Intervention de Sandro Gozi

Réunion du mardi 6 février 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Sandro Gozi, secrétaire d'État auprès du président du Conseil des ministres de la République italienne, chargé des affaires européennes :

Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour la solidarité que vous avez exprimée à l'heure de la campagne électorale. M'exprimant devant vous en tant que représentant du gouvernement italien, je n'entrerai pas dans les détails de la campagne, mais la question européenne et les clivages qu'elle suscite y joueront un rôle central. Les thèmes de la campagne seront l'immigration, l'emploi – et le succès ou non de la réforme du marché du travail – et l'Europe. Celle-ci fait grandement débat aujourd'hui. En 1989, à la suite d'une préconisation d'Altiero Spinelli, un référendum consultatif a été organisé concomitamment aux élections européennes, et 98 % des électeurs italiens se sont prononcés en faveur des États-Unis d'Europe ! Las, aujourd'hui, les eurobaromètres et autres instruments que vous connaissez très bien font apparaître l'Italie comme l'un des pays les plus déçus par l'Union européenne. Au-delà du caractère tatillon d'une Europe qui s'occupe de trop de détails et de pas assez de grandes questions, les raisons de la déception italienne sont, selon moi, de deux ordres. D'une part, les Italiens se demandent où était l'Union européenne en 2014 et 2015 face aux problèmes en Méditerranée. D'autre part, la politique d'« austérité sans troïka » n'a pas vraiment été couronnée de succès. Pour la plupart des Italiens, si les mesures d'austérité prises sous le gouvernement de M. Monti ont évité que le pays ne sombre dans le gouffre au bord duquel il se tenait et n'entraîne une crise majeure de la zone euro, leurs conséquences sociales n'en furent pas moins lourdes. C'est pour ces deux raisons que ceux qui, comme moi, croient que l'Europe n'est pas la cause de nos problèmes mais qu'elle en est une possible solution, pourvu qu'on ne s'en tienne pas au statu quo et que l'on réforme pour aller dans la direction que j'ai indiquée, doivent se battre.

Quant à l'immigration et à l'asile, on ne saurait faire apparaître une solution unique, grâce à quelque baguette magique. Il y a plusieurs réponses à plusieurs questions. La réforme du droit d'asile doit assurer un équilibre entre responsabilité et solidarité et prévoir une certaine proportionnalité : plus un pays est exposé à des flux lors d'une crise majeure et fait preuve de responsabilité dans la gestion de celle-ci, plus il doit bénéficier de la solidarité européenne. Certes, le système de relocalisation n'a pas fonctionné, mais cela s'explique par plusieurs raisons. Tout d'abord, entre le moment où le principe a été arrêté et le moment où le système a été mis en oeuvre, la structure des flux s'était déjà modifiée et le nombre de demandeurs d'asile potentiels avait sensiblement diminué. Une réponse d'urgence décidée face à un pic migratoire a été mise en oeuvre dix ou douze mois plus tard ! Lors de la crise, nombreux étaient les Syriens qui arrivaient par les Balkans ou même par l'Égypte. Ensuite, les migrants économiques et ceux qui ne demandaient pas l'asile ont été bien plus nombreux.

Par ailleurs, si le système n'a pas fonctionné, c'est aussi en raison du refus inacceptable que lui ont opposé certains pays – Hongrie, Pologne et Slovaquie – qui ont perdu leurs recours devant la Cour de justice de l'Union européenne et ont été visés par des procédures d'infraction. Au nom du gouvernement italien, je demande depuis longtemps à la Commission européenne d'entamer des procédures d'infraction contre la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. L'Union européenne est une communauté de droit ; les décisions prises dans le respect des règles doivent être appliquées. Si toute décision difficile prise au niveau européen dans le respect des traités peut être contestée par un référendum national, c'en est fini de l'Europe ! Il faut donc réagir. C'est aussi en raison d'un clash politique inacceptable que le système de relocalisation n'a donc pas fonctionné. Je vous le dis comme je l'ai dit au Conseil, comme nous le disons à Rome et comme nous l'avons écrit dans notre proposition sur le cadre financier pluriannuel : nous avons proposé, il y a déjà un an et demi, une nouvelle conditionnalité – et je me réjouis que d'autres pays se soient ralliés à cette position. Les États qui ne respectent pas l'État de droit – il en est non pas seulement parmi les candidats à l'adhésion mais aussi parmi les membres de l'Union –, les droits fondamentaux ou les obligations de solidarité, notamment en matière d'asile, doivent être sanctionnés par la suspension des fonds européens. D'autres gouvernements, parmi lesquels le gouvernement français, travaillent dans la même direction. Il s'agit là d'une bataille de valeurs, et nous ne pouvons renoncer à nos valeurs. Les citoyens ne connaissent pas les procédures – la surveillance multilatérale, le six-pack, le two-pack – mais ils constatent un décalage inacceptable, qui contrevient aux traités et à nos engagements, entre, d'une part, le caractère tatillon de l'Europe et ses exigences en matière budgétaire et financière, et, d'autre part, sa timidité, voire son absence, lorsqu'il s'agit de faire respecter ses valeurs fondamentales à l'intérieur de ses frontières. Travaillons à résorber cet écart pour restaurer la crédibilité de l'Europe.

Quant au cadre pluriannuel, il ne faut pas l'aborder sous l'angle du manque à gagner lié au Brexit. Nous devons plutôt nous poser la question des biens publics européens. Selon nous, la gestion des frontières extérieures, une bonne partie des politiques d'immigration, de grands projets de recherche, de grands projets liés à l'Europe de la défense doivent en être. Si nous convenons du fait qu'il s'agit là de nos nouvelles priorités, aux côtés des politiques traditionnelles, qu'il convient d'actualiser, alors nous sommes disposés à envisager les modalités de remédier au manque de recettes qui résultera du Brexit. En tout cas, nous devons nous donner les moyens financiers de nos ambitions politiques et des engagements que nous avons déjà pris. Rendons donc permanents les plans d'investissement européens et essayons d'en faire plus avec de nouvelles ressources, pas seulement un système de garanties. Le plan Juncker est une première réponse, ce n'est pas la réponse unique. Par ailleurs, il est aujourd'hui possible de distinguer entre dépenses courantes et dépenses d'investissement au niveau national ; les contributions nationales au plan Juncker sont déjà évaluées différemment des autres dépenses publiques nationales. Travaillons sur des critères communs, oeuvrons pour une confiance réciproque, afin que chacun puisse s'assurer que les dépenses servent effectivement aux investissements, mais il s'agit également d'encourager et d'accompagner les plans nationaux de réforme et d'investissements.

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