Je vous remercie pour votre invitation, Mesdames les présidentes : je suis vraiment ravi d'être parmi vous. Je tenais beaucoup à cette audition. En effet, candidat aux élections législatives en Italie, je devrais me trouver aujourd'hui dans ma circonscription ; mais, j'y insiste, j'entendais consacrer la présente demi-journée à répondre à vos questions car, d'une part, les relations entre nos deux pays n'ont jamais été aussi bonnes et, d'autre part, j'ai eu la chance de rencontrer bon nombre d'entre vous dans le cadre de mes fonctions, ces dernières années. Cette audition tombe de surcroît à point nommé car elle a lieu avant la prise de décisions importantes par le Parlement européen, le Conseil des ministres de l'Union européenne et le Conseil européen, décisions qui vont avoir un impact certain sur nous tous.
Pour suivre l'ordre des questions posées par les présidentes, je commencerai par les relations bilatérales.
Je l'ai dit : elles n'ont jamais été aussi bonnes. Nous partageons de nombreuses priorités à l'échelle européenne et en matière de politique étrangère, et nos deux gouvernements ont décidé, lors du sommet de Lyon, de donner une forme beaucoup plus structurée, régulière, prévisible et, j'espère, efficace, à la coopération bilatérale – c'est dans cet esprit que sera rédigé le traité du Quirinal. Emmanuel Macron et Paolo Gentiloni ont demandé à trois sages français et trois sages italiens de réfléchir librement sur le contenu du traité. Leur première réunion aura lieu en Italie, au siège de la présidence du Conseil, le 16 février. L'objectif est de parvenir au prochain sommet italo-français, organisé par l'Italie, avec un projet de traité à soumettre à la signature des deux présidents avant que les parlements des deux pays ne le ratifient. Nous disposons certes d'assez de temps pour aboutir mais il faudra bien l'utiliser. La lettre par laquelle MM. Macron et Gentiloni ont donné mandat aux sages, à mon homologue Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes, et à moi-même, précise les thèmes de la réflexion à mener : coopération industrielle et économique au sens large – du numérique à l'industrie de la défense – et politique de la connaissance, là aussi au sens large – qu'il s'agisse de la recherche, de la politique de la jeunesse ou de la coopération universitaire. Mais ce ne sont que deux grands thèmes parmi d'autres. Il faudra également aborder la question de l'immigration, les initiatives bilatérales, européennes et internationales, en matière de sécurité et de défense.
Il n'est pas seulement question de renforcer la coopération bilatérale, mais aussi de nourrir l'ambition, la volonté de défendre des initiatives, des projets devant trouver un prolongement à l'échelle européenne ou qui devraient tout au moins être partagés par un groupe de pays européens. Nous avons déjà fait cette expérience dans le domaine de la culture. L'Italie a en effet instauré un « bonus culture » pour les jeunes atteignant dix-huit ans et votre gouvernement envisage de créer un « pass culture ». Ensemble, nous avons obtenu du Conseil européen, en décembre dernier, que les institutions européennes s'engagent à créer une carte d'étudiant européenne. C'est là un petit exemple montrant comment certaines bonnes pratiques, des deux côtés des Alpes, peuvent préfigurer des initiatives à l'échelon européen. Nous devons avoir l'ambition d'être un laboratoire en la matière.
