Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • téléconsultation

La réunion

Source

Jeudi 7 juin 2018

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition commune de M. Nicolas Wolikov et M. Alexandre Maisonneuve, fondateur et directeur médical de Medical Qare, de M. Cyrille Charbonnier, président de Médiveille, de M. François Lescure, président de Médecin direct, et de Mme Sibel de la Selle Bilal et M. Souhil Zebboudj, fondatrice et directeur marketing et développement de Coursier sanitaire et social, accompagnés de Mme Olivia Galley-Allouch, membre de l'Association CRCMRP (structure qui porte les Coursiers sanitaires et social).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous débutons nos travaux de la matinée avec une audition commune de représentants de start-up, à qui je souhaite la bienvenue.

Il s'agit plus précisément de Qare, représentée par ses cofondateurs, M. Nicolas Wolikow et M. Alexandre Maisonneuve ; de Médiveille, représentée par son président, M. Cyrille Charbonnier ; de Médecin direct, représentée par son président, M. François Lescure ; de Coursier sanitaire et social, représentée par sa fondatrice, Mme Sibel de La Selle Bilal, par son directeur marketing, M. Souhil Zebboudj, et par Mme Olivia Galley-Allouch, médecin généraliste.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour une brève introduction et d'ouvrir le débat avec l'ensemble des commissaires, je vous rappelle que l'article 16 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite un par un et à dire : « Je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Merci de votre invitation. J'aimerais commencer par un bref historique de Qare afin d'expliquer comment mon cursus m'a conduit à la téléconsultation. Médecin généraliste de formation, je me suis orienté rapidement vers la médecine d'urgence, que j'exerce depuis maintenant 2003, à la fois dans son versant extrahospitalier – régulation téléphonique au service d'aide médicale urgente (SAMU), service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) – et dans son versant intrahospitalier – les urgences.

Pour la médecine d'urgence, l'accès aux soins constitue une problématique quotidienne. Dans l'histoire de l'accès aux soins, le virage des années 2000 a été particulièrement important : c'est à ce moment-là que la médecine libérale s'est désengagée – volontairement ou pas, je ne porte aucun jugement – de la permanence des soins. Auparavant, tous les médecins généralistes étaient obligés de prendre des gardes. Le 1er janvier 2002 a marqué un tournant puisque c'est à partir de cette date que toutes les demandes de soins d'urgence ont été dirigées vers les centres 15. À l'époque, tout le monde approuvait le désengagement de la médecine libérale des soins non programmés, désengagement qui s'est traduit d'abord dans l'activité de nuit et dans l'activité de permanence de soins, puis, progressivement, dans l'activité de jour.

J'étais à cette époque médecin généraliste remplaçant et j'ai assisté à ce virage en ville. Devenu ensuite médecin urgentiste hospitalier, j'ai vu les demandes augmenter en continu, à la fois dans les services d'urgence et sur les lignes d'appel des centres 15. Ces demandes ne relevaient pas forcément de la médecine d'urgence, mais elles ne trouvaient désormais plus de réponses auprès de la médecine libérale.

Petit à petit, le problème s'est accentué, du fait notamment des modifications apportées au financement des hôpitaux. Les services d'urgence sont incités à faire des consultations peu urgentes parce qu'elles sont rentables. On constate actuellement un engorgement des SAMU et des services d'urgence. Quant aux patients, ils ne sont pas contents.

Parallèlement à cette évolution, j'ai diminué mon activité hospitalière pour me réinvestir dans la médecine libérale et les soins non programmés. Fort de cette double casquette, il m'a semblé que la solution la plus pertinente à court terme était de développer la téléconsultation. De cette conviction ont découlé ma rencontre avec Nicolas Wolikow et, à la mi-2016, le projet de création de Qare. La start-up est opérationnelle depuis avril 2017, c'est-à-dire depuis un an.

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Nicolas Wolikow, co-fondateur et directeur général de Qare

Alexandre a été très complet, je n'ajouterai donc que quelques mots. Aujourd'hui, Qare permet la mise en relation de patients et de médecins. L'une des originalités de la plateforme est qu'elle regroupe, outre des médecins généralistes, plus de vingt et une spécialités médicales. Nous essayons de proposer une offre la plus riche possible qui s'articule au mieux dans le parcours de soins. Nous sommes capables d'orienter le patient vers une consultation présentielle, de gérer ses informations de santé, de lui envoyer si nécessaire un compte rendu de sa consultation ou même une ordonnance. Nous tentons de répliquer au plus juste la vie du patient en présentiel grâce à de nouveaux outils.

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Cyrille Charbonnier, président de Médiveille

À mon tour, je vous remercie pour votre invitation. Je suis médecin généraliste. J'ai travaillé pendant neuf ans comme effecteur SAMU avec la société Médecins à domicile 94. Ce travail constituait à effectuer des visites sur demande du SAMU, dans tout le Val-de-Marne, 24 heures sur 24. J'ai également été le gérant de la structure Médecins à domicile 94, qui comptait une vingtaine de médecins entre 2009 et 2010, et praticien attaché à la régulation du centre 15 de 2011 à 2014.

J'exerce actuellement l'équivalent d'un mi-temps dans un cabinet de soins non programmés que j'ai ouvert en juin 2014 avec deux confrères au Puy-en-Velay. Je suis également médecin, le matin, dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), au sein d'une unité de soins longue durée (USLD). Je m'occupe de ma start-up Médiveille, pour laquelle je travaille bénévolement depuis quatre ans, sur mon temps libre.

Médiveille, qui a vu le jour officiellement en août 2017, a suivi le parcours classique des start-up : incubation, bourse French Tech, accélération, avec désormais deux sites, l'un à Clermont-Ferrand, l'autre à Saint-Étienne, financements régionaux, financement Bpifrance. Médiveille est une application qui facilite l'accès aux soins des patients en temps réel. Le système est aujourd'hui complètement opérationnel.

L'idée de Médiveille est née à l'époque où j'étais régulateur au SAMU de l'hôpital Henri-Mondor. Fin 2013, un samedi à 11 heures, c'est-à-dire en dehors des heures de permanence de soins, nous avons reçu l'appel d'une femme qui venait d'arrêter sa voiture et qui ne connaissait pas du tout la région parisienne. Son fils, à l'arrière, était malade et elle souhaitait consulter un médecin. Elle avait pris la sortie d'autoroute de Champigny-sur-Marne, qui indiquait la ville à deux kilomètres.

Le SAMU d'Henri-Mondor, l'un des plus gros de France, recevait alors entre 400 et 600 appels par jour, et nous n'avions aucune réponse à donner à cette dame. À l'époque, une application mobile existait qui permettait de pointer un avion dans le ciel et de connaître immédiatement sa provenance et sa destination. Quant à nous, nous étions incapables de dire, un samedi, à 11 heures, si un médecin était disponible à cinq kilomètres de notre SAMU. Avec mon collègue, le docteur Denis Andrieu – qui s'est finalement dissocié du projet –, nous avons alors commencé à réfléchir au moyen de remédier à cette situation. C'est ainsi que sont nés l'application et le site internet Médiveille, aujourd'hui opérationnels.

Plus globalement, le constat que je fais sur l'accès aux soins est le même que celui de mon confrère, M. Maisonneuve. Outre le rapport de Thomas Mesnier sur les soins non programmés, je me réfère au rapport de la Cour des comptes de septembre 2014 et, en particulier, à son chapitre 12, « Les urgences hospitalières : une fréquentation croissante, une articulation avec la médecine de ville à repenser. ». Il est indiqué, dans ce chapitre, qu'une consultation aux urgences, sans bilan complémentaire et sans acte de radiologie, a un coût de 161,50 euros. Je rappelle qu'une consultation en médecine générale coûte actuellement 25 euros en cabinet médical.

Le rapport de la Cour des comptes préconise de favoriser la collaboration entre les médecins généralistes volontaires et les services d'urgence afin de développer les consultations médicales de soins non programmés en journée. Il souligne par ailleurs l'intérêt des primary care centers aux États-Unis et au Royaume-Uni, sortes de dispensaires qui permettent d'orienter les patients. Le mot « dispensaire » peut avoir une connotation négative, mais j'ai travaillé à Mayotte pendant un an quand je préparais ma thèse et j'ai pu observer l'efficacité des dispensaires qui existent là-bas : tout le monde peut venir y consulter, on n'y refuse personne.

C'est le principe de mon cabinet médical de soins non programmés : il n'y a pas de sélection à l'entrée. Je suis installé au Puy-en-Velay, dans une zone de désert médical. Les gens qui viennent me consulter me disent qu'ils ont déjà appelé vingt numéros de téléphone avant le mien pour obtenir un rendez-vous. Tous les cabinets médicaux qu'ils ont contactés leur répondent qu'ils ne prennent pas de nouveaux patients et les invitent à aller voir ailleurs. Quand je demande à mes confrères pourquoi ils ne font pas de soins non programmés, ils me répondent qu'ils ont des créneaux libres en fin de journée pour les patients qui appellent en début de journée. En creusant un peu, on se rend compte que ces créneaux sont réservés à leur patientèle. Il ne s'agit donc pas de soins non programmés.

Si tous les généralistes libéraux de France, soit 50 000 praticiens, prenaient en charge ne serait-ce que deux heures par semaine de soins non programmés, via notre application, on pourrait réduire notablement la croissance ininterrompue des urgences. Je rappelle que le nombre de passages aux urgences est passé de 8 millions en 1990 à plus de 21 millions en 2017. Médiveille permet aux médecins de se rendre disponibles en temps réel, de manière visible pour le SAMU et les patients : ils apparaissent en vert sur notre site internet, ce qui signifie qu'ils peuvent être contactés.

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François Lescure, président de Médecin direct

Je vous remercie également de nous avoir invités. Médecin direct est « la plus vieille des plus jeunes » sociétés, puisque nous faisons de la téléconsultation en France depuis maintenant sept ans. Nous commençons d'ailleurs à disposer d'un certain nombre de données disponibles. Ces données permettent d'expliquer les raisons pour lesquelles les gens font appel à nos services, ce qui est essentiel dans le débat actuel.

