Je vous remercie, Madame O, pour votre critique constructive à l'égard du budget italien en matière d'aide publique au développement. Lorsque le gouvernement Renzi est arrivé aux affaires, l'APD représentait 0 % du PIB. Nous sommes passés à 0,26 %, et nous allons vers 0,3 %. Ce n'est déjà pas si mal, même si ce n'est pas suffisant ! Depuis 2014, nous avons fait de la politique de développement un axe majeur de notre action extérieure, en particulier parce qu'elle constitue l'une des réponses aux problèmes des migrations. Il s'agit bien d'un instrument incontournable si nous voulons avoir une approche globale de ce phénomène. Le budget de l'APD a donc de nouveau reçu des financements, et nous avons réformé notre système d'aide au développement. Nous avons créé une agence pour le développement en nous inspirant à la fois des modèles français et allemands – avec une implication forte de la Caisse des dépôts et consignations italienne. Elle participe au financement et à l'investissement en faveur de projets de développement local dans les pays en voie de développement, en particulier en Afrique.
Les migrations étaient l'une des urgences que nous avions décrites dans l'ouvrage publié avec Mme de Sarnez. Cette urgence n'est pas éphémère : ce problème va nous occuper longtemps, et il aurait dû nous « pré-occuper », ce qui signifie que nous aurions dû agir en amont. Nous devons en tout cas anticiper et nous doter de tous les instruments nécessaires pour être en mesure de réagir à un défi auquel nous devrons faire face pour les vingt ans à venir.
Notre parlement a approuvé il a deux semaines l'intervention italienne au Niger. Nous enverrons 1 570 militaires afin d'entraîner les soldats locaux, ainsi que deux avions et cent trente véhicules. Un budget de 30 millions d'euros constituera la contribution italienne à cette opération dont Paolo Gentiloni a pu discuter avec le président Emmanuel Macron lorsque ce dernier est venu à Rome au début du mois de janvier.
L'accord bilatéral avec la Libye nous a permis de fournir aux garde-côtes libyens des moyens navals pour surveiller leurs eaux territoriales, et de promouvoir des projets de développement local dans le sud de la Libye, qui offrent des alternatives économiques au trafic d'êtres humains, activité très rentable sur place. Derrière l'Allemagne, nous sommes le deuxième contributeur au fonds fiduciaire européen – EU Trust Fund – pour la Libye. L'Italie a déjà dépensé 102 millions d'euros pour ce fonds qui doit mettre en oeuvre les engagements communs pris à La Valette pour une nouvelle approche des dimensions extérieures des migrations. Aujourd'hui nous pouvons faire la différence : nous avons ouvert une fenêtre et des opportunités se présentent en Libye, dans l'Afrique subsaharienne, au Mali. C'est maintenant que nous devons redoubler d'efforts en termes d'engagement et en termes économiques.
Notre stratégie en matière d'émigration fait une place particulière à la question des mineurs non accompagnés. Je ne veux pas donner le Parlement italien en exemple, mais il a sans doute adopté l'une des lois les plus avancées d'Europe en la matière. Des milliers de mineurs non accompagnés arrivent sur les côtes italiennes et aux frontières. Dans un délai de cinq jours, nous prévoyons de mettre en place des mesures d'accompagnement, avec la désignation d'un tuteur et l'affectation à un centre. L'Europe devrait s'investir davantage pour traiter ce sujet fondamental.
Nous voyons se dégager progressivement un consensus européen en matière extérieure. Dans mes réponses, tout à l'heure, j'ai été très critique à l'égard des pays du groupe de Visegrád en raison de certaines politiques qu'ils mènent à l'intérieur de l'Union. Malgré leurs positions très éloignées des nôtres sur ces terrains, ces pays sont convaincus qu'ils doivent contribuer à la politique extérieure de l'Union. En marge du Conseil européen, les Premiers ministres de ces quatre États membres ont confirmé un engagement financier de 40 millions d'euros pour des actions de développement en Libye et de lutte contre le trafic des êtres humains. Cette dimension extérieure constitue à nos yeux l'une des parties de la réponse. L'autre réside dans le développement d'un système de droit d'asile commun. Nous accorder sur le premier point nous encouragera à faire de même sur le second.
