Intervention de Yannick Rousselet

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 14h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Yannick Rousselet, chargé des questions relevant du nucléaire au sein de Greenpeace France :

Dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), un groupe de travail, auquel participent les exploitants et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), a été formé pour évaluer les conséquences environnementales du retraitement d'un côté et de non-retraitement de l'autre.

La première chose qu'il faut garder à l'esprit, c'est que la quantité de radioactivité ne diminue pas avec le retraitement : la quantité qui sort dans l'usine est la même que celle qui y est entrée ; elle en sort simplement sous une autre forme. Cela étant dit, l'opération de retraitement offre cet avantage que, d'un point de vue administratif, elle permet un changement de statut de la matière : en effet, dans la perspective du retraitement, le combustible usé cesse d'être considéré comme du déchet pour acquérir la qualité de produit recyclable, puisqu'il contient 96 % d'uranium de retraitement (URT). Soit. Mais les solvants, les filtres des piscines et l'outillage utilisés lors des opérations de retraitement sont eux-mêmes voués à devenir des déchets puisqu'ils ont été contaminés, et on évalue à environ soixante-cinq mètres cubes le volume de déchets supplémentaires créés pour une tonne de combustible retraité.

L'idée que le retraitement diminuerait le volume des déchets est donc une absurdité totale, d'autant qu'on a tendance à ne prendre en compte que la matière active, mais la matrice de verre dans laquelle on place les produits de fission occupe également un certain volume.

Il en va de même pour les suremballages, et vous avez dû visiter l'atelier de compactage des coques (ACC) de La Hague. Certes, le volume de matière est plus faible après la compression, mais, d'une part, le compactage a concentré la radioactivité et, d'autre part, on aboutit, avec le suremballage, à un volume assez similaire à celui du combustible avant compactage.

Les volumes à gérer après retraitement sont donc supérieurs à ceux que vous avez si vous ne retraitez pas. J'insiste sur ce point car il convient de regarder la totalité des volumes à traiter et pas uniquement les containeurs de combustibles irradiés que les exploitants voudraient placer sur le site du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo).

Nous sommes donc farouchement opposés au retraitement qui non seulement ne diminue pas le volume de déchets mais, au contraire l'augmente. Le Haut Comité va d'ailleurs, sous la présidence de Mme la députée Natalia Pouzyreff, présente ici, publier un rapport dont nous espérons qu'il sera validé le 28 juin et qui dresse un état des lieux complet de la situation, montrant que l'option du retraitement se discute.

La France est d'ailleurs aujourd'hui le seul pays à retraiter. Les Japonais voudraient le faire depuis très longtemps, mais l'usine de Rokkasho, qui devait démarrer en 1996 ne fonctionne toujours pas ; les Anglais, quant à eux, arrêtent le retraitement et les Américains ne l'ont jamais pratiqué. On peut donc se demander pourquoi les autres pays, qui ne gèrent pas leurs déchets de façon totalement idiote, ont renoncé au retraitement et pas nous.

Ce qui entraîne une autre question : à quoi sert le retraitement ? S'embêter avec le MOx, avec la gestion d'un produit plus compliqué, qui engendre des coûts supplémentaires n'a aucun sens, sinon celui de perpétuer un dogme, une habitude que la réalité d'aujourd'hui ne justifie plus, y compris si l'on adopte le point de vue d'un partisan du nucléaire. Nous sommes un peu semblables aux Shadoks, qui pompaient l'eau à l'avant du bateau et la rejetaient à l'arrière pour se donner l'illusion d'avancer, et il est aberrant que les exploitants eux-mêmes ne se posent pas la question de ce qu'ils font.

On nous parle d'un accord passé avec la Russie qui, à partir de 2023, réenrichira de l'uranium de retraitement qu'EDF pourra réutiliser, et l'on justifie cet accord en prétendant qu'il va augmenter la proportion de recyclage. Mais je rappelle que ce qui sera recyclé, ce n'est pas ce qui partira en Russie mais ce qui en reviendra, à savoir les assemblages d'URE.

En réalité, cette opération va permettre de répondre à l'une des recommandations du PNGMDR, qui est de diminuer la quantité de déchets stockés en France. Puisque l'URT déborde de partout à Pierrelatte, on va exporter plusieurs dizaines de milliers de tonnes d'uranium de retraitement appauvri – ce qui, entendons-nous bien, n'a rien à voir avec l'uranium appauvri de l'enrichissement qui, lui, est destiné aux réacteurs et à l'usine de La Hague. Il faut savoir que, dans ce type de contrat, l'enrichisseur devient propriétaire de la matière qu'il traite : en d'autres termes, après que nous aurons envoyé, sous forme d'URT, tout ce qui est stocké à Pierrelatte, nous récupérerons ce qui a été enrichi – soit 10 % à 20 % de la matière – mais nous aurons réussi, par un beau tour de passe-passe et en toute légalité, à nous débarrasser du reste chez les Russes. Cela ne semble poser de problème à personne, mais je vous invite à regarder de très près ce que sont, en vérité, les conséquences du retraitement.

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