Médecin direct est un service de consultation médicale à distance qui regroupe une quarantaine de médecins - je suis quant à moi pharmacien ! Nous l'avons créé il y a sept ans après avoir constaté que les médecins échangeaient avec leurs patients en utilisant des outils absolument pas sécurisés. Notre ambition était de faciliter et de sécuriser l'accès des patients aux médecins grâce aux technologies de l'information et de la communication.

D'après différentes enquêtes, 80 % des médecins, voire plus, échangent quotidiennement ou de manière régulière avec leurs patients en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Le temps médical diminue en France. Vous connaissez les chiffres, mais j'aime à rappeler que 55 % des médecins ont plus de 55 ans aujourd'hui. La pyramide des âges du corps médical est donc totalement inversée. Certains praticiens continuent de travailler à plus de 70 ans, mais nous avons tous les jours des appels de pharmaciens qui nous disent qu'ils n'ont plus de médecin dans leur village. Sans médecin, plus d'ordonnances, et sans ordonnances, plus de pharmacie. Or, quand on ferme une pharmacie, on ferme un centre de premier recours – vous comprendrez qu'en tant que pharmacien je défende la pharmacie dans le parcours de soins.

La raison principale pour laquelle les gens sollicitent Médecin direct est le manque de temps médical. Ces patients n'ont généralement pas réussi à obtenir un rendez-vous avec leur généraliste dans un délai raisonnable, sans même parler des spécialistes, dermatologues et ophtalmologues notamment, pour lesquels c'est encore plus difficile.

Quand les patients s'adressent à nous pour poser une question ou nous envoient une photo en cas de problème dermatologique, la réponse leur arrive dans la demi-journée. Je rappelle qu'il y a souvent six mois d'attente avant de pouvoir consulter un dermatologue. Lorsque notre dermatologue n'a pas la solution au problème qui lui est soumis, il renvoie le patient dans le parcours de soins. Notre intervention permet dans tous les cas une forme de régulation. Chez Médecin direct, nous orientons et nous rassurons les patients, mais nous résolvons aussi les problèmes. Aujourd'hui, nos médecins considèrent qu'ils apportent une solution à 85 % des patients qui nous sollicitent. Il y a trois ans, notre service se limitait à du conseil car nous n'étions pas encore autorisés à faire des diagnostics et à délivrer des ordonnances. Le taux de résolution des cas ne dépassait pas 40 %.

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Sibel de la Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social

Mon parcours professionnel m'a amenée à créer le métier de coursier sanitaire et social. Je suis l'une des cofondatrices de la mission France de Médecins du monde et c'est dans le cadre de cette mission, créée en 1985, que j'ai fait pour la première fois l'expérience du système de soins français. J'ai vu passer à cette période plus de 14 000 exclus des soins. La quasi-totalité des médecins bénévoles qui exerçaient dans le cadre de la mission France étaient des médecins libéraux. Il n'y avait parmi eux ni médecins de santé publique, ni médecins de la sécurité sociale, ni médecins hospitaliers.

L'arrivée du sida, en 1987, nous a conduits à créer le premier centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG). Il m'est arrivé, à cette époque, d'avoir à informer des personnes que leur dépistage était positif, des usagers de drogues et des personnes en situation de marginalité. J'ai aussi contribué à créer le mouvement du réseau ville-hôpital, dont j'ai été la première vice-présidente en charge de la coordination nationale. À partir de 1998, nous avons mobilisé un nombre important de professionnels autour des malades du sida. Cette épidémie nous a tous pris de court. Avec le mouvement du réseau ville-hôpital, il ne s'agissait pas de créer une institution de plus, mais de proposer un mode d'organisation alternatif et de lutter contre l'exclusion.

En 1991, grâce au travail d'analyse de données mené par un sociologue, nous avons compris que le problème n'était pas uniquement l'exclusion ou l'accessibilité aux soins. Les personnes que nous imaginions triplement exclues étaient en réalité vues douze fois par les services sociaux et sept fois par les services médicaux sur un mois. Plutôt que d'exclusion, il fallait donc parler de non-adaptation de l'offre aux besoins du public. Il fallait par ailleurs s'attaquer au problème de communication entre la ville et l'hôpital. Plutôt que d'initier des parcours de soins après des périodes de crise aiguë, nous devions agir en amont, pendant et après, en particulier pour les maladies chroniques.

J'ai repensé, en écoutant les précédents intervenants, à un rapport publié par La Documentation française en 1991 sur la santé des Français. Il préconisait cent orientations possibles pour prévenir les catastrophes que nous affrontons aujourd'hui ! Certaines portaient bien sûr sur le numerus clausus et le vieillissement des médecins libéraux. En 2000, quelques milliers de médecins ont été incités, par des aides financières, à partir en préretraite. L'idée était alors, en réduisant l'offre, de réduire la demande et par conséquent les coûts. Des hôpitaux de proximité ont alors été fermés, mais j'ai appris hier qu'on envisage d'en ouvrir à nouveau…

Actuellement, 153 cabinets généralistes, qui suivent 1 118 patients, utilisent le service offert par Coursier sanitaire et social. Si nous en avions les moyens, nous le proposerions à un bien plus grand nombre de médecins généralistes. Quand on leur offre un service qui correspond à leurs besoins et à ceux de leurs patients, ils sont toujours prêts à s'investir.

Le problème de l'accès aux soins et de leur continuité ne dépend pas uniquement de l'offre et de la demande, mais aussi des besoins. Le rapport de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur les urgences hospitalières au cours des cinq dernières années, montre que 90 % des urgences justifient une intervention d'urgence, même si le recours au plateau technique n'est pas toujours nécessaire. Par ailleurs, j'ai cru longtemps que les urgences étaient plus fréquentées la nuit que le jour, parce que les gens sont plus angoissés. Je me trompais : la majorité des patients viennent pendant la journée.

Les médecins généralistes sont payés environ 5 000 euros nets par mois. Ils ont des charges de cabinet très lourdes, travaillent 65 heures par semaine en moyenne annuelle et ne prennent que trois semaines de vacances chaque année. On ne peut décemment pas, dans ces conditions, faire porter à ce corps professionnel la responsabilité du déficit de l'offre médicale. Les médecins généralistes, cheville ouvrière du système de santé français, sont reconnus depuis seulement 2010 comme le pivot de la politique de santé publique. La stratégie nationale de santé confie l'action de prévention primaire, secondaire et tertiaire, aux médecins généralistes de premier recours. La loi de 2009 les a rendus responsables dans le cadre du parcours de soins coordonnés.

L'ensemble des lois adoptées au cours des dix dernières années sont très intéressantes mais, permettez-moi de le dire, elles ne sont appliquées ni par les instances officielles, ni par le terrain, en raison de résistances culturelles, de la pression des lobbys et d'intérêts divers.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. J'aimerais toutefois que nous puissions entendre maintenant le témoignage de Mme Galley-Allouch, médecin généraliste et utilisatrice de notre service depuis sa création.

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Olivia Galley-Allouch, médecin généraliste

Dans la médecine générale, nous ne faisons pas tous le même métier. Tout dépend de nos préférences. Les confrères qui se sont exprimés avant moi sont très intéressés par la gestion des soins non programmés, et c'est en effet une question importante dans la médecine actuelle, mais la médecine programmée doit également être prise en compte, tout comme le suivi, la coordination de soins et le travail en équipe. Ces deux volets relèvent de la médecine générale mais n'en sont pas moins très différents. Avec Coursier sanitaire et social, il s'agit des soins, du suivi, de la coordination et de la prise en charge au long cours.

Je suis installée en zone déficitaire depuis quinze ans, à Bagnolet. J'ai demandé des subventions pour pouvoir maintenir mon activité et surtout payer une secrétaire, mais on me les a refusées. Je suis particulièrement dégoûtée du manque de considération des tutelles, qui déclarent pourtant vouloir favoriser l'installation et le maintien des médecins. En ce qui me concerne, je n'ai pas été entendue. On considère que je n'ai pas droit à ces subventions. J'ai donc décidé de partir.

Personnellement, en tant que médecin installé, j'aime le suivi. Les consultations non programmées, ce n'est pas mon truc, mais je n'ai pas le choix, je dois en avoir. J'ai donc ouvert une permanence tous les jours, de 15 heures à 17 heures 30. Pendant cette permanence, je ne prends que mes patients. Pourquoi ? Parce que j'en ai entre vingt et vingt-cinq pendant ces deux heures et demie. Je m'attache en priorité au parcours de soins. Je ne peux donc pas prendre les patients que je ne connais pas. C'est du moins ainsi que je vois les choses. J'essaie d'assurer un suivi auprès de mes patients.

Dans un désert médical urbain comme Bagnolet, très différent d'un désert médical rural, je fais face à des populations en grande difficulté sociale et psychologique, qui demandent du temps et de la coordination de soins avec les hôpitaux et les services sociaux. Pour les médecins généralistes, les coursiers sanitaires et sociaux sont une formidable aide. Lorsque nous sommes confrontés à des situations de soins difficiles, avec des patients qui ne parlent pas bien le français et dont le parcours à l'hôpital ou au service social est compliqué, nous déclenchons l'intervention de nos coursiers sanitaires et sociaux, qui permettent à ces patients de voir un spécialiste à l'hôpital, de faire une radio ou de consulter l'assistante sociale de secteur.

Les coursiers sanitaires et sociaux ne prennent pas la place des différents acteurs qui travaillent autour du patient. Ils nous aident à coordonner nos soins et à maintenir les patients à domicile. Ils organisent des réunions de coordination avec les infirmières, le service social et les différents professionnels. Je ne suis pas étonnée d'apprendre qu'un grand nombre de médecins en difficulté aimeraient bénéficier de leurs services. Les coursiers sanitaires et sociaux ne peuvent malheureusement pas répondre à tous, faute de subventions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Bonjour à toutes et à tous. Merci d'être parmi nous. Je commencerai par une question synthétique s'adressant à Médiveille, à Qare et à Médecin direct.