J'ai été interrogé sur les accords commerciaux de l'Europe avec ses grands partenaires dans le monde. L'Italie considère le CETA comme un accord positif, d'avant-garde, équilibré, qui met en place un système de gestion des contentieux et des différends satisfaisant. Il accorde davantage de protection à de nombreux produits européens de qualité. Y renoncer signifierait renoncer à des progrès, en particulier en matière de défense de produits de qualité et de dénominations d'origine contrôlée. Le CETA nous permet de faire un pas en avant.
Nous sommes également favorables à un accord avec le MERCOSUR. Nous comprenons qu'il y ait des inquiétudes concernant le secteur agroalimentaire – la France nous en a fait part et nous sommes en train d'y travailler. Reste que la position de principe de l'Italie est d'entretenir des relations commerciales équilibrées avec ses grands partenaires mondiaux et non de fermer des marchés, d'adopter des mesures protectionnistes qui rendent les exportations plus difficiles. Après tout, une bonne partie de la sortie de la crise, en Europe en général et en Italie en particulier, repose sur les exportations vers les marchés extra-européens. Il n'est donc pas dans notre intérêt, j'y insiste, de songer à des politiques protectionnistes.
Cela dit, vous m'avez demandé si la réciprocité devait caractériser la politique commerciale européenne. Je vous réponds trois fois oui. Depuis que j'ai l'honneur d'être membre du gouvernement italien, je fais partie de ceux qui, dès 2014, considéraient qu'il ne fallait pas se montrer frileux, mais qu'il fallait affirmer le principe de réciprocité : nous devons préconiser un commerce libre sans être naïfs. Or l'ouverture des marchés publics s'est révélée jusqu'à présent trop asymétrique entre les marchés européens et les marchés de nos partenaires extracommunautaires.
L'Europe est une superpuissance commerciale : elle est le premier marché au monde. Il faut donc mieux utiliser ce potentiel pour avoir des relations commerciales plus équilibrées, plus justes du point de vue social, du point de vue environnemental. À ce propos, vous me demandez quelle est la position italienne sur la taxe carbone : nous sommes disposés à travailler sur de nouvelles ressources propres. Le groupe de travail présidé par l'ancien président du conseil Mario Monti a apporté des éléments de réflexion très utiles sur la manière de repenser le budget européen après 2020 et sur la manière d'exploiter de nouvelles ressources propres. Nous sommes donc ouverts à l'instauration de la taxe carbone. Nous avons par ailleurs fait des démarches avec votre gouvernement, avec le gouvernement espagnol et avec le gouvernement allemand pour l'établissement de taxes dans le domaine numérique, ce qui est une bonne manière de convaincre nos concitoyens de la nécessité d'avoir une politique européenne active. Face au nouveau capitalisme numérique global, le niveau européen est le niveau minimum à partir duquel mener une régulation fiscale juste, équitable. Une taxe numérique sur les multinationales du secteur serait donc une ressource propre, parmi d'autres, du nouveau budget européen.
