Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 8h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin, rapporteur pour avis :

Notre commission s'est saisie pour avis de deux des dix-huit articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, les articles 6 et 7.

Ces deux articles nous intéressent au premier chef car ils modifient les conditions de l'examen du projet de loi de finances, qui constitue le coeur de l'activité de notre commission.

Chacun de ces deux articles apporte deux modifications au texte constitutionnel.

L'article 47 de la Constitution encadre strictement, depuis 1958, les délais d'examen des projets de loi de finances et assortit ces délais d'une sanction dissuasive. Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans les délais impartis par la Constitution, le Gouvernement peut mettre les dispositions du projet de loi de finances (PLF) en vigueur par ordonnance. La durée maximale d'examen du PLF est actuellement fixée à soixante-dix jours. L'Assemblée nationale dispose en outre d'une durée maximale de quarante jours pour se prononcer en première lecture. Si elle ne respecte pas ce délai, le Gouvernement peut saisir le Sénat, qui doit se prononcer dans un délai de quinze jours.

L'article 6 du projet de loi constitutionnelle ramène la durée maximale d'examen du projet de loi de finances de soixante-dix à cinquante jours, et la durée de la première lecture à l'Assemblée nationale de quarante à vingt-cinq jours.

Parallèlement, pour accompagner la montée en puissance du contrôle parlementaire sur les résultats des politiques publiques et renforcer les moyens d'action des commissions des finances dans leur mission de contrôle de l'exécution de la loi de finances, il mentionne explicitement que les ministres peuvent être entendus par les commissions compétentes sur l'exécution de leur budget.

L'article 7 vise quant à lui à améliorer l'articulation entre le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Sans modifier la durée maximale d'examen du PLFSS par le Parlement, déjà fixée à cinquante jours par l'article 47-1 de la Constitution, il porte la durée maximale d'examen du PLFSS en première lecture à l'Assemblée de vingt à vingt-cinq jours afin de l'aligner sur celle qui est proposée pour le PLF.

Il habilite en outre le législateur organique à fixer les conditions dans lesquelles les PLF et PLFSS peuvent être, en tout ou partie, examinés conjointement. Il s'agira de trouver les moyens de permettre au Parlement de bénéficier d'une vision plus globale des dispositions des lois financières, en particulier de celles qui concernent les prélèvements obligatoires, et d'organiser une discussion plus cohérente, en particulier lorsqu'une réforme comporte des dispositions à la fois en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale, comme ce fut le cas à l'automne dernier avec la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse pérenne de cotisations ; de telles « mesures miroir », qui relèvent pour partie du PLF et pour partie du PLFSS, se sont multipliées ces dernières années. Le projet de loi constitutionnelle conserve bien deux textes différents et ferme ainsi la voie à une fusion en l'absence d'une révision constitutionnelle supplémentaire. En revanche, il ouvre un large éventail de possibilités quant à l'organisation de la discussion. Au demeurant, il nous est déjà possible de réfléchir, à droit constant, dans le cadre de la Conférence des présidents, à une meilleure organisation des débats dès l'examen des textes financiers pour 2019.

Disons-le d'emblée, je souscris pleinement à l'objectif de rationalisation de la procédure budgétaire.

Même si la célèbre formule d'Edgar Faure pour qualifier la discussion budgétaire, « litanie, liturgie, léthargie » est un peu datée, chacun s'accorde à considérer que l'examen du projet de loi de finances est trop long et peut avoir quelque chose de fastidieux. C'est un sentiment que nous avons été nombreux à éprouver à l'automne dernier, tant parmi les nouveaux que parmi les anciens députés. Nous avons l'occasion aujourd'hui d'organiser différemment les débats budgétaires pour gagner en efficacité sans perdre en substance.

L'article 6 consacre le rééquilibrage de la procédure budgétaire que nous appelions de nos voeux dans les conclusions du groupe de travail transpartisan relatif aux conditions d'examen des textes budgétaires et dont nous avons esquissé les contours avec l'organisation ces dernières semaines du « printemps de l'évaluation » et des commissions d'évaluation des politiques publiques.

S'il est possible d'améliorer encore cette nouvelle période budgétaire, son instauration a été un succès. Je vous invite d'ailleurs à faire part de votre bilan au président Woerth, comme il vous l'a proposé la semaine dernière.

Il s'agit à l'article 6 de rééquilibrer le temps parlementaire entre « l'automne de l'autorisation » et le « printemps de l'évaluation », afin de consacrer plus de temps et d'énergie à vérifier l'efficacité des politiques publiques sur la vie de nos concitoyens et à interroger le Gouvernement sur l'usage des crédits que nous l'avons autorisé à dépenser. En revanche, il est possible, sans renoncer à ce qui fait l'essence du parlementarisme, le consentement à l'impôt, de passer un peu moins de temps à discuter des prévisions de crédits, lesquelles feront ensuite l'objet de nombreux ajustements en loi de finances rectificative, par la voie réglementaire ou en gestion.