Avec la montée en puissance du numérique et des téléconsultations, quelles marges de progression envisagez-vous pour vos sociétés au cours des cinq prochaines années ? Quels sont les obstacles réglementaires qui pourraient freiner votre développement ?

Ma seconde question porte sur la couverture numérique et vous concerne également tous les trois. Quel devrait être, selon vous, le bon niveau de débit internet pour apporter une réponse de qualité partout sur le territoire aux équipes que vous représentez ?

Enfin, à Mme de La Selle Bilal, je voudrais demander combien il faudrait de coursiers sanitaires et sociaux à l'échelle du pays pour permettre une réponse globale. J'ai entendu le regret de Mme Galley-Allouch de ne pas avoir reçu de subvention pour payer une secrétaire. Les coursiers sanitaires et sociaux pourraient-ils fournir une aide dans ce domaine, à travers une plateforme numérique par exemple ?

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Cyrille Charbonnier, président de Médiveille

Comment favoriser l'émergence de solutions numériques ? Le premier problème réside dans la complexité du système de santé français et dans la diversité de ses acteurs, qui travaillent en outre selon des réglementations très contraignantes, propres à un domaine non commercial - les médecins n'ont pas le droit de faire de la publicité. Il n'est pas évident de communiquer avec l'ensemble d'entre eux, d'autant que leurs intérêts sont divergents. Une solution ne pourra s'imposer qu'à condition de les avoir tous convaincus. Qui sont-ils ? Principalement l'assurance maladie, le ministère de la santé, les agences régionales de santé (ARS), le conseil de l'ordre, les hôpitaux publics, les cliniques privées, les médecins libéraux, les médecins hospitaliers et les syndicats de médecins.

Toutes les start-up de l'e-santé sont confrontées à la difficulté de fédérer les acteurs. Nous avons du mal, en particulier, à obtenir des réponses cohérentes à nos demandes. J'ai reçu plusieurs lettres d'accréditation du ministère après que le professeur Jean-Yves Fagon, délégué ministériel à l'innovation en santé, a décidé de soutenir notre projet. Une autre institution m'a envoyé la réponse suivante : « Nous sommes tout à fait disposés, dans le cadre de notre mission, avec le soutien d'une autre instance, à faciliter la mise en oeuvre d'un dispositif expérimental de mise en relation patients-médecins. » Deux ans plus tard, quand nous avons enfin eu la solution technique permettant de mettre en oeuvre notre projet, nous avons proposé à cette institution une expérimentation sur son territoire. Voici sa réponse : « Toute action concernant la continuité ou la permanence des soins doit prendre en compte tous les acteurs. Ces derniers ont eu le sentiment qu'on leur forçait la main dans un projet qui pourrait les intéresser en tant qu'observateurs de l'offre de soins, mais pas en tant qu'acteurs de la mise en place d'un outil sous-tendu par un modèle économique non public. »

On est ici au coeur du problème : certaines instances du secteur de la santé ne peuvent encore se résoudre à des partenariats public-privé avec des start-up. Ce blocage institutionnel handicape les petites entreprises comme les nôtres. Il est d'autant plus regrettable que d'autres institutions, en revanche, sont prêtes à travailler avec nous. Je pense notamment à Martin Hirsch, qui a passé des accords avec des start-up pour des consultations au sein de l'Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP).

En 2016, j'ai décidé de participer à un appel public à projets de plusieurs millions d'euros, qui réservait 10 % des fonds à des start-up de l'e-santé. J'ai répondu point par point au cahier des charges et déposé ma candidature en août sur une plateforme très complexe d'utilisation. On m'a répondu un mois plus tard, par une simple lettre, que ma candidature n'avait pas été retenue. Aucune audition n'avait été organisée. J'ai appris un an plus tard que les 10 % dédiés aux start-up n'avaient finalement pas été utilisés à cette fin. Les crédits avaient été intégralement dépensés dans le cadre d'un projet hospitalier.

Un nouvel appel à projets a été lancé en décembre 2017, auquel j'ai également participé. Cette fois-ci, je n'ai reçu aucune réponse par lettre, mais un simple coup de fil, pour m'expliquer que mon projet privé ne rentrait pas dans les clous de ce type d'expérimentation.

Plus positif, j'ai rencontré il y a trois semaines Yann Bubien, le directeur adjoint du cabinet de la ministre Agnès Buzyn, qui m'a fait part de son vif intérêt pour des start-up comme les nôtres. Elles répondent selon lui à des besoins que l'État ne sait pas satisfaire et peuvent l'aider à mener de nouvelles expérimentations.

Ainsi, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice nous a contactés pour une expérimentation qui vise à décharger les urgences de l'hôpital de Nice, en partenariat avec l'union régionale des professionnels de santé (URPS), la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA) et l'agence régionale de santé (ARS).

De manière générale, l'ambivalence à l'égard du privé demeure. Les réponses qui nous sont faites sont parfois positives, parfois négatives, sans que l'on comprenne vraiment leurs motivations intrinsèques.

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François Lescure, président de Médecin direct

Sur la question de savoir si les médecins vont faire un usage croissant des technologies de l'information et de la communication pour échanger les dossiers médicaux et communiquer avec leurs patients et leurs confrères, nous sommes tous d'accord ici. Deux consultations sur dix pourraient bénéficier d'un mode éloigné de consultation, ou en tout cas d'une visite virtuelle, qu'elle soit par téléphone, par écrit ou par visioconsultation.

Quand on leur demande de se projeter à cinq ans, les médecins estiment qu'une consultation sur deux se fera probablement à distance. L'utilisation des technologies de l'information et de la communication va donc aller en augmentant, mais dans des proportions variables selon les tranches d'âges et le sexe des patients. Ces deux critères sont très importants. Ils sont les plus discriminants lorsque nous faisons des analyses de données.

Les moins de 30 ans qui n'ont pas de pathologie déclarée ou chronique communiquent de manière naturelle par visioconsultation ou par SMS. Leur relation au médecin est calquée sur leur comportement de consommateur. Ils consomment du médecin comme ils consomment du taxi. Il s'agit évidemment d'un simple constat, non d'un jugement.

Les plus âgés ont une relation au médecin tout à fait inverse, ce qui suscite des inquiétudes après que la sécurité sociale a décidé de privilégier les visioconsultations. Que devons-nous dire aux 20 % de plus de 80 ans qui font appel à Médecin direct, qui n'ont pas la possibilité de faire une visioconsultation et qui aimeraient avoir leur médecin traitant au téléphone ? La sécurité sociale et le ministère de la santé entendent lutter contre une médecine à deux vitesses, mais ils vont créer avec cette mesure une médecine à trois vitesses. La population qui a besoin de nos services dans le cadre de soins non programmés ne correspond pas du tout au profil souhaité par la sécurité sociale. Certes, de gros progrès ont été faits, avec une ouverture beaucoup plus large de la possibilité de téléconsulter aujourd'hui. Rappelons-nous cependant que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », qui a instauré la télémédecine, a neuf ans aujourd'hui. Force est de constater que nous ne sommes pas dans une démarche proactive sur ce sujet.

Depuis neuf ans, des expérimentations et uniquement des expérimentations ont eu lieu. Je suis bien placé pour le savoir puisque je suis l'un des cofondateurs de France eHealth Tech, l'association des start-up d'e-santé de France. Nous avons été considérés comme des perturbateurs et des expérimentateurs satellites, et on nous a laissés faire, même si nous n'en avions pas tout à fait le droit. Il est temps aujourd'hui de conclure cette phase. Telles qu'elles ont été menées, les expérimentations se sont révélées contre-productives car elles n'ont fait qu'ajouter des couches de technologies de l'information et de la communication au système existant, sans réformer son organisation en profondeur. Il est difficile, dans ces conditions, de dire qu'une solution est plus efficace qu'une autre. Ce constat est important pour tous les acteurs de la télémédecine et de l'e-santé au sens large.

La standardisation des dossiers est indispensable pour faire en sorte que les professionnels de santé puissent communiquer entre eux. Nous sommes les premiers favorables au dossier médical partagé (DMP) à condition que l'on puisse vraiment y accéder. Nous voulons échanger avec le médecin traitant dans le cadre du parcours de soins. Les rapports que nous produisons, nous ne souhaitons pas les garder pour nous. Nous ne sommes pas dans le suivi des soins. Pour autant, les technologies de l'information et de la communication pourraient permettre de rappeler à certains patients, grâce à des outils de suivi adaptés, l'observance thérapeutique et la bonne conduite à tenir dans certaines situations. Des expérimentations très intéressantes sont menées en ce sens.

La question du numérique est importante, mais il ne faut pas se leurrer. Si je demande qui, dans cette pièce, a déjà fait une visioconsultation avec son médecin, personne ne répondra positivement. Pourquoi ? Parce que cette technique n'est pas encore très fonctionnelle. Une visioconsultation pixélisée, avec un débit exécrable, n'a évidemment pas d'intérêt. Quand un dermatologue examine la peau d'un patient par visioconsultation, si la transmission est de mauvaise qualité, tout le monde perd son temps. Le dermatologue a plus vite fait de demander à son patient de lui envoyer des photos.

Faire de la visioconsultation un élément structurant de la réponse est absurde selon moi. Cette conviction est au coeur du combat que je mène avec l'assurance maladie. À l'origine, on ne considérait pas comme un acte médical le fait, pour un médecin, de parler à son patient. Maintenant que c'est enfin le cas, je ne vois pas ce qui différencie un colloque singulier en présentiel d'un colloque singulier à distance. Dans les deux cas, il s'agit d'un acte médical effectué par un médecin auprès d'un patient, qu'il soit pris en charge ou non par la sécurité sociale.

Pourquoi les modèles que nous avons utilisés chez Médecin direct sont-ils pris en charge par la complémentaire santé ? Parce qu'ils ne le sont pas par la sécurité sociale, mais peut-être cela changera-t-il en septembre. Il faut bien trouver un payeur et répondre à une demande. Tous les praticiens auxquels je fais appel ne sont pas des médecins salariés, mais des médecins libéraux, vacataires, qui vivent des situations de surcharge professionnelle considérable, comme Mme Galley-Allouch. La visioconsultation évitera peut-être les contaminations croisées dans les salles d'attente, mais elle n'allégera pas leur emploi du temps.

