Intervention de Alexandre Maisonneuve

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare :

Avant de répondre aux questions que vous avez posées sur nos perspectives, la couverture débit et les obstacles qui persistent, j'aimerais souligner que nous revenons de loin s'agissant de la télémédecine et de la téléconsultation en France. Comme l'a dit le docteur Lescure, nous avons connu neuf années d'expérimentations régionales, qui ont abouti à un bilan que la Cour des comptes elle-même a déclaré ne pas pouvoir évaluer. La situation a notablement changé depuis septembre 2017 et l'annonce de la fin des expérimentations par Mme Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a aussitôt pris le relais, par la voix de son directeur général Nicolas Revel, afin de travailler activement à l'intégration de la télémédecine au parcours de soins, et donc à son remboursement. Ce premier élément est important car, comme le dit M. Revel, il est possible de passer d'une situation de retard à une situation de quasi-leader européen. Nous devons donc nous inscrire dans une démarche résolument positive.

Sur les perspectives de la téléconsultation, nous disposons des mêmes chiffres que le docteur Lescure. Nous avons en outre demandé à l'institut de sondage Ipsos de réaliser une étude, dont je pourrai, si vous le souhaitez, vous communiquer les résultats précis. Les patients interrogés estiment que la moitié des consultations qu'ils ont effectuées au cours de l'année écoulée auraient pu faire l'objet de visioconsultations. C'est un résultat très optimiste et, je partage l'avis de M. Lescure, nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, de répondre à une telle demande – mais nous pourrons l'être à terme. Les médecins généralistes et spécialistes estiment quant à eux que 20 % de leur activité pourrait consister en des visioconsultations. Précisons que la population de médecins interrogés n'était pas une population de médecins pratiquant déjà la téléconsultation. La vérité se trouve probablement entre la projection des patients et celle des médecins, c'est-à-dire entre 50 % et 20 % de visioconsultations, soit un chiffre considérable.

Au sujet des perspectives d'avenir, un point n'a pas encore été abordé, celui des objets connectés, un domaine encore très flou. Le Conseil national de l'Ordre des médecins a demandé qu'ils fassent l'objet d'une labélisation. Ce sera sans doute une deuxième étape importante dans le développement de la téléconsultation.

Je partage tout à fait la vision de François Lescure sur la question du temps médical. Les activités médicales de suivi de patients sont actuellement très programmées. La population des médecins a profondément changé. Non seulement elle vieillit, comme cela a été rappelé – 55 % des médecins ont plus de 55 ans -, mais les médecins les plus jeunes, qu'ils soient hommes ou femmes – la médecine est une profession qui s'est notablement féminisée -, ont adopté un nouveau modèle de fonctionnement. Leurs aspirations personnelles et professionnelles sont très différentes de celles de leurs aînés.

Les médecins retraités ont été évoqués. Pour ma part, j'insisterai particulièrement sur les médecins hospitaliers. Mme Buzyn a appelé de ses voeux, dans le développement de la stratégie nationale de santé, des coopérations entre médecins hospitaliers et médecins libéraux favorisant l'ouverture de l'hôpital sur la ville. Je pense qu'on peut en effet aller plus loin dans ce domaine, même si des limites physiques et pécuniaires réelles existent. Un médecin hospitalier qui se lance dans une activité libérale a des charges. Il doit payer des cotisations à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF). Son point d'équilibre, je l'ai vérifié moi-même, se situe autour de 50 % du temps consacré à l'activité libérale. Celle-ci n'est absolument pas envisageable, en revanche, s'il lui consacre moins de la moitié de son temps. Un statut doit par ailleurs être trouvé pour les médecins hospitaliers qui veulent s'investir dans d'autres structures que l'hôpital. Il faut permettre à ces structures de les embaucher en toute légalité. Actuellement, un médecin qui a le statut de praticien hospitalier ne peut pas exercer dans une autre structure.

Pour favoriser le développement de la télémédecine, il est important qu'elle soit bien intégrée au parcours de soins. Ce n'est sans doute pas très original de le dire, mais la télémédecine doit être assurée principalement par des médecins libéraux installés. C'est précisément ce dont discutent actuellement la CNAMTS et les syndicats de médecins. L'objectif n'est absolument pas de créer des plateaux avec 500 télémédecins, présents 24 heures sur 24. Je rejoins la position de ma consoeur, Mme Galley-Allouch, dont l'activité de médecine générale se caractérise par un fort suivi de patients chroniques : la télémédecine va servir principalement – à 80 % peut-être – au suivi des patients chroniques par leur médecin généraliste. Ce point a été acté entre la CNAMTS et les syndicats de médecins.

N'oublions pas cependant qu'à l'origine, la télémédecine et la téléconsultation devaient permettre de cibler les personnes qui n'ont pas accès aux soins ou qui en sont éloignées. Si on réserve désormais la téléconsultation aux patients qui ont déjà un médecin traitant, on inflige une double peine aux patients qui ont du mal à accéder aux soins. La logique territoriale qui préside actuellement est positive, mais il faut ouvrir un champ organisationnel structurant pour l'accès aux soins.

En ce qui concerne la couverture débit, il est aujourd'hui admis qu'une téléconsultation, pour être considérée comme telle, et donc facturable, devra être réalisée en vidéo. Il existe un peu partout sur le territoire des problèmes de débit, mais une consultation audio peut parfois avoir la valeur d'une consultation vidéo. Il s'agit d'un point qui mériterait d'être précisé. Chez Qare, nous avons anticipé cette problématique. Dès que le débit ne permet pas une consultation vidéo, nous passons directement à l'audio, pour ne pas abandonner le patient.

S'agissant des obstacles qui persistent, j'en ai évoqué quelques-uns tout à l'heure, mais je voudrais insister sur un point particulier. L'accès aux soins repose sur deux jambes : d'un côté, le suivi de patients chroniques, soit 80 % de l'activité ; de l'autre, les soins non programmés. Lorsqu'on privilégie une jambe, on marche à cloche-pied. Nous devons réussir à trouver un équilibre entre les deux formes d'accès aux soins. Aussi l'accord entre la CNAMTS et les syndicats de médecins, sur le point d'être signé, mériterait-il selon moi une dernière discussion avant d'être finalisé, sur le statut des organismes de télémédecine en particulier.

Nous avons pris du retard sur le DMP, c'est une évidence, tout comme sur l'utilisation des messageries sécurisées de santé (MSS) - elles constituent un élément très important pour la communication des informations -, sur la standardisation et l'interopérabilité entre les logiciels. Dernier élément, et non des moindres, un certain nombre de citoyens français vivent en dehors des frontières de la France. Le système de santé français leur manque souvent. Que prévoit-on pour eux ?

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