Intervention de Yves Marignac

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 14h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Yves Marignac, directeur de Wise-France :

Elle doit les avoir. Elle n'a pas d'autre choix. Je partage complètement la mise en perspective que vous faites du changement de contexte, d'époque et d'enjeux. Je voudrais mettre ce que vous venez de dire en parallèle avec une phrase qu'a prononcée Jean-Bernard Lévy ici même lors de son audition la semaine dernière et qui m'a terrifié : « EDF doit construire des réacteurs comme le cycliste doit pédaler pour tenir debout ». Je crois vous avoir dit lors de ma première audition que l'une des caractéristiques de l'industrie nucléaire est qu'elle ne sait pas penser sa fin et qu'elle a toujours besoin de se projeter dans de nouveaux développements pour gérer son héritage. C'est quelque chose de très culturellement, très profondément ancré dans l'industrie française, et qui tient au contexte des « Trente Glorieuses » et à la stabilité économique, politique et institutionnelle dans le cadre de laquelle elle s'est construite. C'est vrai pour l'industrie nucléaire en général, mais ce l'est encore plus pour l'industrie nucléaire française.

Quand j'entends le propos de Jean-Bernard Lévy, mon premier réflexe est de me dire qu'aujourd'hui, EDF n'a tout simplement pas les moyens de construire de nouveaux réacteurs – ou en tout cas, pas en grand nombre dans le cycle perpétuel auquel sa phrase fait référence. Jean-Bernard Lévy nous dit donc qu'il n'a pas d'autre moyen que de tomber. C'est dans ce sens implicite que j'ai trouvé cette phrase très effrayante. La responsabilité est collective, et la représentation nationale que vous êtes a un rôle premier à jouer en ce domaine. Il faut prendre en compte cette difficulté et trouver ensemble les moyens pour qu'EDF, sans se projeter dans cette fuite en avant, sache gérer l'héritage que constituent le parc existant, le démantèlement de ce dernier et la gestion des déchets. La fin de l'industrie nucléaire suscite des enjeux de maîtrise des risques et des coûts importants : ce n'est pas en lançant toujours plus de nouveaux projets qu'on répondra à ces enjeux. C'est aussi pour cela que je disais qu'on est à un moment historique. On arrive au bout d'un cycle industriel qui a été enclenché par le plan Messmer dans les années 1970 et qui a été pensé pour quarante ans. On peut prolonger la durée de vie du parc plus ou moins longtemps mais cela ne décalera les choses que de quelques années. Gérer la fin de ce cycle va coûter. Il faut être capable de regarder cette réalité en face et de mettre les moyens institutionnels, économiques, financiers et industriels nécessaires pour gérer cette réalité de manière responsable. Le moins que je puisse dire, c'est qu'aujourd'hui, la manière dont les industriels semblent envisager cette perspective nous prépare plutôt au pire qu'au meilleur.

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