Ce qu'il nous faut, c'est du temps médical. Or, il y a du temps médical disponible chez les jeunes retraités. Ces derniers sont capables de donner une heure de leur temps par jour pour faire de la téléconsultation. Ils ont l'intelligence, la clinique et l'expérience pour le faire. Malheureusement, ce n'est pas possible aujourd'hui car les cotisations sociales sont forfaitaires et mensuelles. À condition de réformer ce volet-là, on pourrait libérer du temps médical et accroître du même coup la capacité de réponse de nos plateformes.

Dernier point, si 50 % des 400 millions de consultations annuelles passaient en téléconsultations, aucune des start-up ici présentes ne seraient capables de proposer 200 millions de téléconsultations annuelles. Il va donc falloir que nous grossissions et que nous trouvions des relais.

Il faut permettre aux plateformes de télémédecine d'apporter un service efficient et efficace. Il ne faut pas grande chose, sur le plan économique, pour qu'elles deviennent des sociétés qui gagnent de l'argent. Dans le privé, nous ne rechignons pas à faire du profit et à offrir un service de qualité, surtout dans le domaine médical.

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Avant de répondre aux questions que vous avez posées sur nos perspectives, la couverture débit et les obstacles qui persistent, j'aimerais souligner que nous revenons de loin s'agissant de la télémédecine et de la téléconsultation en France. Comme l'a dit le docteur Lescure, nous avons connu neuf années d'expérimentations régionales, qui ont abouti à un bilan que la Cour des comptes elle-même a déclaré ne pas pouvoir évaluer. La situation a notablement changé depuis septembre 2017 et l'annonce de la fin des expérimentations par Mme Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a aussitôt pris le relais, par la voix de son directeur général Nicolas Revel, afin de travailler activement à l'intégration de la télémédecine au parcours de soins, et donc à son remboursement. Ce premier élément est important car, comme le dit M. Revel, il est possible de passer d'une situation de retard à une situation de quasi-leader européen. Nous devons donc nous inscrire dans une démarche résolument positive.

Sur les perspectives de la téléconsultation, nous disposons des mêmes chiffres que le docteur Lescure. Nous avons en outre demandé à l'institut de sondage Ipsos de réaliser une étude, dont je pourrai, si vous le souhaitez, vous communiquer les résultats précis. Les patients interrogés estiment que la moitié des consultations qu'ils ont effectuées au cours de l'année écoulée auraient pu faire l'objet de visioconsultations. C'est un résultat très optimiste et, je partage l'avis de M. Lescure, nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, de répondre à une telle demande – mais nous pourrons l'être à terme. Les médecins généralistes et spécialistes estiment quant à eux que 20 % de leur activité pourrait consister en des visioconsultations. Précisons que la population de médecins interrogés n'était pas une population de médecins pratiquant déjà la téléconsultation. La vérité se trouve probablement entre la projection des patients et celle des médecins, c'est-à-dire entre 50 % et 20 % de visioconsultations, soit un chiffre considérable.

Au sujet des perspectives d'avenir, un point n'a pas encore été abordé, celui des objets connectés, un domaine encore très flou. Le Conseil national de l'Ordre des médecins a demandé qu'ils fassent l'objet d'une labélisation. Ce sera sans doute une deuxième étape importante dans le développement de la téléconsultation.

Je partage tout à fait la vision de François Lescure sur la question du temps médical. Les activités médicales de suivi de patients sont actuellement très programmées. La population des médecins a profondément changé. Non seulement elle vieillit, comme cela a été rappelé – 55 % des médecins ont plus de 55 ans -, mais les médecins les plus jeunes, qu'ils soient hommes ou femmes – la médecine est une profession qui s'est notablement féminisée -, ont adopté un nouveau modèle de fonctionnement. Leurs aspirations personnelles et professionnelles sont très différentes de celles de leurs aînés.

Les médecins retraités ont été évoqués. Pour ma part, j'insisterai particulièrement sur les médecins hospitaliers. Mme Buzyn a appelé de ses voeux, dans le développement de la stratégie nationale de santé, des coopérations entre médecins hospitaliers et médecins libéraux favorisant l'ouverture de l'hôpital sur la ville. Je pense qu'on peut en effet aller plus loin dans ce domaine, même si des limites physiques et pécuniaires réelles existent. Un médecin hospitalier qui se lance dans une activité libérale a des charges. Il doit payer des cotisations à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF). Son point d'équilibre, je l'ai vérifié moi-même, se situe autour de 50 % du temps consacré à l'activité libérale. Celle-ci n'est absolument pas envisageable, en revanche, s'il lui consacre moins de la moitié de son temps. Un statut doit par ailleurs être trouvé pour les médecins hospitaliers qui veulent s'investir dans d'autres structures que l'hôpital. Il faut permettre à ces structures de les embaucher en toute légalité. Actuellement, un médecin qui a le statut de praticien hospitalier ne peut pas exercer dans une autre structure.

Pour favoriser le développement de la télémédecine, il est important qu'elle soit bien intégrée au parcours de soins. Ce n'est sans doute pas très original de le dire, mais la télémédecine doit être assurée principalement par des médecins libéraux installés. C'est précisément ce dont discutent actuellement la CNAMTS et les syndicats de médecins. L'objectif n'est absolument pas de créer des plateaux avec 500 télémédecins, présents 24 heures sur 24. Je rejoins la position de ma consoeur, Mme Galley-Allouch, dont l'activité de médecine générale se caractérise par un fort suivi de patients chroniques : la télémédecine va servir principalement – à 80 % peut-être – au suivi des patients chroniques par leur médecin généraliste. Ce point a été acté entre la CNAMTS et les syndicats de médecins.

N'oublions pas cependant qu'à l'origine, la télémédecine et la téléconsultation devaient permettre de cibler les personnes qui n'ont pas accès aux soins ou qui en sont éloignées. Si on réserve désormais la téléconsultation aux patients qui ont déjà un médecin traitant, on inflige une double peine aux patients qui ont du mal à accéder aux soins. La logique territoriale qui préside actuellement est positive, mais il faut ouvrir un champ organisationnel structurant pour l'accès aux soins.

En ce qui concerne la couverture débit, il est aujourd'hui admis qu'une téléconsultation, pour être considérée comme telle, et donc facturable, devra être réalisée en vidéo. Il existe un peu partout sur le territoire des problèmes de débit, mais une consultation audio peut parfois avoir la valeur d'une consultation vidéo. Il s'agit d'un point qui mériterait d'être précisé. Chez Qare, nous avons anticipé cette problématique. Dès que le débit ne permet pas une consultation vidéo, nous passons directement à l'audio, pour ne pas abandonner le patient.

S'agissant des obstacles qui persistent, j'en ai évoqué quelques-uns tout à l'heure, mais je voudrais insister sur un point particulier. L'accès aux soins repose sur deux jambes : d'un côté, le suivi de patients chroniques, soit 80 % de l'activité ; de l'autre, les soins non programmés. Lorsqu'on privilégie une jambe, on marche à cloche-pied. Nous devons réussir à trouver un équilibre entre les deux formes d'accès aux soins. Aussi l'accord entre la CNAMTS et les syndicats de médecins, sur le point d'être signé, mériterait-il selon moi une dernière discussion avant d'être finalisé, sur le statut des organismes de télémédecine en particulier.

Nous avons pris du retard sur le DMP, c'est une évidence, tout comme sur l'utilisation des messageries sécurisées de santé (MSS) - elles constituent un élément très important pour la communication des informations -, sur la standardisation et l'interopérabilité entre les logiciels. Dernier élément, et non des moindres, un certain nombre de citoyens français vivent en dehors des frontières de la France. Le système de santé français leur manque souvent. Que prévoit-on pour eux ?

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Sibel de la Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social

Contrairement à ce que tout le monde pense, les médecins généralistes libéraux n'exercent pas seuls. C'est ce qu'a montré l'étude d'opportunité et de faisabilité que nous avons menée pendant deux ans, dans cinq régions, auprès de 1 700 participants – médecins infirmières et pharmaciens. La quasi-totalité des médecins libéraux collaborent avec d'autres professionnels. François Lescure, qui est pharmacien, le confirmerait sans doute : il ne se passe pas un seul jour sans qu'un médecin appelle un pharmacien ou un pharmacien un biologiste. Cette collaboration a toujours existé. Dans une région, nous avons réussi à mettre en place la prise en charge intégrée des malades de l'hépatite C, des usagers de drogues et des patients alcooliques, en parlant avec un gastro-entérologue local, désormais correspondant des médecins généralistes.

Reste qu'une évolution est patente : les communications entre les professionnels de santé se font de plus en plus par messagerie sécurisée. Il faut donc réfléchir à la manière d'améliorer les conditions de communication interne entre les professionnels du soin de premier recours. Chez Coursier sanitaire et social, nous avons conçu un nouveau système intranet entre le médecin, ses correspondants et nous. Nous communiquons en temps réel avec les médecins par mails ou par Skype. Nos équipes effectuent des visites à domicile pour les patients inclus dans le dispositif. Malheureusement, la sécurité sociale ne rembourse pas le temps passé par un médecin au téléphone pendant un quart d'heure de consultation, non plus que le temps passé par un pharmacien, un kinésithérapeute ou une infirmière diplômée d'État (IDE) avec le patient.

Nous organisons également des réunions de concertation de proximité. D'aucuns pensent que les médecins généralistes devraient se rendre davantage à l'hôpital pour se familiariser avec les dernières évolutions médicales. Les médecins généralistes considèrent pour leur part que les médecins hospitaliers et les salariés des ARS gagneraient à venir les voir travailler dans leur cabinet. Nous sommes tous passés par l'hôpital. Nous avons été internes et nous savons comment il fonctionne. En revanche, il y a peu de médecins hospitaliers qui connaissent le fonctionnement de la médecine libérale.