Une question m'a été posée sur les Balkans. Vous connaissez la position traditionnelle de l'Italie : tant que les Balkans occidentaux, pour reprendre le jargon bruxellois, n'auront pas intégré à plein titre l'Union européenne, celle-ci aura un trou. En effet, il n'y a aucune raison, si l'on est cohérent avec les principes fondateurs du projet européen, de maintenir les Balkans occidentaux en dehors de l'Union. Il y a une autre raison, géopolitique : la politique des sphères d'influence est de retour sur le continent européen. Or, dans les Balkans occidentaux, on compte des forces pro-européennes qui envisagent leur avenir au sein de l'Union européenne et des forces nationalistes qui songent à des voies alternatives un peu plus tournées vers l'Est où se trouve un grand voisin, un grand frère slave. Voulons-nous assumer nos propres responsabilités géopolitiques en tant qu'Européens, ou bien renonçons-nous à être un acteur politique y compris vis-à-vis de pays situés dans notre plus proche voisinage ? Si nous y renonçons, alors maintenons les Balkans à l'extérieur de l'Union européenne pour encore vingt ans. Si, au contraire, nous voulons utiliser notre influence, travaillons à un élargissement de l'Union vers les Balkans, pour peu, bien sûr, que certains critères soient respectés : État de droit, droits fondamentaux, réformes économiques… Reste que nous devons donner une perspective claire aux Balkans occidentaux en matière d'élargissement. La Commission européenne évoque l'année 2025. Que faire d'ici là ? Utiliser tous les instruments dont nous disposons pour favoriser le processus de réformes démocratiques, de réformes économiques. À cet égard, le processus de Berlin est sans doute important et la stratégie de la macrorégion adriatique et ionienne, qui concerne 70 millions de personnes et vise au développement des infrastructures, de l'environnement, du tourisme durable et de l'économie de la mer – la blue economy –, est sans doute un autre instrument que l'Union européenne doit utiliser.
Avant d'aborder la série des questions concernant les listes transnationales, je tiens à exprimer mon total accord avec Jean-Louis Bourlanges sur le fait qu'il est difficile de revenir sur le principe même des Spitzenkandidaten, c'est-à-dire de revenir à la situation antérieure à 2014. Au niveau européen, les forces politiques, les gouvernements, les institutions, se sont engagés à respecter un processus que nous avons présenté comme donnant davantage de poids au choix des citoyens. Néanmoins, dans un système régi par le scrutin proportionnel – et nous savons qu'il n'y a pas d'élection plus proportionnelle que celle au Parlement européen –, peut-on garder une logique majoritaire en vertu de laquelle, si mon groupe est le premier, mon candidat tête de liste sera sans doute le futur président de la Commission européenne. Or dans un paysage politique aussi fragmenté que le paysage européen, on pourrait peut-être maintenir le système des Spitzenkandidaten tout en en réexaminant les modalités de façon que le candidat à la présidence de la Commission soit celui qui obtiendra le consensus le plus large au sein du Parlement européen et non celui qui n'obtiendrait éventuellement qu'une voix de plus. Peut-on par conséquent « parlementariser » un peu la question du Spitzenkandidat ? C'est une voie possible.
Autre question qui demanderait une modification de la loi électorale, celle des listes transnationales. On pourrait d'ailleurs imaginer, pour en finir avec le sujet évoqué à l'instant, que les têtes de ces listes soient candidates à la présidence de la Commission... À la question de savoir comment s'assurer que ces listes garantissent un juste équilibre entre les grands et les petits États, on peut apporter plusieurs réponses techniques. Il faudrait ainsi qu'on ne puisse présenter une liste transnationale que si elle comporte des candidats provenant d'un nombre minimum d'États membres ; si ce nombre est, par exemple, de sept ou de huit, on peut penser qu'on aura déjà un équilibre en évitant que seuls les grands États ne présentent de telles listes. On peut imaginer également le respect de critères démographiques pour les dix premières places afin que tous les pays de petite taille, de taille moyenne ou de grande taille puissent avoir des élus, même si la constitution des listes transnationales ne doit pas obéir à une logique intergouvernementale. Si, au sein d'une famille politique, se trouve une grande personnalité d'un petit État membre, il est vraisemblable que cette personnalité prendra la tête de la liste ou bien la deuxième place. J'observe au passage que le système des Spitzenkandidaten n'a pas amené le candidat d'un grand pays à la tête de la Commission – le Luxembourg n'est pas, en effet, si je ne m'abuse, un grand pays – puisque le PPE, le groupe le plus nombreux, a choisi M. Juncker, et cela pourrait se reproduire. Donc, pour vous répondre, nous pourrions introduire des critères techniques pour assurer un équilibre entre grands et petits États.