Intervention de François Lescure

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

François Lescure, président de Médecin direct :

Sur la question de savoir si les médecins vont faire un usage croissant des technologies de l'information et de la communication pour échanger les dossiers médicaux et communiquer avec leurs patients et leurs confrères, nous sommes tous d'accord ici. Deux consultations sur dix pourraient bénéficier d'un mode éloigné de consultation, ou en tout cas d'une visite virtuelle, qu'elle soit par téléphone, par écrit ou par visioconsultation.

Quand on leur demande de se projeter à cinq ans, les médecins estiment qu'une consultation sur deux se fera probablement à distance. L'utilisation des technologies de l'information et de la communication va donc aller en augmentant, mais dans des proportions variables selon les tranches d'âges et le sexe des patients. Ces deux critères sont très importants. Ils sont les plus discriminants lorsque nous faisons des analyses de données.

Les moins de 30 ans qui n'ont pas de pathologie déclarée ou chronique communiquent de manière naturelle par visioconsultation ou par SMS. Leur relation au médecin est calquée sur leur comportement de consommateur. Ils consomment du médecin comme ils consomment du taxi. Il s'agit évidemment d'un simple constat, non d'un jugement.

Les plus âgés ont une relation au médecin tout à fait inverse, ce qui suscite des inquiétudes après que la sécurité sociale a décidé de privilégier les visioconsultations. Que devons-nous dire aux 20 % de plus de 80 ans qui font appel à Médecin direct, qui n'ont pas la possibilité de faire une visioconsultation et qui aimeraient avoir leur médecin traitant au téléphone ? La sécurité sociale et le ministère de la santé entendent lutter contre une médecine à deux vitesses, mais ils vont créer avec cette mesure une médecine à trois vitesses. La population qui a besoin de nos services dans le cadre de soins non programmés ne correspond pas du tout au profil souhaité par la sécurité sociale. Certes, de gros progrès ont été faits, avec une ouverture beaucoup plus large de la possibilité de téléconsulter aujourd'hui. Rappelons-nous cependant que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », qui a instauré la télémédecine, a neuf ans aujourd'hui. Force est de constater que nous ne sommes pas dans une démarche proactive sur ce sujet.

Depuis neuf ans, des expérimentations et uniquement des expérimentations ont eu lieu. Je suis bien placé pour le savoir puisque je suis l'un des cofondateurs de France eHealth Tech, l'association des start-up d'e-santé de France. Nous avons été considérés comme des perturbateurs et des expérimentateurs satellites, et on nous a laissés faire, même si nous n'en avions pas tout à fait le droit. Il est temps aujourd'hui de conclure cette phase. Telles qu'elles ont été menées, les expérimentations se sont révélées contre-productives car elles n'ont fait qu'ajouter des couches de technologies de l'information et de la communication au système existant, sans réformer son organisation en profondeur. Il est difficile, dans ces conditions, de dire qu'une solution est plus efficace qu'une autre. Ce constat est important pour tous les acteurs de la télémédecine et de l'e-santé au sens large.

La standardisation des dossiers est indispensable pour faire en sorte que les professionnels de santé puissent communiquer entre eux. Nous sommes les premiers favorables au dossier médical partagé (DMP) à condition que l'on puisse vraiment y accéder. Nous voulons échanger avec le médecin traitant dans le cadre du parcours de soins. Les rapports que nous produisons, nous ne souhaitons pas les garder pour nous. Nous ne sommes pas dans le suivi des soins. Pour autant, les technologies de l'information et de la communication pourraient permettre de rappeler à certains patients, grâce à des outils de suivi adaptés, l'observance thérapeutique et la bonne conduite à tenir dans certaines situations. Des expérimentations très intéressantes sont menées en ce sens.

La question du numérique est importante, mais il ne faut pas se leurrer. Si je demande qui, dans cette pièce, a déjà fait une visioconsultation avec son médecin, personne ne répondra positivement. Pourquoi ? Parce que cette technique n'est pas encore très fonctionnelle. Une visioconsultation pixélisée, avec un débit exécrable, n'a évidemment pas d'intérêt. Quand un dermatologue examine la peau d'un patient par visioconsultation, si la transmission est de mauvaise qualité, tout le monde perd son temps. Le dermatologue a plus vite fait de demander à son patient de lui envoyer des photos.

Faire de la visioconsultation un élément structurant de la réponse est absurde selon moi. Cette conviction est au coeur du combat que je mène avec l'assurance maladie. À l'origine, on ne considérait pas comme un acte médical le fait, pour un médecin, de parler à son patient. Maintenant que c'est enfin le cas, je ne vois pas ce qui différencie un colloque singulier en présentiel d'un colloque singulier à distance. Dans les deux cas, il s'agit d'un acte médical effectué par un médecin auprès d'un patient, qu'il soit pris en charge ou non par la sécurité sociale.

Pourquoi les modèles que nous avons utilisés chez Médecin direct sont-ils pris en charge par la complémentaire santé ? Parce qu'ils ne le sont pas par la sécurité sociale, mais peut-être cela changera-t-il en septembre. Il faut bien trouver un payeur et répondre à une demande. Tous les praticiens auxquels je fais appel ne sont pas des médecins salariés, mais des médecins libéraux, vacataires, qui vivent des situations de surcharge professionnelle considérable, comme Mme Galley-Allouch. La visioconsultation évitera peut-être les contaminations croisées dans les salles d'attente, mais elle n'allégera pas leur emploi du temps.

Ce qu'il nous faut, c'est du temps médical. Or, il y a du temps médical disponible chez les jeunes retraités. Ces derniers sont capables de donner une heure de leur temps par jour pour faire de la téléconsultation. Ils ont l'intelligence, la clinique et l'expérience pour le faire. Malheureusement, ce n'est pas possible aujourd'hui car les cotisations sociales sont forfaitaires et mensuelles. À condition de réformer ce volet-là, on pourrait libérer du temps médical et accroître du même coup la capacité de réponse de nos plateformes.

Dernier point, si 50 % des 400 millions de consultations annuelles passaient en téléconsultations, aucune des start-up ici présentes ne seraient capables de proposer 200 millions de téléconsultations annuelles. Il va donc falloir que nous grossissions et que nous trouvions des relais.

Il faut permettre aux plateformes de télémédecine d'apporter un service efficient et efficace. Il ne faut pas grande chose, sur le plan économique, pour qu'elles deviennent des sociétés qui gagnent de l'argent. Dans le privé, nous ne rechignons pas à faire du profit et à offrir un service de qualité, surtout dans le domaine médical.

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