En ce qui concerne l'opposition entre soins programmés et soins non programmés, les études de la DREES montrent bien que les épisodes de crise aiguë s'expliquent par des lacunes dans le suivi en amont des patients. L'une d'elles a ainsi révélé que plus de la moitié des personnes qui s'étaient rendues aux urgences hospitalières n'avaient pas consulté préalablement leur médecin généraliste, pourtant censé réguler le parcours de soins. Comment l'expliquer ? Tout simplement parce qu'aux urgences, ces personnes n'ont pas besoin de payer. Quand on touche le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ou d'autres minima sociaux, il est très compliqué de faire une avance de frais. Passer au tiers-payant généralisé permettrait de réduire les consultations en soins non programmés.

Quant à la couverture numérique, je rappelle qu'il existe un grand nombre d'endroits en France où le débit est insuffisant. Les patientèles que nous accompagnons ne disposent pas d'une connexion internet. Les personnes qui achètent un smartphone sont souvent obligées de le rendre au bout de six mois. Les conditions du suivi médical des patients en difficulté ne sont pas réunies. Il faudrait leur permettre de s'équiper avec les outils internet et d'acquérir un smartphone.

J'en viens à votre question, monsieur Vigier, sur le nombre de coursiers sanitaires et sociaux nécessaire pour gérer les cabinets de médecins généralistes. D'après l'Atlas de la démographie médicale en France, les médecins généralistes sont 101 000, dont 60 % de médecins libéraux, soit environ 60 000 praticiens. Un cabinet médical couvre en général entre 1 000 et 1 200 patients ; dix cabinets médicaux couvrent donc 10 000 patients environ. Si l'on se réfère aux expérimentations menées en Angleterre depuis 2014 et à notre propre expérimentation depuis 2008, un effectif de trois équivalents temps plein est nécessaire pour couvrir dix cabinets médicaux et 5 % de malades chroniques en situation difficile.

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Nous faisons face essentiellement à un problème de temps médical et de nombre de médecins. Le vieillissement de la population s'accroît. Les patients sont de moins en moins mobiles. Pour les médecins que vous êtes, la « patate chaude », c'est le patient qui vous appelle dans la journée et qui ne peut pas se déplacer. Vous ne pouvez pas vous rendre à son domicile car une visite vous prend une heure.

Comment maintenir l'offre de soins, voire l'accroître, alors que les médecins sont en nombre insuffisant ? Toute la problématique est là, me semble-t-il. Nous avons connu autrefois des médecins qui faisaient des consultations libres. Les soins non programmés étaient alors beaucoup plus simples. Maintenant, pratiquement tous consultent sur rendez-vous, car ils veulent maîtriser leur temps, ils ont une famille, des enfants.

L'outil numérique me paraît effectivement essentiel, d'autant que la France a un bon maillage d'infirmières, même en zone rurale. Quelles solutions numériques pouvez-vous apporter aux patients les plus chronophages, qui ne peuvent plus se déplacer et qui habitent à plusieurs kilomètres d'un cabinet médical ?

J'ai connu l'informatisation des cabinets médicaux. Au nom du sacro-saint libéralisme, chacun pouvait alors choisir son ordinateur et son logiciel. Résultat, nous avons perdu en efficience et en efficacité. Il aurait sans doute fallu organiser un appel d'offres pour harmoniser l'outil informatique. Qu'en pensez-vous ?

Vous êtes des médecins généralistes de terrain et vous avez créé des start-up avec des outils efficaces en vous appuyant sur la subsidiarité. Comme je le dis souvent : ce que l'on demande à une voiture, c'est qu'elle roule ; après, il peut y avoir des options. Pour les patients les plus fragilisés, ceux qui ne peuvent pas se déplacer, quelle est l'efficience de l'outil informatique ?

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Je vous ai écoutés attentivement et j'ai entendu parler beaucoup de start-up, d'expérimentations, de problèmes de haut débit.

Pensez-vous qu'il existe en France une gouvernance cohérente de la politique numérique en matière de santé ? En sentez-vous les prémisses ou reste-t-elle inexistante ? Dans ce cas, quelles seraient les propositions que vous pourriez formuler ?

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Monsieur Lescure, vous proposez de réformer notre système en y introduisant davantage de prévention. Quelles mesures envisageriez-vous pour mettre en oeuvre ce changement ?

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L'installation de plateformes de télémédecine se heurte aujourd'hui à la problématique de leur harmonisation. Les patients se déplacent sur tout le territoire. S'ils utilisent une plateforme dans leur région, il faut que les informations collectées et l'utilisation qui en est faite soient compatibles avec les systèmes utilisés dans d'autres régions. C'est toute la question de la cohérence technique.

Sur mon territoire, l'entreprise Axon'Cable a mis en place un logiciel de prévention de la santé au travail. Cet outil, qui s'appelle « e-check », collecte l'ensemble des données de santé des personnels de l'entreprise. Comment pourrait-il être possible, selon vous, de coordonner les différents dispositifs existants, dans un souci d'efficience et pour le bénéfice des malades comme des médecins ? Ces derniers courent après le temps et cherchent à soigner mieux.

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Avant de vous laisser répondre, j'aimerais à mon tour vous poser deux questions.

Tout d'abord, j'ai mal saisi quelles sont les actions concrètes de Qare et Médiveille, et j'ai du mal à évaluer leur valeur ajoutée pour un territoire qui n'a pas de médecins actuellement. Vous proposez la géolocalisation de médecins disponibles, soit, mais à quoi cela sert-il dans les territoires où il n'y a pas du tout d'offre de soins ? J'ai peut-être mal compris le mécanisme que vous nous avez expliqué.

Ma seconde question concerne votre coeur de métier, c'est-à-dire la collecte de données. Comment vous assurez-vous de la protection des données personnelles que vous recueillez et de leur réemploi éventuel ?

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Le problème, en effet, réside essentiellement dans le temps médical et le nombre de médecins, les médecins ne se déplaçant plus pour certains patients. Pour répondre à cette problématique, nous avons deux pistes : à la fois les infirmières, car en effet leur maillage est bon sur le territoire et elles sont très demandeuses, et les pharmacies, qui vont probablement évoluer en devenant des lieux de soins. Le métier de pharmacien est en pleine évolution. Pour les patients qui n'ont plus de cabinet médical à proximité de chez eux et qui peuvent être aidés dans le cadre d'une visioconsultation, la pharmacie pourrait devenir un lieu de soins essentiel.

Quant aux questions posées sur la mobilité, l'interopérabilité des systèmes et la valeur ajoutée des plateformes de télémédecine, après avoir insisté sur l'aspect territorial des négociations, je voudrais insister à présent sur le caractère supraterritorial de Qare. La solution que nous développons est valable au niveau national, voire même international. C'est tout le charme d'internet : vous y avez accès de partout dans le monde. Pour un patient mobile, l'application est donc exactement la même qu'il soit à Lille ou à Marseille. Si le cadre légal finit par adopter une logique nationale, Qare aura une valeur ajoutée pour l'ensemble de ses utilisateurs, y compris dans les déserts médicaux. Un patient du 19e arrondissement de Paris – cessons de stigmatiser la Creuse, cet arrondissement est en train de devenir un véritable désert médical – pourra ainsi poser une question à un médecin de Lille si ce médecin est le seul disponible à ce moment-là.

Sur la structuration de la stratégie nationale de santé, je n'ai pas de commentaire particulier à formuler. Une fois de plus, nous revenons de loin. Nous sommes probablement au début d'un processus qui va se structurer.

Les données de santé, enfin. Il s'agit d'un aspect essentiel pour les patients comme pour les professionnels. Nous sécurisons bien évidemment toute la chaîne. Nous ne chargeons rien ni sur l'ordinateur du médecin, ni sur l'ordinateur ou le téléphone portable du patient. Toutes les données sont « cloudées » et hébergées par un hébergeur agréé de données de santé – OVH en l'occurrence, mais il en existe d'autres. Tous les flux montants et descendants sont des flux cryptés. Par ailleurs, il n'y a pas d'enregistrement des sessions vidéo. Ce qui fait foi, c'est le compte rendu rédigé à la fin de la consultation par le médecin, exactement comme dans un dossier médical.

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Cyrille Charbonnier, président de Médiveille

Qu'attendons-nous aujourd'hui ? J'ai eu, à titre personnel, différents échanges avec des responsables du ministère et avec le Conseil national de l'Ordre des médecins, en particulier avec son président et son vice-président, Patrick Bouet et Jacques Lucas. Dans les deux cas, une labélisation m'a été promise. Elle nous serait en effet très utile pour avancer, mais le Conseil de l'Ordre n'a rien confirmé. Un département e-santé devrait par ailleurs être créé au sein du ministère de la santé, avec des aides financières dédiées. Nous attendons bien évidemment sa création avec intérêt.

S'agissant de la plus-value de Médiveille, elle provient également de son fonctionnement national. Tous les médecins libéraux français sont référencés dans notre application, ainsi que les maisons médicales de garde et les hôpitaux dotés d'un service d'urgence ouvert 24 heures sur 24. Médiveille présente donc l'offre de soins la plus globale possible, sur tout le territoire, en temps réel. Les médecins se déclarent disponibles en temps réel sur l'application.

La plus-value de Médiveille par rapport à l'offre de soins se trouve aussi dans les partenariats que nous avons noués avec les SAMU. Quand on est régulateur SAMU en journée, on peut proposer aux patients qui appellent le 15 de leur envoyer les pompiers ou une ambulance, d'attendre l'ouverture de la maison médicale de garde à 20 heures, de se rendre aux urgences ou de recevoir la visite d'un SMUR – mais le coût élevé de cette visite, 3 000 euros, nous incite à la proposer avec prudence. La prise en charge des urgences et les réponses qui sont faites au niveau du standard du SAMU ont fait récemment fait la une de l'actualité. Il faut aider le SAMU à avoir une visibilité en matière de médecine générale, et à apporter des solutions en temps réel aux patients en les adressant à des médecins immédiatement disponibles.