Que nous passions moins de temps en séance sur le PLF n'aura de sens que si plusieurs conditions sont réunies. Il nous faudra d'abord mener un travail plus approfondi lors de l'examen du projet de loi de règlement. Nous y avons déjà travaillé cette année, avec la collaboration de la Cour des comptes et du Gouvernement, qui ont accepté de publier plus tôt que d'habitude les documents que nous attendions, et grâce à l'engagement du bureau de la commission, en particulier de son président et du rapporteur général, ainsi que des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis. En institutionnalisant les auditions des ministres sur l'exécution de la loi de finances, le projet de loi constitutionnelle lève le verrou de la séparation des pouvoirs, qui nous aurait interdit de prévoir dans le Règlement de l'Assemblée ou la loi organique la présence des ministres en commission d'évaluation des politiques publiques. Cet aspect de l'article 6 est à mes yeux fondamental.

Cet article souligne le rôle des commissions permanentes et non de la seule commission des finances. J'y vois une preuve d'ouverture, dont notre commission peut se féliciter.

Pour que l'examen en séance puisse être plus rapide, il est impératif que nous le préparions efficacement au stade de la commission. Pour cela, nous avons besoin de plus de temps pour examiner le projet de loi et les documents budgétaires. Or, si la Constitution limite le temps d'examen des projets de loi de finances, elle ne garantit pas au Parlement un temps de travail minimum avant la discussion.

Je vous proposerai trois amendements pour y remédier. Le premier instaure, comme l'article 42 de la Constitution pour les autres projets de loi, un délai incompressible entre le dépôt des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale et leur examen en séance. Ce délai ne s'appliquerait pas aux lois de finances rectificatives, pour lesquelles il reste nécessaire de pouvoir réagir en urgence. Le délai de droit commun de six semaines aurait été peu réaliste ; je propose donc un délai de quatre semaines. Deux autres amendements font courir le délai de cinquante jours encadrant l'examen parlementaire des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale à compter du début de la discussion en séance et non plus du dépôt du texte.

En pratique, le point de départ du délai constitutionnel du projet de loi de finances était déjà très proche du début de la séance, puisque, d'un commun accord entre le Gouvernement et l'Assemblée, il ne courait pas à compter du dépôt officiel à la suite de l'adoption du texte en Conseil des ministres, mais à compter de la réception d'une lettre du Premier ministre recensant l'ensemble des annexes déposées, qui intervenait en général entre le 10 et le 14 octobre, soit quelques jours avant le début de la séance.

Pour que le raccourcissement des délais aille de pair avec un travail plus efficace, nous devons aussi renforcer nos moyens d'expertise et ne plus dépendre des analyses du Gouvernement. La présidence de l'Assemblée et son Bureau réfléchissent au meilleur format d'un organe d'expertise propre au Parlement. Je proposerai en complément un amendement prévoyant la consultation du Conseil d'État sur des amendements fiscaux d'origine parlementaire ou gouvernementale. Comme les consultations sur les propositions de loi, celle-ci impliquerait un filtre et un délai compatible avec les exigences du débat parlementaire et le travail du Conseil d'État.

Montesquieu l'a écrit, il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante. Cela est plus vrai encore lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution. N'oublions pas que nos propositions ont vocation à figurer au sommet de notre ordre juridique, pour de nombreuses années. J'ai donc déposé un nombre réduit d'amendements, mais qui me paraissent utiles pour améliorer concrètement la qualité de notre travail. Je serai amené à donner un avis défavorable ou à solliciter le retrait des amendements qui bouleverseraient l'équilibre de nos règles constitutionnelles, tels ceux qui viseraient à abroger l'article 40 ou qui introduiraient dans la Constitution des règles qui pourraient trouver leur place dans la loi organique, voire dans les règlements des assemblées.

Enfin, j'insiste sur le caractère organique de nombre de dispositions dont nous serons amenés à discuter dès l'année prochaine. L'examen d'une nouvelle loi organiques relative aux lois de finances (LOLF) nous donnera plus matière à débattre de la procédure. Je souhaite vous faire part de ma position favorable sur deux points : le monopole fiscal des lois de finances – j'en parlerai cet après-midi lors de l'examen de ma proposition de résolution en séance publique – et l'exclusion des dispositions fiscales du projet de loi de finances rectificative de fin d'année, dont l'essence est altérée par l'ajout, souvent tardif, de dispositions nouvelles par le Gouvernement.

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