Intervention de Yves Marignac

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 14h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Yves Marignac, directeur de Wise-France :

Lorsqu'on évoque la problématique du secret, ce qui me vient à l'esprit, c'est la problématique de la vulnérabilité des piscines et des bâtiments combustibles aux menaces extérieures.

À ce propos, je voudrais insister ici sur le fait que, contrairement à ce que prétend EDF, Greenpeace n'a jamais écrit dans son rapport sur la sécurité de nos sites nucléaires que la totalité des parois des piscines mesurait trente centimètres d'épaisseur ; le rapport est beaucoup plus précis. En tout état de cause, cette question du secret est très problématique dès lors qu'il s'agit d'apprécier la résistance des sites aux menaces de référence, et il serait d'ailleurs souhaitable que les parlementaires soient informés sur ce que sont aujourd'hui les menaces de référence, car il me paraît difficile d'apprécier les menaces à leur juste portée si l'on ne dispose d'aucune information ni sur la vulnérabilité potentielle des sites ni sur la nature des menaces.

Il me semble que les représentants d'EDF que vous avez auditionnés en mars vous ont affirmé qu'il n'y avait pas de risque de dénoyage des piscines de combustibles en cas de chute d'un avion de ligne. Or, lors d'une réunion de dialogue technique sur la sûreté, avec l'IRSN, l'ASN, l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) et EDF, lundi dernier, ce qui nous a été dit, c'est qu'à l'origine les études de sûreté sur la résistance des piscines ne portaient que sur leur partie basse, celle précisément où les parois sont d'une épaisseur significativement supérieure à trente centimètres. Ce n'est qu'ensuite que la résistance à l'impact d'un avion de l'aviation générale, type Cessna ou Learjet, a été testée sur les murs, mais pas sur les toits. Ce sont en tout cas les propos qu'ont tenus EDF et l'IRSN et j'ai du mal à les raccorder à ce qui vous a été déclaré dans cette enceinte concernant la sécurité. Cela illustre bien la manière dont le secret sert à créer du flou et à empêcher que nous ayons des réponses sur les questions les plus essentielles.

Pour ce qui concerne le rapport que vous avez demandé à l'IRSN, il touche à un sujet que j'avais longuement abordé devant vous lors de ma première audition. J'ai d'ailleurs sollicité à maintes reprises l'IRSN pour qu'il lui consacre une étude et je suis ravi qu'avec les pouvoirs dont elle dispose votre commission l'ait obtenu.

Le grand intérêt de ce rapport est qu'il établit une comparaison entre les différentes stratégies d'entreposage et pose ainsi les bases d'un débat. Il semble qu'EDF s'oriente aujourd'hui vers l'option d'une piscine où seraient centralisés les déchets, c'est-à-dire un ouvrage séculaire censé perdurer bien au-delà de la pérennité à laquelle peut raisonnablement prétendre EDF. Or le choix de l'entreposage est un choix qui engage la nation tout entière et ne saurait être confié à un opérateur privé aussi important soit-il.

À l'heure où se pose ce choix, ce rapport est donc particulièrement bienvenu, et ce d'autant plus qu'il se prononce déjà sur certains points tout à fait significatifs, en particulier la faisabilité de l'entreposage à sec, confirmant, ainsi que des experts comme moi ont pu vous le déclarer ici, qu'il est intrinsèquement plus robuste. Ces conclusions découlent d'une analyse faite sous l'angle de la sûreté, mais on saisit tout ce qu'elle a d'important, dès lors qu'on aborde la question sous l'angle de la sécurité.

Je considère néanmoins qu'il ne s'agit que des prémices d'une réflexion à venir, car l'analyse proposée reste fortement marquée par ce biais culturel consistant à imaginer que le retraitement des déchets est inéluctable. Vous semblez contester, madame la rapporteure, que tous ne partagent pas l'idée qu'il ne faut pas retraiter ; je pense plutôt que tout le monde ne le dit pas, mais que tout le monde le sait. Je pense en tout cas qu'au moment où EDF envisage l'entreposage du combustible dans cette piscine centralisée il faut arrêter de penser « tout-retraitement » et se projeter vers d'autres options.

Comme je l'ai dit, le rapport, lorsqu'il analyse les possibilités de surveiller et de manipuler le combustible selon l'option retenue, raisonne dans l'optique du retraitement. Or si on abandonne cette perspective, les conclusions auxquelles on parvient évoluent nécessairement. J'ajoute que l'analyse de l'IRSN comporte une faille. Elle repose en effet sur l'hypothèse selon laquelle le MOx, parce qu'il est plus chaud, ne peut pas être entreposé avant plusieurs dizaines d'années et qu'un passage en piscine est donc obligatoire. Des projets à l'étude en Allemagne montrent au contraire qu'on sait aujourd'hui mettre en conteneur pour le transporter et donc, éventuellement, pour l'entreposer, du MOx doté d'une puissance thermique de l'ordre de 4 kilowatts par assemblage, soit le double des 2 kilowatts dont l'IRSN dit qu'ils constituent la limite au-dessus de laquelle on ne peut pas entreposer de déchets radioactifs. Or ce point mérite d'être approfondi car, si on abandonne l'idée que, au-delà de 2 kilowatts, l'entreposage est impossible, alors toutes les conclusions du rapport de l'Institut sont remises en question.

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