Pour mobiliser les médecins, une réforme des rémunérations sera nécessaire. Des pistes sont actuellement examinées au niveau du ministère. La MRT, « majoration régulation médecin traitant », mise en place depuis le 1er janvier 2018, pourrait être généralisée. Il s'agit d'un supplément de 15 euros pour les médecins qui acceptent de voir un patient sur demande du SAMU. De nouveaux modes de rémunération sont par ailleurs à l'étude. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), est versée de manière annuelle par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Toute disruption par laquelle on change le mode de fonctionnement du système grâce à une rupture innovante se heurte à des oppositions. Elle ne peut aboutir que par des rémunérations adaptées.

On peut se féliciter que cinq territoires de soins numériques aient été mis en place, avec 80 millions d'euros dédiés à l'innovation numérique. Je pense notamment à TerriSanté en Île-de-France et à Pascaline en Auvergne-Rhône-Alpes. De nombreuses expérimentations locales ont été menées. Nous pensons, comme d'autres, qu'il convient maintenant de passer à l'échelle du pays. Médiveille propose une solution qui est tout de suite applicable au niveau national.

Nous avons été contactés par la Guadeloupe. L'hôpital de Pointe-à-Pitre a brûlé et le service d'urgence fonctionne à 30 % de ses capacités. Médiveille permettrait d'organiser une permanence de soins en journée et d'envoyer les patients chez les médecins généralistes disponibles. La Guyane nous a aussi contactés après que dix-sept médecins urgentistes ont démissionné à Cayenne. Notre offre est donc très actuelle et concrète.

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François Lescure, président de Médecin direct

De nombreuses questions ont été posées, auxquelles je vais tenter de répondre.

Pour les personnes dépendantes, il est clair qu'une médiation est nécessaire, qu'elle vienne d'un aide-soignant ou d'une infirmière, pourvu que ce soient des requérants de la téléconsultation. Ces patients ont besoin de consulter des spécialistes, un gériatre notamment. L'aide-soignant et l'infirmière, parce qu'ils sont à leur contact direct et qu'ils sont requérants de la télé-expertise, jouent un rôle d'intermédiaire important.

Le pharmacien lui-même doit devenir un requérant de la téléconsultation et de la télé-expertise. Ce n'est pas encore acquis, mais cela permettrait de remettre un peu d'élan dans l'accueil et les premiers soins en pharmacie.

Sur le développement de la télémédecine, nous sommes plutôt satisfaits. Reste toutefois à mettre en oeuvre le fonctionnement pratique. Si nous tardons trop, nous risquons de voir des sociétés européennes et américaines prendre d'assaut le marché français. Nos petites start-up qui commencent à se structurer et à s'ancrer localement ne tiendraient pas la distance face à des sociétés beaucoup plus organisées. Pour leur permettre de jouer dans la cour des grands, il faut leur accorder plus de moyens. Les systèmes de santé anglais et français ne sont pas comparables, mais la sécurité sociale anglaise a débloqué il y a cinq ans 100 millions de livres au profit des start-up d'e-santé pour les aider à démarrer. En France, le financeur de toutes nos activités santé est la sécurité sociale. Or, aujourd'hui, elle est la grande absente. Nous touchons des financements régionaux, dans le cadre des fonds d'intervention régionaux (FIR), mais ils nous restreignent au niveau régional. Comme mon confrère l'a souligné, il faut arrêter le régional et engager une démarche nationale. Il n'est pas cohérent qu'un dossier médical se construise différemment dans deux régions. L'intérêt des technologies de l'information et de la communication est de proposer, à partir d'un maillage national, des applications régionales.

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J'entends votre volonté de construire au niveau national, mais il faut aussi accompagner les initiatives locales et régionales. Si on ne fait que du national partout, on ne fait jamais rien. Je rappelle par ailleurs qu'il existe des fonds d'amorçage de start-up. Ce sont notamment la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance.

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François Lescure, président de Médecin direct

Certes, mais il faut un modèle économique.

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Un modèle économique extrêmement modeste. Évidemment, si vous demandez 500 000 euros de fonds, c'est plus difficile, mais, franchement, il y a de belles initiatives. Plusieurs fonds d'amorçage existent dans ma région et je m'occupe moi-même d'une association qui gère un village de start-up. Je vous en parle donc en connaissance de cause.

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François Lescure, président de Médecin direct

On ne peut pas construire une entreprise privée pérenne sans des financements très clairs. Chez Médecin direct, pourquoi avons-nous choisi les complémentaires santé ? Parce que ce sont les seules qui ont accepté de relever le défi de la téléconsultation. Par qui sont financées les plateformes de téléconsultation aujourd'hui ? Par les complémentaires santé.

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Accordez-moi qu'il n'existe pas actuellement de modélisation nationale de la téléconsultation. Vous avez vous-même évoqué les pharmacies. Comment les pharmaciens sont-ils rémunérés ? Qui paie l'installation et qui assure le fonctionnement au quotidien ? Quels types d'actes vont-ils effectuer ? Comment le temps passé est-il rémunéré ? Ce sont des questions légitimes, que j'ai soulevées lorsque j'ai rencontré le Conseil national de l'ordre des pharmaciens et auxquelles il n'y a pas de réponses aujourd'hui. Nous sommes dans un moment où émergent un grand nombre d'idées. Nous verrons plus tard quelles sont les plus pertinentes. Vous ne pouvez pas avoir une réponse identique dans la Creuse, dans le 20e arrondissement et en Bretagne.

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François Lescure, président de Médecin direct

On peut très bien avoir des initiatives régionales. Mais pour créer des modèles pérennes, il faut le niveau national. Vous savez qui sont les payeurs dans la santé : le patient, la complémentaire et la sécurité sociale. Pour être pérenne, un modèle économique doit reproduire rapidement ce schéma.

Les expériences de suivi de patients en insuffisance cardiaque ou de patients traités par pression positive continue, démontrent l'importance d'un modèle économique pérenne. La télésurveillance d'un insuffisant cardiaque qui dispose d'une balance et d'un tensiomètre à domicile, peut lui sauver la vie. À un moment donné, il faut juste choisir le bon curseur dans la prise en charge et la mutualisation.

Dernier point, nous assistons aujourd'hui à des évolutions profondes et à un changement de paradigme. Nous ne sommes plus dans une prise en charge du soin mais dans une prise en charge de la santé globale, d'où mon insistance sur la prévention. Au quotidien, les médecins de Médecin direct qui répondent aux appels de patients se consacrent avant tout à rassurer, orienter et faire de la prévention. L'évolution du système de soins dans les prochaines années, avec l'émergence des objets connectés et de nouveaux outils, va permettre de prévenir un certain nombre de problèmes de santé.

L'un de nos médecins m'a dit une fois : « Tu sais, François, nous n'avons rien appris d'autre que de soigner un mal avec des médicaments. » Chez Médecin direct, nous formons à la téléconsultation, parce qu'on ne fait pas une téléconsultation comme une consultation. Nos médecins sont formés et encadrés. Nous ne sommes donc pas en train de déplacer la consultation vers la téléconsultation. Nous apportons, via la téléconsultation, les éléments qui manquent à la consultation physique.

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Vous avez dit tout à l'heure que vous ne seriez pas en capacité de satisfaire un trop grand nombre de patientèles. Un point est important, en revanche : l'urgence de la situation. Vous avez de beaux projets, de belles pépites, mais il nous faut trouver une solution immédiatement, ou tout du moins dans les cinq ans à venir. Il est sans doute un peu tard pour se positionner sur la question de l'accès aux soins.

En termes de financements, quel accompagnement recevez-vous de la part du secrétariat d'État chargé du numérique ?

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Je partage votre avis sur les perspectives. Nous avons l'impression d'en être encore aujourd'hui au niveau zéro. Pour franchir un pas, il faudrait que la réglementation évolue. Elle est en train de le faire puisque le remboursement de la téléconsultation sera effectif à partir du 15 septembre prochain. On imagine l'effet d'accélérateur qu'aura cette mesure pour les patients. Je rappelle qu'il y a un mois et demi, la perspective était encore l'année 2020 pour les patients en affection de longue durée (ALD), en EHPAD ou en zone sous-dense uniquement. Il y a donc aujourd'hui un gros coup d'accélérateur. On ne peut prévoir quel sera le nombre de visioconsultations. La CNAMTS l'a évalué, un peu « au doigt mouillé ». On est de toute façon au début du processus et personne ne peut dire ce qu'il en sera dans deux ans. Reste que le remboursement de la téléconsultation, ou encore son intégration dans le droit commun, est une première bonne décision.

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Le sondage que vous avez évoqué tout à l'heure montre par ailleurs l'acceptabilité sociale de la téléconsultation.

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Tout à fait.

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Pour généraliser la téléconsultation, il faut toutefois régler le problème de la couverture numérique. Avec un débit de 20 mégaoctets, on ne peut pas faire une téléconsultation de qualité.

Par ailleurs, où se feront les téléconsultations ? Va-t-on demander aux mairies de monter des cabines de téléconsultation ? Ou seront-elles installées dans les pharmacies ?

Enfin, question à laquelle vous n'avez pas répondu, quelle nomenclature doit-on mettre en place pour rémunérer les professionnels de santé qui gèrent ces cabines ?

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

La couverture numérique du territoire ne dépend malheureusement pas de structures comme les nôtres. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du projet OneWeb, largement financé par Airbus. En réalité, ce qui tire actuellement la couverture en haut débit, c'est la voiture autonome. Celle-ci ne peut évidemment pas fonctionner avec la fibre optique, ni avec les relais actuels, sinon elle arrêterait de rouler dès qu'elle passerait dans une forêt ou une vallée. La voiture autonome va rouler grâce à un réseau de satellites à basse altitude. Airbus est très présent sur ce marché, via ce projet OneWeb. Je ne sais pas pourquoi on en entend si peu parler.