Nous connaissons bien la relation historique qui lie Paris et Berlin. Nous considérons comme tout à fait positif votre souhait de mettre à jour le traité de l'Élysée dont le cinquante-cinquième anniversaire a été marqué par un moment solennel – et les symboles comptent en politique – quand les deux Parlements se sont réunis successivement à Berlin puis Paris. De notre côté, nous souhaitons aussi renforcer notre relation bilatérale avec l'Allemagne – nous avons déjà pris des initiatives dans le domaine numérique – : le président du Conseil sera à Berlin le 7 février pour rencontrer la Chancelière et discuter avec elle des grandes priorités de l'agenda européen pour 2018. Nous pensons que le développement des relations bilatérales renforce l'intégration européenne, en ce qu'il doit compléter la refondation européenne, la réforme politique et en particulier institutionnelle, et peut aider un groupe de pays et de peuples qui pensent que le moment est venu de donner un nouvel élan à l'intégration européenne. Ces pays doivent agir librement, sans en obliger d'autres à s'engager dans la voie d'une Europe politique, sociale et de la défense, plus forte. Inversement, je ne pense pas qu'on puisse accepter de veto de la part d'un État membre ne souhaitant pas aller dans cette direction, veto qui bloquerait ainsi une avant-garde désireuse de lancer cette nouvelle phase de la refondation européenne. De ce point de vue, la France et l'Italie parlent le même langage et j'espère qu'elles continueront en ce sens dans les mois qui viennent – ce qui dépend plus de nous que de vous pour le moment…
J'en viens plus précisément, deuxième point, à la refondation européenne. Déjà l'Italie, lorsqu'elle assurait la présidence du Conseil des ministres de l'Union européenne, en 2014, avait affirmé la nécessité de donner un nouvel élan à l'intégration européenne – a fresh new start, comme on disait alors. Ainsi, du temps déjà où le gouvernement était dirigé par Matteo Renzi, nous avons voulu entamer un processus de réformes en profondeur de l'Union européenne. À l'occasion du soixantième anniversaire du traité de Rome, nous avons ainsi préparé une déclaration, signée par les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement, prônant une Europe multipliant les protections, les sécurités et les opportunités. Si vous lisez la déclaration de Rome du 25 mars 2017, vous retrouverez cet objectif de créer une Europe de la défense et de la sécurité, une Europe de la croissance et des investissements.
Ce dernier point implique une réforme de la zone euro, qui doit commencer par les politiques plutôt que par les institutions : nous souhaitons donner aux pays de la zone euro davantage d'instruments pour mener une politique de croissance et d'investissements. Il faut donc qu'un budget soit consacré aux investissements et que les règles adoptées visent à favoriser les investissements au niveau national, en distinguant dépenses courantes et dépenses d'investissements. Si nous décidons de réformer la zone euro en ce sens, en développant des instruments de politique économique – car si nous avons un système de règles de surveillance des budgets nationaux, nous ne disposons pas d'instruments de politique économique –, nous devons nous donner les moyens de nos ambitions.
On peut dans ces conditions imaginer que soit nommé un ministre de la zone euro, pourvu qu'il exerce son mandat sous un contrôle démocratique fort. Il s'agit de sortir le fonctionnement de la zone euro de son informalité, de son manque de transparence, d'en finir avec le pouvoir énorme qu'un protocole du traité de Lisbonne attribue à l'Eurogroupe, et donc de le rendre beaucoup plus transparent et beaucoup plus – si j'ose employer un terme qui ne me semble avoir d'équivalent ni en italien ni en français – accountable : en d'autres termes, il lui faudra rendre des comptes politiques.
Nous pourrions ainsi faire un pas en avant, mais n'oublions pas le troisième pilier de la déclaration de Rome : même l'union économique la plus parfaite – et nous en sommes loin – ne serait pas suffisante si elle n'était accompagnée d'une union sociale. Le déséquilibre entre la dimension économique et la dimension sociale n'est plus tenable et il présente même un grand danger pour la cohésion de l'Union européenne, pour la cohésion du marché unique. Nous savons qu'un travail bilatéral approfondi – comme celui mené entre la France et l'Italie – peut donner des résultats, ainsi de l'accord obtenu sur la directive sur les travailleurs détachés. Nous avons joué un rôle très important pour obtenir un compromis. Nous avons en outre démontré que nous ne devions pas nous résigner à la division entre l'Est et l'Ouest et entre le Nord et le Sud : nous pouvons trouver des compromis, j'y insiste, sur des thèmes potentiellement porteurs de divisions.
La dimension sociale de la construction européenne est pour nous inséparable d'une politique en faveur de la jeunesse. Au nom du gouvernement italien, j'ai ainsi proposé que le système Erasmus soit décuplé. Ce dispositif représente en effet moins de 1 % du budget européen ; or il convient de multiplier les chances dont la jeunesse pourra bénéficier. Nous voulons créer un Erasmus de l'inclusion sociale et pas seulement un Erasmus destiné à ceux-là seuls qui peuvent se le permettre.
J'en viens, après les relations bilatérales, et la refondation de l'Union européenne sur le plan économique et social, à mon quatrième point : la dimension démocratique. Elle n'a pas fait l'objet d'un long développement dans la déclaration de Rome, mais elle reste un objet de préoccupation pour le gouvernement italien. Mme Thillaye m'a interrogée sur l'idée de créer des listes transnationales pour les prochaines élections européennes. J'en pense tant de bien que c'est l'Italie, précisément, qui l'a proposée en 2016. Je rappelle à ce propos que le rapport Anastassopoulos…