerais toutefois que nous puissions entendre maintenant le témoignage de Mme Galley-Allouch, médecin généraliste et utilisatrice de notre service depuis sa création.

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