Vous avez probablement davantage entendu parler de SpaceX. Pourquoi Elon Musk travaille-t-il actuellement sur des fusées réutilisables ? C'est parce qu'il faut 1 000 à 1 200 satellites pour faire un réseau satellitaire de basse altitude. Une fusée qui peut servir plusieurs fois est donc un avantage. Les fusées réutilisables commenceront à être lancées à partir de 2020. L'objectif est que la voiture autonome puisse rouler partout en 2025. Des services comme les nôtres vont évidemment bénéficier de cette dynamique.

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Vous ne m'avez pas encore répondu sur la nomenclature.

S'agissant du dossier médical partagé (DMP), redoutez-vous l'échange généralisé du Big Data et le mode dégradé d'accès aux données ? Comme vous le savez, le DMP n'est pas accessible à tout le monde. Il constitue pourtant le noeud gordien de la redondance des soins, source de surcoûts et de conséquences thérapeutiques graves.

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Sur le DMP, comme le disait le docteur Lescure, nous y sommes évidemment plus que favorables. Pourquoi certains pays sont-ils plus avancés que nous dans la téléconsultation ? Parce qu'ils ont déjà réglé le problème des messageries sécurisées de santé, du dossier partagé et de l'identifiant unique. La CNAMTS nous l'a promis pour octobre 2018. Nous savons très bien qu'il contiendra d'abord uniquement des données de facturation, et très peu de données médicales. Nous apprendrons probablement en faisant, comme le veut une stratégie très à la mode aujourd'hui, mais il faudra que le système évolue. Une fois de plus, cela ne relève pas de nous.

En ce qui concerne la nomenclature, il est prévu a priori que la CNAMTS utilise des lettres clés qui existent déjà, ce qui permettrait de tenir l'objectif du 15 septembre. Je ne suis pas directeur général de la CNAMTS, je ne peux donc vous en dire plus.

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Cyrille Charbonnier, président de Médiveille

Concernant les évolutions politiques à attendre, j'aimerais citer Patrick Bouet, pour qui la solution viendra des médecins. Il va falloir réussir à travailler ensemble et faire en sorte que les soins non programmés soient liés à des médecins traitants. Les médecins hospitaliers et libéraux doivent coopérer pour les soins non programmés et le suivi. Je le répète, la solution viendra des médecins.

Sur la question du financement, lors du congrès de Bpifrance, en octobre 2017, son dirigeant nous a clairement encouragés à solliciter des financements. C'est Bpifrance qui accorde des financements bien plus que les ministères ou la CNAMTS, même si un fonds Bpifrance-CNAMTS vient d'être ouvert. Pour ce qui nous concerne, nous avons été financés par Bpifrance à hauteur de quasiment 200 000 euros. On nous a clairement avertis que nous avions trois ans devant nous pour mettre en place une solution avant que les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, mais aussi les Chinois, viennent conquérir le marché.

Quant au DMP, je rappelle qu'Alain Juppé a créé la carte Vitale il y a vingt-cinq ans dans le but d'y mettre le dossier du patient. Les premières expérimentations de télémédecine remontent aussi à vingt-cinq ans. Aujourd'hui, nous faisons du sur-place, alors que de belles propositions existent. En tant que médecin généraliste, on m'a imposé d'avoir un DMP synchronisé sur mon logiciel. Les choses bougent et je m'en félicite. L'État manifeste une vraie volonté aujourd'hui de faire évoluer le système. On nous a promis des avancées sur le DMP d'ici la fin de l'année. Il reste un vrai serpent de mer.

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François Lescure, président de Médecin direct

Vous avez évoqué la question de la rémunération des pharmaciens. Aujourd'hui, ils sont en dehors de la légalité quand ils pratiquent un certain nombre d'actes, qui leur sont théoriquement interdits. Il faut savoir que 98 % d'entre eux prennent la tension de leurs patients régulièrement, alors qu'ils n'ont pas le droit de le faire. Ils pratiquent également des prélèvements, alors qu'ils n'y sont pas autorisés. Il règne sur ce sujet une certaine hypocrisie, comme lorsqu'un médecin envoie un courriel à son patient avec une ordonnance en pièce jointe. Tout le monde le fait, mais on se cache les yeux. Et quand une start-up comme la nôtre cherche à développer des services, elle se heurte à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et à quatorze organismes de certification. On nous demande de tout enregistrer et on nous impose des procédures très complexes. Nous nous plions à toutes les exigences, mais cela devient compliqué.

Il faudrait probablement trouver un modèle de rémunération pour les pharmaciens. Ils sont des intermédiaires de la téléconsultation au même titre que les assistantes sociales.

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Le patient a changé. Il est aujourd'hui davantage consommateur qu'acteur de soins. L'éducation thérapeutique permet de réduire le nombre d'hospitalisations, soit un gain financier conséquent.

Personnellement, en tant que patient, je sais que je trouverai toujours dans une ville de France un service médical ouvert 24 heures sur 24 : les urgences. Puisque je sais que les urgences sont ouvertes, pourquoi téléphonerais-je au SAMU ? En plus, je n'ai rien à payer. Cela coûte 161,50 euros, mais je ne le vois pas.

Finalement, le système lui-même n'est-il pas un frein aux services numériques que vous proposez dans le cadre des soins non programmés ? Que pensez-vous, au fond, de ce système ?

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J'ai bien entendu, madame Galley-Allouch, votre problème, que j'observe aussi sur mon territoire.

Ma question s'adresse à Mme de La Selle Bilal. Quel est le nombre de coursiers sanitaires et sociaux en France ? Sont-ils toujours subventionnés par l'ARS ? Quel est le parcours d'installation de cette organisation ?

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La multitude des acteurs que nous évoquons me donne l'impression d'un puzzle, mais quid, en effet, de l'ARS ? Il faudrait peut-être l'auditionner pour savoir si elle est le véritable maître d'oeuvre et comment son action s'articule avec celles des autres acteurs. Je suis très étonnée que personne n'en ait parlé jusqu'à présent.

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Sibel de la Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social

Plusieurs régions commencent à utiliser les coursiers sanitaires et sociaux. Elles nous demandent l'autorisation, parce que nous avons déposé le nom, et nous la leur donnons évidemment. Après notre étude d'opportunité et de faisabilité, j'avais déposé le dossier dans cinq régions. Seule la région Île-de-France l'a accepté, avec un financement très réduit.

Notre modèle est très particulier. Nous touchons des financements de l'ARS et des collectivités territoriales, mais aussi des aides financières liées à la création d'emplois. Les profils de nos coursiers sanitaires et sociaux sont très variés. Il s'agit en réalité d'un nouveau métier, que j'ai créé en 1991, il n'y a donc pas si longtemps. Jusqu'en 2001, j'ai eu dix-sept salariés. Nous recrutons avant tout des gens atypiques. J'ai commencé par recruter des assistants sociaux, mais ils ne connaissaient rien aux problèmes de santé. J'ai embauché ensuite des infirmières, mais c'était encore pire : elles ne connaissaient pas le social et avaient beaucoup de mal à collaborer avec les médecins de ville. C'est pourquoi nous recrutons désormais des gens atypiques, que nous formons et professionnalisons en interne dans le cadre de notre « école d'application ».

Aujourd'hui, les coursiers sanitaires et sociaux sont une centaine, répartis dans plusieurs villes. Dans son rapport de mars 2012, le défenseur des droits a fortement préconisé le recours aux coursiers sanitaires et sociaux. Nous sommes également référencés par la Haute Autorité de santé (HAS) comme apportant un appui à la coordination en médecine générale. Tout ceci nous est favorable, mais nous continuons de nous heurter à la question du financement. Il n'est pas facile d'innover dans des cultures très horizontales, caractérisées par des financements tout aussi horizontaux.

Le programme « territoire de soins numérique » a été évoqué tout à l'heure. Nous avons proposé des expérimentations intégrées aux cabinets de médecins de ville. La réponse a été négative alors que 37 cabinets généralistes étaient prêts à s'impliquer concrètement et à utiliser le numérique dans leur pratique quotidienne. Cette réponse s'explique certainement par le fait que nous n'avons pas choisi la même société que l'ARS d'Île-de-France. Cette société travaille notamment avec les EHPAD alors que nous sommes spécialisés en médecine de ville. Sur le terrain, la situation est compliquée.

Les coursiers sanitaires et sociaux pourraient toutefois créer beaucoup d'emplois. Le ministère du travail et le préfet de Paris nous ont financés pour cette raison. Nous pouvons créer des emplois utiles dans le cadre de la silver economy et aider les médecins à mieux travailler dans leur cabinet. Tout le monde parle du temps médical, mais quand les médecins généralistes travaillent avec nous, ils gagnent en moyenne sept heures par semaine. Ils ont le choix d'utiliser ce temps libéré pour leurs loisirs ou pour le temps médical.

De nouvelles expérimentations vont démarrer sur les modes organisationnels. Le modèle des coursiers sanitaires et sociaux ressemble beaucoup aux link officers du Royaume-Uni, qui commencent aujourd'hui à publier leurs résultats.

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Souhil Zebboudj, directeur commercial de Coursier sanitaire et social

Nous estimons qu'il faudrait un coordinateur d'appui et trois coursiers sanitaires et sociaux pour dix cabinets médicaux. Une telle équipe serait à même de soutenir les médecins libéraux en leur dégageant du temps médical. Elle pourrait également intervenir pour la prévention et l'accompagnement dans le cadre du parcours de soins.

Je viens du monde des GAFAM et j'ai été confronté, il y a une dizaine d'années, à toutes les problématiques qui ont été évoquées. Dans ces entreprises, on parle souvent de l'« expérience client » et de l'« usage ». J'ai découvert le monde médical notamment en travaillant avec Mme Galley-Allouch. Le « forfait structure » inscrit dans la ROSP est censé inciter les médecins à utiliser les dispositifs de soins électroniques, mais les médecins que je côtoie n'y comprennent rien. Ils savent simplement qu'ils peuvent y gagner des points. Je leur ai expliqué que les données passaient par des tuyaux sécurisés, conformément aux obligations fixées par la CNIL, et que l'important était l'usager.

Nous n'avons pas parlé de la formation et de l'accompagnement, qui sont pourtant essentiels. Les coursiers sanitaires et sociaux ne fournissent pas qu'un accompagnement aux patients. Le coordinateur d'appui accompagne les médecins sur le plan administratif.

Lorsqu'un médecin ne peut payer une secrétaire, quel autre mode d'organisation peut-il lui être proposé ? Le télésecrétariat est arrivé avant la téléconsultation et la télémédecine. Nous parlions tout à l'heure de l'arrivée des Américains sur le marché. Nous en avons un bel exemple avec Doctolib et MonDocteur. Si l'on n'accompagne pas les usagers de ces plateformes, les patients et les médecins, l'essor du numérique ne prendra pas et nous aurons, comme d'habitude en France, dix années de retard.

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Cyrille Charbonnier, président de Médiveille

Doctolib est ce qu'on appelle un copycat dans le milieu des start-up, c'est-à-dire une société qui a repris un modèle déjà existant, en l'occurrence celui de Zocdoc aux États-Unis. Des fonds d'investissement américains ont permis la création de Doctolib en 2013 par trois diplômés de l'École des Hautes Etudes commerciales (HEC). Depuis sa création, cette start-up a reçu 91 millions d'euros. Elle se lance aujourd'hui à l'international en se développant sur le marché allemand.

Cette parenthèse étant refermée, je reviens à la question des urgences hospitalières. Pourquoi appeler le 15 et bénéficier de la régulation d'un médecin généraliste plutôt que de se rendre aux urgences ? Parce que les urgences représentent souvent quatre à six heures d'attente. Les patients n'y sont pas, en outre, forcément satisfaits de leur prise en charge. Dans certains territoires, les maisons de garde sont parfois opérationnelles juste à côté des urgences. J'ai même travaillé à La Réunion dans une maison médicale qui se trouvait au sein des urgences. Il y avait beaucoup moins d'attente et les gens étaient très satisfaits d'avoir pu bénéficier d'une prise en charge adaptée.

Il faut remettre de la cohérence dans le système en apportant des réponses adaptées. Il faut éviter de saturer les services d'urgence.

Le patient doit toujours être replacé au coeur du système. Les exemples concrets tirés de la réalité du terrain sont riches d'enseignement. Au tout début de mon cabinet de soins non programmés, j'ai reçu un patient qui avait fait une crise d'épilepsie dans la rue. Il s'était retrouvé aux urgences et le médecin urgentiste lui avait prescrit un antiépileptique pour quinze jours. Il est venu chez moi en me suppliant de renouveler son ordonnance et de le prendre comme patient. J'ai continué à le suivre depuis et je lui ai fait faire des bilans. Cette personne n'avait plus de médecin traitant depuis plusieurs années. Il était en errance médicale.

Au cours des trois derniers mois, j'ai découvert des cancers chez deux patients qui n'avaient pas vu de médecins depuis trois ans. J'assure désormais leur suivi. Quand les gens n'ont plus aucun suivi médical, ils ne bénéficient d'aucune prévention. Dans mon territoire de 28 000 habitants, 2 000 patients n'ont plus de médecin généraliste référent, d'après la caisse primaire d'assurance maladie. Ce chiffre est de 4 000 selon le Conseil national de l'ordre des médecins. Sur le territoire de Saint-Étienne, à proximité, qui compte environ 300 000 habitants, ce sont 20 000 personnes qui sont sans médecin traitant.

Concernant maintenant l'ARS, nous avons des discussions avec ses responsables, qui sont souvent compréhensifs et conscients des enjeux. Dans d'autres instances, nos interlocuteurs sont parfois moins au fait des problématiques de l'économie du numérique et quelque peu donneurs de leçons. J'ai souvent eu l'impression d'être au café du commerce tant certaines questions qui m'étaient posées trahissaient une méconnaissance du sujet. Les gens ne savaient même pas ce qu'était une donnée numérique ou comment fonctionnait une startup. Nos interlocuteurs abondent parfois dans notre sens, mais ils changent en permanence, ce qui est compliqué. J'ai eu affaire à six intervenants en quatre ans dans le cadre du programme « territoire de soins numérique ». J'ai dû à chaque fois raconter à nouveau mon histoire et convaincre.

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On a donné une feuille de route aux ARS pour les prochaines années. La mission de notre audition d'enquête est aussi de les auditionner.

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Je les ai bien inscrites sur la liste des auditions.

J'ai eu un débat très intéressant, sur France 3, avec la directrice de l'offre de soins de l'ARS de mon territoire, une énarque. La technocratie qui s'occupe de la médecine, je trouve ça extraordinaire.

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

La question de l'ARS me semble très pertinente. Le dimensionnement régional et le rôle de l'ARS étaient pertinents dans le cadre des expérimentations sur la télémédecine et la téléconsultation, mais ils n'ont plus aucun sens, selon nous, avec l'entrée dans le droit commun de la téléconsultation. Nous avons eu l'occasion d'en parler avec les représentants du ministère, qui partagent apparemment notre position.

Je constate que vous êtes très pressés d'avancer sur la couverture débit, le DMP et les MSS. Nous le sommes également. Je pense que nous devons nous revoir.

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Le collège des directeurs généraux d'ARS sera auditionné. Nous aurons donc l'occasion de les interroger, d'évaluer leur action et de nous faire une opinion.

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Pour évaluer, il faut des critères d'évaluation. Or, à ma connaissance, nous n'en disposons pas.

J'aimerais votre sentiment, en quelques mots, sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), dotées d'un maillage général.

Pensez-vous, par ailleurs, que demander à des médecins généralistes, afin d'assurer une perméabilité complète entre la ville et l'hôpital, d'assurer des gardes au sein de maisons de garde à l'intérieur des centres hospitaliers, soit une bonne piste ?

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Sibel de la Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social

Les communautés professionnelles territoriales de santé sont une excellente idée, à condition que les ARS les soutiennent réellement. Les médecins généralistes auront-ils du temps pour porter ce projet ? Il faut les indemniser pour cela, au lieu d'indemniser des sociétés de consultants.

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Quand on monte une communauté territoriale, elle est utile ensuite pour les médecins dans la pratique puisqu'elle permet la mise en réseau de tous les acteurs. Que l'on finance un poste de permanent pour assurer l'animation complète de la communauté territoriale, soit, mais on ne va pas mettre en place un système d'indemnisation pour des médecins qui travaillent aux CPTS dans la journée ou le soir.

J'ai l'expérience d'une communauté territoriale qui s'est montée en moins de quatorze mois et qui va être auditionnée par la commission d'enquête. Les médecins ont dû travailler le soir. C'était un peu dur, certes, mais regardez les députés : nous sommes quelques-uns aussi à être présents le soir dans l'hémicycle.

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Sibel de la Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social

Si l'on continue comme cela, il n'y aura pas de projet de CPTS. Aucun médecin aujourd'hui ne peut travailler une heure de plus par jour. Ils travaillent déjà 65 heures par semaine.

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Olivia Galley-Allouch, médecin généraliste

Personnellement, je serais très intéressée par la constitution d'une CPTS ou d'équipes de soins primaires (ESP) avec mes confrères. J'y réfléchis depuis trois ans. Néanmoins, pour me lancer dans de tels projets, je dois prendre sur mon temps du soir. Et le soir, monsieur, j'ai des enfants. Le soir, j'ai besoin d'être avec eux pour surveiller les devoirs. J'ai besoin aussi de souffler après ma journée de soins. J'ai plein d'idées pour une CPTS ou une ESP : la personne âgée à domicile, le maintien, le repère de la fragilité, le suivi des bébés. Mais depuis trois ans, je ne trouve pas le temps ! Quatorze mois pour monter une CPTS ? Mais comment font-ils ?

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Ce n'est évidemment pas tous les soirs pendant quatorze mois. Si vous regardez les modélisations telles qu'elles ont été faites, il y a sept groupes de travail, avec des animateurs par groupe et des réunions de synthèse. Si vous avez un jour la chance d'être élue municipale, vous verrez qu'on est souvent pris le soir. Les CPTS sont un outil extraordinaire pour assurer le travail en réseau et apporter une vraie réponse à la population. L'animation de la structure, naturellement, doit être assurée par un financement qui peut provenir de différents organismes. Nous allons signer la semaine prochaine chez moi avec la Mutualité sociale agricole (MSA), qui va apporter un financement à l'année.

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Olivia Galley-Allouch, médecin généraliste

Les jeunes médecins qui ont des enfants ne peuvent pas consacrer du temps à monter une CPTS. Peut-être ceux dont les enfants sont déjà partis le peuvent-ils, mais les autres non ! Moi, je suis tombée malade, et je suis fatiguée déjà de porter mon cabinet médical à bout de bras. Les médecins sont fatigués. Monter le dossier, rencontrer l'ARS, modifier le dossier en fonction du modèle, tout cela demande du temps, et c'est du temps de soins ou de loisirs en moins.

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Vous avez bien fait d'exprimer votre position, madame, qui est sans doute partagée par d'autres médecins.

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Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare

Il faut mettre les CPTS en perspective. Les maisons de santé pluridisciplinaire (MSP) ont fait l'objet d'un engouement réel, mais elles n'ont pas répondu aux attentes initiales, en raison du problème de la démographie des médecins. Il y a des MSP qui n'ont pas de médecins, ce qui est évidemment gênant. La logique adoptée ensuite a été, plutôt que de faire venir de nouveaux médecins, d'aider ceux qui sont présents à mieux travailler. En ce sens, les CPTS sont une excellente chose, mais leur maillage au niveau national est très incomplet. Il n'y a pas partout des CPTS, c'est une évidence. Pourra-t-on en créer partout ? La question est posée. Sans prêcher pour ma paroisse, je suggère de réfléchir à des CPTS digitales et numériques. Les CPTS doivent-elles forcément être des communautés physiques ?

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C'est une bonne conclusion pour cette audition. Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour votre participation.

L'audition se termine à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9 h 30

Présents. – M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, M. Alexandre Freschi, M. Éric Girardin, Mme Monica Michel, Mme Nicole Trisse, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Didier Baichère, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Stéphanie Rist